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Introduction

Nous proposons dans ce texte de distinguer et présenter sommairement des grands aspects d’un texte littéraire, c’est-à-dire les différentes facettes que l’on peut y trouver. Nous introduirons d’abord la distinction entre cinq composantes de l’analyse de textes littéraires: (1) approche (par exemple, l’analyse thématique, la sémiotique); (2) aspect (par exemple, le fond, la forme, le style); (3) configuration (par exemple, le thème de l’amour); (4) proposition (par exemple, Hamlet n’aime pas vraiment Ophélie) et (5) corpus (par exemple, les tragédies de Shakespeare). Puis nous présenterons des grands aspects du texte littéraire que peut considérer une analyse; nous en distinguons une trentaine (fond, forme; genre; etc.).

 

A. Les composantes de l’analyse:

1. Présentation générale

L’analyse de produits sémiotiques (par exemple, des textes) se réalise dans la combinaison des composantes suivantes: un ou plusieurs corpus, une ou plusieurs approches, un ou plusieurs aspects, une ou plusieurs configurations et une ou plusieurs propositions. Notre propos visera l’analyse de textes littéraires; mais il peut convenir, avec ou sans ajustements, à d’autres formes d’analyses littéraires. Pour une typologie des analyses littéraires, voir le chapitre « Objets possibles pour une analyse ».

L’approche est l’outil avec lequel on envisage l’objet d’étude. « Approche » est un concept plus général que celui de « théorie », en ce qu’une théorie n’est pas nécessairement destinée directement à l’application et en ce que toute analyse n’est pas nécessairement la mise en œuvre consciente, explicite et soutenue d’une théorie. Cependant, toute analyse présuppose une approche et toute approche présuppose une théorie littéraire, fût-elle rudimentaire et non conscientisée. Par exemple, en littérature, une analyse thématique traditionnelle ne repose pas à proprement parler sur une théorie explicitée; la micro-lecture est plus une méthode d’analyse qu’une théorie. Une typologie des approches peut être trouvée dans Hébert, 2014 et 2013.

L’approche est donc le « comment ». L’approche comporte des concepts, un « programme » indiquant la manière de les utiliser dans l’analyse et d’autres éléments méthodologiques, que ces éléments soient intégrés dans l’approche proprement dite ou propres à l’analyse en cours.

L’aspect est la facette de l’objet d’étude que l’on analyse. Pour prendre un exemple simple, traditionnellement on considère qu’un texte se divise sans reste (et en principe sans recouvrements, mais ce n’est pas si sûr) en deux parties ou deux aspects: le fond (les contenus, notamment les thèmes) et la forme (la manière de présenter les contenus). Un aspect peut se décomposer en sous-aspects, c’est le cas notamment des aspects fond (thème, motif, etc.) et forme (ton, rythme, etc.).

Ce que nous appelons la « configuration » est l’élément particulier visé dans l’aspect, par exemple l’amour pour l’aspect thématique. L’aspect et la configuration sont donc le « quoi ».

Il faut distinguer la configuration et le sous-aspect. Par exemple, si l’on considère que l’analyse thématique porte soit sur des thèmes soit sur des motifs, thèmes et motifs sont alors des sous-aspects mais pas des configurations. Par contre, le motif de la femme méprisée dans Hamlet sera une configuration.

Ce que nous appelons la « proposition » est la forme particulière que prend la configuration dans l’objet d’étude selon l’analyste, proposition que l’analyse s’assure de valider ou d’invalider (par exemple: Hamlet n’est pas véritablement amoureux d’Ophélie). Si cette proposition est centrale dans l’analyse, elle peut être élevée au rang d’hypothèse globale. Sur l’hypothèse, voir Hébert, 2014. La proposition est donc le « ce qu’on dit du quoi » (en termes techniques, le quoi est le sujet et le ce qu’on en dit, le prédicat). La proposition est appuyée par une argumentation, laquelle est constituée d’arguments de nature et en nombre variables.

            Un corpus, au sens large, est constitué d’un produit ou plusieurs produits sémiotiques (par exemple, des textes) intégraux, choisis par inclination (corpus d’élection) ou retenus par critères « objectifs », et qui font l’objet d’une analyse. Au sens restreint, il s’agit d’un produit ou d’un groupe de produits sémiotiques intégraux retenus sur la base de critères objectifs, conscients, explicites, rigoureux et pertinents pour l’application souhaitée. Des approfondissements sur le corpus peuvent être trouvés dans Hébert 2014 et 2013.

