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« HISTORIAL: Le Dasein doit être compris selon l’enchaînement de sa vie en une mobilité spécifique constituant son provenir (Geschehen) dont l’historialité est la structure ontologique.

Le Dasein se décide pour des possibles dont il hérite, se délivrant à lui-même en une possibilité à la fois héritée et choisie. L’histoire ne tire son poids ni du passé ni du présent enchaîné au passé, mais du provenir de l’existence jaillissant de l’avenir. » (BLAY, 2007, 370)

Résumé

Puisant dans les ressources conceptuelles (pour ne pas dire théâtrales) de la sémiotique et des philosophies derridienne et deleuzienne, cet article se propose d’explorer le théâtre artaudien. La machine théâtrale d’un Antonin Artaud, à l’image du dispositif alchimique par exemple, est une puissante machine temporelle. Du coup la littérature nous plonge dans une historialité à l’intérieur de laquelle faire preuve d’originalité c’est s’inscrire dans une différance qui est une manière d’être fidèle à une origine qui ne cesse de se dérober.

Mots-clés:Actualisation, avant-garde, bricolage, cosmogonie, cruauté, devenir, dissémination, dramatisation,

éclaircie, ésotérisme, genre, gnosticisme, hiéroglyphe, historialité, initiation, médiatisation, moderne, performance, peste, principe, scène, temps, théâtre, tourbillon, virtualisation, vivre.

 

Abstract

Drawing from the abstract or theatrical resources of semiotics and philosophies of Jacques Derrida and Gilles Deleuze, this article explores the theater of Antonin Artaud. The theatrical machine of an Antonine Artaud, just like the alchemical device, for example, is a powerful temporal machine. Consequently, the literature plunges us into the historical aspect inside which to show originality means to be different, which is a way of being faithful to an origin which does not stop shying away.

Key words:Actualisation, avant-garde, bricolage, cosmogonie, cruauté, devenir, dissémination, dramatisation,

éclaircie, ésotérisme, genre, gnosticisme, hiéroglyphe, historialité, initiation, médiatisation, moderne, performance, peste, principe, scène, temps, théâtre, tourbillon, virtualisation, vivre.

 

Introduction

Cet article est d’abord une application pratique des concepts de l’histoire littéraire (voir Moisan 1987). Cette méthode trop rapidement disqualifiée par Roland Barthes (1963) nous semble très efficace dans l’élucidation de la littérarité en général et de la théâtralité en particulier, pour ce qui nous concerne dans cet article. Mieux encore, en dehors de l’histoire littéraire, il est impossible d’appréhender la portée d’un énoncé littéraire qui est d’abord dialogue avec des pairs. Faire de l’histoire littéraire ce n’est pas plaquer l’histoire politico-sociale d’une société sur la littérature – ce que l’on appelle à proprement parler l’histoire de la littérature, ce qui revient à établir une relation de causalité (DROUET, 2012) entre le contexte (point A) et le texte (point B) et, du coup, à inscrire le texte dans une autre temporalité. L’histoire littéraire qui convoque la métaphore de la réfraction se veut en fait quelque chose de plus complexe et de plus précis. C’est, du moins telle que nous l’entendons, pour un personnage comme l’écrivain qui ne cesse de vivre à contrecourant de son époque, analyser dans une temporalité spécifique et infiniment plus profonde, l’évolution des formes littéraires.

Réfléchir sur la temporalité littéraire est un exercice éminemment structuraliste dans la mesure où cela revient à dégager le schéma de connexion entre les œuvres dans le temps c'est-à-dire 1) par-delà les auteurs 2) par-delà les époques 3) et suivant un fil conducteur les reliant. Faut-il considérer ce tissu 1) comme une ligne droite, la fameuse flèche irréversible du temps, 2) comme une ligne revenant sans cesse sur elle-même[1] 3) ou faut-il envisager une géométrie fractale (récursive) qui puisse rendre compte de la dynamique arthaudienne ? Postuler l’hypothèse d’une histoire littéraire[2] c’est du coup postuler un immense Texte (une bibliothèque dirait Jorge-Luis Borges) dans lequel chaque auteur aurait une place dans un ordre de succession et de transmission, bref de progression défini après coup. On pourrait même, pour être plus précis, comparer un ouvrage d’histoire littéraire à une montre, un calendrier qui aurait la particularité de ne pas être prévisionnel. Généralement on utilise à cet effet la représentation de la frise chronologie qui rend visible la contribution de chaque auteur dans une sorte d’œuvre commune. Les œuvres sont classés, dès lors, suivant des relations précises et variant, elles aussi, selon les hypothèses théoriques. On serait, en quelque sorte, en face d’une horloge littéraire.

L’exercice auquel nous nous livrons et qui a besoin qu’on en formulât de manière explicite et complète la théorie sous-jacente, peut s’appuyer sur l’histoire esthétique de la littérature telle que l’a pratiquée Eric Méchoulan(2004). De cette histoire, l’excellent essai d’histoire de la littérature française dirigé par Jean-Yves Tadié (2007) donne des esquisses intéressantes. Elle devra aller plus loin en suivant l’émergence et l’évolution des catégories proprement littéraires, la constitution puis l’institution d’une République des Lettres[3], la définition et l’élaboration de ses valeurs et de son économie. Au cours de cette enquête on se rendra compte que cette République des Lettres fonctionne comme un véritable champ de recherche dont le critère d’évaluation est l’originalité pour certains, la fidélité pour d’autres. Dans la vie de cette République, la question de l’historicité de l’œuvre joue un rôle important. L’un des principaux objectifs de cette étude est de donner un contenu précis à ce concept d’historicité en analysant son traitement chez un auteur comme Antonin Artaud (1896-1948). Très rapidement d’ailleurs on se rendra compte que la notion d’originalité vécue par l’auteur en termes de fidélité à l’esprit d’un genre devient très vite problématique. Du coup c’est une autre temporalité que l’histoire littéraire des écrivains permet de découvrir.

