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Abstract

What connexion can one make between Giono’s nocturnes and his fictitous incipit? What significance is hidden under that connexion? That is the very issue the present article intends to discuss. In that respect, we have selected two major moments in Giono’s literary production. First of all, the panique vein and the ironic vein. As far as the first moment is concerned, the analysis of introductions has shown the gigantism of telluric forces, with their double edge, is the very emblem of the clair-obscure. A clair obscure turned dim by the interwining of fthe three reigns and by that sort of lyrical retreat house that the author endeavours to build for himself gathering whole chunks of timelessness. In the ironic tunnel, nighttime stands for and illustrates the esthetics of loss. Here, nighttime is linked to the author’s own biography.  Loathing war to destraction with an unswerving attachment to peace, he debunks history and venerates timelessness that has turned to be his Noah Raft. That rejection of History turns night time into an instance favorable for the setting up of a frivolous esthetics resulting from a creative writing anomy rebellous against any traditional novel writing. Lexique, syntax and images become the catalyctic tryptic of the crash between night time and incipit, crash that could be representative of the identity features of most novels by Giono.

 

 

Introduction

Les romans les plus emblématiques de l’œuvre gionienne se servent du nocturne comme point d’appui voire comme rampe de lancement au récit. Il n’est que d’ouvrir les premières pages pour s’apercevoir que les toutes premières phrases s’embrayent par le mot nuit ou par un terme à peu près équivalent : « La nuit d’avant, on avait vu le grand départ de tous les hommes ». (Le Grand troupeau[2], ligne 1, ) ; « La nuit ». (Le Chant du monde[3], ligne 1) ; « C’était une nuit extraordinaire. » (Que ma joie demeure[4], ligne 1) ; « …à l’ombre froide des monts de Lure ». (Colline[5], phrase 11, ligne 17) ; « - Nous venons veiller le corps du pauvre Albert. » (Les Âmes fortes[6], ligne 1). Certes des recherches se sont intéressées à la place de la nuit[7], d’autres encore aux incipit, dans la production romanesque de Giono[8], mais aucune n’a encore - à notre connaissance en tout cas - exploré les liens qui existeraient entre l’ombre (la nuit ou encore les ténèbres) et les débuts des romans de Giono. Pour ce qui nous concerne, nous sommes parti du constat que cinq débuts de romans au moins ont partie liée avec l’ombre, et constituent encore un empan libre dans le champ de la critique.

Mais, comme par atavisme, l’emploi du mot « nuit », en pivot des énoncés initiaux narratifs, réapparaît d’un roman à un autre ou presque, en tout cas il demeure constant en passant les frontières délimitant ce que Béatrice Bonhomme appelle « les lignées panique, ironique et romantique »[9] . Seulement les modes de présences du terme diffèrent d’une « lignée » à une autre. Ce trait distinctif de ces romans où l’incipit coopère et interfère avec la nuit a jusqu’ici constitué un point aveugle dans le champ de la critique consacrée à Jean Giono. L’objet de cet article est, par conséquent, de combler tant soit peu cette béance. Analyser les sens et signifiances de ces incipit dans la première lignée, puis s’intéresser à l’ombre comme figure inaugurale dans la deuxième, telles seront les lignes de force de ces pages.

  

I – La nuit comme formule d’initialité dans la lignée panique

 

Au premier abord, il nous semble approprié d’effectuer un bref retour à l’étymologie pour élucider l’acception du terme incipit. À en croire Pierre Marc de Biasi, les livres, à l’origine, commençaient par la forme « Incipit liber… »[10] pour désigner la première phrase d’un texte. Tout pertinent que peut être ce retour aux sources, nous nous proposons néanmoins de nous appuyer sur la définition synthétique d’Andrea Del Lungo. Pour ce dernier, l’incipit est « un fragment textuel qui commence au seuil d’entrée dans la fiction (…) et qui se termine à la première fracture importante du texte »[11]. C’est dire, par conséquent, que « les premiers indices d’une interpellation textuelle du lecteur se trouvent dans « l’incipit » car c’est là où (sic.) la voix narrative commence à émerger dans l’univers de la fiction »[12].

Appliquée à l’œuvre romanesque de Giono,  cette interpellation textuelle du lecteur a permis de découvrir que les incipit d’au moins trois romans de la lignée panique, encore appelée première manière, sont marqués par le « côté noir »[13] : il s’agit en l’occurrence de Colline, Le Grand troupeau, Le Chant du monde et Que ma joie demeure.

Le noir semble marquer d’une pierre blanche le début de Giono dans l’univers littéraire. Comme s’il s’essayait à une étiologie ou une archéologie de sa carrière littéraire, l’enfant de Manosque se rappelle, dans Jean le Bleu, un homme noir (c’est Giono qui souligne), piémontais et ami de son père, venu des environs de Marseille apporter un lot de livres : « l’Odyssée, Hésiode, un petit Virgile en deux volumes et une bible toute noire ». La façon bien singulière du colporteur de lire les textes, en donnant à ceux-ci une présence charnelle et une proximité caractéristique de la transmission orale, est comme un élixir noir (teinté de la couleur de cet homme et de celle du livre sacré) qui enflamme l’imagination enfantine, irrigue son inspiration et l’intronise définitivement dans le royaume de l’art. Nous avons là une sorte d’incipit d’avant la lettre. On pourrait même parler d’incipit (qui serait l’introït rythmant les premiers pas de l’enfant vers l’univers des lettres) de l’incipit (précisément les propos liminaires de chacun de ses romans à venir).  Ainsi, à jamais tenu par le nocturne, Giono, presque instinctivement, du moins obsessionnellement[14], verra bien de ses romans, de Colline aux Âmes fortes, procéder, comme d’un ventre maternel, de l’intimité et de la fécondité de la nuit.     

  

I.1- Le versant assombrissant de Colline

 

Dans ce roman, l’incipit déborde la phrase-seuil, et c’est pourquoi, à la suite de Graham Falconer et Jacques du Bois[15] qui ne se préoccupent pas, ou presque, de critère de découpage, nous employons l’expression, plus souple, « entrée en matière ».

Ainsi, dans Colline, l’entrée en matière est marquée par le nocturne connoté par la récurrence des prépositions « sous », « entre », et le syntagme « à l’ombre des monts de Lure » contrastant avec le vide et le blanc précédents mais constituant l’épiphanie de ce qui vient d’être écrit. Cette mitoyenneté de la présence et de l’absence semble être à la fois annonciatrice et allégorique de l’adret (blancheur de la page) et l’ubac (la noirceur de l’écriture) de la montagne de mots que le romancier s’emploie à accumuler au fil des pages. Plus qu’allégorique, elle est surtout annonciatrice et métaphorique de la montagne de Lure qui se dresse dès la quatrième page en un couple inséparable : noir /blanc. Lure exsude tout le pittoresque de son aspect phallique puisqu’elle « monte entre la terre et le soleil » et « bouche [ainsi] l’ouest de son grand corps de montagne insensible ». Alors, « c’est, bien en avant de la nuit, son ombre qui fait la nuit aux Bastides » (p.12). Le pittoresque de cette montagne, l’auteur semble le mettre au service de son projet de produire du nocturne au seuil du roman. Peut-être est-ce au nom d’un tel projet que Colline, en raison de son caractère, de son intérêt ou de sa valeur littéraire, ne saurait être lu comme un guide bleu. La Provence où se situe cette montagne Lure, sous l’inspiration de Giono, voit s’émousser son aspect géographique et son caractère authentique. C’est, précise G. Lapouge, « un bric-à-brac qui emmêle la Durance et l’Amazone, le Luberon et les volcans du Ténériffe, des lochs d’Ecosse et le plateau de Ganagobie »[16]. Cela témoigne du peu de réalité de la réalité de Lure, et l’auto-stoppeur[17] de Lapouge l’a appris à ses dépens en parcourant les Alpes et la Provence, les romans de Giono en bandoulière. Il fait ce témoignage empreint de désenchantement voire de bovarysme :

