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Dans un pays multiconfessionnel comme le Sénégal, le dialogue interreligieux est un passage obligé pour la stabilité politique et sociale. Ce dialogue est d’autant plus légitime qu’il remonte aux origines de l’Islam. En effet, le dialogue Islamo Chrétien est non seulement inscrit dans le texte fondateur de l’Islam, mais s’inscrit dans les premiers actes posés par le prophéte aux premières heures de l’hégire. Après s’être installé à Médine, il décida d’établir les bases de l’Etat islamique. Pour ce faire, il reçut une délégation de chrétiens de Najrân composée de soixante (60) personnes. « Au cours de la discussion, l’heure de la prière arriva pour les chrétiens. Le Prophète mit sa maison à la disposition de la délégation chrétienne pour y tenir l’office de la prière [1]». Une autre version rapporte :

Une délégation de l’importante communauté chrétienne de Najrân vint à Ythrib, pour rencontrer le Messager de Dieu. Arrivés dans l’après-midi, les hommes se rendirent aussitôt à la mosquée, où le Messager de Dieu venait de terminer la prière. Ils étaient tous vêtus de robes de prêtre, faites de riches étoffes du Yémen, comme les compagnons du Prophète n’avaient jamais vu. L’heure de prière étant venue, ils s’apprêtèrent à la faire dans la mosquée même. Les musulmans voulurent les en empêcher, mais le Messager de Dieu dit : Laissez-les prier[2]        

 

Ces évènements historiques qui posent les premiers jalons du dialogue islamo-chrétien révèlent la proximité entre l’Islam et le christianisme confirmée par l’importante place que Jésus et sa mère la Vierge Marie occupe dans le Coran.

Dans la sourate XIX, il est écrit : « Mentionne dans le Livre (le Coran) Marie quand elle se retira de sa famille et mit entre elle et eux un voile. Nous lui envoyâmes Notre esprit (Gabriel), qui se présenta à elle sous la forme d’un homme parfait. Elle dit : « Je me réfugie contre toi auprès du Tout Miséricordieux. Si tu es pieux ne m’approche point ». Il dit : « Je suis en fait un Messager de ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur ». Elle dit : « Comment aurais-je un fils, quand aucun homme ne m’a touchée et que je ne suis pas prostituée ? Il dit « Ainsi sera-t-il ! Cela M’est facile, a dit ton Seigneur !  Et Nous ferons de lui un signe pour les gens et une miséricorde de Notre part.»[3]  « Lorsque les anges dirent : « Ô Marie, voilà qu’Allah t’annonce une parole   de sa part, son nom sera « Al-Masîh( «  Issa fils de Marie) »[4] Elle « qui avait préservé sa virginité ; Nous y insufflâmes alors Notre esprit »[5].  « Nous avons donné des preuves à Jésus fils de Marie et Nous l’avons renforcé du Saint-Esprit » Quant à la vierge Marie, le Coran écrit : Ô Marie, certes Allah t’a élue et purifiée ; et Il t’a élue au-dessus des femmes des mondes[6]

Ces versets exhortent les musulmans au respect, à la reconnaissance et au dialogue avec le christianisme et à toutes les religions abrahamiques dont l’Islam est une refonte.  « Certes, la religion acceptée d’Allah, c’est l’Islam »[7] c’est à dire la soumission à Allah, l’objectif commun de toutes les religions révélées « Dis Nous croyons à Allah, à ce qu’on a fait descendre  sur nous, à ce qu’on a fait descendre sur Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus, et à ce qui a été apporté à Moïse, à Jésus et aux prophètes de la part de leur Seigneur ; Nous faisons aucune différence : et c’est à Lui (Allah) que nous sommes Soumis »[8] Dans la sourate XLII,  « Il vous a légiféré en matière de religion ce qu’il enjoint à Noé, ce que Nous t’avons révélé ainsi que Nous avons enjoint à Abraham, à Moïse et à Jésus : établissez la religion et n’en faites pas un sujet de division »[9].L’analyse de ce verset révèle l’égalité entre tous les prophètes envoyés par Dieu sans distinction  et l’unité de toutes les religions révélées, d’Abraham à Mohamed  en passant par Moïse, Jésus etc.. Selon Ibn Garîr A-Tabarî :  

