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Résumé

Inconnue avant l’avènement de l’Islam au Sénégal, la mendicité est une pratique sociale qui remonte à la naissance des écoles coraniques dans notre pays, découlant d’une mauvaise interprétation de l’Islam. Sujet d’une brûlante actualité, nuisible à la société et fortement condamnée par l’Islam, La mendicité a été toujours au centre des préoccupations des autorités politiques de notre pays de la période coloniale à nos jours. Pour l’éradication de ce fléau social, les autorités qui se sont succédées à la tête de notre pays ont préconisé différentes solutions qui vont de l’interdiction à la pénalisation en passant par la suppression pure et simple des écoles coraniques. Aujourd’hui, l’ancien système éducatif de l’Ecole coranique en milieu rural reste non seulement le meilleur moyen pour l’éradication de la mendicité à l’école coranique mais aussi pour la lutte contre la pauvreté.   

 

 

Abstract

Unknown before the advent of Islam in Senegal, begging is a social practice which dates back to the establishment of Arabic schools in our country and based on an erroneous interpretation of the teaching of Islam. This practice strongly blamed in Islam and harmful to the society has become a hot issue. It has always been at the centre of the preoccupations of the public authorities of our country from colonial times to present days. For the eradication of this social plague, the authorities who succeeded at the head of the State have advocated several ways out ranging from its ban to punishment through the complete suppression of Arabic schools. Today, the old school system of the koranic school rural area remains not only the most efficient means to get rid of this practice but also to fight against poverty.

 

 

 

Aujourd’hui accentuée par la pauvreté, la mendicité est une pratique sociale qui remonte à la naissance des écoles coraniques au Sénégal. En conséquence, elle est étroitement liée à la foi et à l’éducation islamique. Pour découvrir ce lien historique, il est important de lire attentivement L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Dans la page 24, Samba Diallo exhorte :

Hommes et femmes qui donnez, songez à peupler par vos bien faits la solitude qui habitera vos tombeaux. Nourrissez ces pauvres disciples. Ces gens de Dieu, vous êtes avertis, reprit Samba Diallo. On meurt lucidement car la mort est violente qui triomphe, négation qui s’impose. Que la mort dès à présent soit familière  à votre esprit. Sous le vent Samba Diallo improvisait des litanies édifiantes, reprise par ses compagnons, à la porte close de son cousin, le chef des Diallobés. Les disciples circuleront ainsi, de porte en porte, jusqu’à ce qu’ils aient rassemblé suffisamment de victuailles pour leur nourriture du jour. Demain, la même quête recommencera, car le disciple tant qu’il cherche Dieu, ne saurait vivre que de mendicité, qu’elle qu’il la richesse de ses parents[2]

 

L’analyse de ce texte révèle que la mendicité des talibés est un phénomène qui découle essentiellement de deux facteurs: La conception sénégalaise de la mort et une mauvaise compréhension de la quête de la ritualité. C’est ce phénomène qui explique pour certains, la critique ou la réglementation de la mendicité est une agression contre l’Islam. C’est pourquoi:

Suite à la décision gouvernementale d’interdire la mendicité sous toutes ses formes dans les rues de la capitale sénégalaise, le collectif  nationale des associations d’écoles coraniques du Séné&gale a fait face à la presse hier à Thiès  pour crier son indignation face à cette mesure injuste une mesure qui ses membres vise exclusivement les écoles maîtres coraniques qui son, selon eux, la cible d’organismes internationaux et d’ONG qui sont prêt à tout pour mettre à genou l’enseignement coranique[3]    

 

Devenue aujourd’hui, un phénomène urbain, la mendicité est apparu très tôt dans les foyers d’enseignements islamique au Sénégal où : « Les Maîtres d’écoles coraniques donnent le soir leurs leçons aux petits enfants des villages, leur apprenant à lire et à  réciter par cœur des versets du Coran tracés sur des planchettes de bois arrondies. Dans la journée, ils les envoient mendier et ramasser du bois pour leur compte »[4] En 1844, Abbé David Boilat remarqua à Saint-Louis, que : 

Les enfants  élevés  par les Marabouts passent le plus précieux temps de leur jeunesse à n’apprendre qu’à lire le Coran et à mendier le matin, de porte en porte, la nourriture dont ils ont besoin (C’est un précepte de la religion de Mahomet). Devenus grands ils ne savent aucun métier, habitués à la mendicité et ne recevant plus d’aumône  ils deviennent voleurs et s’adonnent à toutes sortes de vice[5] 