J’ai bêtement gravi la montagne de Lure, parce que Giono prétend qu’elle culmine à mille mètres au-dessus du Tibet et qu’elle permet de voir à la fois le mont Blanc, la Méditerranée et, plus loin, Samarkand et les premiers contreforts des Andes. Je n’ai pas vu Samarkand et les Andes m’ont paru un peu floues […]. Giono a ajouté une montagne, des forêts, et ces forêts, il me semble même qu’elles bougent…[18].

 

Ainsi le gigantisme de la montagne qui impose son ombre trône dès le début du roman, pourrait relever moins de la réalité que de boîtes à malice. Et, comme pour rendre le nocturne encore plus épais, pour lui pourvoir un supplément d’opacité et élever d’un cran le coefficient d’invisibilité qui en procède, le romancier n’hésite pas à engranger d’autres écosystèmes, d’Amérique, d’Asie, entre autres, à telle enseigne que, finalement, ici est nulle part.   

L’évocation et la représentation de cette montagne (de terre et de mots) peut ainsi connoter le caractère bifide du sens : elle divise l’espace en deux plans, un plan qui s’offre à la visibilité voire à la « vi-lisibilité »[19], et un autre correspondant à la face mystérieuse d’un espace irréductiblement insondable. Ainsi sa présence dans l’incipit fonctionne comme une espèce d’alerte au lecteur : Colline, par le fait qu’il tient des « arts du sens » est le lieu « d’un papillotement de présence et d’absence »[20] consacrant l’inanité de toute tentative de mainmise sur la signification des phrases qui tisseront le roman. Tout effort, fût-il soutenu jusqu’au sommet, connaîtra le sort du rocher de Sisyphe, qui tombera, inexorable, dans la nuit du versant correspondant à l’ubac. Cette phrase-seuil introduit le lecteur dans une aura d’indétermination et d’imprévisibilité, il le rend incapable de savoir ce qui va survenir. La signification que recherche le lecteur « en est suspendue [car] c’est quelque chose de remis à plus tard, qui doit encore venir […] et même si la phrase peut prendre fin, le processus langagier lui-même est infini »[21].   Tout au plus, dans cette nuit, le lecteur peut-il voir comme en plein jour ce qu’à l’instar des cybernéticiens, Barthes a appelé la « boîte noire » du texte[22], le déroulement de celui-ci n’étant contrôlable qu’a posteriori. Ce caractère incontournable serait lié à la démesure de la montagne fondatrice de nuit qui se révèle comme un véhicule imaginaire particulièrement propre à fonder un monde présentant deux risques majeurs: engloutissement et pétrification (d’autant que la veine panique recrée une nature horrifiante). Cette dernière est à entendre au double sens de changement en pierre, et d’action d’immobiliser par une émotion violente (être pétrifié de terreur, par exemple). Ensuite cette immobilité et cette dureté sont les attributs de la montagne fondatrice de catégorie nocturne qui, à son tour, et comme par atavisme –vis-à-vis de la montagne qui en a accouché-, inspire peur et immobilité. Giono paraît vouloir créer un univers à la dimension et à l’image d’un tel monde. Aussi a-t-il jeté son dévolu sur une forme d’écriture proche de la démesure, de l’incommensurable voire du monstrueux, illustrative de la lignée panique. Subséquemment, ainsi que le voit Luce Ricatte, Colline «est en quelque sorte un poème en prose démesuré »[23]. Dans un cadre qui est de l’ordre d’un « pathétique naturel »[24], l’homme, cherchant ses origines dans ce contact avec les sources primitives, se trouve enivré par la contemplation des forces naturelles, chtoniennes, et en en particulier telluriques.

Cette composante tellurique qu’est la montagne, en vertu de sa verticalité ombrageuse, accoucheuse d’ombre, s’offre comme une image phallique dont le torrent séminal fera éclore le roman. Par voie de conséquence, à travers cette obscurité correspondant à l’ubac de la montagne, s’illustrent les vertus génétiques du nocturne. En plus, cette verticalité peut fonder une supériorité et même une suprématie de la montagne (se confondant avec la nuit) sur le lecteur. Dès lors, celui-ci peut faire sien cet avertissement empreint de désenchantement : « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux » (R. Char). Se profilent ainsi les propriétés d’une écriture romanesque reposant sur un « langage en soi oppresseur »[25] (nous avons tantôt parlé des risques d’engloutissement et de pétrification), un langage sans concession qui fait valoir son ascendant sur le lecteur en face de qui il ne se propose guère en instrument de sauvetage. 

En revanche, la montagne peut bien être un instrument de sauvetage pour l’écrivain quand on sait qu’à l’intérieur du roman il est question d’un univers sur le point de sombrer dans le chaos et la démesure à cause d’un incendie on ne peut plus ravageur. Le personnage, s’escrime alors à le pacifier, à le sublimer dans la pure tradition orphique de la montée vers la lumière et la sérénité. De ce point de vue, le sublime a partie liée avec une géographie des sommets qui tiennent aussi bien de l’espace que de l’art : la terre monte jusqu’à tutoyer le ciel et à revêtir les attributs du sacré. Giono en arrive alors à parler, dans un passage intitulé « Provence », de « distance magique », d’« ivresse divine » au moment où l’on se sent immergé dans l’aura d’un « dieu de lumière et de pureté »[26]. Dans ce lieu des essences, presque hors d’atteinte, juché sur les crêtes du sublime, l’écrivain, s’extrayant du mortier du social où les hommes sont brassés, recouvre l’essence de son être et savoure son expérience d’une verticalité libératrice. Cette vertu du sublime, E. Cassirer en mesure l’incomparable intensité : « Le sublime isole […]. Il n’est aucune autre expérience esthétique qui donne à l’homme au même point que le sentiment du sublime le courage d’être soi-même, le courage de sa propre ‘‘originalitéˮ, de sa nature profonde »[27]. Dans d’autres romans, l’artiste tire le nocturne du frottement entre l’humain, l’animal et le végétal.