 

2. Approfondissement sur les aspects et approches

            2.1 Combinaisons aspect-approche

            Posons que chaque objet d’analyse, dont le texte littéraire, est décomposable en aspects (parties, composantes, facettes, niveaux, dimensions, composantes, etc.) et que les diverses approches (grilles, théories, modèles, dispositifs, méthodes critiques, etc.) de cet objet se distinguent principalement en fonction des aspects qu’elles visent.

            Il est possible qu’une approche ne soit valable que pour un aspect (une approche pourra prétendre être la seule à même de rendre compte de tel aspect ou être celle qui en rend mieux compte). Par exemple, la narratologie ne touche, en principe, que la dimension narratologique du texte; la stylistique ne touche en principe que, justement, la partie stylistique d’un texte, dont, en principe, elle est la mieux à même de pouvoir rendre compte.

            Inversement, une même approche pourra étudier plusieurs aspects du texte. Cependant dans ce cas, en général, ces aspects distincts se laissent englober, d’une manière ou d’une autre, constituant en cela des sous-aspects. Ainsi, la sémiotique, la discipline qui notamment décrit les signes, s’applique autant aux signifiés (les contenus des signes) qu’aux signifiants (les formes qui véhiculent ces contenus), mais ces deux parties ne constituent que les sous-aspects du signe, qui est l’objet même de la sémiotique. Cela étant, rien n’empêche de constituer des approches composites, par exemple en mélangeant une analyse narratologique et une analyse stylistique. Comme pour tous les mélanges, celui-ci doit être légitime (il est des théories quasi-impossibles à mélanger parce que reposant sur des hypothèses, postulats opposés) et dynamique (il ne s’agit pas de faire une analyse narratologique et en parallèle une analyse stylistique mais de faire « converser » ces deux analyses).

          

 

2.2 Portée des aspects

            Certains aspects ne portent pas pour tous les produits d’un même corpus (par exemple, la versification ne s'applique pas, sauf exception rarissime, au roman et pas complètement pour la poésie non versifiée). Dans certains cas, un aspect recouvrera en totalité ou en partie un ou plusieurs autres aspects. Par exemple, l’analyse du rythme présuppose celle de la disposition des unités et en conséquence le rythme englobe une partie si ce n’est la totalité de la disposition (même si des analyses de la disposition peuvent en principe ne pas toucher au rythme); l’analyse des contenus englobe et dépasse celle des thèmes, puisque tous les contenus ne sont pas des thèmes au sens traditionnel du mot.

            2.3 Recoupements entre aspects et approches

            Un élément d’un texte peut relever de plusieurs aspects Par exemple, la majuscule, particularité graphique et grammaticale, peut participer également de phénomènes sémantiques et rhétoriques, comme le soulignement ou la personnification (laquelle touche également la dimension symbolique).

            Des approches sont susceptibles de se recouper en (bonne) partie, par exemple la stylistique et la rhétorique (on a pu dire que la stylistique est la rhétorique des modernes). Des aspects sont susceptibles de se recouper en (bonne) partie, par exemple les thèmes et les signifiés.

            Des aspects pourront correspondre à des sémiotiques (des langages) se manifestant au sein du même objet, que cet objet soit proprement polysémiotique (par exemple, le théâtre: parole, geste, musique, etc.) ou qu’il soit polysémiotique uniquement dans sa diversité interne (par exemple, dans un texte, la ponctuation en tant que système autonome de signes, distinct de celui formé par les mots).

 

            2.4 Valorisation des aspects

            Du point de vue de la production ou de la réception, on pourra valoriser différemment les aspects dégagés dans la typologie des aspects. Par exemple, fond et forme sont censés, traditionnellement du moins, rendre compte sans résidu de l’ensemble du texte (et, plus généralement, de tout produit sémiotique): tout y est soit fond, soit forme. Certains genres, mouvements, courants, périodes, écoles, auteurs valoriseront l’un ou l’autre. Par exemple, les « formalistes » valorisent la forme. Cette valorisation d’un aspect donné se manifeste notamment: dans le temps de production investi dans cet aspect (en principe, il sera plus élevé pour l’aspect valorisé, par exemple pour les thèmes dans le cas des « substantialistes »); dans les jugements sur cet aspect éventuellement présents dans le texte lui-même; dans le temps de réception accordé à cet aspect (en principe, pour une œuvre substantialiste, on accordera plus d’importance à l’analyse du fond qu’à celle de la forme).