Le Prophète Mohamed est arrivé à Médine au mois de rabîa premier. Au mois de muhararm de l’année suivante, il remarqua que les juifs célébraient le jeûne dudit mois, en appelant ce jour Âsourâ. Le Prophète leur demanda pourquoi ils distinguaient ce jour. Ils répondirent : C’est le jour où Dieu a fait noyer Pharaon dans la mer et où il a délivré Moïse, qui a jeûné ce jour là pour rendre grâce à Dieu[10]  

 

Cette histoire confirme l’héritage monothéiste commun de toutes les religions abrahamiques dont la différence se situe au niveau des législations qui varient selon les prophètes. « A chacun de vous Nous avons assigné une législation et une méthode à suivre. Si Allah avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté »[11] (religieuse).

Il s’avère donc que la diversité religieuse ne doit en aucun cas être  un facteur de blocage et de division entre les communautés religieuses en général, et musulmane et chrétienne en particulier, ces deux dernières  rapprochées par un lien affectif  comme écrit dans le Coran:  « Et tu trouveras que ceux qui ont plus aimé les croyants (musulman) sont ceux qui disent « Nous sommes chrétiens » C’est qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines exempts d’orgueil »[12]  C’est donc à la lumière du Coran qu’en date du  trois (3) muharrm »[13] de la deuxième année de l’hégire,  que le Prophète signa un traité de paix avec les chrétiens de Nadjrân, en présence de ses compagnons dont Abu Bakr, Oumar,  Ousman et Ali. Ce traité stipule :

Les chrétiens de Nadjran et ses faubourgs sont sous la protection de Dieu et la responsabilité de son prophète Mohamed. Le messager de Dieu se porte garant de leur sécurité en tant que personne, de la sécurité de leurs biens, de leur religion, de leur tribu, de leurs activités économiques et des biens qu’ils possèdent. Il s’engage à ne déposer aucun de leurs évêques et à ne limoger aucun de leur moines à n’exercer sur eux aucune espèce d’avilissement ni d’humiliation, ce qu’aucune armée musulmane ne foule leur sol et à ce qu’ils ne souffrent d’aucune ingérence dans leurs affaires internes de la part des musulmans[14].

 

Ce traité est une parfaite illustration du dialogue islamo chrétien fondée sur l’ouverture à l’autre que le Prophète pratiqua dans un esprit de tolérance, de respect et la reconnaissance de l’autre. Cette intégration, avec la part belle qu’elle fait aux origines, à la culture et même à la religion de l’autre, est bien présente dans la société sénégalaise. Le Sénégal, pays de dialogue comme disait Senghor, est un pays de tolérance et de coexistence pacifique où musulmans et chrétiens partagent tout ou presque, célèbrent les cérémonies familiales et les fêtes religieuses ensemble. « J’ai vu une vieille mulâtresse chrétienne qui attendait comme les musulmans l’apparition de la lune et fait, en la voyant paraître beaucoup de références et signes de croix en action de grâce » soutient Ahmed Iyane Sy, chef religieux, poète et partisan du dialogue islamo chrétien, qui, à l’occasion de la fête de Noël en 1944 écrit :

-Noël ! O nuit suprême, où parmi les ténèbres du monde, apparut soudain la lumière éclatante de Jésus, le Christ qui paya de sa vie les pêchés de tout son peuple

-De tous les clochers s’envols, égrené dans le lointain, le son rutilant des cloches. Et l’âme des croyants s’épanouit d’un plaisir virtuel

-les églises, les cathédrales couvents et manoirs, vivront désormais de la sève de cette âme, l’âme de Jésus, forte de la force de celui qui fit la terre et la gloire remplies les mondes »[15]

 

En effet, l’analyse de ce poème confirme l’ouverture d’esprit de l’auteur, l’estime et l’amour qu’il a voués à Jésus, la convivialité, la tolérance, l’amour et le respect mutuels de deux communautés religieuses au Sénégal en un mot, la vivacité du dialogue islamo-chrétien au Sénégal où les communautés religieuses célèbrent ensemble les cérémonies funèbres. Dans son roman De Tilène au Plateau une enfance dakaroise, Nafissatou Diallo écrit :