 

I.2- Le nocturne né de la confusion des règnes

 

Dans le Chant du monde, la formule d’initialité trouve sa vigueur dans son caractère abrupt et s’épanouit paradoxalement dans l’indigence de la syntaxe qui consiste en une phrase nominale et lilliputienne : « La nuit. ». Fonctionnant comme un élément déictique, cette phrase elliptique devient plus prosaïque, plus frontale, voire plus ostensible, en saillie dans Le Chant du monde. Le nocturne émerge au grand jour à travers le mot « “nuit“, réduit par l’athanor de la syntaxe en un véritable mot-phrase comme pour en exprimer tout le poids, le relief, et l’élever en thème dont la composante prédicative sera la suite du roman : « La nuit ». (p. 7) Et, comme pour rendre plus épaisse cette nuit, le romancier évoque aussitôt le fleuve dont les agitations produisent un effet d’obscurité, d’opacité et de confusion. Il a recours à l’allégorie et à la comparaison : au fleuve sont prêtées des épaules, au « gué » (Ibid.), des « hennissements » (Ibid.), tandis qu’à l’arbre sont attribués des « tremblements » (Ibid.). Une double comparaison vient jouer sa partition dans cette entreprise d’assombrissement : ainsi, « l’eau profonde » est-elle « souple comme du poil de chat » (Ibid.), « un vieux chêne » se révèle-t-il « plus gros qu’un homme de la montagne » (Ibid.). Ainsi l’intrication de la nuit, de la forêt, de la montagne et du fleuve, l’imbrication des trois règnes, humain, animal et végétal, tout en produisant un effet d’obscurité, achève de créer un espace chtonien. Dans un tel espace, l’homme semble être pris dans les rets de l’intime où « par une sorte d’effet minimaliste, [il] atteint l’essentiel de l’expérience vitale, ramenée à un sensualisme biologique : l’être dénudé épouse dans ces conditions les apparitions les plus ténues du principe vital »[28].

Cette nuit figure alors une sylve épaisse – qui n’est pas sans rappeler Brocéliande- toute différente du palais de glace dostoïevskien illuminé par la lumière froide et désenchantée de la raison cartésienne. Dans un contexte où, à cause de cette même raison cartésienne, la guerre a été particulièrement meurtrière, l’auteur cherchait à se faire un outsider du temps plus que de l’espace, à habiter une nuit plutôt achronologique et cosmique dont les limbes correspondent aux premières lignes du Chant du monde. Giono l’avouera plus tard dans un entretien avec Pierre Citron qui lui demandait quels étaient ses sentiments au moment où il rédigeait le roman. En guise de réponse, il mettra l’accent sur le caractère volontairement intemporel de son récit : « Je voulais sortir tout à fait de la géographie et du temps et voilà pourquoi c’était volontairement intemporel et volontairement imprécis dans la géographie »[29]. Ainsi il s’agit d’une nuit chamanique, patrie esthétique du romancier qui coupe définitivement celui-ci du temps présent pour lequel Giono clame son aversion. Dans un de ses manuscrits dactylographiés de la bibliothèque de Manosque vraisemblablement contemporain du Chant du monde, l’on retrouve un texte intitulé « Prière d’insérer » où l’auteur dit : « j’ai essayé de faire un roman d’aventures dans lequel il n’y avait absolument rien d’actuel. Les temps présents me dégoûtent même pour les décrire. C’est bien assez de les subir »[30].Voilà sans doute pourquoi, à l’image de « sa forêt de Brocéliande » la nuit deviendra, ainsi que le voit Jacques Chabot, « une résidence secondaire lyrique, un conservatoire des passions humaines intemporelles et impersonnelles »[31].  

Un autre effet de cette nuit qui tombe en même temps que commence le roman, c’est l’abolition des barrières qui favorisent l’entrée dans l’univers du mythe et de l’épopée. Les ténèbres métaphorisent ainsi l’ignorance des frontières de la sacro-sainte distinction des genres. 

 

I.3- Nuit thaumaturgique

 

L’objet de cette introduction dans le monde du mythe et de l’épopée se précise davantage dans le Grand troupeau dont l’énoncé narratif initial fait penser à une « formule propitiatoire et apéritive »[32] d’autant plus qu’il comporte des verbes à valeur inchoative. Dans ce roman, l’incipit est marqué par le mot « nuit » (p. 11) que le romancier érige ainsi à la dignité d’une catégorie « transitionnelle qui désigne le passage du hors-texte au texte »[33].  Ainsi, à la coupée de la narration, marquant le passage de type verbal (silence / parole) et celui de type spatial (absence /présence ; blanc/ texte), Giono écrit : 

La nuit d’avant, on avait vu le grand départ de tous les hommes. C’était une épaisse nuit d’août qui sentait le blé et la sueur de cheval […] Le train doucement s’en alla dans la nuit : il cracha de la braise dans les saules, il prit sa vitesse. Alors les chevaux se mirent à gémir tous ensemble. (Le Grand troupeau, p. 11)

 

Ces actions commençantes, racontées à la faveur d’un travail d’anamnèse, suggèrent d’emblée que le narrateur omniscient voit les hommes, les animaux et les objets passer d’invisibles frontières. La nuit offre à la nature la capacité de redevenir un tout indifférencié. Au romancier, encore attaché à une conception magique de la nuit, ces frontières qui s’estompent donnent la possibilité de se métamorphoser, de devenir un élément de la nature, une force éolienne propre à renforcer l’épaisseur cosmique. Et cette nuit magique n’est pas sans effet sur les lecteurs comme Jean Carrière qui trouve magique la phrase liminaire de Que ma joie demeure : « C’était une nuit extraordinaire ». Du fait de son caractère magique, cette phrase devient, d’entrée de jeu, ce « moyen d’établir entre le monde et nous une relation impossible »[34], mais aussi le moyen par lequel le livre qu’elle inaugure parvient à « remplacer autrement les mondes disparus - ou désirés »[35].  Ce pouvoir thaumaturgique de la nuit, Giono le reconnaît, qui trouve que le seuil de l’ombre marque les battements de nouvelles pulsions transformatrices. C’est « la ligne où se fait le juste départ, la ligne au-delà de laquelle je cesse d’être moi pour devenir houle ondulée des collines »[36]. Ainsi cette ligne « du juste départ » qu’on pourrait confondre avec les limbes de la nuit relevant d’une intense poésie, marque la rupture d’avec le monde réel, celui des hostilités, la proie de la marchandise et de l’esprit de calcul. Ce nocturne ébranlement, Giono l’assimile, avec des accents baudelairiens[37], aux « grands départs de la pensée vers les choses cruelles et tristes qui sont au-delà des clartés raisonnables »[38] où l’être pourrait enfin s’accomplir pleinement, comme le dit Giono en concluant cet entretien : « Nous ne nous réalisons que lorsque nous passons du côté noir »[39].

Placée à l’orée des récits, la nuit est généralement un temps non de glas, mais d’annonciations enchanteresses car figurant souvent une espèce d’arche de Noé. Et, dans les Âmes fortes, cette arche de Noé mène tout droit à la régénération ; elle est alors symbole de résurrection. C’est à tout le moins le sens de la palingénésie - suggérée par l’image florale - de Thérèse, celle du romancier aussi, mais dans sa version onirique, à la fin du roman : l’héroïne, tandis que « le jour se lève », (A.F., p. 370) donc au sortir de la nuit, est « fraîche comme la rose » (Ibid.).