 

Abbé David Boilat a sans doute une mauvaise compréhension de Zakat (Sadaqa), un précepte de l’Islam qui, en aucun cas ne peut justifier la mendicité telle qu’elle est pratiquée au Sénégal, le rare pays pour ne pas dire le seul pays musulman où la mendicité est pratiquée de cette façon. « Les grands foyers islamiques de l’Orient comme de l’Occident Musulman, n’ont pas connu l’existence de la mendicité, »[6] y compris  Tombouctou, le berceau de la culture islamique  au Soudan. A cette époque les maîtres étaient rétribués soit par les parents, soit par des waqf (fondations pieuses). « A partir du 5e s. H./ 11e s. le traitement devient mensuel, surtout dans les établissements importants. »[7] Pour remplacer ces institutions humanitaires, Oumar Fall fondateur de l’Ecole Pir, demanda dès son arrivée une terre à cultiver pour assurer le fonctionnement et l’indépendance de son établissement. 

Pour justifier la mendicité, certains font la confusion entre cette pratique nuisible à la société et la  sadaqa, un précepte de l’Islam prescrit dans la sourate IX : « Les Sadqât  (Zakat ou aumônes) ne sont destinés qu’aux  les pauvres, aux indigents, ceux qui y  travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (l’Islam), l’affranchissement de ceux lourdement endettés, dans le chemin d’Allah, et pour les voyageurs. C’est un décret D’Allah.[8]  Prélève de leurs biens une Sadaqa par laquelle tu les purifies et leur bénis[9]. Dans la sourate II, Allah exhorte les musulmans de «  Donner de son bien, quel qu’amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs[10].  Dans ces versets, le Coran fait l’obligation aux musulmans d’assister les pauvres : 

Il est toujours bon de faire un sacrifice. C’est une façon de remercier Le Créateur qui t’a confié ce que tu offres aux pauvres pour les aider à supporter leur misère. C’est bien, Chaque fois que tu le peux, il faut donner. La fortune n’a pas de domicile fixe, dieu ne te l’a pas attribuée d’une manière définitive. Il ne fait que la prêter. Cela, il faut toujours y penser[11]         

 

C’est  cette solidarité mal comprise qui fait qu’au Sénégal la mendicité est devenue un droit pour les pauvres et les maîtres d’écoles coraniques. Ces derniers  s’arrogent le droit d’envoyer  leurs talibés dans la rue de nos grandes villes pour mendier.   « En mendiant nous ne faisons que réclamer ce qui nous est dû »[12]. C’est donc cette conception de la charité   qui explique en partie la difficulté, voire l’impossibilité d’éradiquer la mendicité au Sénégal. Dans certaines écoles coraniques, l’obligation faite aux talibés mendiants d’apporter à leur marabout une certaine somme d’argent les pousse à voler :  

En cas d’arrestation, ils sont conduits à la prison civile avant d’être internés dans une maison de correction : 25% des talibés avouent d’avoir été conduit à la police. Du fait de sa professionnalisation en mendiant et du fait de la culture urbaine de déviance, les talibés en rupture totale s’adonnent à l’usage des drogues, cannabis, absorption par inhalation de diluants, violence vol déterminent au quotidien la vie de ces enfants. Au cours de différents séminaires centrés sur les problèmes des enfants en situation difficile et établis dans la rue, il a été noté sur la base de témoignage de beaucoup que ces jeunes sont d’ex-talibés[13].

 

Diverses sources indiquent aussi que de nombreux enfants en prison sont de cette catégorie. Cette situation  confirme les propos D’Abbé David Boila cités plus haut.  Dans les centres urbains, l’oisiveté des maîtres d’écoles coraniques et des talibés a pour conséquence profonde le recours à la mendicité : matin, midi et soir, dans les rues, dans les marchés et dans les lieux publics. Par ailleurs, il est important de faire la différence entre la charité, (sadaqa)   et le sacrifice, une pratique ancestrale et une autre  principale source de la mendicité. A ce sujet, Aminata Sow Fall d’écrire :  

