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Abstract.

The textbook has always been an essential learning material for the teacher and the learner for the teaching and the construction of knowledge in the primary and secondary schools. It has always permitted then “Burkinabè” state to ensure the quality of the teaching, the implementation of the programms and the progression of the teaching in the school. This contribution questions the French textbooks upon their role in the promotion of the “burkinabè’s” written literature, which seems actually to be in emergence, but paradoxically, stays unknown by the “burkinabè” learners.

Mots-clés : Burkina Faso - manuel scolaire – littérature burkinabè écrite – outil pédagogique - enseignement de base –

enseignement secondaire – politique éducative – politique culturelle - enseignement de français langue seconde.

 

 

1. INTRODUCTION

 

L’enseignement / apprentissage du français, langue officielle au Burkina Faso, s’appuie sur des supports pédagogiques, notamment des manuels scolaires, des livres scolaires et parascolaires, des outils électroniques, voire des nouvelles technologies de l’information et de la communication (la radio, la télévision, le magnétophone, le projecteur, le vidéo projecteur, l’appareil photographique, la caméra, le lecteur DVD, le tourne-disque, le projecteur du cinéma, l’Internet, etc.). Les manuels scolaires, même s’ils sont actuellement fortement concurrencés par les technologies de l’information et de la communication, semblent demeurer l’outil le plus utilisé au Burkina Faso pour l’enseignement / apprentissage du français aux cycles primaire et secondaire. N’ayant pas besoin de courant électrique pour fonctionner comme c’est le cas des autres outils pédagogiques électroniques, le manuel scolaire est l’outil d’enseignement et d’apprentissage le mieux adapté au contexte burkinabè car il est utilisable même dans les villages les plus reculés des centres urbains. Mais force est de constater que le manuel scolaire n’est pas encore au centre des recherches scientifiques au Burkina Faso[2]. C’est pourquoi le présent article se donne pour vocation de réfléchir sur le rôle des manuels scolaires de français dans la promotion de la littérature burkinabè écrite. Ceux-ci devraient être des outils efficaces pour faire connaître la littérature burkinabè écrite et donner aux élèves l’avant-goût de la lecture.

Étant le plus souvent les premiers outils pédagogiques d’information des élèves, les manuels scolaires de lecture devraient contenir des extraits de textes littéraires d’auteurs nationaux et internationaux ayant pour objectif de donner aux apprenants des connaissances littéraires nécessaires.

Cependant, les résultats des enquêtes menées par Lingani (1990), Tibiri (2003), Kevane et Sissao (2005, 2007) révèlent que les élèves ne connaissent pas la littérature nationale burkinabè. Si celle-ci n’est pas assez connue des élèves, c’est parce que le manuel scolaire de français ne joue pas pleinement son rôle de formation, d’information, de vulgarisation, de miroir de la nation.

Partant de cette hypothèse, nous essayerons alors de montrer d’abord que les recherches sur les manuels scolaires sont récentes et que le rôle du manuel scolaire de français dans la promotion de la littérature burkinabè écrite est capital et irremplaçable.

Un examen du programme de français dans les lycées et collèges ainsi qu’un aperçu de l’historique de la littérature burkinabè écrite permettront de mieux saisir la faible représentativité des textes littéraires d’auteurs burkinabè dans les manuels scolaires de français langue seconde à l’école primaire et au secondaire au Burkina Faso.

 

 

2. CONTEXTE GENERAL DE LA RECHERCHE SUR LES MANUELS SCOLAIRES

 

Le manuel scolaire est resté longtemps hors du champ de la recherche scientifique. Il n’intéressait que les concepteurs, les enseignants et les apprenants. Cependant, depuis deux décennies, il semble intéresser les chercheurs en sciences de l’éducation (Bruillard 2005 : 7 ; Choppin 2007 : 109 ; Lebrun 2007 : 1) car il est le document le plus utilisé par l’écolier mais le moins connu des chercheurs. A y regarder de près, il est le premier livre de lecture que l’écolier burkinabè voire africain rencontre à l’école. Il est de ce fait le support écrit le plus fréquemment utilisé. Selon Noyau (2007 : 4), le manuel scolaire est considéré comme l’idéal type d’un « livre » par la plupart des maîtres et des parents dans la mesure où le livre, de façon générale, est rare en Afrique francophone. Nous partageons cette assertion de Noyau car il arrive au Burkina Faso que beaucoup d’élèves issus de milieux défavorisés terminent tous les cycles primaire et secondaire sans un seul manuel scolaire personnel. De plus, le recours à la bibliothèque donne rarement satisfaction car celle-là n’en contient pas suffisamment pour tous les élèves. Cependant, force est de reconnaître que le manuel, constituant un outil collectif de travail dans une classe donnée, permet aux maîtres et aux parents de suivre la progression du niveau d’apprentissage de leurs enfants tout en les aidant à mieux maîtriser son contenu. Ayant pris conscience d’une part de l’importance du manuel scolaire et d’autre part des conditions difficiles de la plupart des parents d’élèves, l’État burkinabè a procédé, dans une perspective de réforme du système éducatif, à la gratuité de livres dans tous les établissements primaires du Burkina depuis la rentrée scolaire 2007 - 2008.  