L’on peut aussi remarquer que le mot « nuit » est précédé, dans la quasi-totalité de ses occurrences, de l’article défini « la ». C’est le cas dans Le Chant du monde, Le Grand troupeau, Les Ậmes fortes et Colline (dans sa quatrième page), comme pour connoter non une familiarité, mais pour témoigner du caractère unique de cette catégorie, et de sa généralité. Chez Giono, ce déterminant est totalisant, voire universalisant. Il sert à flétrir, ou du moins à nier, toutes les facettes dégradantes du passé de l’homme tout court, indépendamment de son temps et de son lieu d’évolution. Ainsi que l’écrit J.-F. Durand, « chez Giono, la nuit recouvre la quasi-totalité de l’Histoire des hommes, dont elle est en quelque sorte la face nihiliste »[40]

 

II- La figure inaugurale de l’ombre dans la lignée ironique

 

Quant aux romans appartenant à « la lignée ironique », leur seuil est, certes, tout aussi placé sous le signe du nocturne, mais la motivation en est tout autre. Le temps des ténèbres sied au grand nocturne qui s’abat sur le monde[41], inspirant à Giono les éléments esthétiques d’un romantisme noir au moment où la réalité devient angoissante et l’avenir brouillé. Il relève d’un parti pris conscient et lucide : le désenchantement consécutif à la guerre qui installe Giono dans une posture politique inédite. La mort dans l’âme, il dresse le constat peu amène du décès de la croyance au progrès ainsi que le constat de suicide de la civilisation scientifique, technique, industrielle qui a commencé avec l’invention du feu et qui va s’anéantir avec la conflagration générale de la 2nde Guerre Mondiale. La lassitude qu’il éprouve au sortir de ce conflit planétaire l’astreint et le consigne au repos. « Homme de fuite et des grands chemins »[42], s’échappant des serres de la guerre, il trouve refuge dans les ailes protectrices de « la nuit des temps »[43], véritables arches de Noé, imprenables bastions.

 

II.1- Au commencement d’une nouvelle esthétique était « la nuit des temps »

 

L’expression « la nuit des temps », à la fois populaire et littéraire chez Giono, apparaît dans Noé : 

Pour que puisse s’élever cet extraordinaire échafaudage de branches, on se perd dans la nuit des temps. Et actuellement, je ne connais pas de repos plus magnifique que celui qui consiste, quand on peut, à se perdre dans la nuit des temps[44].

 

Ainsi est lâché le mot qui va marquer la rupture dans son œuvre et qui devient désormais la clé de voûte de son esthétique. En effet, dans ses écrits contemporains de la guerre et de l’après-guerre, il crée un nouveau programme esthétique fondé sur la rupture, la déchirure, et la perte. Il existerait une affinité avec l’œuvre de G. Perec qui fait de la perte le titre de son roman lipogrammatique : La disparition[45], roman ne contenant pas une seule fois la voyelle e. Giono se désole de la guerre dont il reconstitue l’image tout en la supprimant. La nuit sera l’image de cette perte. Du « vis caché » de Montaigne, il fait un principe de vie mais aussi de création : « On n’avait vraiment pas envie d’être visible, de se faire voir, de se flatter de vivre. Non, il ne fallait pas. Il fallait se faire le plus petit, se faire oublier. Disparaitre »[46]. Pour y parvenir, Giono invente l’art du camouflage : se faire herbeux parmi les herbes. Et, là, on note une évolution du risque de pétrification que nous évoquions tantôt : un glissement s’est opéré de la notion de changement en pierre vers celle de transformation en végétal ; la peur panique éprouvée devant les forces cosmiques, ayant subi les outrages du temps, de la guerre précisément, s’émousse pour laisser la place à un pacifisme né de la fielleuse expérience de la guerre. Ce qui reste constant malgré cette évolution, c’est le nocturne dans lequel le romancier érige son texte. Ce nocturne, bien loin d’ouvrir sur un avenir, donne lieu à un univers autarcique (c’est le sens qui pourrait être donné aux Âmes fortes dont toute la narration se tient en une veillée, les limites du monde n’étant plus que celles de la nuit ), conséquence de l’antihistoricisme de Giono qui n’a plus d’autre choix que de valoriser l’instant par le dialogue, c’est-à-dire par le verbe créateur de cet univers rêvé, comme pour réactualiser le mythe de la création par le verbe divin. Ainsi c’est comme si ce refuge dans la nuit était « l’image symbolique de ce processus régulateur de la nature qui constitue la conception gionienne du monde »[47]. Le nocturne devient donc une figure servant de représentation à un combat qui, en raison de son caractère invisible (c’est un combat intérieur), est d’une autre nature.

 

II.2- Incipit et résurgence de l’oralité

 

Ce combat rendu invisible par le nocturne qui lui sert de théâtre illustre la volonté de l’auteur de donner à son texte écrit les apparences de l’oralité caractéristique de l’ethos du conte et de la performance épique.

 

1-Oralité, une revanche sur Gutenberg ?

 

C’est le cas en particulier des Âmes fortes[48] où le propos liminaire coïncide avec l’introduction du lecteur dans une sorte de « nuit conteuse » dont les protagonistes sont Thérèse et une femme anonyme qui fait office de « contre ». Ici, oralité et nuit semblent se conjuguer pour donner lieu à une sorte d’introït profanatoire. En effet, ce roman débute par un dialogue relevant de la forme du texte emboîtant, phénomène rarissime pour ne pas dire une sorte d’hapax dans la production de Giono et dans le genre romanesque en général. Ici rien n’est plus approprié que de parler d’incipit in medias res. Cette catégorie d’incipit joue le rôle de dramatisation transitive et immédiate. Du coup, le lecteur se trouve d’emblée devant une histoire qui a déjà commencé sans introduction transitionnelle. Aussi cette entrée abrupte par une séquence dialoguée élève-t-elle Les Âmes fortes à la dignité d’un « chef d’œuvre d’esthétique libertaire »[49], résultant de l’anomie créatrice de Giono et de son refus principiel de s’inscrire dans la chaîne d’une tradition. Quant à la faconde des commères sur fond de veillée mortuaire, elle paraît figurer le vœu de l’artiste de ressusciter et de réhabiliter le conteur et l’orateur (symbolisés par le défunt pour lequel la veillée a lieu) mis à mort par la technologie. Aussi Giono, à travers les réparties de ses personnages, prend-il à partie l’imprimerie en soutenant que l’invention de Gutenberg a été l’une « des plus grandes catastrophes du monde »[50]. Le romancier, justifie son sentiment par le fait que celle-ci a anéanti toute possibilité de « contact loyal de l’artiste et du public »[51]. Les bibliothèques, filles monstrueuses de l’imprimerie, n’ont fait que tuer le conteur, l’orateur et le chanteur[52] (c’est Giono qui souligne) et, dissipant l’immédiateté caractéristique de la création orale, ériger un rideau de fer entre l’homme et le monde. Pourtant, Giono s’est bien accommodé de cette trouvaille car c’est grâce à l’écriture de romans qu’il est parvenu à ne pas se désespérer de qu’il appelle « un monde pourri »[53]. D’ailleurs, dans une lettre à Hélène Laguerre, il semble faire l’éloge des vertus salvatrices de l’écrit qui lui permet de créer des lieux innommables et inexistants : « Une sorte de mépris me fait habiter un pays où vous n’entrerez jamais »[54] . Deuxième élément illustratif de ce caractère profanatoire (de l’introït), transgressif, c’est  que cette nuit conteuse (qu’on pourrait aussi dire honteuse), animée par des homo ludens, fait le lit du ludique, offre une aire de jeu littéraire propre à tenir le tragique à distance alors même que l’on est dans un contexte  funèbre, tel que le manifeste le propos d’ouverture aux allures nécrologiques : 

-   Nous venons veiller le corps du pauvre Albert.