Je retrouvais la paix et mes vacances auraient été agréables sans la nouvelle que je reçus en catastrophe de la mort de Marie-Louise ma première amie, c’est elle qui m’amena en cachette à la cathédrale, qui me fit toucher à l’eau bénie et faire le signe de la croix. Une fois nous suivîmes ensemble la procession du 15 août. J’aimais ma religion à laquelle je croyais fermement mais les chants et les images de la cathédrale m’attiraient. Ma famille assista aux obsèques. J’allai à la morgue faire mes adieux à mon amie, qui semblait dormir, habillée de sa toilette de communiante. Je ne pouvais m’imaginer que cette bouche ne s’ouvrirait plus pour me parler. L’émotion m’étreignait comme un corset ; j’avais le vertige. J’assistais pour la première fois aux rites catholiques des funérailles, les prières chantées par les « Ames vaillantes », association à laquelle avait appartenu Marie-Louise m’émurent profondément. La mère brisée par l’émotion, n’assista pas à la mise en terre. Par la suite, je ne la vis pas aussi souvent que j’aurais dû le faire, mais quelques visites que je lui fis la laissent éplorée. Elle ne devait pas longtemps survivre à sa fille[16].

 

En effet, la participation de l’auteur et en tant que musulmane aux obsèques de son amie chrétienne Marie-Louise et ses prières pour le repos de son âme, sont là, deux questions vitales pour un pays comme le nôtre où les religions révélées et croyances ancestrales se côtoient depuis plusieurs siècles. En conséquence, il n’est pas rare de voir musulmans et non musulmans enterrer leurs morts ensemble et parfois dans les mêmes cimetières, et participer à toutes les cérémonies funéraires. C’est une pratique sociale tolérée par l’Islam. En croire Ibn al-Garîr Atabarî

Lorsque Abu-Taleb perdit l’usage de la langue, le Prophète s’éloigna du lit et retourna dans sa maison. Lorsqu’il y fut arrivé, Abou-Taleb mourut. Ali vint auprès du Prophète et dit : O apôtre de Dieu, ton oncle est mort dans l’égarement. Mouhamed pleura ; puis il dit : O Ali, va pour le laver et l’enterrer, mais il ne lui dit pas de prier pour lui. Le Prophète lui-même n’assista pas à l’ensevelissement ni à l’enterrement ; il donna seulement ses ordres à Ali. Mais d’après une autre version, le Prophète lui-même serait allé jusqu’à la tombe d’abou-Taleb, en suivant le corps. Les théologiens et les docteurs de la loi tirent de ce fait un argument, et disent : Si un infidèle meurt, si c’est un homme considérable, on doit l’ensevelir. Si cet homme a un fils musulman, celui-ci doit se tenir près du lit au moment de la mort de son père et doit l’ensevelir, le mettre dans la tombe, et se tenir au bord de la tombe, comme le Prophète a ordonné à Ali de faire pour Abou-Taleb.[17]

 

En effet, ces précieux enseignements du Prophète de l’Islam confirment la possibilité, voire l’obligation des musulmans de participer à l’enterrement et à toutes les cérémonies funéraires de non musulman sans pouvoir formuler des prières pour le repos de leurs âmes, s’il s’agit d’un infidèle. Ce qui explique encore une fois de plus l’importance et la nécessité de marquer la différence entre infidèle (Kâfir) et gens du Livre (Ahl-Alkitâb), tous communément appelés : non musulmans. L’analyse de ce texte qui a implicitement marqué la différence entre les deux catégories de non musulmans montre clairement qu’il n’est pas recommandé au musulman de formuler des prières pour le repos de l’âme d’un mécréant quel que soit le lien de parenté, tant qu’il ne croit pas en Allah dont on implore le pardon et la miséricorde. C’est pourquoi le Prophète n’avait pas donné l’ordre à Ali de formuler des prières pour son père Abou-Taleb qui, comme il apparaît clairement dans le texte, est mort dans l’égarement et la mécréance. Ce qui n’est pas le cas pour les gens du Livre (Chrétiens et juifs) qui, comme les musulmans appartiennent tous aux religions révélées et croient profondément en Allah.