Depuis les années 1990, les chercheurs commencent à s’intéresser aux manuels scolaires (Bruillard 2005 : 7). Ainsi, des chercheurs scandinaves ont créé une recherche systématique sur les manuels scolaires. Par ailleurs, en Allemagne, des instituts de recherche sur les manuels scolaires tels que Georg-Eckert-Institut, Informationen zu Schulbuchfragen-Verlag Volk und Wissen, Institut für Schulbuchforschung, etc. voient le jour. D’autre part, en Suède, est créé Institutet för pedagogisk Textforskning. Aussi, l’Institut national de recherche pédagogique en France fait-il de la recherche sur les manuels scolaires son champ de bataille. Le Centre d’archives de manuels scolaires de l’IUFM de Montpellier comptant près de 40 000 documents et ouvrages constitue une mine d’or à exploiter (Verdelhan-Bourgade et al. 2007 : 8). Des centres d’études, voire des laboratoires de recherche sur les manuels scolaires sont également créés à Tokyo, au Canada, en Normandie et en Angleterre. La place actuellement accordée aux recherches sur le manuel scolaire a une ampleur internationale d’où la naissance d’associations internationales sur la recherche relatives aux manuels scolaires telles que The International Association for Research on Textbooks and Educational Media (Iartem).

En outre, des conférences, des colloques et des séminaires nationaux et internationaux sont de plus en plus organisés sur le thème du manuel scolaire. Citons par exemple le huitième colloque international sur les médias pour l’apprentissage et l’enseignement organisé à l’IUFM de Base-Normandie du 26 au 29 octobre 2005. Le colloque international le plus récent et le plus grand est celui du 11 au 14 avril 2006 à Montréal au Canada. Il a réuni plus de 400 chercheurs venus de vingt pays. Plus de 25 communications ont été livrées sur le thème Le manuel scolaire, d’ici et d’ailleurs, d’hier à demain (Lebrun 2007 : 1). Alain Choppin (2007), l’un des plus célèbres spécialistes dans le domaine des manuels scolaires, confirmant qu’il y a maintenant un regain d’intérêt de recherche sur les manuels scolaires, s’exclame à l’issue du colloque international de Montréal en ces termes :

Je serais tenté de m’écrier, à l’issue de ce colloque : Quelle revanche ! Quelle revanche pour le manuel qui était, il y a encore quelques années, décrié, vilipendé, accusé de tous les maux par nombre de pédagogues, de formateurs et d’enseignants. Quelle revanche pour le manuel qui fut si longtemps ignoré, négligé, méprisé par la communauté des historiens comme par celle des bibliographes. (Choppin 2007 : 109).

 

Concernant le Burkina Faso, le manuel scolaire représente un champ de recherche de plus en plus investi. Ainsi, des thèses de doctorat et des mémoires inédits de fin de formation à l’Ecole normale supérieure de l’Université de Koudougou pour l’obtention du grade d’inspecteur de l’enseignement de base ou de l’enseignement secondaire ont été consacrés au manuel scolaire. Parmi tant d’autres mémoires et quelques thèses, citons par exemple « L'image de l'enfant et de son milieu dans les manuels scolaires au Burkina Faso » (Ouédraogo 1997),  « la contribution des supports visuels et sonores à l’enrichissement de l’enseignement de l’allemand à travers le manuel IHR und WIR «  (Tiendrébeogo 1998), « les manuels scolaires de lecture en classe de sixième »  (Diabaté 1999), « la politique actuelle du manuel scolaire au Burkina Faso et son impact sur la lecture dans l’enseignement de base » (Naré 2000), « Problématique de la didactique de la littérature dans l’enseignement des langues étrangères. Place et fonction des textes littéraires dans les manuels scolaires d’allemand IHR und WIR et WARUM» (Bationo 2003), « la place de la littérature burkinabè écrite dans les manuels de lecture de l’enseignement de base » (Tibiri 2003), « la politique des manuels scolaires » (Bassono 2003), « l’évaluation des méthodes d’enseignement / apprentissage de l’allemand dans les établissements secondaires burkinabé » (Ouédraogo 2004), « Literaturvermittlung im Deutschunterricht in Burkina Faso: Stellenwert und Funktion literarischer Texte im Regionallehrwerk IHR und WIR » (Bationo 2007), « Evaluation de l’utilisation pédagogique du manuel scolaire « Géographie 6ème «  (Sirima 2009), etc.

Si nombre des élèves encadreurs des enseignements primaire et secondaire de l’Ecole normale supérieure de l’Université de Koudougou manifestent de l’intérêt pour les recherches sur les manuels scolaires, il est alors d’importance que nous cherchions à comprendre davantage ce que représente véritablement cet outil d’enseignement et d’apprentissage.

Dans son livre Manuels scolaires : Histoire et actualité, Choppin (1992 : 7-12) fait d’abord  l’historique du manuel scolaire depuis l’apparition de l’imprimerie en France en 1470. De la Révolution à nos jours en passant par la Renaissance, Choppin affirme que nombreuses expressions ont été successivement utilisées pour désigner le manuel scolaire : livres élémentaires, livres classiques, ouvrages classiques, ouvrages d’enseignement, livres scolaires, livres d’études, manuels d’enseignement et manuels scolaires. Précisant que ces notions n’ont pas toujours le même sens, il a eu recours au Petit Robert pour livrer la définition suivante du manuel scolaire : « ouvrage didactique présentant, sous un format maniable, les notions essentielles d’une science, d’une technique, et spécialement les connaissances exigées par les programmes scolaires » (Choppin 1992 : 12). De plus, il est 

un support du contenu éducatif, le dépositaire de connaissances et de techniques dont la société juge l’acquisition nécessaire à la perpétuation de ses valeurs et qu’elle souhaite en conséquence transmettre aux jeunes générations. Les programmes officiels – quand il en existe – constituent le canevas auquel les manuels doivent se conformer strictement. D’une certaine manière, le manuel est le miroir dans lequel se reflète l’image que la société veut donner d’elle-même (Choppin 1992 : 19).