-   Merci. Entrez. Assoyez-vous.

-   Ne te dérange pas. Tu as encore un mauvais jour devant toi. Va te reposer. Nous passerons la nuit [...] (Les Âmes fortes, p.7). 

 

Manifestement, la création de ce contexte tragique est empreinte d’ironie, et l’on sait qu’une certaine taxinomie inscrit celle-ci parmi les genres qui font rire. Dès l’entame donc, Giono paraît porter son dévolu sur ce qui constitue l’une des limites de la représentation indirecte et que Freud a baptisée « la représentation par le contraire »[55]. Selon Memmi, les vertus cathartiques de ce mode de représentation résident dans le fait que celui-ci constitue, dans l’appareil conceptuel freudien, une stratégie de contournement, un remarquable mouvement d’évitement : il « permet de déjouer les inhibitions externes ou internes que rencontrerait une extériorisation directe et univoque »[56]. Il est mis au service d’un langage cherchant à édifier sinon un anti -monde, du moins ce que « la logique et la grammatologie définissent comme l’ « anti-factuel »[57]. Ainsi la nuit funèbre comme incipit vise à exorciser le tragique par l’ironie et par une théâtralisation de la noirceur elle-même.

 

2.Une parole multiple

 

Le choix de ce type de représentation affichée transitivement dès l’incipit confère à celui-ci une fonction apéritive et révèle, dans le contexte singulier des Âmes fortes, une poétique de l’énigme. Il « ouvre un espace de méconnaissance et de conjecture »[58] du fait que la forme de la nuit qu’il s’approprie « est d’une consistance énigmatique et irréductible, sa disposition est certaine, mais son sens est au-devant d’elle »[59]. Une telle poétique, qui rompt volontiers les fibres de la cohérence sémantique, s’illustre à travers la totalité énigmatique des discours possibles prononcés par les trois veilleuses commères conjointement narratrices dans le roman. Chacune, dans ce qui sera le corps de l’œuvre, résultat d’un entretissage de récits à la première personne, prétendra détenir et dire la bonne et vraie version. C’est peut-être conscient de cette multiplicité du discours que Lapouge voit dans Les Âmes fortes « le heurt non pas de deux mensonges, mais de deux vérités »[60]. Seulement, et dans le même temps, aucune de ces versions n’a de force probatoire quant à la vérité et à la valeur de sa critique. Leurs propos ainsi déroulés forment «cette formidable polysémie narrative »[61] qui fourmille d’incertitudes, et sur laquelle n’a barre aucun métalangage. C’est comme si elles cherchaient non point à dévoiler mais à libérer « le réel dans ce qu’il a de mat, de contingent, de fortuit, d’irréductible, d’intraitable »[62]. Confirmation et infirmation étant l’avers et l’endroit indissociables de la même pièce, le sens devient à jamais erratique et instable. Cette instabilité est d’autant plus marquée que leur impuissance à tout dire est insurmontable : « Se dire sans cesse que tout ce que je raconte ici est faussé par ce que je ne raconte pas ; ces notes ne cernent qu’une lacune »[63]. Les divergences qui caractérisent les prises de positions des narratrices dont les mots se jettent sans concession contre les mots sont des produits tout à fait légitimes de la nature non circonscrite du champ sémantique et de l’imprévisible variété de la psyché humaine. L’incipit incite le lecteur à se faire à l’idée que « Le royaume du langage ne s’étend pas à l’infini, tout n’est pas texte, le hors-texte résiste et même impose silencieusement sa loi »[64]. Ce hors-texte élargi par les omissions volontaires des narratrices, amène Julie Mallon à dire que « Les Âmes fortes semblent couler de ‘‘Silence’’», malgré la longueur des propos, « la vérité reste, elle, dans le…silence »[65], car les mots qui les portent, étant empreints de nocturne, en deviennent abstraits et abscons. Par ailleurs, le nocturne propice au ludique et au récréatif qui ont partie liée avec le conte confère aux conteuses et à Giono une dimension tutélaire. Ils sont les gardiens et les initiateurs qui font sentir à une humanité sortie exsangue de la guerre qu’il est possible d’enfoncer des horizons nouveaux, que des sources de renouveau et de dépassement de soi existent. Ce qui renforce l’opacité de la nuit dans les Âmes fortes, c’est que, de l’incipit à la clausule, le romancier fait entendre des voix d’ombre, celles de deux narratrices anonymes (à l’exception de Thérèse dont l’identité n’est pas masquée). De telles voix, non seulement interrogent le lecteur pris entre plusieurs chemins de lecture, mais aussi jettent le doute sur des pans entiers du réel, sur l’ordre cosmique désormais dépeint comme un décor théâtral, comme l’illusion d’un plein qui marque et masque le vide. Ainsi la réalité est piégée et truquée à la racine même des voix censées l’évoquer. Dès lors, ce réel relève du désordre qui reste, pour Giono, « un état dont l’ordre nous est inintelligible »[66]

Par ailleurs, le corollaire de cette notice nécrologique à l’orée du récit est la promotion du lecteur. R. Barthes s’en est aperçu, qui redéfinit ainsi le lecteur dont il lie l’existence à la disparition de l’auteur :

Le lecteur est l’espace même où s’inscrivent, sans qu’aucune ne se perde, toutes les citations dont est faite une écriture ; l’unité d’un texte n’est pas dans son origine, mais dans sa destination […] ; il est seulement ce quelqu’un qui tient rassemblées dans un même champ toutes les traces dont est constitué l’écrit. […] Il faut renverser le mythe : la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur [67].

 

Dès lors, la compétence gnomique du lecteur, dernière instance par laquelle la lumière de la vérité jaillira, est requise. 