            Prenons un exemple moins simpliste que l’opposition fond/forme, d’ailleurs contestable. Considérons que la représentation théâtrale implique plus d’une douzaine de « langages » ou sémiotiques (parole, décor, accessoire, musique, etc.). Ces sémiotiques pourront être présentes/absentes dans une classe, un type d’œuvres (un genre par exemple) ou une œuvre donnée. Cette présence/absence pourra être éventuellement quantifiée ou en tout cas qualifiée en termes d’intensité (les costumes sont-ils un peu, moyen, fortement présents dans cette œuvre?). Ces sémiotiques pourront être caractérisées aussi qualitativement ailleurs que dans leur présence/absence (par exemple, tous les costumes porteront une tache rouge). Enfin, les différentes sémiotiques pourront être hiérarchisées entre elles. Par exemple, dans la dramaturgie moderne, au contraire de la dramaturgie traditionnelle, on tend souvent à considérer que la parole n’est qu’une sémiotique parmi d’autres, et on ne la mettra donc pas nécessairement au premier plan. La structure de l’œuvre peut même tendre à l’équivalence de chaque sémiotique, produisant une sorte structure neutre ou aucune sémiotique ne ressort vraiment globalement (même si ponctuellement, localement il peut en être autrement).

 

B. Aspects du texte littéraire

            Plutôt que de dresser un impossible inventaire des aspects du texte en tenant compte de la variation de cet inventaire en fonction des différentes conceptions du texte et de ses aspects, d’un théoricien ou d’une époque à l’autre, nous avons décidé de privilégier, pour l’essentiel, une approche raisonnée plutôt qu’encyclopédique.

            Cet inventaire[1] des aspects ne présente pas directement une méthode d'analyse, mais quelques angles d'analyse d'une œuvre (par exemple, il ne suffit pas, pour obtenir une analyse satisfaisante, de repérer quelques phénomènes dans un texte et de les classer sous les divers aspects). Si, pour produire une analyse, on prend plusieurs aspects, en général on choisira des aspects qui sont complémentaires en eux-mêmes (par exemple, grammaire et syntaxe; disposition et rythme) ou dont on pourra faire état des relations particulières qu’ils entretiennent entre eux dans l’œuvre analysée. On évitera donc des analyses « en vrac », où l’on passe d’un aspect à un autre sans que des relations explicites et significatives soient établies et interprétées (par exemple, on évitera de faire une analyse de la versification d’un poème et une analyse de ses thèmes sans montrer les relations entre ces deux aspects).

 

1. Connotation, dénotation

            Kerbrat-Orecchioni (2002: 425) propose ces définitions et ces exemplifications des concepts de dénotation et de connotation en linguistique (ils ont d’autres sens en logique et en philosophie):

On peut considérer que le contenu sémantique d'une unité linguistique quelconque se décompose en deux types de composantes: les traits dénotatifs, qui seuls interviennent directement dans le mécanisme référentiel, reflètent les propriétés objectives de l'objet dénoté, et sont seuls en principe impliqués dans la valeur de vérité de l'énoncé ; les traits connotatifs, qui jouent certes un rôle non négligeable dans le choix du signifiant, mais dont la pertinence se détermine par rapport à d'autres considérations que celle de la stricte adéquation au référent. On en donnera deux exemples: 1) Le contenu de “fauteuil” s'oppose dénotativement à celui de “chaise” sur la base du trait [du sème] /avec accoudoirs/ vs /sans accoudoirs/ […] Mais le terme connote en outre l'idée de confort: même si tous les fauteuils ne possèdent pas nécessairement cette propriété, le trait [confortable] vient s'inscrire dans “l'image associée” au concept par la masse parlante, et surdéterminer le contenu sémique de l'item. 2) “chaussure” s'oppose dénotativement à “chaussette”, mais connotativement à “godasse”: ces deux termes ont en effet la même extension ; ce n'est donc pas la nature du référent qui détermine dans ce cas le choix du signifiant, mais les caractéristiques de la situation de communication (connotation de type “niveau de langue”).

Nous ajouterons qu’un terme connoté et son correspondant que nous dirons non connoté (en fait, la connotation est toujours symétrique) peuvent ne pas partager la même extension, le même inventaire: par exemple, « cheval » (neutre) est plus extensif que « canasson » (péjoratif), dont il englobe l’extension.