Ce n’est ni pour nos guenilles, ni pour nos infirmités, ni pour  le plaisir d’accomplir un geste désintéressé que l’on daigne nous jeter ce que l’on nous donne  Ils ont d’abord soufflé leurs voeux les plus chers et les plus inimaginables sur tous ce qu’ils nous offrent : « Je donne cette charité pour que dieu m’accorde longue vie, prospérité et bonheur. J’offre ceci pour que le créateur anéantisse toutes les difficultés que je pourrais rencontrer sur mon chemin. En échange de cette aumône, que le Maître des cieux et de la terre me fasse gravir des échelons, m’élève au sommet de la hiérarchie dans le service où je travaille. Grâce à cette charité, le Tout-Puissant chasse mes maux ainsi que ceux de ma famille, qu’il me protège de Satan des sorciers anthropophages et de tous les mauvais sorts que l’on pourrait me jeter » Voila ce qu’ils disent lorsque, dans le creux de votre main tendue, ils laissent tomber une pièce ou un paquet. Et quand ils nous invitent gentiment devant des calebasses fumantes et parfumées de Laax[14], pensez-vous que c’est parce qu’ils ont songé que nous avons faim ? Non mes amis, ils s’en foutent. Notre faim ne les dérange pas Ils ont besoin de donner pour survivre, et si nous n’existions pas, à qui donneraient-ils ? Comment assureraient-ils leur tranquillité d’esprit ? Ce n’est pas pour nous qu’ils donnent, c’est pour eux ! Ils ont besoin de nous  pour vivre en paix[15]                              

 

L’objectif de ces différents sacrifices et offrandes destinés aux mendiants, témoigne de la survivance des croyances ancestrales qui constitue un obstacle majeur à l’éradication de la mendicité, une pratique indispensable à notre société. « Je dois te dire que ces mendiants, il me les faut aujourd’hui. J’ai besoin d’eux j’ai un sacrifice à leur distribuer »[16]  Tout sénégalais, quelque soit son appartenance confessionnelle, son rang social ou son niveau intellectuel n’échappe pas à ce phénomène social.

Quel est le patron qui ne donne pas la charité pour rester éternellement patron? Quel est le malade, réel ou imaginaire, qui ne croit pas que ses troubles disparaîtront en même temps que l’aumône sortira de ses mains? Quel est l’ambitieux qui ne pense pas ouvrir toutes les portes par l’action magique de la charité ? Chacun donne pour une raison ou pour une autre. Même les parents de futurs condamnés se servent de la charité pour fausser le raisonnement du juge[17]       

 

L’analyse de ce texte, montre la confusion entre   les préceptes religieux et pratiques ancestrales. IL s’agit de nos sacrifices ou offrandes qui rythment notre vie quotidienne que nous appelons abusivement  charité ou aumône:  

Nos croyances que nous ne pouvons pas balancer du jour au lendemain. Nous sommes des hommes Keba ; un homme qui se trouverait aujourd’hui dans une situation critique, devant un drame insoluble, à qui l’on aurait prescrit  une offrande comme seule voie de salut, cet homme, s’il y croit, que penses-tu qu’il ferait ? Imagine-toi un peu ce que serait l’angoisse de cet homme à qui l’on a appris depuis la plus tendre enfance à décharger ses peurs, ses appréhensions, ses cauchemars, ses craintes dans trois morceaux de sucre, une bougie, une pièce de tissu, toutes sortes de choses enfin, qu’il donne aux mendiants ! Peut-on du jour au lendemain balancer ses croyances?[18]                     

 

L’examen de ce texte révèle la dimension socioculturelle de la mendicité au Sénégal. En effet, malgré les instructions précises du Coran, l’aumône ou la charité a été vidée de son sens initial pour des raisons socio cultuelles ou des intérêts personnels pour se faire valoir :

 Il n’a pas parlé non plus de ce fameux jour où son père, était apparu  à la télévision, vêtu d’un caftan impeccablement amidonné et repassé. Gora recevait, parmi une foule de pères et mères de famille, un don de sucre et de lait à l’occasion d’une de ces cérémonies solennelles orchestrées pendant le mois béni du Ramadan par des âmes charitables et ô combien discret. Ya kham ne dira pas qu’il s’était senti humilié au plus profond de sa chair. Quand les hôtes étaient partis, emportant leur joviale gaîté, il avait dit, loin de ses parents, comme s’il parlait à lui-même : Y avait-il besoin de filmer des dons que l’on offre à des nécessiteux ? Est-ce humain ? Et Gora s’était penché à la fenêtre : Maintenant, tout est comme ça .Que veux tu, s’il veut toujours paraître. Pourtant ils reconnaissent la sainte recommandation : donner et faire en sorte que la main gauche ne soit pas au courant de ce que fait la main droite[19]. C’est triste comme nous sommes devenus une société de spectacle C’est pas décent de se servir de la misère des autres pour se faire valoir[20]                      