L’incipit, s’abreuvant à la source du nocturne propice au ludique, trouve aussi un terreau fertile dans Un Roi sans divertissement où il acquiert une dimension temporelle. Dès les toutes premières lignes, en effet, l’ombre se profile sous les dehors de l’antériorité. Le personnage semble sortir d’une nékuia, du royaume des morts, il semble dévaler les pentes de la nuit des temps, se révélant ainsi comme le dernier maillon d’une chaîne temporelle familiale : « Frédéric a la scierie sur la route d’Avers. Il y succède à son père, à son grand-père, à son arrière grand-père, à tous les Frédéric » (p. 9). Qu’on se situe donc dans la lignée panique ou dans celle ironique, le nocturne apparaît comme une centralité incontournable de la fabrique de l’écriture gionienne. Et cela ne procède guère d’un phénomène fortuit ou inconscient. S’expliquant sur son imaginaire, l’auteur de Colline souligne à grands traits la prépondérance du nocturne et sa puissance créatrice. Il avoue :

Je ne connais pas la Provence. C’est une région inventée comme Faulkner a inventé avec le comté de Yoknapatawpha […] Ce n’est pas un pays plein de soleil, c’est un pays noir, […]

Dans mes livres, très souvent, les scènes se passent la nuit, ou au milieu d’un orage, ou au milieu de la pluie, il y a beaucoup plus de scènes nocturnes, de scènes d’ombre que de scènes lumineuses et claires avec du soleil […]. Si je décris parfois de grands paysages ensoleillés, c’est toujours pour un événement triste et très dramatique […][68]. Je suis toujours intéressé par le côté noir. Sans parler de la nuit ; même la journée dans le plein soleil, le centre de la lumière est noir […]. C’est toujours dans le côté noir que nous voulons aller, dans le côté obscur. […] Le côté noir est forcément un côté cruel. Il ne peut y avoir de bonté dans le côté noir[69].

Mais les ténèbres sont aussi glorieuses que le soleil. Et le monde noir est également un monde magique pour moi.[70]

 

Ainsi tout porterait à croire qu’à l’entame de ses romans, et comme dans un rituel, l’auteur des Âmes fortes invoque les mânes de l’ombre (comme on invoque les mânes des ancêtres qui sont au royaume des ombres) pour une belle survenue de l’inspiration nécessaire à l’accomplissement de l’œuvre. La Provence qu’il dit relever du cru de sa propre imagination ne peut pourtant pas empêcher de penser à sa Manosque natale dominée par les montagnes et les hautes Alpes au reste ombrageuses, et assimilables à ce que Gilles Lapouge décrit comme un « un monumental stock de géographie »[71]. Ainsi Giono a beau défendre le caractère imaginaire de ses géographies, il ne peut s’agir que d’un mensonge lilliputien dans la mesure où elles restent des trompe-l’œil. En fait, ainsi que le voit G. Lapouge, Giono « frôle la réalité, il tourne autour d’elle comme une abeille sur une fleur, il la caresse, il la fait jouir, la réalité, mais il ne l’offense ni ne la massacre. Ses inventions sont réfléchies »[72]. D’ailleurs, voudrait-il offenser la réalité qu’il ne le pourrait pas, car, comme le prouve A. Ferré, « les conditions géographiques influent encore sur la vie de l’écrivain – et par répercussion sur son œuvre – par […] l’attirance qu’exercent sur l’imagination certaines zones »[73]. Par ailleurs, ce faible du romancier pour le noir qu’il aime à lier intimement à l’incipit, sa noirite, pourrait symboliser les profondeurs du psychisme où se réfugient les créateurs désireux de s’extirper des lourds instants de leur époque. L’auteur des Chroniques a fortement exprimé cette plongée dans les strates obscures de l’inconscient qui sont la part d’ombre de l’humain, son versant sauvage que l’œuvre littéraire a pour fonction, entre autres, d’exorciser en l’éclairant. La nuit peut dès lors être vue comme l’emblème et la litote de la création qui n’est rien d’autre qu’une immersion dans ce fonds surabondant d’histoires où lectures, souvenirs, rêves et affectivités forment un monceau indifférencié.

 

Conclusion

 

Le pari que constituait une entrée par les ouvertures des romans gioniens a révélé qu’étudier le lien entre nuit et incipit c’est finalement mettre en lumière l’intervention du poïein au cœur de l’imaginaire gionien. Quels que soient sa catégorie ou son contexte, le nocturne, marque de fabrique de l’écriture de Giono, met en tension le cuit et le cru, les images inventées et les images mnésiques. Il constitue un motif qui court dans tous ces romans avec des allures et des envergures différentes. Ce fil rouge (plutôt noir, serions-nous tenté de dire) pourrait constituer le trait identitaire de la production gionienne. Mieux, ce fil peut s’offrir comme ce que Ricatte appelle « la mémoire du texte »[74], étant donné qu’il traverse, en les reliant, les incipit de ces cinq romans pourtant appartenant à des lignées différentes. Cela justifierait le fait que Giono, parce que rétif à toute velléité tendant à le périodiser, établit une dialectique en spirale, dont les seuls et uniques points focaux sont l’ombre et l'incipit, dans laquelle il glisse sans cesse comme un téflon pour n’être jamais prisonnier de son propre discours tel que nous le recevons et l’interprétons. La prépondérance du nocturne illustrée par sa fusion avec l’incipit ne doit pas faire croire qu’il n’est que l’entrée géométrique du roman ; bien plus que cela, il en constitue le centre imaginaire dont procède toute la suite. Si dans la première manière la nuit est annonciatrice d’une démesure panique, dans la seconde, consacrant une sorte de palingénésie de Giono et de son absolue froideur vis-à-vis de toute téléonomie historique, la nuit voit s’estomper sa catégorie temporelle, pour figurer une patrie esthétique, le territoire d’une épaisseur cosmique, propice à « un exotisme intérieur »[75]. Giono renouvelle certes sa manière suivant les principales périodes et phases de son expérience, mais sa matière reste inchangée, car celle-ci est consubstantielle à la vie de l’écrivain fondée sur la trilogie enfance-livres-guerre, pierre de touche et clef de voûte de sa création.    

Subséquemment à notre analyse, il reste à préciser que, du latent au manifeste, d’une façon littérale à la manière la plus poétique, au travers de registres lexicaux comme de la syntaxe, la nuit, temporalité d’élection de Giono, rarement empirique et souvent créée dans et par le roman, est différemment connotée pour tendre la main à l’incipit en vue de cheminer avec lui et revêtir une diversité de sens, une polysémie.

 

 

Bibliographie

Corpus

GIONO, Jean. Colline. Paris : éd. Bernard Grasset, 1929.

------------------. Le Chant du monde. Paris : Gallimard, 1934.

------------------. Que ma joie demeure. Paris : Grasset, 1934.

------------------. Le Grand troupeau. Paris : Gallimard, 1931.

---------------. Les Âmes fortes. Paris : Gallimard, 1950.

 

  1. Sur l’œuvre de Jean Giono

Articles

- CHABOT, Jacques. « Mémoire de la nuit des temps ». In Giono. La mémoire à l’œuvre, sous la direction de J.-Y. Laurichesse et S. Vignes. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 2009, pp. 243-253.

- DELÉAGE, J.-P. « Le destin et l’homme obligé. Les Grands Chemins de l’Épopée ». In Analyses et réflexions sur Jean Giono Les Grands Chemins. Paris : ellipses/éd. Marketing S.A., 1998, pp. 56- 61.

- LE GALL, Jacques. « Topoï d’ouverture dans les romans de Giono ». In Giono l’enchanteur (Colloque international de Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2, 3 et 4 octobre 1995, sous la direction de Mireille Sacotte). Paris : éd. Bernard Grasset et Fasquelle, 1996, pp. 125-138.

- MALLON, Julie. « Ceux qui ont vu la chose ou les bifurcations de la mémoire ». In Giono La mémoire à l’œuvre. op. cit., pp. 269-280.

- MOILLO, Irène. « La figure de l’ombre ». In Analyses & et réflexions sur Jean Giono (Les Grands chemins).

op. cit., pp. 122- 126.