Puisant dans les ressources conceptuelles (pour ne pas dire théâtrales) de la sémiotique et des philosophies derridienne et deleuzienne, cet article se propose d’explorer le théâtre artaudien. La machine théâtrale d’un Antonin Artaud, à l’image du dispositif alchimique par exemple, est une puissante machine temporelle. Du coup la littérature nous plonge dans une historialité à l’intérieur de laquelle faire preuve d’originalité c’est s’inscrire dans une différance qui est une manière d’être fidèle à une origine qui ne cesse de se dérober. Afin de bien comprendre le fonctionnement de cette historialité particulière (en 3), nous explorerons d’abord les enjeux de la cruauté (en 1) avant d’étudier en quels termes l’histoire littéraire d’un écrivain comme Artaud réconcilie-t-elle originalité et fidélité (2).

 

1.Le principe de cruauté

L’objectif poursuivi par les analyses théoriques d’Antonin Artaud est de réfléchir sur l’essence du théâtre en particulier et des arts du spectacle en général. C’est au cours de cette élucidation exposée dans ses manifestes[4]que se posera indirectement la place de l’histoire dans l’évolution d’un genre. Cette approche pourrait parfaitement s’inscrire dans le cadre d’une esthétique théâtrale telle que présentée par Catherine Naugrette (2000) et dans l’histoire des écrivains dont nous reparlerons en 3.

C’est, comme le propose excellemment Michel Meyer (2001 et 2003), questionner la pratique théâtrale, se demander pourquoi on va au théâtre, les enjeux d’une telle expérience. De quelle manière le sujet se saisit-il dans cette expérience? Qu’est-ce qui s’y joue? Se livrer à une esthétique théâtrale, tâche qui doit précéder toute description du théâtre pour bien la guider, revient finalement à une phénoménologie du théâtre qui déchiffre la conscience à l’œuvre dans le texte théâtral ou, pour être plus précis, dans cette expérience collective qu’est la dramaturgie. Conscience qui, par le même mouvement, se livre à des calculs historiques, vit[5], si l’on en croit Antonin Artaud, une expérience temporelle régénératrice. Cette réduction eidétique permettrait de cerner, au prix d’une suspension de la notion d’auteur, certaines croyances, les « principes » à l’œuvre dans tous les textes spectaculaires, principes qui rappellent étrangement ceux de l’alchimie.

Il y a entre le principe du théâtre et celui de l’alchimie une mystérieuse identité d’essence. C’est que le théâtre comme l’alchimie est, quand on le considère dans son principe et souterrainement, attaché à un certain nombre de bases, qui sont les mêmes pour tous les arts, et qui visent dans le domaine spirituel et imaginaire à une efficacité analogue à celle qui, dans le domaine physique, permet de faire réellement de l’or. (ARTAUD, 1938, 73)

 

La notion de principe nous renvoie à des règles assez générales pour accueillir des changements sans trahir leur essence, changements qui, du coup, sont d’une toute autre nature. La nécessité de ces principes est exprimée par le principe de cruauté qui est à l’œuvre dans la poétique du théâtre artaudien:

[…] « Théâtre de la cruauté » veut dire théâtre difficile et cruel d’abord pour moi-même. Et sur le plan de la représentation, il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres […]. Mais celle beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer contre nous. Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut encore nous tomber sur la tête. Et le théâtre est fait pour nous apprendre d’abord cela. (ARTAUD, 1964, 123)

La cruauté n’est pas surajoutée à ma pensée; elle y a toujours vécu: mais il me fallait en prendre conscience. J’emploie le mot cruauté dans le sens d’appétit de vie, de rigueur cosmique et de nécessité implacable, dans le sens gnostique de tourbillon de vie qui dévore les ténèbres, dans le sens de cette douleur hors de la nécessité implacable de laquelle la vie ne saurait s’exercer ; le bien est voulu, il est le résultat d’un acte, le mal est permanent. Le dieu caché quand il crée obéit à la nécessité cruelle de la création qui lui est imposée, et il ne peut pas ne pas créer, donc ne pas admettre au centre du tourbillon volontaire du bien un noyau de mal de plus en plus réduit, de plus en plus mangé. Et le théâtre dans le sens de création continue, d’action magique entière obéit à cette nécessité. Une pièce où il n’y aurait pas cette volonté, cet appétit de vie aveugle, et capable de passer sur tout, visible dans chaque geste et dans chaque acte, et dans le côté transcendant de l’action, serait une pièce inutile et manquée. (n.s.) (ARTAUD, 1964, 159-160)

 

Ces principes de cruauté, de rigueur nous apprennent à penser la mimésis théâtrale comme une expérience singulière où le sujet (dramaturge, spectateur) se retrouve en se perdant dans une création qui ne cesse de lui échapper. En prenant la place des dieux, le dramaturge se trouve entraîné dans une dynamique qu’il appelle tourbillon[6] en référence à l’état de dessaisissement de soi dans lequel est placé le sujet dans le gnosticisme. Tourbillon dû au fait que la création qu’il initie, dans le jeu duquel il entre, ne cesse de le soumettre à une nécessité rigoureuse, implacable, telle que ce qu’il poursuit ne cesse de se défaire. Parce qu’il se dérobe, la création ne peut que capturer des mirages de cet être:

Là où l’alchimie, par ses symboles, est comme le Double spirituel d’une opération qui n’a d’efficacité que sur le plan de la matière réelle, le théâtre aussi doit être considéré comme le Double non pas de cette réalité quotidienne et directe dont il s’est peu à peu réduit à n’être que l’inerte copie, aussi vaine qu’édulcorée, mais d’une autre réalité dangereuse et typique, où les Principes, comme les dauphins, quand ils ont montré leur tête s’empressent de rentrer dans l’obscurité des eaux. 