            L’auteure (2002: 425) rappelle que, comme toute unité sémiotique, une unité de connotation se décompose en signifiant (Sa) (la forme du signe) et signifié (Sé) (le contenu du signe), même si « [o]n a souvent tendance à appeler “connotations" les seuls contenus connotés. »

La connotation peut se loger à différents endroits:

La connotation peut en effet investir le matériel phonique, prosodique ou graphique (problème des “phonostylèmes”, de l'“accent” régional, du symbolisme des sons, des jeux phonique et typographiques...) ; elle peut exploiter une structure morphologique, une construction syntaxique, une unité lexicale, ou même le dénoté discursif... Ces divers éléments pouvant être source de connotations, on voit que leur support est selon les cas de dimension inférieure, égale, ou supérieure à celle du mot. D'autre part, les connotateurs fonctionnent volontiers en réseaux: c'est sur une constellation de faits hétérogènes que repose souvent, dans un texte donné, son contenu connoté. Mais il ne faudrait pas pour autant ramener toutes les connotations à des fait de “parole”: si certaines d'entre elles sont individuelles (propres à un sujet, ou à un idiolecte textuel), d'autres sont en revanche codées en langue [par exemple, les connotations péjoratives de “ –ard ”, dans “chauffard”, “criard”, etc.]. 

Comme l’auteure le signale à propos du dénoté, le signifiant de connotation peut être un contenu, un signifié. Mais nous ajouterons qu’il peut être un contenu connotatif. Par exemple, si pour un locuteur misogyne « Femme » contient le trait connotatif /négatif/, pour son interlocuteur qui ne l’est pas, /négatif/ mènera à la connotation /misogyne/. Plutôt que de considérer que l’unité source de la connotation est un signifiant de connotation et l’unité but un signifié de connotation, on peut également considérer que l’unité source est un interprétant (c’est-à-dire une unité ayant une incidence sur le contenu) et l’unité but un sème et/ou un signifié.

Kerbrat-Orecchioni (2002: 425-426) propose ce classement des signifiés de connotation:

Les connotations qui viennent enrichir la représentation du référent à la faveur de divers mécanismes associatifs (tout mot connote en effet ses propres paronymes, synonymes, ou homonymes), ou de divers jeux sur le signifiant (trope, calembour, allusion, etc.). - Les connotations “stylistiques”, qui signalent que le message procède d'un sous-code particulier (ou “lecte”): variante diachronique (connotations archaïques ou modernistes), dialectale (“septante”), “sociolectale” (termes propres à un milieu socio-culturel), “idiolectale” (termes propres à une formation idéologique), ou “typolectale” (termes propres à un type de discours particulier -- ainsi “onde” ou “azur” sont-ils marqués d'une connotation “poétique”). - Les connotations “énonciatives”, qui fournissent des informations sur le locuteur et la situation de communication: on y retrouvera certaines des catégories précédentes (le problème des “niveaux de langue” relevant à la fois du style et de l'énonciation), aux côtés des connotations “axiologiques” (péjoratives ou mélioratives), ou affectives (valeurs “émotionnelles”, dont Bally a tenté l'inventaire, et que prétend mesurer le “différenciateur sémantique” d'Osgood). 

Les connotations sont tantôt valorisées (comme en littérature) tantôt dévalorisées (comme dans certaines théories linguistiques). Leur « domaine de pertinence s'étend sur l'ensemble des systèmes sémiotiques (les connotations sont en effet massivement présentes dans les messages iconiques, filmiques, musicaux, gestuels, etc.). » (Kerbrat-Orecchioni, 2002: 426)

 

2. Contexte

            Le contexte d’une unité est un « milieu » qui l’« entoure », fait d’unités (termes, relations entre ces termes, opérations, etc.), de même nature ou non qu’elle (par exemple, des mots comme contexte d’un mot), qui soit ont une incidence sur elle en la déterminant plus ou moins, soit n’ont pas d’incidence sur elle et donc ne la détermine pas. L’incidence peut se produire sur l’un et/ou l’autre des aspects d’un produit sémiotique (signifiants, signifiés, genre, style, etc.). On peut élargir la définition de « contexte » et distinguer (en enrichissant une typologie de Rastier): (1) le contexte actif, celui qui a une incidence sur l’unité analysée; (2) le contexte passif, celui sur lequel l’unité analysée a une incidence; et deux contextes inertes: (3) le contexte non actif, celui qui n’a pas d’incidence sur l’unité; (4) le contexte non passif, celui sur lequel l’unité n’a pas d’incidence.