 

Essais critiques

- Analyses & réflexions sur Jean Giono. op. cit., Les Grands Chemins. Ouvrage collectif. Paris : ellipses /éd. Marketing S.A., 1998.

- BONHOMME, Béatrice. Jean Giono. Paris : Ellipses /éd. Marketing S.A., 1998.

- CARRIÈRE, Jean. Jean Giono. Qui êtes-vous ? Lyon : La Manufacture, 1996.

- CENTENAIRE de Jean Giono. Giono l’enchanteur. Paris : B. Grasset, 1996.

- DURAND, Jean-François. Giono. Le jeu du condottiere. Aix-en-Provence : Édisud, 2007.

- GROSSE, D. Jean Giono. Violence et création. Paris : L’Harmattan, 2003.

- LAURICHESSE. Giono La mémoire à l’œuvre. Sous la direction de J.-Y. Laurichesse et S. Vignes. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 2009.

 

Journal et Entretiens

- CARRIÈRE, Jean. Jean Giono. Besançon : Éditions La Manufacture, 1991.

- GIONO, Jean. Récits et essais. Paris : Bibliothèque de la Pléiade. Gallimard, 1989.

--------------------. Journal. Paris : Bibliothèque de la Pléiade. Gallimard, 1995.

--------------------. Journal de l’Occupation. Paris : Bibliothèque de la Pléiade : Gallimard, 1995.

--------------------. Entretiens avec Jean et Taos Amrouche. Paris : Gallimard, 1990.

 

  1. Ouvrages d’ensemble

- ADAM, J.-M. Pour lire le poème. Bruxelles : De Boeck-Duculot, 1984. 

- BARTHES, Roland. « Par où commencer ? ». In le Degré zéro de l’écriture, suivi de Nouveaux essais critiques. Paris : Seuil, « Coll. Points », 1972.

- CASSIRER, Ernest. La philosophie des lumières, Paris : Fayard, 1966.

- CHENETIER, Marc. Au-delà du soupçon, La nouvelle fiction américaine de 1960 à nos jours. Paris : Seuil, 1989.

- DEL LUNGO, Andrea. « Pour une poétique de l’incipit ». Paris : Poétique, n° 94 - avril 1993, pp. 131-152.

- FINKIELKRAUT, Alain. Ce que peut la littérature, Stock : Ed. Stock/Ed. du Panama, 2006.

- JENNY, L. La parole singulière, Luxembourg : Belin, 1995.

- LAFONT, R. Le Sud ou l’autre. La France et son midi. Aix-en-Provence : Édisud, 2004.

- LAPOUGE, Gilles. Le Bruit de la neige. Paris : Albin Michel, S.A., 1996.

- MAURON, Charles. Des Métaphores obsédantes au mythe personnel Introduction à la psychocritique. Paris : José Corti, 1962.

- MEMMI, Germaine. Freud et la création littéraire. Paris : l’Harmattan, 1996.

- PEREC, Georges. La Disparition. Paris : Gallimard, 1969.

Sentiment (Le) de la nature au XVIIe siècle. Symbolique et symbolisme. Questions de géographie littéraire. C.A.I.E.F., ‘‘Belles Lettresˮ, n°6 - Juillet 1954.

- STEINER, George. Réelles Présences. Les arts du sens (éd. Faber and Faber, 1989). Paris: éd. Gallimard, 1991.

- YOURCENAR, Marguerite. Carnets de notes de « Mémoires d’Hadrien ». In Mémoires d’Hadrien. Paris : Plon, 1958, rééd. Gall., « Folio », n°921.

 

WEBOGRAPHIE

- Zekri, Khalid. Etude des incipit et des clausules dans l’œuvre de Rachid Mimouni et celle de Jean-Marie Gustave Le Clézio. http://www.limag.refer.org/these/zekri.PDF (consulté le 26 octobre 2010).


[1]Assistant, Université Cheikh Anta Diop de Dakr, Sénégal

[2] J. Giono. Le Grand troupeau. Paris: Gallimard, 1931.

[3] J. Giono. Le Chant du monde. Paris: Gallimard, 1934.

[4] J. Giono. Que ma joie demeure. Paris: éd. Bernard Grasset, 1934.

[5] J. Giono. Colline. Paris: éd. Bernard Grasset, 1929.

[6] J. Giono. Les Âmes fortes. Paris: Gallimard, 1950.

[7] Nous faisons allusion à l’article d’Irène Moillo, « La figure de l’ombre ». In Analyses & et réflexions sur Jean Giono (Les Grands chemins). Ouvrage collectif. Paris: ellipses /éd. Marketing S.A., 1998, p. 122-126.

[8] Il s’agit de l’article de Jacques Le Gall, « Topoï d’ouverture dans les romans de Giono », in Giono l’enchanteur (Colloque international de Paris. Bibliothèque Nationale de France 2, 3 et 4 octobre 1995, sous la direction de Mireille Sacotte), Paris: éd. Bernard Grasset et Fasquelle, 1996, p. 125-138.

Entre ces deux articles, gît un domaine peu ou pas exploré: l’ombre dans les incipits des romans gioniens. C’est l’objet du présent article qui vise ainsi à remplir le vide laissé entre l’article d’Irène Moillo et celui de Jacques Le Gall.

[9] B. Bonhomme. Jean Giono. Paris: ellipses /édition marketing S.A., 1998, pp. 31- 48. En décrivant les grandes périodes de la production littéraire à travers un chapitre intitulé « Approche de l’œuvre », cette spécialiste de Giono distingue trois parties qu’elle baptise successivement: la lignée « panique », la lignée ironique, et la lignée romantique. 

[10] Pierre-Marc de Biasi. « Les points stratégiques du texte » in Le grand Atlas des littératures. Encyclopaedia universalis, 1990, p. 28.

[11] Andrea Del Lungo. « Pour une poétique de l’incipit ». Paris: Poétique, n° 94 - avril 1993, p. 136.

[12] Khalid Zekri. Etudes des incipit et des clausules dans l’œuvre romanesque de Rachid Mimouni et celle de Jean-Marie Gustave Le Clézio, http ://www.limag. refer.org/theses/zekri.PDF, p.11 ( consulté le 26 novembre 2010).

[13] Ibidem, p. 13.

[14] Nous paraphrasons Charles Mauron, auteur Des Métaphores obsédantes au mythe personnel. Introduction à la psychocritique. Paris: José Corti, 1962. 

[15] C’est Khalid Zekri qui cite ces deux auteurs, in  Étude des incipit et des clausules dans l’œuvre de Rachid Mimouni et celle de Jean-Marie Gustave Le Clézio. op. cit., p. 41.

[16] Gilles Lapouge. Le Bruit de la neige. Paris: Albin Michel, S.A., 1996, p. 68.

[17] Ce lecteur anonyme de Giono a été pris en auto-stop entre Forcalquier et Lurs par Gilles Lapouge. Les deux hommes se sont saisi de cette occasion pour s’entretenir au sujet des romans de Giono, notamment sur l’authenticité ou la fausseté des considérations de lieux. Lapouge a fait grand cas de cet entretien au travers d’un chapitre intitulé « Les géographies de Giono ». In Le Bruit de la neige. Op. cit., pp. 66- 73.