 

La définition du manuel scolaire comme miroir de la nation est également le point de vue de Rocher (2007 : 23). En ce sens, le manuel scolaire joue un rôle important dans « la construction de l’identité nationale » (Choppin 2007 : 113). Il a pour fonction de diffuser et d’informer surtout les apprenants sur la culture nationale tout en les ouvrant au monde. Partant de cette fonction capitale du manuel, il est opportun de nous interroger sur le rôle des manuels scolaires de français dans la promotion de la littérature burkinabè écrite. En d’autres termes, la question suivante nous guidera en filigrane pour un meilleur traitement de la présente partie de l’article. L’usage des manuels scolaires de français permet-il aux élèves des enseignements primaire et secondaire de connaître la littérature burkinabè écrite, voire la culture nationale burkinabè ?

Pour répondre à cette question, nous nous devons d’analyser les contenus des manuels scolaires de lecture au cycle primaire et des manuels scolaires de français au secondaire. Une telle analyse commence par l’analyse du statut du français au Burkina.  En vertu de l'article 35 de la Constitution du 27 janvier 1997, le français est la langue officielle au Burkina Faso. C’est la langue de la législation, de l’administration, de la communication, etc. C’est enfin et surtout, selon la loi n° 013/96/ADP portant loi d'orientation de l'éducation, la langue de l’enseignement. A ces titres, le français au Burkina Faso a le statut de langue seconde[3], la langue nationale voire maternelle étant la première. Dans ce contexte, le manuel scolaire a pour fonction de promouvoir la culture nationale burkinabè. Cette fonction des manuels scolaires est décrite par Verdelhan (2005) qui la différencie de celle du français langue étrangère : « La langue seconde est enseignée dans un contexte national où elle est langue officielle, généralement langue de la scolarisation, elle doit servir à la communication locale, notamment au plan administratif «  (p. 122). Verdelhan précise que dans un tel cas le manuel doit diffuser des informations sur la culture locale. (Verdelhan 2005 : 125 – 126).

Cette observation de Verdelhan est bien celle des autorités burkinabè qui, dans leur politique éducative, orientent le système éducatif burkinabè vers la valorisation du patrimoine culturel sans pour autant négliger les valeurs internationales (cf. Loi n° 013 / 96 / ADP, portant loi d’orientation de l’éducation). La politique du manuel scolaire n’échappe donc pas à cette perspective éducative. En effet, depuis les Indépendances[4], le Burkina Faso, à l’instar des autres pays africains au sud du Sahara, ne cesse de chercher à adapter son système d’éducation à ses réalités socioculturelles et économiques. Ainsi, sous l’influence des critiques des acteurs du système éducatif burkinabè sur l’inadaptation et l’inefficacité des méthodes de lecture à l’école primaire et au secondaire, les manuels scolaires ont connu une évolution positive. Au niveau du primaire par exemple, nous pouvons citer les manuels de lecture suivants : Mamadou et Bineta en 1956, Je vais à l’école en 1967, Karim et Aïssa en 1974, Pour parler Français en 1986, Lire au Burkina en 1987, Livre de lecture 2ème année en 1988, Livre de lecture 3ème année en 1990, Karim et Aïssa 2ème version en 1990, Livre de lecture 5ème année en 1992 et Livre de lecture 6ème année en 1994.

La politique actuelle du manuel scolaire consiste à adapter constamment le contenu des manuels scolaires aux programmes d’enseignement et aux réalités nationales d’une part et aux besoins des apprenants d’autre part. Elle consiste également à rendre le manuel scolaire accessible à tous les élèves burkinabè en adoptant des textes législatifs sur la baisse des prix (cf. Arrêté conjoint n°98 - 043/MCIA/MEBA/SG/IGAE du 03 août 1998 portant fixation des prix de vente des manuels scolaires), en veillant à améliorer la qualité et la distribution gratuite des manuels scolaires dans tous les établissements du Burkina. Au cours de l’année scolaire 2007 - 2008 par exemple, le Ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation a distribué près de quatre millions de manuels scolaires d’une valeur de plus de deux millions FCFA[5]. Lors du point de presse du 17 mars 2008 sur le bilan de la campagne de la distribution gratuite des manuels scolaires, le Ministre de l’Enseignement de base a fait savoir qu’une telle activité a eu pour conséquence positive l’augmentation du taux de scolarisation de 5 %, ce qui a eu pour effet la modification du taux de scolarisation national qui est passé de 67 % pour 2006 - 2007 à 72 % pour l’année scolaire 2007 - 2008.

Après avoir situé le manuel scolaire dans le contexte général de la recherche aussi bien dans le monde qu’au Burkina Faso d’une part et la place de celui - ci dans l’acquisition du savoir d’autre part, examinons à présent un aspect de son contenu, à savoir la littérature burkinabè écrite.

 

 

3. LA LITTERATURE BURKINABE ECRITE DANS LES MANUELS SCOLAIRES

 

Le premier contact des élèves au Burkina Faso avec la littérature dans un cadre institutionnel remonte au pré - scolaire, voire à l'école primaire, cycles au cours desquels des chansons, des contes et des récitations constituent les genres dominants[6]. Sur le plan social, la famille constitue le premier lieu de formation littéraire où le bébé, dès le berceau, écoute les chansons de ses parents, particulièrement de sa mère. Traditionnellement, le bébé est bercé par sa mère au moyen des chansons dans le but de l’endormir ou de lui procurer du plaisir. L’enfant passe le plus clair de son temps au préscolaire à écouter des chansons et à chanter, à dessiner, à colorer, etc. en un mot, à pratiquer inconsciemment la littérature. Aborder la littérature à l’école est, à notre avis, une suite logique d’une pratique traditionnelle au Burkina. Certes, le manuel scolaire n’est pas le seul medium d’accès à la littérature burkinabè mais il est pour le moment, l’un des meilleurs moyens de sensibilisation et d’information sur la production littéraire nationale. Mais avant l’examen de ces textes littéraires, délimitons les outils pédagogiques de la présente investigation.