A propos des Mécréants, associateurs ou infidèles, le Coran précise « Que tu demandes pardon pour eux, ou que tu ne le demandes pas- et si tu le demande soixante dix fois- Allah ne leur pardonnera pas. Et ce parce qu’ils n’ont pas cru en Allah et en son messager »[18] Selon Ibn Al Djarîr (at-Tabarî),

Le jour de la prise de la Mecque, les musulmans prièrent pour leurs pères et leurs mères infidèles. Le Prophète dit : Ne priez pas pour eux, parce qu’ils sont infidèles. Alors Oumar fils d’al-khattâb, dit : Ô apôtre de Dieu ! Abraham pria pour son père et demanda à Dieu pardon pour lui. Au même instant le verset suivant fut révélé[19]

Il n’appartient pas au prophète ni à ceux qui sont fidèles (croyants), d’intercéder auprès de Dieu en faveur de polythéistes (de demander pardon à Allah pour les polythéistes), fussent-ils leurs parents, du moment où il est connu que ces polythéistes sont en enfer. Il ne fut permis à Abraham d’intercéder en faveur de son père qu’à cause de la promesse que celui-ci lui avait faite. Mais, lorsque qu’Abraham sut que son père était l’ennemi de Dieu, il jugea quitte à son égard.[20]  

 

Comme l’origine de cette promesse est racontée dans la Sourate IX, Abraham appelait toujours les hommes à Dieu et il dit à son père : « Qui adorez-vous ? Comment prenez-vous pour votre Dieu un être qui n’entend point et ne voit point ? Cessez d’adorer les idoles ». Azar son père dit à Abraham : « Attends que nous sortions de ce royaume, je deviendrais alors croyant ». Abraham espérait que son père accomplirait la promesse qu’il lui avait faite, priait pour lui. Mais quand il mourut dans l’infidélité, Abraham, quitte en vers son père, cessa de prier pour lui [21]».

A la lumière de cet exposé, il s’avère que l’interdiction aux musulmans de prier pour les non musulmans ne concerne que les mécréants qui ne croient pas en Dieu et non aux chrétiens et aux juifs, adeptes des religions révélées et dont la vie est rythmée par la prière. En conséquence, la sagesse religieuse a donné raison à notre romancière Nafissatou Diallo, partisane du dialogue islamo-chrétien qui écrit :

C’est avec recueillement toujours que je m’arrête sur la tombe de mon amie quand je me rends aux cimetière catholiques de Bel-air. Je la mêle dans mes prières à mes défunts musulmans.[22]

 

La relation entre l’auteur et sa défunte amie Marie-Louise, est une illustration éloquente de la vivacité du Dialogue islamo-chrétien au Sénégal. Certains ne voient pas l’intérêt d’un tel dialogue dans un pays comme le nôtre où les deux communautés chrétienne et musulmane cohabitent dans la cohésion et le respect mutuel. Au Sénégal, certains esprits mal éclairés restent hostiles à la coexistence pacifique avec les non musulmans. Dans une Si Longue Lettre, Mariama Ba dénonce l’attitude des parents de Samba Diack qui boudaient Jacqueline qui « ne voulait pas embrasser la religion musulmane. Noire et africaine, elle aurait dû s’intégrer, sans heurt, dans une société noire africaine »[23]

C’est une attitude qui n’est pas conforme aux principes de l’Islam qui, dans le Coran, a garanti la liberté religieuse. Dans la Sourate X, Allah exhorte le Prophète et toute la communauté musulmane au respect strict de la loi fondamentale sur la liberté religieuse. « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ?[24]  Ce verset a été révélé au Prophète lorsqu’il décida de contraindre les païens de la Mecque à se convertir à l’Islam. Selon Ibn Abas :

Salim Ibn Aouf surnommé Al-Housaini, avait deux enfants chrétiens et avait demandé au Prophète : puis-je les contraindre à se convertir à l’Islam ? Ils ne veulent que le Christianisme. A cette question, Allah répond « Nulle contrainte en religion »[25]

 

Ce verset devient ainsi une loi sacrée pour le Prophète et pour tous les musulmans.    

Par ailleurs, si au Sénégal les musulmans et les chrétiens célèbrent ensemble les fêtes religieuses et les cérémonies familiales sans problème, ce n’est pas le cas pour le mariage surtout quand il s’agit du mariage entre musulmane et chrétien. 