 

L’auteur a juste raison d’insister sur cette pratique immorale et antinomique avec les valeurs religieuses. Pendant le mois  béni du ramadan, il n’est pas rare de voir à la Télévision des politiciens, des associations islamiques ou des dignitaires musulmans distribuer des miettes de tous genres, sucre, lait riz, habits ou des carcasses de moutons à l’approche de la Tabaski. En réalité cette soit disant charité n’est qu’une justification des dépenses  aux près des institutions caritatives islamiques des pays arabes pour s’enrichir sur le dos de ces pauvres citoyens. C’est pourquoi :

la pénurie de mendiants gêne  considérablement une partie de la population ; elle a vu des malades au teint pâle et aux yeux hagards traîner leur misère jusqu’ici pour s’acquitter du sacrifice qui, peut-être, les aidera à retrouver la paix du corps et de l’âme. Elle a vu des voitures luxueuses, toutes vitrées fermées, affronter à vive allure le chemin sablonneux qui mène à la « maison des mendiants » Elle a entendu les lamentations de gens modestes qui condamnent la surenchère : « Ils exagèrent ! Ils se moquent  des gens et des recommandations divines. Vous vous rendez compte ! Pour donner la charité prescrite, sept morceaux de sucre, ou une bougie, il faut gratifier ces messieurs et ces dames à la couverture bien chaude et non rapiécée. Et ce sont eux qui choisissent ! Ils ont leurs exigences ; il leur faut du gras… Mais que faire ?[21]

 

La réponse à cette question est bien sûr d’abandonner ces pratiques sacrificielles, qui encouragent la mendicité et de donner la charité « Pour le visage d’Allah (‘amour d’Allah que[22] nous nourrissons pour Allah : nous ne voulons de vous ni récompense ni gratitude » Le contenu de ce verset montre clairement la différence  entre sacrifice et la sadaqa dont l’objectif principal est d’assister les pauvres et les nécessiteux dans  ce monde pour bien mériter la récompense divine promise aux croyants après la mort.                               

 

La position de l’Islam

 

Certes, l’Islam recommande fortement la charité mais condamne la mendicité. Dans la sourate II, il est écrit :

Aux nécessiteux qui se sont confinés dans le sentier d’Allah, et ne parcourent pas le monde (à la recherche de biens) et que l’ignorant croit riches parce qu’ils ont honte de mendier-tu les reconnaîtras à leur aspect- ils n’importunent personne en mendiant.[23]

 

Dans ce verset, l’Islam  condamne  la mendicité qu’il considère comme une honte, même si l’on essaye aujourd’hui de la justifier pour des raisons humanitaires  ou éducatives. Al-Magdad Ibn mâdî Karib rapporte ces propos du Prophète : « Nul n’a mangé de meilleur nourriture que celle provenant du travail de ses mains[24]Et dans l’une de ses recommandations, le Prophète dit : « Travailles comme si tu ne devais jamais mourir et adores Allah comme si tu devais mourir demain[25] 

Zoubayre Ibn Al-Awwâm rapporte de l’Envoyé de Dieu : « Il faut mieux faire des fagots de bois en montagne et le ramener sur son dos pour les vendre que de mendier auprès de gens qu’ils vous donnent ou qu’ils refusent de vous donner[26]» Dans un autre hadith, Abû Hurayra rapporte de l’Envoyé de Dieu : « Que le Prophète David que de produit du travail de sa main »[27] A la lumière de ces textes fondamentaux de l’Islam, il s’avère qu’il n’y a  aucune justification de la mendicité en Islam. La Grande Royale qui a très tôt compris la position de l’Islam sur cette question de la mendicité s’adressa ainsi à Samba Diallo : 

J’ai prévenu ton grand fou de père que ta place n’est pas au foyer du maître, dit-elle. Quand tu ne te  bats pas comme un manant, tu terrorises tous le pays par tes imprécations contre la vie. Le maître cherche à tuer la vie en toi. Mais je vais mettre un terme à tout cela.[28]       

 

Comme la Grande Royale, aucun imam, intellectuel,  guide religieux sénégalais, les partisans ou même les défenseurs les plus farouches de la mendicité n’acceptent aujourd’hui d’envoyer son enfant au foyer du maître d’école coranique pour se livrer à la mendicité. C’est ce qui justifie la nécessité pour ne pas dire l’obligation de trouver une solution à la mendicité une pratique contraire aux valeurs islamiques.   