Définition de la réalité au théâtre: « Or cette réalité n’est pas humaine mais inhumaine, et l’homme avec ses mœurs ou avec son caractère y compte, il faut le dire, pour fort peu. Et c’est à peine si de l’homme il pourrait encore rester la tête, et une sorte de tête absolument dénudée, malléable et organique, où il demeurerait juste assez de matière formelle pour que les principes y puissent déployer leurs conséquences d’une manière sensible et achevée. »

Tous les vrais alchimistes savent que le symbole alchimique est un mirage comme le théâtre est un mirage. Et cette perpétuelle allusion aux choses et au principe du théâtre que l’on trouve dans à peu près tous les livres alchimiques, doit être entendue comme le sentiment (dont les alchimistes avaient la plus extrême conscience) de l’identité qui existe entre le plan sur lequel évolue les personnages, les objets, les images, et d’une manière générale, tout ce qui constitue la réalité virtuelle du théâtre, et le plan purement supposé et illusoire sur lequel évoluent les symboles de l’alchimie. (ARTAUD, 1938, 75)

 

C’est cette réticence de la création qui se donne dans la réserve qu’il appelle sa cruauté. Cette conception de la création littéraire qui convoque les modèles du gnosticisme, à travers notamment l’évocation de la kabbale (ARTAUD, 1938, 200, 203 et 206), fait du dramaturge le contre-imitateur du démiurge figuré comme un archange diabolique qui a enfermé l’homme dans une prison cruelle. Du coup créer c’est s’inscrire dans une certaine temporalité.

              Cette cruauté que le théâtre, depuis ses origines, a pour vocation de mettre en scène pour s’en échapper, et ce très clairement dans la tragédie (NIETZSCHE, 1872), doit continuer à survivre dans le théâtre, même moderne ou post-moderne. La dialectique de l’originalité et de la fidélité (la conformité au modèle) donne la pleine mesure de cette temporalité. L’approche sémiotique permet de surmonter la contradiction apparente entre la fidélité et l’originalité. Nous allons dans un premier temps explorer le bénéfice qu’offre cette méthode avant de montrer que la conception qu’Artaud se fait de la temporalité littéraire corrobore largement nos dires.

 

 2.Pour une anthropologie théâtrale

La phénoménologie de l’expérience spectaculaire qui, dès lors, est à la fois une esthétique et une sémiotique tensive (FONTANILLE, 2003), est une perspective d’analyse qui permet de dépasser les formes pour cerner les forces. Ou, pour être plus précis, elle permet d’analyser les figures théâtrales comme des formes, un jeu de figures exprimant des forces s’évanouissant sitôt qu’actualisées (ou, pour adopter le point de vue du spectateur, saisies). A cet effet nous distinguerons avec Fontanille, à l’intérieur des tensions existentielles (2003, 288-295), la virtualisation qui fait sortir du champ de la présence, la réalisation qui fait entrer dans le champ de la présence, de l’actualisation qui les fait pressentir dans un mode de saisie que nous qualifierons d’éclaircie. Dans le texte extraordinaire ci-dessous Antonin Artaud décrit cette expérience que le dramaturge fait vivre au spectateur, après l’avoir lui-même vécue, sous la forme d’un piétinement qui rappelle le tourbillon déjà évoqué. Cet effritement des formes dont le jeu est parfaitement calculé entraîne le sujet vers une perte de soi qui convoque le schéma du parcours initiatique qu’on retrouve dans les textes mystiques (voir RIFFARD, 1990 et 2008):

Le théâtre lui aussi [comme la peste] prend des gestes et les pousse à bout: comme la peste il refait la chaîne entre ce qui est et ce qui n’est pas, entre la virtualité du possible et ce qui existe dans la nature matérialisée. (n.s.) Il retrouve la notion des figures et des symboles-types, qui agissent comme des coups de silence, des points d’orgue, des arrêts de sang, des appels d’humeur, des poussées inflammatoires d’images dans nos têtes brusquement réveillées ; tous les conflits qui dorment en nous, il nous les restitue avec leurs forces  et il donne à ces forces des noms que nous saluons comme des symboles: et voici qu’a lieu devant nous une bataille de symboles, rués les uns contre les autres dans un impossible piétinement ; car il ne peut y avoir théâtre qu’à partir du moment où commence réellement l’impossible et où la poésie qui se passe sur la scène alimente et surchauffe les symboles réalisés.

Ces symboles qui sont le signe des forces mûres, mais jusque-là tenues en servitude, et inutilisables dans la réalité, éclatent sous l’aspect d’images incroyables qui donnent droit de cité et d’existence à des actes hostiles par nature) la vie des sociétés. (ARTAUD, 1938, 40)

 

Considérer les jeux de formes comme le moyen de réactiver les forces gelées c’est, du coup, pour un genre donné, à savoir le théâtre, distinguer la visée constitutive du genre (les philosophes diraient son essence) des formes à travers lesquelles cette intention originaire se réalise. On retrouve à peu près cette catégorisation chez Jean-Marie Schaeffer qui distingue les conventions constituantes des conventions régulatrices et traditionnelles[7]. A peu près, car cette distinction, en son principe très intéressante, reste au niveau de la forme. Il n’y a pas d’un côté des formes qui demeurent (les conventions constituantes) et de l’autre les formes variables (les conventions régulatrices et traditionnelles), mais d’un côté une machine à remonter le temps, machine indifféremment assimilée à des machines exorcistes, magique…, et de l’autre des matériaux à partir desquels cette dynamique peut opérer. La conception que nous nous faisons du travail du dramaturge rappelle évidemment la description que Claude Lévi-Strauss fait du bricolage.

Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet: son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit et pour employer le lan­gage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». De tels éléments sont donc à demi particularisés: suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état ; mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type.

 

Le dramaturge, tel que le présente Antonin Artaud, en vertu du principe de cruauté, n’est pas un diseur (il n’a pas quelque chose à dire) mais un créateur. C’est un véritable initiateur. Il transforme le spectateur appelé à être un créateur-acteur, en une sorte de contre-démiurge qui démonte/remonte l’horloge cosmique. Ce créateur actualise un certain sens sur la scène théâtrale.