 

Le mariage interreligieux

 

Nous entendons par mariage interreligieux :

1-mariage entre musulman et chrétienne ou juive

2- mariage entre musulmane et chrétien ou juif.

 

Le premier est une pratique sociale répandue et connue dans tous les pays du monde. Il remonte à l’époque du Prophète Mohamed, dans l’Arabie du VIIème Siècle où les trois grandes religions étaient présentes : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Le Prophète fut lui-même le premier à mettre ce précepte en pratique lorsqu’il épousa Raïhana Bint Zeïd en 627, Safiyya en 628, toutes les deux juives et Maria qui étant une copte d’Egypte était chrétienne. L’histoire remonte à l’an 7 de l’hégire (629), le Prophète écrit aux différents chefs et dirigeants étrangers. Et selon Tabari, « il reçut une réponse de Muqawqis (le roi d’Egypte) avec en guise de don, quatre jeunes filles[26] » dont Maria et sa soeur Cirine. Cette dernière fut donnée par le Prophète au poète Hassane Ibn Thabit : 

Parmi ces trois femmes, seule la conversion de Safiyya était attestée par des sources authentiques. En Afrique, le mariage interreligieux est une pratique courante. Cette question d’une importance capitale, mérite d’être étudiée avec réalisme et plus de sérieux et d’objectivité. Pour ce faire, il faut nécessairement l’analyser à la lumière du Coran, la principale source de la législation islamique. Cette question est souvent traitée par les auteurs sur le thème : Mariage entre musulmans et non musulmans.

A cet effet, il est important de préciser que dans le Coran, les non musulmans se classent en deux catégories :

1-Ahl al kitâb les gens du Livre (les chrétiens et les juifs).

2-Les kuffâr (les infidèles ou les mécréants).

Pour les premiers, ils ont un statut spécial en Islam. En conséquence, il est permis aux musulmans d’épouser les femmes ahl al kitâb (chrétiennes et juives). C’est par ignorance que beaucoup de musulmans continuent à exiger comme préalable la conversion à l’Islam de leurs conjointes chrétiennes comme Ousmane qui, avant tout engagement :

exigerait de Mireille, comme préalable, la conversion à l’Islam. Elevé dans la voie d’Allah, musulman convaincu et pratiquant dans le sillage de son père ancien talibé, Ousmane ne concevait pas de mariage en dehors de la mosquée.[27]

 

Victime de l’ignorance, Mireille renonce à sa religion pour épouser Ousmane qui écrit :

Cher père, je m’adresse à toi avant de me tourner vers ma mère. « Rien ne peut se faire sans une parcelle d’amour » avait coutume de répéter l’un de mes premiers maîtres. Mireille –sur le prénom, je n’ai pas menti à Yaye Khady – Mireille m’a permis, par un soutien moral constant, de me réaliser. Elle était devant moi, comme un flambeau, illuminant mon chemin, elle n’est pas l’une de ces vulgaires aventurières qui s’accrochent aux nègres pour ne pas sombrer. Mireille est une fille d’ancienne noblesse. Elle m’aime tel que je suis et a renoncé à sa religion pour devenir ma femme. La mosquée de la ville a béni notre union ; tu as la délicatesse mission d’informer ma mère.[28]

 

Convaincu du motif réel d’une telle conversion et de ses conséquences, Djibril Guèye précisa à Ousmane.

Tu as été là pour signifier que tu demeurais musulman convaincu, malgré ta femme toubab. Que la conversion en Islam de ton épouse ne soit pas circonstancielle. Le vrai musulman est celui qui prie. Apprends-lui des versets simples. C’est facile puisqu’elle lit. Tu les écris dans sa langue. Le père signifiait à son fils, par ce détour pudique, que Yaye Khady à l’affût l’avait informé ; « la toubab ne se baissait pas pour prier ». Ousmane, intransigeant, traqua impitoyablement Mireille pour l’exécution correcte du devoir religieux. Un relâchement de leur lien était né de ce conflit. Ousmane sentait une fissure s’approfondir un peu plus chaque jour[29]

 