 

Les Solutions

 

Fortement condamnée par l’Islam, la mendicité a été toujours au centre des préoccupations de toutes autorités de notre pays depuis l’époque coloniale. En    1844, Abbé David Boilat proposait comme solution à la mendicité: « D’interdire les écoles coraniques et de forcer les parents d’envoyer leurs enfants  aux écoles françaises, en y établissant un professeur d’arabe [29]».   Le 9 mai 1896,  le gouvernement colonial publia un arrêté pour mettre fin à ces abus qui stipulent :

Article 8 Les maîtres d’écoles s’entendront avec les intéressés pour la rétribution scolaire. Il est formellement interdit d’envoyer leurs élèves quêter dans les rues ou à domicile.

Article 10- Les écoles musulmanes ne pourront recevoir d’enfants de six à quatorze ans pendant les heures de classe de l’école publique. Ces heures seront fixées par le directeur de l’Intérieur et publiées au journal officiel de l’Afrique Occidentale[30]

 

En effet, après l’échec  de toutes ces solutions, le gouverneur du Sénégal, dans sa lettre N° 468 du 29/07/ 1904 adressée au gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française écrit :

En effet, après l’échec de toutes ces solutions, le gouverneur du Sénégal, dans sa lettre N° 468 du 29/07/ 1904 adressée au gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française écrit:

Monsieur le gouverneur, désiré de mettre fin à des habitudes de mendicité gênante pour le publique et qui ne peuvent avoir que les effets les plus regrettables pour la moralité des indigènes. J’ai pris à la date du 15 juillet 1903, un arrêté que je vous adresse ci-joint: N° 357- Arrêté portant réorganisation des écoles musulmanes au Sénégal.   

Vu l’article 24 de l’ordonnance organique du 7 septembre 1840

Vu l’arrêté du 20 novembre 1869

Vu l’arrêté du 9 mai 1896;

Arrêté

Article premier. - Nul ne pourra tenir une école musulmane sans être muni d’une autorisation du Lieutenant Gouverneur. 

Art. 2- Cette autorisation sera accordée sur la proposition du Secrétaire général du Gouvernement du Sénégal après avis du Maire de la commune ou de l’Administration de l’escale dans laquelle l’école doit s’ouvrir. Les postulants devront adresser leurs demandes au Secrétariat Général, ils y joindront:

1 un extrait de leur casier judiciaire,

2 un certificat de bonne vie et moeurs du Maire ou de l’Administrateur de la localité où il réside.  

3 Leur acte de naissance et à défaut une attestation délivrée par l’autorité municipale de la commune ou par l’Administrateur du cercle constatant qu’ils sont français ou sujet français  

Art. 3- Avant d’obtenir l’autorisation demandée les candidats doivent subir un examen devant une commission composée ainsi qu’il suit:

A Saint-Louis

Du chef de service de l’Enseignement, président du cadi de Saint-Louis; d’un interprète arabe et d’un instituteur.

Dans les autres communes:

Maire de la ville, président; de 2 habitants notables connaissant la langue arabe; et d’un instituteur.

Dans les cercles:

De l’Administrateur, président; de 2 habitants notables connaissant la langue arabe  et d’un instituteur

Art 4. Il est constituée une commission de surveillance des écoles musulmanes composée: Du Secrétaire général, président, Chef de service de l’Enseignement, vice-président; du Cadi de Saint-Louis, d’un Directeur d’école et d’un habitant notable désigné par le comité de l’Instruction publique

Art.5.- Les écoles musulmanes sont soumises à l’inspection du Chef de Service de l’Enseignement, de Administrateur, du Maire de la ville et de la Commission de surveillance. Cette inspection porte sur la morale l’hygiène la salubrité et l’enseignement donné.

Art 6- La fermeture de ces écoles par mesure de police générale et de salubrité est prononcée par le lieutenant- gouverneur sur la proposition du Chef de Service de l’enseignement.

Art.7- Dans chaque école, il sera tenu en français un registre sur le quel seront inscrits les noms des élèves, la date tout au moins approximative de leur naissance, l’époque de leur rentrée à l’école, le nom et le domicile de leurs parents. Une copie de ce registre devra être adressée dans la première quinzaine de chaque trimestre au Secrétaire général.       

 Art8 – Les maîtres d’écoles s’entendront avec les intéressés pour la rétribution scolaire. Il leur est formellement interdit, sous peine de fermeture immédiate de l’école, d’envoyer leurs élèves quêter dans les rues ou à domicile.