 

3.1. Choix et justification du corpus

 

Le corpus choisi pour l’analyse de la place de la littérature burkinabè se limite aux manuels scolaires de l’enseignement primaire et du premier cycle de l’enseignement secondaire.

Au niveau de l’enseignement primaire nous avons choisi le manuel scolaire de lecture Burkina Faso Livre de lecture 6. Ce choix s’explique par l’importance de ce manuel de lecture dans l’enseignement primaire. Par rapport aux autres manuels du Cours Moyen, il contient le plus de textes authentiques. Son utilisation actuellement obligatoire dans les classes du CM2 sur toute l’étendue du territoire burkinabè constitue un autre argument pour ce choix. Le CM2 étant une classe de transition entre la fin de l’école primaire et le début de l’enseignement secondaire, l’examen des extraits de textes littéraires contenus dans ces manuels nous permet de mieux apprécier ceux qui sont contenus dans les manuels scolaires de français du premier cycle de l’enseignement secondaire.

Concernant ce dernier niveau, notre corpus regroupe les manuels scolaires de français suivants de la collection IPAM: La 6ème en français, La 5ème en français, La 4ème en français et La 3ème en français. Le choix de ce corpus se justifie essentiellement par leur usage actuel en classe. Ils sont recommandés par le Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique. Ces manuels dont la vente est formellement interdite, sont effectivement en vigueur et sont utilisés par tous les élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire au Burkina Faso.

 

3.2 Présentation et analyse

 

Il s’agit d’une présentation liminaire car la présente réflexion ne porte pas sur l’évaluation des manuels scolaires ci-dessus énumérés. Etant donné que c’est un aspect du manuel, notamment les textes littéraires qui sont focalisés, notre analyse ne portera donc pas sur tous les contenus de ces manuels.

 

3.2.1. Au niveau de l’enseignement de base

 

Le manuel scolaire de lecture IPAM 6[7], qui s’adressait aux élèves de la classe du CM2, a été remplacé en 1994 au niveau de l’enseignement primaire par le manuel scolaire de lecture Burkina Faso Livre de lecture 6 (B.F.L.L.6) dans le but de l’adapter aux réalités nationales burkinabè. Il est le fruit des efforts d’auteurs burkinabè,  précisément de quatre agents de l’Institut Pédagogique du Burkina (IPB). Ce manuel, conçu pour la classe de CM2, c’est-à-dire la sixième année de l’enseignement primaire, Burkina Faso Livre de lecture 6, se différencie de l’IPAM 6 par la présence des textes d’auteurs nationaux. Ainsi, l’IPAM 6 comptait un seul écrivain burkinabè, Nazi Boni, Burkina Faso Livre de lecture 6 contient cinq écrivains burkinabè à savoir Nazi Boni, Pierre Claver Ilboudo, Daniel Zongo, Norbert Zongo et Géoffroy Damiba. Pour renforcer ces extraits de textes, les auteurs du manuel scolaire ont ajouté des textes ad hoc de six Burkinabè : Ambou Traoré, Anatole Dao, Gnissa Ganou, Yamba Diallo, B. Jérôme Sanou et Oula Sanogo.

Le souci de faire connaître la culture nationale africaine en général et la culture burkinabè en particulier a été un argument solide pour les concepteurs des manuels scolaires de l’enseignement primaire pour y introduire la littérature africaine et burkinabè. Ainsi, des auteurs comme Abdoulaye Sadji, Camara Laye, Ahmadou Kourouma, Francis Bebey, Massa M. Diabaté, Nazi Boni, Pierre Claver Ilboudo, Daniel Zongo, Norbert Zongo, Geoffroy Damiba, etc. sont cités dans des extraits de textes contenus dans les livres de lecture des Cours Moyens Deuxième année (CM2). La présence de ces écrivains et des extraits de leurs œuvres littéraires dans le manuel scolaire de l’enseignement du premier degré nous convainc que les élèves burkinabè apprennent dès l’école primaire, à se familiariser avec la littérature africaine de langue française. La place qu’occupent ces extraits de textes dans la méthode de lecture, déjà évoquée par Tibiri (2003), ne serait pas suffisante pour permettre aux élèves, selon ce dernier, de bien connaître les écrivains nationaux et leurs œuvres. L’enquête menée par Tibiri dans quatre provinces du Burkina (Boulkiemdé, Kadiogo, Kourittenga et Mouhoun) et s’adressant à 100 Maîtres tenant la classe de CM2 et à 108 élèves titulaires du Certificat d’Etudes Primaires révèle que la place des textes littéraires contenus dans le manuel de lecture laisse à désirer (Tibiri 2003 : 65).

Bien que les cinq écrivains burkinabè ne soient pas représentatifs de l’ensemble des textes contenus dans le manuel,  reconnaissons cependant qu’au regard de leur présence dans Burkina Faso Livre de lecture 6, celui-ci est plus apprécié que le manuel scolaire de lecture IPAM 6. Sur ce point, Tibiri fait le décompte du nombre d’écrivains dans le manuel scolaire de lecture et parvient au résultat suivant : « Sur 108 textes il n’y a que 5 textes issus de la L.B.E. 1ère  réflexion : la L.B.E. dans B.F.LL.6 est très peu représentée dans le manuel. Elle est sous-représentée » (Tibiri 03 : 60). Cette présence de la littérature burkinabè écrite dans ces manuels peut se justifier par la participation de Burkinabè à la conception de cet outil pédagogique.