            On peut distinguer entre le contexte interne et le contexte externe. L’intériorité et l’extériorité sont alors définies par une frontière qui est celle du produit sémiotique en cause (par exemple, un texte). Le contexte interne est soit monosémiotique (par exemple, pour un texte ordinaire), soit polysémiotique (par exemple, pour un texte illustré). Le préfixe « co- » peut servir à désigner le contexte interne, que ce contexte soit de même sémiotique ou d’une autre sémiotique que l’unité analysée. Par exemple, le cotexte d’une unité désigne, dans un texte, l’ensemble des autres signes textuels. S’il s’agit d’un texte ordinaire, l’unité analysée et son cotexte correspondent sans reste au produit sémiotique. S’il s’agit d’un texte illustré, le cotexte et l’unité analysée laissent de côté les images; parler de coproduit d’une unité permet alors d’inclure dans le contexte et les unités textuelles et les unités imagiques. On peut distinguer de nombreuses formes de contextes externes: biographique (sous l’angle historique ou psychologique; voir Psychologie), sociologique (voir Société), historique (la grande et la petite histoire), socioculturel, artistique et esthétique, scientifique, politique, idéologique, les autres œuvres du même auteur ou d’autres auteurs, etc. Les cinq grandes variables contextuelles externes sont le producteur, le récepteur, le temps, l’espace et la culture. Évidemment, le temps, l’espace et la culture du producteur et du récepteur peuvent être les mêmes ou encore être différents (par exemple, un lecteur étranger non contemporain d’un roman qu’il lit); il faut donc distinguer le contexte de production et le contexte de réception.

            De même que le producteur (volontairement ou involontairement), la production, le récepteur attendu (et donc celui non attendu), la réception attendue (et donc celle non attendue) se reflètent toujours dans le produit, le contexte se reflète toujours dans le produit (par exemple, même une utopie de science-fiction « parle » de l’époque contemporaine, fût-ce par la négative ou par l’omission significative). En effet, tout signe s’offre dans une triple perspective, selon Bühler: symbole relativement au référent (ce dont on parle), signal relativement au récepteur et indice (ou symptôme) relativement au producteur.

            Tout produit est affecté par le contexte et, ne serait-ce que pour cette raison, le reflète donc; tout produit affecte plus ou moins, en rétroaction, le contexte qui l’a vu naître et qui s’en trouve ainsi changé. Tel texte mineur a eu un impact mineur voire nul ou quasi-nul sur le contexte; mais des textes peuvent avoir eu et avoir encore un impact majeur: par exemple, la Bible.

            Les approches dites contextuelles (par exemple, l’histoire littéraire pour les textes), en tant qu’elles excluent méthodologiquement l’immanence de l’œuvre, et les approches dites immanentes (par exemple, la sémiotique, la rhétorique), en tant qu’elles excluent méthodologiquement le contexte de l’œuvre, sont plus complémentaires qu’opposées, puisqu’il n’est pas possible de comprendre l’œuvre sans un minimum de contextualisation et de description interne.

 

3. Croyance, valeur, idéologie, argumentation

            Ce qui est impliqué dans les croyances, valeurs et idéologies, ce sont les modalités: déontiques (liées au devoir: obligations, interdictions, facultativités, licences, etc.; voir Écart et norme); thymiques (positif ou euphorique, négatif ou dysphorique, neutre ou aphorique, etc.); véridictoires (vrai, faux, etc.) et ontiques (factuel: cela existe; contrefactuel: impossible ou irréel; possible).

            La dialogique (Rastier) est la composante textuelle dont relèvent les éléments affectés d’une modalité. Les modalités sont des caractéristiques de grande généralité, regroupées par oppositions (de deux ou plus de deux éléments), affectées par un sujet observateur à un objet observé, objet dont la nature est alors reconnue comme infléchie par elles. Par exemple, Marie (sujet observateur) croit que la Terre est ronde (vrai et réel), qu’elle peut gagner à la loterie (vrai et possible) et elle aime le chocolat (positif ou euphorique). Sur la dialogique, voir Hébert 2007 et 2013.

            Il faut distinguer des sujets observateurs et des modalisations de référence et d’autres d’assomption. Les sujets et modalisations de référence sont associés à la vérité ultime du texte (en général le narrateur omniscient d’un texte est le sujet de référence). Les sujets d’assomption produisent des modalisations qui correspondent ou non aux modalisations de référence (par exemple, les modalisations de tel personnage seront données pour fausses par le narrateur). Les sujets observateurs sont de différents types: auteur empirique (c’est-à-dire réel, par exemple le Baudelaire réel), auteur construit (dégagé à partir du texte, par exemple le Baudelaire qu’on s’imagine à partir de ses textes), narrateur, personnages, narrataire (voir Histoire), lecteur construit (l’image que le texte donne du lecteur attendu), lecteur empirique (réel).