Art 9- Les écoles privées musulmanes ne pourront recevoir d’élèves de 6 à 16 ans pendant les heures régulières de classe des écoles publiques. Les maîtres devront exiger des élèves de cet âge, avant leur admission, certificat constatant qu’ils suivent régulièrement les cous d’une école française.

Art 10- Toute école dont l’effectif tombera au-dessous de 20 élèves sera fermée par les soins du Chef de Service de l’Enseignement.

Art 11- Le présent arrêté est appliqué aux maîtres qui sont actuellement à la tête d’une école musulmane, ils devront se mettre en règle avant le 1e novembre 1903.

Art 12- Quiconque aura ouvert une école privée sans autorisation régulière ou continuera à tenir une école après le retrait de cette autorisation sera puni d’une amande de 1 à 15 francs et en cas de récidive d’un emprisonnement de 1 à 3 jours

Art 13- Le présent règlement sera affiché en français et en arabe dans toutes les écoles musulmanes.

Art -14 Sont abrogées toutes les dispositions contraires au présent arrêté.

Art 15- Le Secrétaire général, le Procureur général, le Chef de Services de l’Enseignement sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera enregistré et publié partout où besoin sera.

Saint-Louis, le 15 juillet 1903[31].

 

L’analyse de cet arrêté révèle que sa publication avait pour objectif: la pénalisation de la mendicité  l’interdiction et la fermeture des écoles musulmanes au profit de l’enseignement de la langue française alors difficilement acceptable au Sénégal

          Malgré l’accession de notre pays à l’indépendance, la situation de l’école coranique n’avait pas connu une amélioration notable. En 1978, un séminaire fut tenu les 17 et 18 mai 1978, à l’Institut islamique de Dakar sur l’enseignement coranique. A cet effet, les recommandations suivantes furent proposées:

-Des sanctions à l’encontre des maîtres exploitants

-Une plus grande responsabilité attribuée aux parents et aux marabouts

-Association de l’enseignement coranique avec une formation professionnelle afin d’assurer l’avenir des talibés.

-Lutter contre la mendicité avec la police et la justice

-Ouvrir de centres d’accueils pour les  talibés mendiants

-Faire contrôler les daaras par des assistants sociaux afin de déceler les insuffisances

-Exiger de bonnes conditions matérielles et sanitaires des écoles coraniques

-Faire des dons alimentaires et assurer la couverture sanitaire des enfants.

Après le séminaire, ces recommandations ont été classées sans suite.

 

Aujourd’hui toutes les solutions proposées se rejoignent : Il s’agit de la création des écoles coraniques modernes, La création des centres d’apprentissage et d’emploi pour les talibés et leur réinsertion dans la vie sociale. L’introduction de l’enseignement coranique dans l’enseignement primaire, subventions aux marabouts honnêtes, de sanctionner à l’encontre des autres. L’interdiction pour les talibés de mendier, des sanctions contre les talibés eux-mêmes.

En général l’Etat est en accord avec l’opinion publique pour l’éradication de la mendicité.  Le 24 août 2010 le gouvernement du Sénégal décida d’interdire la mendicité dans les rues de Dakar et dans d’autres localités du pays. Cette décision a été prise au terme d’un Conseil interministériel présidé par le premier ministre.  « Cette fois-ci, les autorités semblent, en effet, en finir avec la mendicité qui demeurait une honte nationale pour le Sénégal »[32]. Une semaine après la prise de cette décision salutaire aux yeux de la majorité de la population sénégalaise, le gouvernement recula pour parler de l’organisation de la mendicité et de la structuration et de modernisation de l’école coranique: 

 Dans des pays comme les Emirat Arabes Unis la mendicité est totalement interdite. Dans les pays musulmans il y a des structures qui s’organisent pour collecter d’abord les dons et les distribuer à des nécessiteux. Le passant qui sort d’un super marché, d’un hôpital donne mais il ne sait pas à qui il donne. Il faut structurer cela. Etat devra mettre sur place des structures modernes qui perdront en charge l’éducation de ces enfants.  Aussi, il faut des structures plus modernes que les daara traditionnelles qui ne les envoient pas mendier[33]      

 

Il sera très difficile voire impossible d’appliquer ces différentes mesures et proposions. Contrairement à d’autres pays musulmans qui font des dons et donnent l’aumône pour le respect de l’Islam au Sénégal, comme l’a fait remarquer Aminata Sow Fall plus haut : « Ce n’est ni pour nos infirmités, ni pour le plaisir d’accomplir un geste désintéressé que l’on daigne nous jeter ce que l’on nous donne. Ils ont d’abord soufflé leurs vœux les plus chers et les plus imaginables sur se qu’ils nous offrent ». L’attachement de la population sénégalaise à ces sacrifices ancestraux en lieu et place de l’aumône révèle la difficulté d’éradiquer la mendicité une pratique étroitement liée à l’Islam sénégalais.    