En considérant l’écrivain, dans la logique d’Antonin Artaud, comme un bricoleur, il peut alors considérer le texte comme une machine virtuelle, ou, dans le langage des informaticiens, comme une suite d’instructions (un chemin) formant une machine onirique virtuelle (un navigateur). L’objectif d’une telle analyse, qui permettrait parfaitement de cerner l’historicité du texte, consisterait à distinguer les matériaux contingents du projet. Il distinguera l’intention de sa réalisation.

Dans cette perspective, la métaphore de la machine, que nous voulons envisager ici dans sa dimension temporelle et que Gilles Deleuze a extraite de l’œuvre d’Antonin Artaud, expliquerait le fonctionnement d’un texte bricolé qui, à partir de matériaux empiriques bien choisis, peut réveiller, refaire fonctionner (réparer) le Cosmos malade. Convoquant implicitement, à travers la métaphore de la fusée, la métaphore de la machine, il assimile l’expérience[8] théâtrale à un décollage, ou comme diraient les ésotéristes, une délivrance[9]:

les images de la peste en relation avec un état puissant de désorganisation physique sont comme les dernières fusées d’une force qui s’épuise, les images de la poésie au théâtre sont une force spirituelle qui commence sa trajectoire dans le sensible et se passe de la réalité. (ARTAUD, 1938, 36)

 

De la même manière que la maïeutique platonicienne et autres dispositifs mystiques sont des machines à engrosser et à accoucher l’esprit, de la même manière le théâtre est une formidable machine à produire du spectaculaire, ou, pour nous en tenir à notre perspective phénoménologique, à faire vivre du spectaculaire, c'est-à-dire « des conflagrations inouïes de forces et d’images » (ARTAUD, 1938, 197). C’est une machine qui fait, tout simplement ; vivre, intensément, comme ne le fait pas cette autre machine, cette fois-ci, à faire désirer (cf. Deleuze et Guatuari) qu’est la culture[10]. Cette machine combat la machine à décerveler décrite par son maître Alfred Jarry dans une perspective de transvaluation des valeurs qui désorganise[11] puis réorganise et ainsi fait revivre.

Pour ce qui est de ce schème « Théâtralement, le problème est de déterminer et d’harmoniser ces lignes de forces [fixées çà et là sur les ondes matérielles sur lesquelles parmi la foule de spectateurs quelque conscience amoindrie, révoltée ou désespérée surnagera comme un fétu de paille], de les concentrer et d’en extraire de suggestives mélodies » (ARTAUD, 1964, 198). Pour ce faire, à l’instar de l’Envoûteur (personnage théâtral qui fonctionne comme un personnage conceptuel), le dramaturge sélectionne et rhizome[12]  des fragments représentatifs de la réalité virtuelle visée. Ces fragments sont d’ailleurs parfois appelés des symboles[13] et d’autres fois des totems. Ces fragments sont choisis en vertu de leurs pouvoirs magiques et rhizomés selon des schèmes alchimiques qui peuvent parvenir à « en extraire de suggestives mélodies ». Au contraire des formes mortes et muettes, les effigies (17, 201) ou les symboles sont des fragments choisis pour leur représentativité afin d’entrer dans un bricolage dramat-urgique[14] .

Ces fragments actualisent ce double de la réalité. Le théâtre retrouve sa valeur d’ombre, de double, de répétition. Alors que les « Dieux […] dorment dans les musées occidentales » (ARTAUD, 1938, 16), la véritable dramaturgie veut, à travers l’intensité des formes, « séduire et capter une force qui, en musique, éveille un déchirant clavier » (ARTAUD, 1938, 16). A l’intérieur du langage hiéroglyphique qu’est le langage théâtral, l’acteur est un élément actif qui fait vivre cette dimension qui constitue un plan d’existence spécial. Grâce à la médiation des signifiants théâtraux, le spectateur, entraîné par le jeu de l’acteur, peut actualiser le Corps Sans Organes CsO (Deleuze et Guatuari, 1972). Antonin Artaud ne cesse de convoquer, pour compléter son système métaphysique et son système dramaturgique, un corps qu’il nomme CsO. On peut dire que c’est un concept potentiel, si présent et si bien travaillé qu’il ne saurait être un simple cri. Il n’a attendu en fait que des acteurs de la trempe d’un Gilles Deleuze et d’un Félix Guattari pour être théâtralisé. Dans la mesure où Artaud revendique explicitement la postulation d’une dimension métaphysique et récuse toute dimension religieuse, on peut dire que la sphère ontologique ainsi définie est le plan du virtualisé pour ne pas dire celui du subtil

[15]. Ce virtuel (du latin virtus, force), qu’on peut appeler, si on adopte le point de vue de l’être qui, du fait de sa création s’en est trouvé séparé, du potentiel, ne peut jamais être réalisé. A tout le moins, grâce à la mise en scène théâtrale (qui retrouve toute sa puissance médiatisante) peut-on l’actualiser, faire sentir l’instant d’une performance, sa possibilité: « le théâtre est le seul endroit au monde où un geste fait ne se recommence pas deux fois » (ARTAUD, 1938, 117). La scène est une éclaircie où l’être peut apparaître, c'est-à-dire être (re)vécu. Grâce au jeu théâtral authentique il devient possible d’opérer une mimesis qui passe par deux étapes:

  1. La dé-organis-ation du corps appelé organisme (en tant qu’architecture d’organes) et la destruction de la perspective psychologique qui va avec,
  2. La recomposition du corps virtuel (CsO).

C’est à ce titre que l’acteur (devenu un véritable dasein) peut enfin revivre dans ce corps virtuel.