 

3.2.2. Au niveau de l’enseignement secondaire

 

Si les manuels scolaires de l’enseignement primaire, en l’occurrence ceux du CM2 contiennent quelques auteurs burkinabè et informent les futurs collégiens et lycéens sur la littérature burkinabè écrite, le bilan est décevant au niveau des manuels scolaires de lecture de l’enseignement secondaire. Sur l’ensemble des quatre manuels scolaires de lecture IPAM de la 6ème en 3ème les concepteurs n’ont retenu que deux écrivains, à savoir Titinga Pacéré et Boukaré Théodore Konseiga. Ces deux écrivains sont retenus seulement dans le manuel de lecture en classe de 6ème à savoir La 6ème en français. Autrement dit, les trois autres manuels des classes de 5ème, 4ème et 3ème à savoir respectivement La 5ème en français, La 4ème en français et La 3ème en français ne contiennent que des auteurs internationaux. La 6ème en français ne présente que deux auteurs burkinabè sur 43, soit 0,4% des auteurs de textes originaux. Ce pourcentage s’est dégradé davantage dans les trois autres manuels où aucun écrivain burkinabè n’a été mentionné. C’est dire qu’après la classe de 6ème les élèves burkinabè ne lisent que des auteurs africains et occidentaux de la 5ème à la 3ème. Il est vrai que la lecture d’auteurs de la francophonie et des autres écrivains du monde permet une bonne ouverture d’esprit, mais celle-ci serait meilleure si les élèves apprenaient d’abord à connaître leur propre littérature voire culture afin de pouvoir mieux la comparer aux autres (Bationo 2008 : 261 - 282). L’interculturalité est- elle possible si les élèves ne lisent que de la littérature étrangère en négligeant leur propre littérature ? Les auteurs des manuels qui, dans les avant-propos, prônent cette lecture plurielle semblent avoir faire fi de certaines littératures nationales telle que celle du Burkina Faso :

En donnant une large place aux auteurs africains, nous avons aussi retenu des écrivains de divers horizons de la francophonie et même du monde entier. La richesse et la variété des textes présentés, d’un accès facile, veulent donner aux élèves une réelle ouverture d’esprit (IPAM 87 : 2).

 

L’analyse des manuels de lecture du secondaire montre que l’élève burkinabè se sent désorienté du fait que l’outil qui devait l’informer de sa propre culture n’en contient pas. Durant trois ans au premier cycle du secondaire, de la 5ème à la 3ème, l’élève burkinabè n’a pas la chance de lire des extraits de texte de la littérature burkinabè écrite. Cependant, il en lisait à l’école primaire par le biais des manuels de lecture. Il y a donc une discontinuité dans la représentation de la littérature burkinabè écrite dans les manuels scolaires de l’école primaire et au secondaire.

En résumé, d’une manière générale, les manuels scolaires de lecture IPAM ne contribuent pas à la connaissance de la littérature burkinabè écrite. De ce fait, il est tout - à - fait possible que les élèves burkinabè ignorent la littérature burkinabè écrite. Si le manuel scolaire est considéré comme miroir de la nation, l’un de ses devoirs était de faire connaître la littérature voire la culture nationale. Les manuels de lecture IPAM ne se sont pas acquittés de ce devoir en ce qui concerne le Burkina Faso.

En sus, nous remarquons dans le programme de l’enseignement du français dans les lycées et collèges que l'incitation à la lecture intégrale d'ouvrages romanesques, poétiques et théâtraux de la littérature francophone africaine et maghrébine commence véritablement au second cycle. Et dans cette activité, la littérature nationale burkinabè écrite et orale y est reléguée au second plan. Seuls les auteurs Norbert Zongo, Titinga Pacéré et Etienne Sawadogo sont mentionnés dans le programme. La littérature du temps colonial est le contenu majeur de ce programme de cours de français à partir de la seconde A dans le système scolaire au Burkina. La prise de conscience des valeurs culturelles d’Afrique noire francophone, le mouvement de la Négritude, l’identité culturelle, l’acculturation, etc. sont les principaux thèmes qui y sont évoqués. Par l’analyse de quelques romans tels que Ville cruelle (Eza Boto), Soundiata (D. T. Niane), l’aventure ambiguë (C.H. Kane), les Bouts de bois de Dieu (S. Ousmane) et des poèmes de L. S. Senghor et de Fodéba Keïta, ... (Le Français au second cycle 93 : 31–34) qui traitent de ces thèmes principaux, l’élève commence à réfléchir sur les cultures francophone et occidentale. Cette analyse serait beaucoup plus enrichie si l’apprenant burkinabè avait reçu des connaissances sur la littérature nationale burkinabè écrite au premier cycle du secondaire. 

Nous pourrions en conclure que les manuels scolaires de lecture IPAM du premier cycle du secondaire reflètent le programme de français, conçu par la Direction de l’inspection de français en 1993.

La faible représentation de la littérature burkinabè écrite aussi bien dans les programmes de français que dans les manuels scolaires de lecture a sans aucun doute des conséquences négatives sur la formation littéraire et culturelle des élèves burkinabè[8] : la méconnaissance de la littérature burkinabè écrite entraînera le désintérêt pour la littérature burkinabè écrite. Les élèves ont l’impression qu’il n’existe pas d’écrivains burkinabè. Ainsi, par la sous représentation de leurs œuvres, les écrivains burkinabè ont le sentiment que leurs productions littéraires ne méritent pas d’être retenues dans les manuels scolaires, ce qui peut les décourager. Par ailleurs, les enseignants ne se sentent pas obligés de proposer des extraits de textes littéraires d’auteurs burkinabè ou des œuvres littéraires burkinabè pour leurs élèves. Le constat de cette méconnaissance de la littérature burkinabè sur le terrain de l’enseignement / apprentissage du français au secondaire se confirme par les résultats des recherches empiriques de Kevane et Sissao d’une part et ceux de Lingani d’autre part.