Pour atteindre ce noble objectif, les acteurs des écoles coraniques et les décideurs de notre pays ont l’obligation de s’approprier le système éducatif des écoles coraniques en milieu rural fondé essentiellement sur la transmission du savoir et le travail de la terre où les activités se résument à la prière, aux travaux champêtres et à l’apprentissage du Coran et des sciences islamiques. L’Ecole de Pir en est une parfaite illustration.

Pour faire l’historique de cette institution, il semble qu’il faille convoquer le verset coranique qui se signale par son caractère didactique: «Pourquoi dans chaque groupe humain quelques hommes ne viendraient-ils pas s’instruire dans la religion pour à leur retour enseigner leur peuple? »[34]. En effet, ce verset résume l’histoire de l’Université de Pir et la fécondité de la pensée de son fondateur Câdî Oumar Fall qui, après sa formation au Fouta et en Mauritanie, décida de rentrer au bercail, du reste, à ce propos il s’explique:

Si je suis de retour dans le pays de mes ancêtres, c’est pour connaître ma famille d’origine et vivre parmi les miens. J’aimerai une terre à cultiver et une demeure où vivre pour enseigner les sciences religieuses Ulûm Al-Dîn[35] 

 

C’est donc en s’inspirant de ce verset que Câdî Oumar Fall a fondé l’Université de Pir qui, selon le Docteur Thierno Ka, rayonna sur toute la Sénégambie. D’ailleurs c’est en son sein que furent formés de grands érudits, au rang desquels on peut citer : Malick Sy de Boundou mort en 1669, Almamy Abdul kadr Kane 1728-1807 et bien d’autres. Ce pendant, « toute la communauté vivait du produit de la terre que possédait le maître.  De même,

A cette époque, l’école comptait à peut près 300 étudiants regroupés en deux catégories. Les plus jeunes des élèves de l’école étaient pris en charge par Umar Fall. Il leur assurait la nourriture, le logement et les habits (blanchis, nourris et logés). En échange, ils devaient travailler aux champs[36] 

 

Ce système éducatif était fondé essentiellement sur deux principes: l’enseignement des sciences islamiques et le travail de la terre. De là, le rayonnement de Pir qui est une école de référence: une école sans mendicité. L’Ecole de Pir n’est pas seulement le premier établissement d’enseignement supérieur islamique en Sénégambie mais aussi et surtout une université modèle dont le père fondateur Omar Fall est l’un des précurseurs du culte du travail au service de l’éducation islamique en général et de l’école coranique en particulier, une institution aujourd’hui dévalorisée par la mendicité et menacée de disparition

  

                                        

Conclusion

         

En effet, pour l’éradication de la mendicité, il faut nécessairement:

La délocalisation de toutes les écoles coraniques implantées dans les grands centres urbains qui pratiquent la mendicité, vers les terres arables en milieu rural, ou l’introduction de l’enseignement religieux à l’Ecole Publique, ou alors encourager les écoles coraniques de proximité;

Les écoles d’enseignement coraniques qui dispensent des enseignements islamiques aux enfants scolarisés à l’école publique, moyennant une somme d’argent fixée en accord avec les parents d’élèves. Ce système éducatif pratiqué à Saint-Louis depuis le XIXe siècle a donné à beaucoup d’intellectuels de la ville une double formation occidentale et islamique.      