Un conflit inutile qui résulte de l’ignorance. Car en réalité, aucun texte n’oblige Mireille à se convertir à l’Islam pour épouser Ousmane. En tant que chrétienne, elle a la liberté de garder sa religion. Comme écrit dans le traité de Nadjrân cité plus haut,

Le musulman est tout à fait libre de s’allier aux Ahl-Al-Kitab (les juifs et les chrétiens) par le mariage. L’épouse chrétienne ou juive a les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’épouse musulmane. Cette première est libre de ne pas renoncer à sa religion et de pratiquer librement son culte dan la maison conjugale ou à l’église si elle est chrétienne ou à la synagogue si elle est juive[30]

 

Dans la sourate II, le Coran écrit : « Vous sont permis (d’épouser) les femmes chastes parmi les croyants et les femmes chastes parmi ceux qui ont reçu le Livre avant vous juifs et chrétiens ». Il est donc clair que dans le Coran il n’y a aucun texte qui interdit le mariage entre musulmans et ahl al kitâb (chrétiens et juifs).

Contrairement aux chrétiens et aux juifs, le mariage des kuffâr (mécréants), avec les musulmans est formellement interdit : « N’épousez pas les femmes associatrices tant qu’elles n’auraient pas la foi [31]». C’est ainsi que le Coran écrit au sujet des femmes musulmanes qui s’étaient exilées à Médine : « Si vous savez qu’elles sont croyantes, ne les rendez pas alors aux mécréants. Elles ne leur sont pas permises (comme épouses), ni eux ne leur sont permis (comme époux) ».[32] A la lumière de ces versets, il est clair que le mariage entre musulman et mécréant ne peut en aucun cas être permis en Islam. Ce qui est différent du deuxième cas du mariage interreligieux

2- Il s’agit du mariage entre musulmane et chrétien ou juif. A ce sujet le docteur Youcef Qardahoui sans aucune référence sérieuse écrit :

L’Islam a uniquement permis au musulman d’épouser une juive ou une chrétienne, mais il n’a jamais permis à la musulmane d’épouser un juif ou un chrétien. Car dit –il l’homme est le maître de la maison. C’est lui qui veille aux intérêts de la femme et qui en est responsable. Le principe de base en cela est qu’il doit absolument respecter la croyance de sa femme afin d’assurer la sincérité de leur rappor.[33]

 

C’est un jugement personnel qui ne repose sur aucun texte authentique. Dans son ouvrage, la voie du musulman Aboubaker Djâbir al Djazâïrî écrit : « Il est interdit au croyant d’épouser une infidèle, communiste, idolâtre ou autres. Comme il est interdit à une musulmane d’épouser un idolâtre quel qu’il soit, juif ou chrétien »[34]. Il se réfère au verset 10 de la sourate LX cité plus haut. Dans son ouvrage Fiqhu al marat al mouslimat (la jurisprudence de la femme musulmane), Ibrahim Diamil confirme que « le mariage d’une musulmane avec un non musulman est interdit, qu’il soit mécréant, communiste chrétien, juif ou autre. Car dit-il, l’homme a l’autorité sur son épouse qui lui doit  obéissance[35] » Il se réfère au même verset 10 de la sourate LX qu’il a cité intégralement :

O vous qui avez cru ! Quand les croyantes viennent à vous en émigrées éprouvez- les ; Allah connaît mieux leur foi ; si vous constatez qu’elles sont croyantes, ne les rendez pas aux mécréants. Elle ne sont pas licites (en tant qu’épouses) pour eux et eux non plus ne sont pas licites (en tant qu’époux) pour elles.[36]    

 

En effet, la référence à ce verset montre clairement les limites intellectuelles de ces auteurs qui sont incapables de faire la différence entre mécréant, infidèle ou idolâtre et ahl al kitâb (chrétiens et juifs) qui jouissent d’un statut spécial dans le Coran. Une simple lecture de ce verset permet de comprendre qu’il ne concerne que le cas d’un musulman qui épouse une mécréante, ou une musulmane qui épouse un mécréant. Ces types de mariages sont interdits en Islam.  Mais pour ce qui est du mariage entre musulmane et chrétien ou juif, il n’y a aucun texte dans le Coran qui l’interdit. Pour traiter cette question, docteur Sulimane Ibn Abdal Rahmane Al hukaïl de l’Université Islamique de Imam Mouhamad Ibn Saoud d’Arabie Saoudite écrit :

 1er : c’est le cas du musulman qui épouse une païenne ou une mécréante. Ce type de mariage est interdit en Islam, car la conscience religieuse du musulman ne lui permet pas de respecter la croyance et les tabous auxquels croit cette épouse. Or, ce procédé déclenche la dispute au sein de la famille et conduit à la dissolution par le divorce, la solution la plus abominable pour Allah. Il est donc logique que I’Islam, qui défend la stabilité familiale interdise un tel mariage.