 

3.2.3. Résultats de recherches empiriques au secondaire

 

Les conséquences négatives du faible taux de représentativité de la littérature nationale burkinabè écrite dans les manuels scolaire de français se ressentent également sur les habitudes de lecture des élèves. Ainsi, les résultats d’une enquête préliminaire menée à Ouagadougou sur la lecture en février 2005 par Kevane de et Sissao confirment bien ce constat. Ils affirment que les élèves et les étudiants s’intéressent beaucoup à la lecture, malgré le manque d’œuvres littéraires burkinabè à leur disposition.

Cependant, leur enquête révèle que la moyenne des œuvres littéraires lues se limite aux cinq romans suivants:

1. Maïmouna d’Abdoulaye Sadji (73%)

2. Les Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma (60%)

3. Les frasques d’Ebinto d’Amadou Koné (53%)

4. Une vie de boy de Ferdinand Oyono (43%)

5. Le monde s’effondre de Chinua Achebe (35%)

 

Il semble ressortir une contradiction entre deux observations que l’on peut faire à partir des réponses fournies par les élèves à cette enquête. En effet, la majorité des élèves aiment la littérature burkinabè écrite et 82 % souhaitent que les écrivains burkinabè traitent des thèmes qui les concernent. Cependant, ils ne citent aucune œuvre burkinabè parmi les cinq romans africains les plus lus. Les écrivains burkinabè Nazi Boni, Jean - Pierre Guingané, Jacques Boureima Guégané, Jacques Prosper Bazié, Alain Joseph Sissao, Patrick Ilboudo, Etienne Sawadogo, Sondé Augustin Coulibaly, Bernadette Sanou, Monique Ilboudo, Pacéré Titinga, Frédéric Pierre Claver Ilboudo, Mathias Kyélem, Roger Nikiéma, etc. sont également lus, mais n’occupent pas une place de choix chez les élèves. Si nous comparons les pourcentages (73 %) des élèves qui préfèrent le roman Maïmouna du Sénégalais Abdoulaye Sadji et (20 %) pour le roman burkinabè en général, nous pouvons en conclure que le contenu du roman sénégalais Maïmouna est plus proche de leurs réalités que ceux des auteurs burkinabè. Cette préférence pour la littérature non burkinabè est confirmée par les résultats d’une autre enquête menée en 2007 par Kevane et Sissao. Celle-ci révèle que le roman L’enfant noir de Camara Laye est lu par 68% des élèves habitant dans des villages sans bibliothèque Clac/BCLP et par 73% des élèves dans les villages avec bibliothèque Clac/BCLP (Kevane et Sissao 2007 : 89). Partant de ces résultats de Kevane et Sissao nous pouvons conclure que Ces habitudes de lecture peuvent également et surtout s’expliquer par le fait que le roman burkinabè n’étant pas représentatif ni dans le programme ni dans les manuels, il n’est pas connu des élèves. Il va sans dire que le manuel scolaire ne joue pas de rôle dans la connaissance de la littérature burkinabè écrite. Il ne leur permet pas de la découvrir. Le manuel scolaire étant le plus souvent leur premier livre, il devrait être l’un des outils de communication les plus efficaces pour les informer sur la littérature nationale écrite sélectionnée en leur donnant un avant-goût de la lecture pendant leur cursus scolaire avant qu’ils ne la savourent pendant la vie estudiantine et professionnelle.

En outre, les résultats de l’enquête menée en 1990 par Lingani sur l’introduction de la littérature burkinabè écrite au niveau du secondaire confirment bien le besoin des élèves en littérature nationale écrite. En effet, Lingani avait posé la question suivante à des élèves enquêtés : Aimeriez- vous étudier les œuvres de la littérature burkinabé en classe ? (Lingani 1990 : 47). En réponse à cette question, Lingani remarque que 87, 14 % des élèves enquêtés aimeraient étudier les œuvres littéraires burkinabè en classe. De plus, 83, 33 % des enseignants sont d’avis que la littérature burkinabè écrite devrait être introduite au programme de français.

Avant les résultats des travaux empiriques de Kevane et de Sissao, ceux de Lingani, de Tibiri, etc. l’introduction de la littérature burkinabè écrite à tous les niveaux d’enseignement (primaire, secondaire et supérieur) avait été vivement recommandée à l’occasion du premier colloque international sur la littérature burkinabè écrite qui s’est tenu du 05 au 10 décembre 1988 à l’Université de Ouagadougou (Lingani 1990 : 47). Les recommandations de ce colloque incitent à revoir les programmes de français d’une part et à concevoir de nouveaux manuels scolaires de français où la littérature nationale burkinabè écrite devrait occuper une place de choix.

Pour mieux saisir ce constat de la place de la littérature burkinabè écrite dans les manuels scolaires voire dans les programmes de français et le faible niveau des élèves en littérature burkinabè écrite, interrogeons enfin l’histoire de la littérature burkinabè écrite.

 

3.3. Bref aperçu historique de la littérature burkinabè écrite

 

La genèse de la littérature burkinabè écrite nous éclairera davantage sur sa faible représentativité aussi bien dans le programme que dans le manuel scolaire. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les travaux du romaniste Sanou. Dans son livre La littérature burkinabè écrite : l’histoire, les hommes, les œuvres, Sanou (2000 : 47) s’efforce de livrer des informations précises sur la littérature écrite et orale du Burkina Faso. Dans cet ouvrage que nous qualifions d’évaluation de la littérature burkinabè écrite, Sanou explique clairement les conditions historiques de la production littéraire des premiers élèves burkinabè de l’école coloniale William - Ponty et des autres écoles coloniales en Côte - d’Ivoire. Selon l’auteur, les Burkinabè se sont intéressés à la littérature tardivement pour des raisons politiques et sociales. Il précise que ce retard se justifie par le fait que le Burkina Faso soit longtemps considéré comme une réserve de main d’œuvre pour les pays côtiers tels que la Côte - d’Ivoire et le Ghana.