Le modèle du virtuel, inscrit dans un cadre métaphysique, appelle une logique du redoublement et de l’ombre (très platonicienne). Il semble, en effet, que ce ne soit uniquement qu’à travers l’actualisation de ce qui se dédouble ou qui reste dans une ombre, qu’on peut vivre l’expérience du CsO. Le théâtre est donc le lieu où le dasein ne cesse d’expérimenter la fascination: « L’esprit croit ce qu’il voit et fait ce qu’il croit: c’est le secret de la fascination. » (ARTAUD, 1964, 39). Au théâtre l’esprit jouit de ce qui l’attire et le tient à distance. Comme le dit si bien Antonin Artaud, le secret de la représentation théâtrale (qui rappelle étrangement celle de la peinture) tient à cette dialectique du savoir et de l’ignorance résumée dans un  croire qui guide l’action. A l’image de l’alchimiste et travaillant à rebours de la cosmogonie démoniaque du Démiurge (voir aussi le mythe mexicain du Quetzalcóatlla), le dramaturge recompose, ou en termes nietzschéens, (re)crée, une musique disséminée dans des corps-organes grâce à un ensemble d’opérations que nous avons appelées dans le schéma ci-dessous, dramaturgie. A la syntaxe de la dissémination répond périodiquement la contre-opération de la recomposition. Aux premiers dieux succèdent les dieux blancs, ces grands manitous qui manœuvrent dans l’ombre et envoûtent les corps. On voit se dessiner la temporalité dans laquelle se déploie la littérature. L’anarchie théâtrale est, en fait, un désordre créateur, une eschatologie régénératrice.

camara

Lorsque le mystique se projette, par la retraite, dans un univers transcendantal, Antonin Artaud, imprégnée de gnosticisme, se projette dans un univers métaphysique grâce au théâtre qui fonctionne comme un dispositif, une sorte d’installation permettant de réactiver l’Archi-Corps que le corps empirique empêche d’agir dans toute sa force. Ce corps (sôma) est envisagé chez les pythagoriciens comme un sêma (tombeau). Les rhizomes théâtraux ont pour vocation de libérer, comme le réalise la peste, le CsO tel que défini par Gilles Deleuze.

Le fait de prendre la pleine mesure des enjeux de la création théâtrale nous permet à la fois de nous livrer à son anthropologie et de déterminer sa temporalité: c'est-à-dire à la fois la manière dont elle tient compte de l’histoire (son historicité) et la manière dont elle réinvente le présent et le futur (son historialité).

 

3.La littérature entre histoire et devenir

L’attention extrême qu’Antonin Artaud accorde aux forces (plan virtuel) à l’œuvre derrière les formes qui ne sont que des matériaux récupérés à l’intérieur d’un projet de bricolage (plan actuel) lui permet d’échapper au piège de la critique idolâtre. Du reste les histoires littéraires des écrivains[16], du moins à partir du XIXe siècle, reprennent inlassablement le même schéma explicatif qui présente l’expérience d’un genre littéraire comme une remontée vers sa conception originaire. La forme que promeut l’écrivain se veut authentique par rapport aux pratiques contemporaines. De telles formes, notamment à partir du 19e siècle, sont disqualifiées au nom d’une critique de la civilisation occidentale appauvrissante. Celle-ci est considérée comme desséchante, sclérosante: c’est en fait une nouvelle cosmogonie. La littérature, d’après Antonin Artaud, est menacée par l’oubli de l’être du théâtre qui n’est, dans son essence, qu’un ersatz du CsO. A quelques variantes philosophiques près il reprend le même schéma qu’on retrouve chez les avant-gardistes et, plus tard, chez Heidegger: le motif central de l’oubli[17] qui suppose une constante remémoration. Du reste, chez Platon lui-même, l’exercice de pensée est un exercice de remémoration (réminiscence) qui nécessite la mémoire vive. Sous ce rapport, la littérature, dans son ensemble, au regard des genres qui fonctionnent comme des corps avec organes, est un immense théâtre. Rester fidèle à l’esprit de la littérature c’est se soumettre à un régime historique qui lutte inlassablement contre l’oubli au risque de s’installer dans une anarchie permanente. La littérature se réclame d’une nudité intransigeante. Sous ce rapport, la cruauté serait cette exigence qui fait que le créateur refuse de n’exister que dans le présent, c'est-à-dire dans le temps. Refuser le temps c’est refuser la civilisation avec son régime du progrès et s’installer dans un temps de la Nature qui n’est autre que celui du pur devenir:

On comprend donc que le théâtre, dans la mesure même où il demeure enfermé dans son langage, ou il reste en corrélation avec lui, doit rompre avec l’actualité, que son objet n’est pas de résoudre des conflits sociaux ou psychologiques, de servir de champ de bataille à des passions morales, mais d’exprimer objectivement des vérités secrètes, de faire venir au jour par des gestes actifs cette part de vérité enfouie sous les formes dans leurs rencontres avec le Devenir.

 

Faire cela, lier le théâtre aux possibilités de l’expression par les formes, et par tout ce qui est gestes, bruits, couleurs, plastiques, etc., c’est le rendre à sa destination primitive ; c’est le replacer dans son aspect religieux et métaphysique, c’est le réconcilier avec l’univers. (ARTAUD, 1938, 107-108)Pour échapper à cet oubli de l’essence d’une forme artistique, le créateur, qui se mue alors en recréateur, s’adosse évidemment à une forme originaire remontant aux sources du théâtre (c’est le cas des dionysies pour Friederich Nietzsche). Il se réenracine également à partir de formes étrangères (c’est le rôle du théâtre balinais dans le raisonnement artaudien). Le théâtre n’a d’avenir qu’en laissant libre cours à cet autre du théâtre que le corps impérialiste a arraisonné. C’est une telle posture théorique qu’emprunte Antonin Artraud qui n’hésite d’ailleurs pas à définir son entreprise comme une volonté de rendre au théâtre son souffle métaphysique. La métaphysique, comme chez son maître René Guénon, c’est ce plan de consistance que seul le théâtre, qui reprend les principes actifs de la poésie, peut manifester sur le plan phénoménal des signes. C’est dire que l’écriture, en ce qu’elle fixe la performance, en garde une trace, la trahit.