 

Bibliographie

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  • Coulon, Christia. Les marabouts et les Princes (islam et pouvoir au Sénégal). Paris : A Pedone, 1981.
  • ……………….Les musulmans et le pouvoir en Afrique Noire, Paris Kathalla, 1983
  • Fall, Aminata Sow. La grève des Battu. Dakar-Abidjan-Lomé : N.E.A., 1979.
  • ……………….. La Douceur du bercail. Abidjan : Nouvelles Editions Ivoirienne, 1998.
  • Froeliche, J.C. Les musulmans d’Afrique Noire. Paris : Lorant, 1962.
  • Ka, Thierno. Ecole de Pir Sanakhor : Histoire, Enseignement et Culture arabo-islamique au Sénégal du XVIIIe au XX siècle. Publié par le concours de la Fondation Cadi Amar Fall, Pir.
  • Kane, Cheikh Hamidou. L’aventure ambiguë. Paris : Edition 10/18, 1998.
  • Ndiaye, Mamadou. L’enseignement arab-islamique au Sénégal. Istambul : Centre de recherche sur l’histoire, l’art et la culture, 1985.
  • Party, Paul. Etude sur l’Islam au Sénégal. Paris : Leroux, 1916.
  • Sagna, Sékou. Contribution à l’Etude de la notion du Fî Sabîlillah, support fer de lance de la civilisation arab-islamique: Le cas du Sénégal. Thèse pour le doctorat d’Etat Université de Dakar, 1996.
  • Samb, Amar. Essai de la contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe, Mémoire de l’IFAN Dakar, 1972.  


[1] Enseignant/Chercheur, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

[2] Cheikh Hmidou Kane. L’aventure ambiguë.  Paris: 1998, p.24.

[3] Thiey :Quotidien indépendant d’information N° ii93. Jeudi 02 septembre 2010, p.4

[4] Thierno Ka. Ecole de Pir Sanakhor : Histoire, Enseignement et Culture arabo-islamique au Sénégal du XVIIIe au XX siècle. Publié par le concours de la Fondation Cadi Amar Fall de Pir, p.70.

[5] Abbé David Boilat. Esquisse Sénégalaise. Paris: Karthalla, 1884, pp. 207-208.

[6] Mamadou Ndiaye. L’Enseignement  arabo-islamique au Sénégal. Istambul : Centre de recherche sur l’histoire l’art et la culture, 1985, p 32.

[7] Cheikh Bouamarane et Louis Garder.  Panorama de la pensée islamique. Paris: Sindbad, 1984, p.1220.

[8] Coran, sourate IX, verset 60. Selon Muhamed Hamidullah :

1-Pauvres : ceux qui ne possèdent rien

2- Indigents : ceux qui dont les besoins dépassent les biens dont ils disposent 

3-Ceux qui y travaillent : ceux qui collectent et distribuent Les Sadaqât ‘Zakat) 

4- les cœurs à gagner : les nouveaux musulmans

5- Jougs : esclaves Voyageur ( Endétresse)

[9] Coran op. cit., verset 103

[10] Coran sourate II,verset, 177

[11] Aminata Sow Fall. La grève des Battu. Dakar- Abidjan-Lomé : N.E.A., 1979, p, 88.

[12] Aminata Spw Fall. op. cit., p, 82

[13] htt://membres.Lycos.fr/talibes/Tendances_Problèmes_et_Sulution.htm,p 1sur4

[14] Mot wolof qui signifie pâte de mil qui se mange avec du lait caillé

[15] Aminata Sow Fall. op. cit., pp, 52-53.

[16] Aminata Sow Fall. op. cit.,p 95.

[17] Aminata Sow Fall. op. cit.,p 54.

[18] Aminata Sow Fall. op. cit., p 98.

[19] C’est un hadith du Prophète de l’Islam. 

[20] Aminata Sow Fall. Douceur du bercail. Abidjan : Nouvelles Editions Ivoiriennes, 1998, p.118.

[21] Aminata Sow Fall. op. cit.,p, 72

[22] Coran, Sourate LXXVI,verset 9

[23] Coran, sourate II verset 273

[24] Cf. Al- Imâm An-Nawawî, Riyad As-Sâlihîn (Les Jardins de la piété) p.413, Alif, Lyon 1989

[25] Idem

[26] Idem

[27] Idem

[28] Cheikh Hamidou Kane, op. cit., p. 32.

[29] Abbé David Boilat. Idem

[30] Bulletin Administratif du Sénégal, mai 1896 pp 474-475

[31] Bulletin  administratif  du Séné gal le 15 juillet 1903

[32]   Quotidien n° 5190, mercredi 25 août 2010-10, p 3

[33] Le matin n° 4058- jeudi 8 septembre 2010, p 5

[34] Coran, sourate IX, verset, 122

[35] Thierno Ka.  Ecole de Pir Saniakhor, Histoire, Enseignement et Culture arabo-slamique au Sénégal, du XVIII au XXe siècle. p38, publié par le Concours de la fondation de Cadi Amar Fall de Pir.

[36] Thierno Ka. op. cit., p.69.