 2ème : c’est le cas du musulman qui épouse une chrétienne ou une juive, ce mariage est permis, car l’Islam reconnaît en Jésus le messager d’Allah qui est né miraculeusement et en Moïse, le messager d’Allah envoyé aux enfants d’Israël. C’est pour quoi l’épouse chrétienne ou juive qui a sa religion n’a rien à craindre en partageant sa vie avec un musulman.

3ème : c’est le mariage d’une musulmane avec un non musulman (chrétien ou juif). Ce type de mariage est catégoriquement interdit en Islam, car le mari juif ou chrétien ne croit pas à la mission prophétique de Mouhammed et l’accable de tous les maux ; ce qui offense, par conséquent, le sentiment religieux de son épouse et menace leur mariage de dissolution » [37]   

 

Contrairement à cet argument sans valeur, l’expérience a montré qu’un mari musulman peut bien de ne pas respecter sa femme chrétienne ou juive. Voila l’exemple de « Jacqueline cette protestante, son mari Samba Diack musulman qui revenait de loin, passait ses loisirs à pourchasser les sénégalaises « fines » et ne respectait  ni sa femme ni ses enfants[38] 

Nous avons remarqué au cours de cette étude que toutes les théories de ces différents auteurs sur la question ne sont fondées sur aucune logique encore moins sur des textes coraniques. Une analyse sérieuse et objective de ces théories montre que l’interdiction faite à une femme musulmane d’épouser un chrétien ou un juif n’est nullement une interdiction divine, dans la mesure où aucun texte authentique ne l’interdit. C’est en effet, une interdiction qui a pour origine :

1-La confusion faite entre les gens du Livre (chrétiens et juifs) et les mécréants ou infidèles qui découle d’une mauvaise compréhension et d’une incompétence d’analyser correctement le texte coranique.  

 

2- Préjugé socioculturel. C’est une situation qui ne date pas d’aujourd’hui :

L’accueil fait à Safiyya- l’une des épouses du Prophète Mouhamed- par ses co-épouses ne fut pas moins réticent, plus proche des préjugés de la société environnante que l’ouverture d’esprit du Prophète. Celui-ci devait bientôt trouver Safiya en larme. Elle se plaignait d’avoir à subir les sarcasmes de ses co-épouses, et notamment de Aïcha et de Hafsa qui auraient marqué du mépris pour ses origines juives. C’est Mouhamed lui-même, dit-on sous la plume d’Ibn Saâd, qui lui dit de leur tenir tête et, lorsqu’elles tentaient de marquer leur supériorité, de leur répondre : « comment pourriez vous m’être supérieures alors qu’Aron était mon père, Moïse mon oncle et que Mouhamed est mon époux »[39]

Dans cette histoire, le Prophète exhorte les fidèles musulmans au respect et à la reconnaissance de toutes les religions révélées et au respect de la différence : « Ne discutez pas que de la meilleure façon avec les gens du Livre…   Et  dites: Nous croyons en ce qu’on a fait descendre sur nous et descende  sur vous, tandis que notre  Dieu et votre Dieu est le même et c’est à Lui que nous nous sommes soumis »[40]   

Une analyse objective et approfondie de ce verset qui conclut notre recherche, montre que le dialogue interreligieux doit être social, il s’agit de promouvoir l’amour, le bon voisinage, la tolérance, l’acceptation de la différence, l’ouverture à l’autre, la reconnaissance et le respect mutuel et la cohabitation pacifique fondés sur l’héritage monothéiste commun de ces trois grandes religions révélées. Il ne s’agit donc pas de s’attribuer le monopole de la vérité pour convertir ou convaincre l’autre, car musulman comme chrétien, l’un n’a pas besoin de l’autre pour vivre sa foi.  En conséquence, le dialogue interreligieux est pour tout pays multiconfessionnel un passage obligé pour assurer sa stabilité politique et sociale.   