Ce procès de l’écriture, bien après celui célèbre de Platon, est un procès du texte qui à la fois enchaîne le jeu théâtral et aliène le CsO dans un régime inauthentique de la temporalité. A l’époque de reproduction de l’œuvre d’art (BENJAMIN, 1939), le travail de déchaînement de l’œuvre artistique est un travail diabolique, combattu comme une épidémie, l’épidémie par excellence qu’est la peste qui détruit le corps et laisse libre cours à ce qui ne peut être ressenti que comme du délire. Le procès de l’assujettissement du théâtre au texte est en même temps le procès de la civilisation occidentale assujettie à l’écriture et à une certaine forme de temporalité. Comme on le voit, si le rapport du théâtral (ce dispositif qui donne en spectacle le sacré) à l’écriture occidentale est sans équivoque, son rapport avec les autres techniques (éclairage, sonorisation, cinéma…) dans la mesure où elles peuvent accueillir une archi-écriture hiéroglyphique, sont plus pacifiques. C’est que pour dramatiser une réalité totale il faut un langage total et vivant qui convoque tous les sens pour les dés-organiser méthodiquement sur un plan fugace. L’écriture théâtrale ne peut être que mystérieuse, déstabilisatrice, se communiquant à tout le corps comme une peste. Pour ce faire, fidèle à lui-même, il convoque le modèle même de l’archi-écriture, l’écriture hiéroglyphique qui ne survit pas à sa performance et ne sort pas de l’état de trace. L’écriture, afin de ramener un peu de l’éclat d’Eurydice, se doit d’être à la mesure de la cruauté du démiurge. Le théâtral, ou, si on veut, le texte hiéroglyphique, ne saurait séjourner ailleurs que dans l’éclaircie d’une durée particulière. Il en est du poète comme d’Orphée. Sa musique peut captiver les Dieux, les faire sortir de leur réserve grâce à sa lyre, mais il ne peut contempler sa récompense que le regard tue. Son existence, comme celle de la littérature, est prisonnière de la temporalité de la cruauté, celle qui fait que l’homme, à l’image de Sisyphe, ne peut sortir de sa condition humaine. Il n’y a ou presque pas d’histoire (au sens de récit épique) ni de.la littérature ni dans la littérature.

A moins que cette récursivité ne soit une forme de temporalité qui rende compte de la littérature comme histoire. A moins que cet arbre qu’est la littérature, cette magnifique bibliothèque arborescente considérée dans son ensemble, dans ses élans, ses égarements et ses ressaisissements, ne dessine une certaine forme de progression fractale. Cette cruauté, à la nécessité, à la rigueur de laquelle la littérature est soumise, donne lieu à un récit qui n’est plus de l’ordre des conquêtes (celui de l’avoir) mais bien un récit initiatique qui est agrandissement de la lucidité, acceptation de la cruauté tragique (deux mots qui signifient la même réalité) comme lieu où un sens peut naître.

Une telle démarche semble ainsi priver le texte de toute historialité dans la mesure où les origines éclairent le présent à telle enseigne que l’avant-garde ne semble que retour du passé. Analyser ainsi la modernisation des formes d’arts du spectacle comme une chute c’est, également exclure du champ de l’interprétation l’historicité de l’œuvre d’art. C’est cette historicité qui oblige le créateur à actualiser la forme qu’il a élue en écrivant à partir de l’horizon de perception de son époque. Du coup ces simples différences superficielles n’empêchent pas que les structures spectaculaires restent fidèles à leurs fonctions premières, c'est-à-dire à leur origine, à la situation qui les ont vu naître. Pour être spectaculaire, le texte a besoin de se retremper à ses sources mais, avant que de pouvoir décoller, la fusée théâtrale doit tenir compte du corps. C’est à partir de l’actuel que la théâtralisation peut dévoiler le virtuel/potentiel:

En outre, cette nécessité pour le théâtre de se retremper aux sources d’une poésie éternellement passionnante et sensible pour les parties les plus reculées et les plus distraites du public, étant réalisée par le retour aux vieux Mythes primitifs, nous demanderons à la mise en scène et non au texte le soin de matérialiser et surtout actualiser ces vieux conflits, c'est-à-dire que ces thèmes seront transportés directement sur le théâtre et matérialisés en mouvement, en expressions et en gestes avant d’être coulés dans les mouvements. Ainsi, nous renoncerons à la superstition théâtrale du texte et à la dictature de l’écrivain. (ARTAUD, 1938, 191)

 

Des facteurs comme les environnements démographiques, technologique n’affectent pas l’économie sémiotique originaire du théâtre. La dimension religieuse très prégnante dans le théâtre originaire est simplement repliée mais tout aussi présente et structurante dans le théâtre moderne. Il n’y a de rupture épistémologique que dans la configuration des formes expressives. Une intention dramatique étant donnée, le créateur, sinon invente, du moins se meut dans des cadres figuratifs qui puissent l’accueillir. Certes l’histoire des lieux montre que des décors nus aux grands monuments, une immense transformation s’est accomplie. Il n’en demeure pas moins qu’en tant que catégorie anthropologique, le théâtral est plus que jamais vivant. Les formes artistiques sont des espaces mentaux, des lieux où un certain nombre d’affects sont libérés, comme lorsque l’on crève un abcès:

Il semble que par la peste et collectivement un gigantesque abcès, tant moral que social, se vide ; et de même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès ». […] L’action du théâtre comme celle de la peste, est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie … ; et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elles n’auraient jamais eue sans cela. » (ARTAUD, 1938, 45-46)

 

Au même titre que la littérature en général, le théâtre est un laboratoire, une dramaturgie « publique » où sont expérimentées certaines valeurs. La démarche d’Antonin Artaud valide une telle lecture dans la mesure où, grâce au théâtre, certains aspects de la vie affective, comme en situation de peste, peuvent prendre leur essor. D’après son approche épidémiologique, la métaphore de la peste sert à présenter l’espace théâtral comme un espace dramatique et collectif, un espace anarchique à l’intérieur duquel on peut briser les barrières des organismes pour permettre à un certain nombre de symptômes de se donner libre cours.