En effet, le numéro spécial de la Revue Notre Librairie (n° 101) consacré à la LITTÉRATURE DU BURKINA FASO ne mentionne aucune publication dans le domaine de la production littéraire avant les indépendances. La parution du premier roman burkinabè Crépuscule des temps anciens en 1962, écrit par Nazi Boni (Sanwidi 1990 : 48 ; Bonou 1990 : 56 ; Sanou 2000), atteste bien les capacités des Burkinabè à produire des œuvres littéraires, mais que ces auteurs étaient en réalité beaucoup plus préoccupés par la libération politique du pays.

C’est seulement dans les années 1980 que la littérature burkinabè écrite a véritablement connu un essor encourageant, car l’on constate que beaucoup d’œuvres dans les différents genres littéraires parurent au cours de cette période. Selon Sanou, cette émergence de la littérature burkinabè écrite dans les années 1980 se justifie par l’engagement de l’État burkinabè dans la production littéraire en instituant des concours littéraires dans le cadre de la Semaine Nationale de la Culture et du Grand Prix National des Arts et des Lettres (Sanou 2000 : 39). Ajoutons que le rôle important que joue l’État burkinabé dans le développement littéraire se justifie aussi par le fait que beaucoup de Burkinabé écrivent, mais n’arrivent pas à publier car le problème d’édition au Burkina Faso se pose avec acuité.

Le grand retard du Burkina dans la production littéraire d’une part et l’irrégularité dans la production d’autre part pouvaient effectivement faire douter de la qualité des œuvres littéraires burkinabè. Si ce doute sur la qualité de la littérature burkinabè écrite était un argument pour ne pas la transmettre aux élèves par le biais des manuels scolaires, mais force est de reconnaître que le Burkina Faso regorge aujourd’hui de talentueux écrivains qui méritent d’être intégrés dans les programmes d’enseignement du français et les manuels scolaires de français. Pour confirmer cette assertion nous pouvons citer les travaux de l’équipe de recherche pluridisciplinaire des littératures de l’enfance et de jeunesse du Burkina Faso. Après une recherche fouillée et minutieuse cette équipe a pu identifier cent cinquante quatre titres, tous genres confondus (cf. Sissao 2005 : 44-45). Cet état de lieux des littératures de l’enfance et de jeunesse montre une certaine richesse littéraire qui, sélectionnée et intégrée dans les manuels scolaires de français, peut bien servir de pâture pour la formation culturelle des élèves burkinabè.

 

4. RECOMMANDATIONS ET PERSPECTIVES

A l’issue de l’analyse que nous venons de faire, il sied de faire quelques recommandations pour une prise en compte importante des textes littéraires dans les manuels scolaires des enseignements primaire et secondaire. En effet, la conception d’un nouveau manuel scolaire national est donc primordiale car la connaissance de la littérature burkinabè écrite et orale est vivement recommandée par les textes officiels (cf. Décret N° 2005 – 353 / PRES / PM / MCAT portant adoption de la politique culturelle du Burkina Faso).

A l’instar de l’enseignement primaire qui a remplacé l’IPAM qui contenait un seul écrivain burkinabè, de nouveaux manuels scolaires de français doivent être conçus pour les élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire qui doivent contenir des extraits de textes littéraires d’auteurs burkinabè afin que la transition soit bien assurée.

Somme toute, la politique de l’édition des manuels scolaires de français doit être redéfinie étant donné que le manuel scolaire de français au Burkina Faso, à l’état actuel, ne reflète pas la réalité littéraire nationale. C’est dire que le problème de l’édition du manuel scolaire qui se pose avec acuité concerne également celui des œuvres littéraires. Les auteurs des manuels ne pourront retenir des textes authentiques pour leurs manuels que si ceux-là sont non seulement édités, mais aussi s’ils ont une qualité littéraire reconnue.

Ces manuels scolaires de lectures peuvent être complétés par des anthologies de la littérature burkinabè. La conception de tels outils pédagogiques seront aussi bien bénéfiques pour les élèves que pour les enseignants. Abondant dans le même sens, Fraisse explique ce qui suit :

L’anthologie demeure un objet pédagogique qui organise explicitement les grandes périodes de la littérature en s’appuyant sur des introductions synthétiques, tout en se refusant à un mode d’analyse déterminé et en laissant le professeur libre d’adapter ses suggestions pédagogiques aux besoins des élèves (Ibid. 248).

 

Loin de remplacer les manuels scolaires de français, les anthologies littéraires devraient permettre aux élèves de mieux connaître la littérature nationale burkinabè écrite. Etant le plus souvent constitué de morceaux de textes issus des meilleures œuvres littéraires, les anthologies sont des apéritifs qui poussent à découvrir les œuvres entières. Autrement dit, elles donnent vivement envie de passer de la lecture d’un extrait de texte littéraire à celle d’un roman, d’une pièce théâtrale ou d’un recueil de poèmes. Par ailleurs, elles constituent un avantage pour les élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire dans la mesure où l’analyse des œuvres entières commencent à partir de la classe de 2nde A. Durant tout le premier cycle, la lecture des anthologies de la littérature burkinabè préparera les élèves à mieux maîtriser le cours de français au second cycle de l’enseignement secondaire et les études supérieures en Lettres Modernes.

 

 

Conclusion

 

Les manuels scolaires sont restés longtemps la chasse gardée des concepteurs et des utilisateurs. Mais depuis les deux dernières décennies il est un vaste domaine d’investigation des chercheurs en science de l’éducation. Tant au niveau des colloques internationaux organisés qu’au niveau des ouvrages publiés sur les manuels scolaires le souci majeur est l’adaptation de ces outils pédagogiques aux différents niveaux des utilisateurs.