 

 

Bibliographie

  • Le Coran
  • Dayf, Shawqî, L’universalité de l’Islam, l’Organisation Islamique pour la Science et la Culture (ISESCO), Rabat 1998.
  • Djâbir, Aboubakar, Mihâdj Al-Muslim, Edition Islima, Paris 1986.
  • Ghassan, Ascha, Statut Inférieur de la Femme en Islam, L’Harmattan, Paris 16987
  • Magali, Morsy, Les femmeq du Prophète, Mercure de France, Paris 1989
  • Mariama, Ba, Un si longue Lettre, Les Nouvelles Editions Africaines, du Sénégal, Dakar, 19981
  • Mernissi, Fatima, Le Harem Politique, Albin Michel, Paris, 1987
  • Dr Baltâgi Mouhamed, Makânat Al Mar-at Fî Al Islam (La Place de la Femme en Islam), Al Mazîd, Li Dâr A- Salam, Caire 2005 Silimân, Ibn Abdel Rahmân Al Hukaïli, Les Drits de l’homme en Islam, Riyad 1999

* Enseignant-chercheur, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal.

[1] Muhamed Sammâk : Muqadimat ilâ Al-hwâr Al-islâmî-Almassîhî ( L’introduction au dialogue islamo-chrétien), p 13,Dar A-Nafés , Beyrut, 1998

[2] Al-Wahîdî, p 106, cité par Mahmoud Hussein, Penser le Coran,Bernard Grasset pp104-105, Paris 2009

[3] Coran,  sourate  XIX , versets 16-21

[4] Coran sourate II , verset 45

[5] Coran, sourate CXVI , verset 12.

[6] Coran, sourate III, verset 42

[7] Coran, sourate III, verset 19

[8] Coran, sourate III, verset 84

[9] Coran, sourate XLII, verset 13

[10] Tabari ; Chronique, Mille et une  Nuit, vol 3,  p135, Indbad Paris 1980.

[11] Coran, sourate V, verst 48

[12] Coran, sourate V, verset 82

[13] le premier moi ducalendrier musulman

[14] Mohamed Salem , Mohamed naby Al-Insâniya (Mohamed  prophète de l’Humanité), Maktabat A-Sarq Adawliya,

 Caire 2008.

[15] Voir Cheikhou Diouf. Saint-Louis une métropole islamique le patrimoine culturel et architectural. Saint-Louis, Presses Universitaires de Saint-Louis, 2008, p. 90.

[16] Nafissatou Diallo, De Tilène au Plateau :  Une enfance dakroise, Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, p 104

[17] Tabari, Mouhamed, Sceau des Prophètes  Sndbad  p96 Paris 1980

[18] Coran, Sourate IX verset 80.

[19] Tabari, De La Creation à David, p114, Sindbad, pais 1980

[20] Coran , Sourate IX versets 114

[21] Idem

[22] Nafissatou Diallo idem

[23] Mariama Ba op cit p 63

[24] Sourate IX verset, 99

[25]Sourate II, verset 256

[26] Tabari  op cit p 250

[27] Mariama Ba, Un chant écarlate p 81, Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal Dakar 2005.

[28] Mariama Ba op cit pp 127-128.

[29] Mariama Ba op cit pp 165-166

[30] Mohamed Salem op cit p446

[31] Coran, sourate II verset 221I

[32] Coran, sourate LX verset 10

[33] Youcef Qardahui op cit p157

[34] Ibrahim Diamil, Fiqhou al marat al moulimat ( La Juriprudence de la femme musulmane p228,Ibn Sînâ , Caire 1982

[35] Ibrahim Djamil, op cit p 214

[36] Coran Sourate LX verset 10

[37] Suliman Ibn Abdal Rahman Al hkail ; Les Droits de l’Homme en Islam p. 170, Dar Ichbilia Ryad  SD

[38] Mariama Ba op cit p 64.

[39] Voir Magaly Morsy, Les femmes du Prophète, p 131, Mercure 1989. 

[40] Coran, sourate XXIX, verset 46