Si les théâtres varient considérablement dans l’espace et dans le temps, le théâtral demeure inchangé, quoique de manière plus cachée. Du coup notre phénoménologie du genre théâtral est, de fait, une archéologie qui permet de remonter aux origines du spectaculaire. Le théâtre reste, de bout en bout, une expérience de l’archaïsme, sa réactualisation rituelle. La dramatisation, qui est au cœur de l’action théâtrale, comme y invite Artaud, ne doit pas être alignée sur le paradigme de la mimésis imitative de rigueur dans l’esthétique classique et non dans sa pratique, mais sur le modèle des pratiques magiques, métaphysiques.

En termes sémiotiques on peut dire, pour nous résumer, que si les manifestations figuratives du théâtre changent, la visée profonde de l’expérience théâtrale demeure intacte. Ces structures originaires sont aux formes, par lesquelles elles s’incarnent, ce que le texte écrit est à la pièce jouée, c'est-à-dire des textes-fantômes, des décors et rôles dans l’attente d’être actualisés. Au reste, on n’a jamais fini d’explorer la puissance heuristique de la catégorie théâtrale. Non seulement elle est au cœur du discours mais le théâtre est partout présent. Tout lieu, pourvu que des acteurs et des spectateurs réels ou potentiels y soient présents, peut se transformer en scène: la vie sociale tout court est un enchevêtrement de théâtres.

 

Conclusion

Réfléchir sur l’histoire littéraire, c’est partir du principe qu’il y a de l’histoire qui ordonne les œuvres, que la littérature déploie une temporalité et se constitue à travers cette temporalité. Interroger l’historicité d’une œuvre (pour nous son inscription dans une temporalité littéraire) c’est fatalement s’interroger sur la littérarité. Si la littérature semble configurée comme le champ scientifique, elle en diffère par le fait que les valeurs à l’aune desquelles la place d’un auteur est évaluée sont totalement différentes. La littérarité d’un texte est mesurée par sa capacité à s’écarter de la norme, bref par ce qu’on appelle son originalité. Un auteur comme Hans Robert Jauss parle d’écarts esthétiques. Or, tout en faisant preuve d’originalité (sa remise en cause du théâtre contemporain est radicale), un dramaturge comme Antonin Artaud ne cesse d’inscrire sa subversion dans une certaine fidélité, comme si cette fidélité permettait un certain écart qui est considéré comme progrès de s’accomplir.

La fidélité à l’essence d’un genre, dans la mesure où cette essence est un esprit de liberté, exclut l’imitation. Ou plutôt cette imitation est la reprise d’une liberté qui ne cesse de « mettre en scène » une origine qui n’arrête de se déplacer: « la représentation théâtrale, nous dit Jacques Derrida, est finie, ne laisse derrière soi, derrière son actualité, aucune trace, aucun objet à emporter » (1967, 353). L’espace littéraire est un espace de fuite sans pause où une libération continuelle se donne libre cours. On comprend dès lors que certaines valeurs, notamment celles tragiques de liberté, y aient été forgées. Cette origine qui a présidé à l’épiphanie de cette manière d’être souverain qui s’appelle littérature ne cesse de se dérober vers un abîme sans fond. Pour qui a compris ce que littérature implique, les Anciens sont moins des modèles à suivre que des exemples à imiter pour leur capacité à exceller dans l’art difficile d’échapper au ronron en faisant preuve d’originalité. Etre original c’est, d’une manière aussi déroutante et énigmatique, devenir origine d’un sens absolu qui ne survit pas à son énonciateur.

Rester fidèle à l’essence du théâtre, c'est-à-dire faire preuve d’originalité, dans le champ historique de l’histoire littéraire, nous avons dit que c’est déplacer (déconstruire, poétiser) une forme sitôt qu’elle a perdu sa force. L’anarchie dans laquelle nous plonge le dramaturge défait heureusement toute origine qui ne s’affiche pas comme abîme. C’est pour cette raison, obéissant en quelque sorte à un rituel à quoi Antonin Artaud réduit l’énonciation littéraire, l’écrivain ne peut pas ne pas convoquer le spectre des origines. Ce sont ces doubles, sur la trace desquelles le dramaturge (acteur, metteur en scène) opère, qui légitiment, en quelque sorte, la parole littéraire. L’analyse d’Artaud fait régulièrement intervenir ces figures omniprésentes dans leur absence, ces corps fantômes qui hantent la performance artistique. S’inscrivant en droite ligne dans l’exigence métaphysique à l’intérieur de laquelle il conçoit l’œuvre, ces figures arrachent l’œuvre de la temporalité ordinaire. En s’originant dans une parole sans origine, Artaud disqualifie toute généalogie qui idolâtrerait une et ou des anciens comme le firent Boileau et ses disciples au XVIIe siècle dans la querelle très célèbre des anciens et des modernes, tout comme il est erroné de fonder une école comme s’il y avait une grammaire de l’art. Artaud l’a bien compris en convoquant l’autre du théâtre dit psychologique, le théâtre balinais. La convocation de ce théâtre doit être comprise comme la simple figuration de cet autre du théâtre vers lequel pointe le théâtre authentique.

L’évolution littéraire, telle que la vit l’écrivain, est fidélité à une origine fondatrice qui, par son refus de toute origine, se définit comme mouvement de différance. Présenté comme surgi de nulle part, excédant son époque, le texte, au nom de sa littérarité, ne cesse cependant de se référer au Père fantôme. En se déplaçant ainsi vers l’abyme, le texte déploie une temporalité qui résiste à la temporalité empirique et la comprend. L’œuvre est oubli ou remémoration de l’illo tempore. Ne voilà-t-il pas un régime temporel rappelant sans cesse l’origine sans lieu au contraire d’une sphère pour laquelle le monde court vers sa chute?