Il ressort également de la présente réflexion que le manuel scolaire de français, aussi bien au niveau de l’enseignement de base que de l’enseignement secondaire, ne joue pas un grand rôle dans la promotion de la littérature burkinabè écrite. Par conséquent, les élèves burkinabè ne connaissent pas leur littérature. Ce constat est confirmé par les travaux de recherche empirique (Lingani 1990, Tibiri 2003 ; Kevane et Sissao 2005, 2007).

La prise de conscience de ces faiblesses d’une part et la ferme volonté d’autre part de l’État burkinabè de valoriser davantage la culture burkinabè et l’adaptation des outils pédagogiques aux réalités socioculturelles nationales sont effectives. Ainsi, le manuel scolaire de lecture au primaire, conçu par l’IPAM, est actuellement sous la responsabilité de l’IPB (Institut Pédagogique du Burkina). Même si l’évolution de ce manuel est positive, le pourcentage des écrivains burkinabè reste encore insuffisant.

Au niveau de l’enseignement secondaire, les manuels scolaires de français sont conçus par l’EDICEF en collaboration avec l’IPAM qui n’accorde presque aucune place à la littérature burkinabè écrite. La lecture critique de ces manuels nous renseigne que l’élève, qui avait pris goût à la littérature burkinabè écrite au primaire, se retrouve au secondaire - dès la 6ème - sans connaissances consistantes sur la littérature burkinabè. Le manuel scolaire qui est sensé servir alors de pont entre le primaire et le secondaire dans la transmission de la littérature burkinabè écrite ne parvient pas à assurer cette fonction pourtant essentielle à nos yeux. Ce fait constitue une lacune indéniable dans la formation littéraire des élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire. Même si les manuels scolaires ne sont pas les seuls moyens d’accès à la littérature burkinabè écrite, ils constituent cependant des instruments d’apprentissage de première main au primaire au regard de leur disponibilité et de leur gratuité. Il demeure pour le moment, l’outil pédagogique le mieux adapté au Burkina Faso pour la promotion de la littérature burkinabè en milieu scolaire.

Les manuels scolaires de lecture de la collection IPAM ont donc fortement besoin d’être actuellement révisés, s’ils veulent remplir leur devoir non seulement de faire connaître les écrivains de la Francophonie et surtout de servir de miroir de la nation. Certes, la littérature burkinabè écrite est émergente, mais elle regorge de talentueux écrivains dont les textes, retenus dans les manuels scolaires, pourront servir de véritables outils pédagogiques pour un meilleur enseignement / apprentissage des littératures, voire des cultures nationales et internationales.

Bien que le français soit la langue officielle au Burkina Faso, il est loin d’être la première langue des apprenants burkinabè. Néanmoins, il est la langue d’enseignement voire de scolarisation, de socialisation, etc. Il est également la langue de la production littéraire écrite. Au regard de l’émergence de cette production littéraire écrite de plus en plus qualitative au Burkina Faso, il est impérieux que le nombre élevé des auteurs français dans les manuels scolaires du secondaire soit relativement réduit au profit des écrivains nationaux dans les prochains manuels de français. Nous souhaitons que ces manuels soient complétés par des anthologies littéraires nationales pour une meilleure appropriation de la singularité culturelle de la littérature nationale.

 

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1. Enseignant-Chercheur à l’Ecole normale supérieure, Université de Koudougou, Burkina Faso.

[2] Les travaux de recherche sur les manuels scolaires se limitent jusqu’à présent à quelques thèses de doctorat, à des mémoires de maîtrise et surtout de fin de formation professionnelle.

[3] Soulignons ici que le concept du « Français langue seconde » (FLS) est complexe. CUQ (1991 : 139) le définit comme étant le français parlé à l’étranger comme dans les anciennes colonies françaises. Le FLS désigne également la langue de scolarisation (Verdelhan–Bourgade 2002 : 19, Diabaté 2007). En Afrique francophone comme au Burkina Faso par exemple, le français est enseigné dès le pré - scolaire. Il permet aux élèves de communiquer entre eux et de suivre les cours. La langue maternelle, apprise le plus souvent dans la sphère familiale de façon informelle et constituant la première langue de l’élève africain francophone voire burkinabè, n’est pas toujours parlée par tous les élèves d’une classe ou d’un établissement donné. Provenant alors de différentes ethnies, donc de différentes langues nationales, l’apprenant africain francophone voire burkinabè utilise le français comme meilleur outil commun de communication.

[4] Le Burkina Faso, ex Haute-Volta, était constitué de territoires, intégrés à l’Afrique occidentale française en 1904 au sein de la colonie du Haut-Sénégal-Niger. En 1919, la colonie de Haute-Volta fut constituée mais celle-ci fut démembrée en 1932 et le territoire fut partagé entre les colonies voisines : la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger. Après les services rendus à la France pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Haute-Volta fut reconstituée en 1947 dans ses limites de 1932. La république du pays fut proclamée le 11 décembre 1958. Le 5 août 1960, la Haute Volta accède à l’indépendance. Suite à la révolution de 1983, la Haute-Volta est devenue le Burkina Faso en 1984 (Ki-Zerbo 1972, Kaboré 2002). 

[6] Cette assertion est confirmée dans les mémoires des inspecteurs de l’enseignement de base (Simporé 1999, Sawadogo 1999, Ganou 1999, Ouédraogo 2000, Somé 2001, Tibiri 2003).

[7] Institut Pédagogique d’Afrique et de Madagascar.

[8] La littérature joue un grand rôle dans l’acquisition de la culture en classe de langue. Pour plus de détails sur le rapport littérature - culture et langue étrangère, voir Bationo 2007a : 245 – 258 ; 2008 : 261 – 282 ; 2010 : 137-152.