[18] Ibid., p. 68-69.

[19]  Jacques Anis. « Visibilité du texte poétique ». Langue française, n°59, 1953, ( cité par  J.-M. Adam. In Pour lire le poème. Bruxelles : De Boeck-Duculot, 1984, p. 29). Anis a montré dans un article récent que les ressources typographiques, la spatialisation réglée par le blanc font partie du sens. Constituant un corps signifiant, elles doivent donc être intégrées aux isotopies textuelles. J. Anis soutient cela à propos du texte poétique certes, mais nous pensons que cette dimension de la question peut tout aussi intéresser les incipits romanesques.

[20] G. Steiner. Réelles Présences. Les arts du sens (éd. Faber and Faber, 1989). Paris: éd. Gallimard, 1991, p. 153.

[21]Ibid. (G. Steiner cite Terry Eagleton).

[22] R. Barthes. « Par où commencer ? ». In Le Degré zéro de l’écriture, suivi de Nouveaux essais critiques. Paris: Seuil. « Coll. Points », 1972, p.146.

[23] Notice à Colline établie par Luce Ricatte. Œuvres romanesques complètes. Tome I. Paris: Gallimard, 1971, coll. « Pléiade », p. 935.

[24] Ibid.

[25] Marc Chénetier. Au-delà du soupçon. La nouvelle fiction américaine de 1960 à nos jours. Paris: Seuil, 1989, p. 319.

[26] J. Giono. Journal. Paris. Bibliothèque de la Pléiade : Gallimard, 1995, p. 121.

[27] E. Cassirer. La philosophie des Lumières. Paris: Fayard, 1966, p. 321.

[28] J.-P. Deléage. « Le destin et l’homme obligé. Les Grands Chemins de l’Épopée ». In Analyses et réflexions sur Jean Giono. Les Grands Chemins, op. cit, p. 56.

[29] Entretiens inédits, dactylographiés. Manosque, p.6.

[30] J. Giono. Œuvres romanesques complètes. Bibliothèque de la Pléiade. Paris: Gallimard, tome II, 1972, p. 1283.

[31] J. Cabot. « Mémoire de la nuit des temps », in Giono. La mémoire à l’œuvre. Toulouse : Presses universitaires du Mirail, 2009, p. 252.

[32] Centenaire de Jean Giono. Giono l’enchanteur. Paris: B. Grasset, 1996, p. 125.

[33] Ibid., p. 128.

[34] J. Carrière. Jean Giono. Qui êtes-vous ? Lyon: La Manufacture, 1996, p. 61.

[35]Ibid.

[36] J. Giono. Récits et essais. Paris. Bibliothèque de la Pléiade : Gallimard, 1989, p. 17.

[37] En effet, cette phrase gionienne nous a fait penser au poème de Baudelaire « Élévation ». In Les Fleurs du mal. Paris: Bordas, 1984, pp. 28-29.

[38] J. Giono. Entretiens avec Jean et Taos Amrouche. Paris: Gallimard, 1990, p. 66.

[39]Ibid.

[40] J.-F. Durand. Giono / Le jeu du condottiere. Aix-en-Provence : Édisud, 2007, p. 162.

[41] Nous renvoyons les lecteurs au Journal de l’Occupation. Paris. Bibliothèque de la Pléiade : Gallimard, 1995. Giono y écrit : « De l’importance des nocturnes dans ce que j’écris. Cela pourrait être beau, la couleur de nuit », p. 375.

[42] J.-F. Durand. Giono /Le jeu du condottiere. Op. cit. Aix-en-Provence : Édisud, 2007, p. 6.

[43] L’expression « la nuit des temps » est aussi éponyme du récent article qu’elle a inspiré à Jacques Chabot : « Mémoire de ‘‘La nuit des tempsˮ ». In Giono/ La mémoire à l’œuvre, sous la direction de J.-Y. Laurichesse et S. Vignes. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 2009, pp. 243-253. 

[44] J. Giono. Noé. Paris: Gallimard, 1947.

[45] G. Perec. La Disparition. Paris: Gallimard, 1969.

[46] J. Giono. Œuvres romanesques complètes. Tome III. Bibliothèque de la Pléiade. Paris: Gallimard, 1974, p. 1229-1230.

[47] Dominique Grosse. J. Giono/ Violence et création. Paris: L’Harmattan, 2003, p. 136.

[48] J. Giono. Les Âmes fortes. Paris: Gallimard, 1950.

[49] J.-F. Durand. Giono Le jeu du condottiere. op. cit., p. 27.

[50] J. Giono. Journal. op. cit., p. 67.

[51]Ibid.

[52] Ibid.

[53]J. Giono. Journal de l’Occupation. op. cit. Aux pages. 382- 391-393, les remarques pessimistes s’accentuent sous la plume de Giono.

[54] Ibid., p.426.

[55] Germaine Memmi. Freud et la création littéraire. Paris: l’Harmattan, 1996, p. 220.

[56] Ibid., p. 225.

[57] G. Steiner. Réelles présences. op. cit., p. 79.

[58] Laurent Jenny. La parole singulière Luxembourg : Belin, 1995, p. 63.

[59] Ibid.

[60] G. Lapouge. Le Bruit de la neige. op. cit., p. 69.

[61]Ibid., p. 71.

[62] Alain Finkielkraut. Ce que peut la littérature. Stock: Ed. Stock/Ed. du Panama, 2006, p. 225. (C’est Finkielkraut qui souligne ce mot).

[63] M. Yourcenar. Carnets de notes de « Mémoires d’Hadrien ». In Mémoires d’Hadrien Paris: Plon, 1958, réed. Gall., « Folio », n°921, p. 326.

[64] A. Finkielkrault. Ce que peut la littérature. op. cit. p. 229.

[65] Julie Mallon. « Ceux qui ont vu la chose ou les bifurcations de la mémoire ». In Giono La mémoire à l’œuvre. op. cit., p. 278.

[66] J. Giono. Journal. op. cit., p. 27.

[67] R. Barthes. « La mort de l’auteur », 1968, repris dans les Œuvres romanesques complètes. Tome III, op. cit, p. 45.

[68]  Entretiens avec Jean et Taos Amrouche. Paris: Gallimard, 1990, p. 34-35-36.

[69]Ibid., p. 65-66.

[70] Ibid., p. 240.

[71] Gilles Lapouge. Le Bruit de la neige. Paris: Albin Michel, S.A., 1996, p. 142.

[72] Ibid., p. 67.

[73] A. Ferré. « Le problème et les problèmes de la géographie littéraire ». In Le Sentiment de la nature au XVIIe siècle. Symbolique et symbolisme. Questions de géographie littéraire. C.A.I.E.F.. Paris: éd. ˮLes belles Lettresˮ,  n° 6 – juillet 1954, pp. 150-151.

[74] D’après les notices et notes de R. Ricatte. In Les Œuvres romanesques complètes de Jean Giono. op. cit., V, 1038.

[75] Robert Lafont. Le Sud ou l’autre. La France et son midi. Aix-en-Provence : Édisud, 2004, p. 125.