 

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[1] On parlerait alors avec Isabelle Drouet, d’une causalité cyclique.

[2] Nous utiliserons dans certains passages de notre analyse l’expression histoire littéraire comme terme générique subsumant l’histoire de la littérature et l’histoire littéraire proprement dite –voir l’article de Didjack Faye ici-même.

[3]Voir (FUMAROLI, 2001).

[4] Nous nous référerons tout le long de cet article à son Le théâtre et son double publié pour la première fois en 1938 et réédité chez Gallimard (Idées) en 1964.

[5] Le verbe vivre a un sens très précis et très élevé chez Antonin Artaud.

[6] “L’ivresse dionysiaque tente (…) de conférer au corps de chacun le pouvoir de vagabonder en dehors des cadres de l’ici et du maintenant qui lui sont assignés; telle est la raison pour laquelle, dans le culte de Dionysos, le vertige joue un rôle si important: il vise à mettre hors de lui-même celui qui s’abandonne à des tourbillons qui l’engloutissent dans l’océan d’une sensation illimitée où toutes les synesthésies sont permises. (…) Dionysos promet la dilatation du moi jusqu’aux frontières du monde et prétend briser l’étroite prison corporelle dont chaque homme est prisonnier, en lui faisant goûter l’extase d’une vie infinie. Ainsi, Dionysos, maître du temps et de l’espace, se veut l’évangéliste d’une sensation cosmique.”  (BRUN, 1976, 18).

[7]Pour la distinction entre desconventions constituantes, desconventions régulatriceset desconventions traditionnelles (voir Schaeffer, 1989)

[8] Au sens que Georges Bataille donne à ce mot dans l’expérience intérieure (1943).

[9] « Les religions parlent de salut. Le mysticisme d’union, l’initiatique de réalisation, l’ésotérisme de délivrance: telle est leur fin dernière. La délivrance est négativement, abandon de certains liens, positivement, accession à un certain état. » (RIFFARD, 1993, 98).

[10] « Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim. », « Il faut insister sur cette idée de la culture en action et qui devient en nous comme un nouvel organe, une sorte de souffle second. […]. La civilisation c’est de la culture qu’on applique et qui régit jusqu’à nos actions les plus subtiles, l’esprit présent dans les choses ; et c’est artificiellement qu’on sépare la civilisation de la culture et qu’il y a deux mots pour signifier une seule et identique action. » (ARTAUD, 1938, 11-12).

[11] Par exemple par l’humour (qui fait écho à la distanciation brechtienne): ARTAUD, 1938, 193, 214, 63, 64, 140.

[12]Ce concept de rhizome est ainsi défini par Gilles Deleuze et Félix Guattari: « Résumons les caractères principaux d’un rhizome: à la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes.Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple. Il n’est pas l’Un qui devient deux, ni même qui deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc. Il n’est pas un multiple qui dérive de l’Un, ni auquel l’Un s’ajouterait (n + 1). Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde.Il constitue des multiplicités linéaires à n dimensions, sans sujet ni objet, étalables sur un plan de consistance, et dont l’Un est toujours soustrait (n - 1). Une telle multiplicité ne varie pas ses dimensions sans changer de nature en elle-même et se métamorphoser. À l’opposé d’une structure qui se définit par un ensemble de points et de positions, de rapports binaires entre ces points et de relations biunivoques entre ces positions, le rhizome n’est fait que de lignes: lignes de segmentarité, de stratification, comme dimensions, mais aussi ligne de fuite ou de déterritorialisation comme dimension maximale d’après laquelle, en la suivant, la multiplicité se métamorphose en changeant de nature. » (DELEUZE et GUATTARI, 1980, 30-31)

[13] Est élevé au rang de symbole tout élément de la réalité qui a conservé les traces de la force qui est ainsi actualisée.

[14] Par ce texte nous voulons faire résonner ce mot avec le mot liturgie qui étymologiquement vient duλειτουργία/ leitourgía, de l'adjectif λειτος/ leïtos, « public », dérivé deλεώς=λαός/ laos, « peuple » et dunom communργον/ ergon, « action, œuvre, service »

[15] « Est subtil ce qui, du point de vue de la connaissance, est peu ou pas accessible par les moyens habituels (sens, raison, science), ce qui, du point de vue de l’être, relève d’énergies moins matérielles, moins dominantes que les énergies physiques (mécanique, électrique, chimique). » (RIFFARD, 1993, 319).

[16]Voir à ce propos Vincent Debaene,Jean-Louis Jeannelle,Marielle MacéetMichel Murat. L’histoire littéraire des écrivains. Paris: PU Paris-Sorbonne, 2013. Dans le « prière d’insérer » de leur ouvrage, ces auteurs définissent ainsil’histoire littéraire des écrivains « Nous désignons par ce terme un ensemble de textes, de formes esthétiques et de pratiques éditoriales, qui depuis le XIXe siècle ont façonné l’idée que nous nous faisons de la littérature. L’importance de cette histoire racontée et construite par les écrivains eux-mêmes a été jusqu’ici été méconnue. ».

[17] L'orphisme professe une démarche de purification de l'Homme, dont ledivinse combine avec letitan, ce dernier représentant une souillure. La mère deZagreus,Perséphone, est folle de rage. Elle interdit que l'homme, marque vivante de la faute des Titans, gagne le monde divin. Elle le condamne à errer de vie charnelle en vie charnelle, par le biais de l'oubli de son origine divine, ce qui se retrouve dans les croyances véhiculant laréincarnation, lamétempsycose, notamment développée dans lemythe d'Er, présenté dans le livre X deLa République, dePlaton.