            Lorsque la modalité affectée à une même unité est différente d’un sujet à un autre, il y a conflit modal; lorsqu’elles sont identiques, il y a consensus modal. L’équilibre consensuel ou conflictuel peut être modifié par des conversions, par lesquelles les sujets changent de croyance modale.

            Une idéologie est une structure hiérarchisée de modalisations, essentiellement déontiques, onto-véridictoires et thymiques, propre à une société ou à un groupe social. On peut appeler « idioidéologie » l’idéologie d’un individu.

Un système de valeurs est une structure hiérarchisée de modalisations thymiques.

            L’argumentation est un processus visant à faire admettre la valeur d’une proposition logique, c’est-à-dire un couple fait d’un sujet (ce dont on parle: par exemple, Madame Bovary) et d’un prédicat (ce qu’on en dit: par exemple, ce personnage s’ennuie); la proposition peut être, notamment, une modalisation (le prédicat est alors une modalité) ou un ensemble de modalisations. L’argumentaire est l’ensemble des arguments validant ou invalidant une proposition logique. Sur l’argumentation, voir Hébert, 2014.

 

4. Disposition

            La disposition est le placement des unités (signifiants, signifiés, etc.) dans un substrat temporel (par exemple, la place respective des mots d’un roman ou des séquences d’un film) ou spatial (par exemple, la disposition des accessoires sur une scène).

            Dans la mesure où le rythme naît par la présence d’au moins deux unités (mais ce peut être la même unité répétée) disposées dans au moins deux positions successives, toute étude rythmique présuppose une étude dispositionnelle (voir Rythme). Mais toute analyse dispositionnelle n’intègre pas nécessairement une analyse rythmique (même si elle peut difficilement en faire l’économie et n’a pas intérêt à le faire). Voir le chapitre sur le rythme dans L’analyse des textes littéraires: vingt approches (http://www.signosemio.com/documents/approches-analyse-litteraire.pdf).

            La disposition est établie ou modifiée par les grandes opérations de transformation (voir Opération). L’adjonction, la suppression et la substitution modifient l’inventaire des unités; le placement établit la position des unités; le déplacement (dont la permutation est l’une des formes) la modifie; etc.

En suivant la terminologie de Rastier, la disposition des signifiants (par exemple, la forme des mots) peut être appelée distribution et celle des signifiés (par exemple le contenu d’un mot), tactique. Distribution et tactique ne correspondent pas exactement, puisque, par exemple, il existe des unités du signifié discontinues (par exemple, les isotopies) relativement aux signifiants qui les manifestent et que dans un même signifiant peuvent se « superposer » deux signifiés et plus (par exemple, un signifié littéral et un autre figuré), etc.). Sur la disposition, voir Hébert, 2012.

 

5. Écart, norme

            La littérature a été souvent définie comme un écart par rapport à une norme, cette norme pouvant varier d’une théorie à une autre (le texte scientifique, le degré zéro de l’expression, etc.). On a pu considérer le texte littéraire comme contenant des écarts, plus d’écarts que les textes non littéraires; et la poésie comme contenant plus d’écarts (et/ou des écarts différents) que les textes littéraires non poétiques. On a dit des textes littéraires des grands écrivains qu’ils violent les normes, sont au-delà des normes et/ou fondent leurs propres normes. La figure de style (par exemple, la métaphore) a été définie également comme un écart. De même que le style. Voir Style. D’autres notions littéraires sont plutôt envisagées comme des normes: la langue (les règles grammaticales, syntaxiques, morphologiques, etc.), les genres, les clichés narratifs (par exemple, l’arroseur arrosé) ou thématiques (par exemple, la femme fatale), etc.; ce qui n’empêche pas que ces normes – heureusement pour le bien de la littérature – puissent être non respectées (le théâtre de Michel Tremblay a enfreint la norme du théâtre québécois de son époque en introduisant le langage populaire appelé « joual »). Nos remarques peuvent s’appliquer, avec d’éventuels ajustements, à d’autres arts.

         Les notions d’écart et de normes peuvent évidemment servir à décrire des phénomènes non nécessairement littéraires ou artistiques: par exemple, le comique est toujours produit par un écart (glisser sur une pelure de banane n’est pas « normal »); la déviance psychologique est, comme le mot l’indique, un écart.

            Une norme peut être considérée comme une unité affectée d’une modalité déontique (c’est-à-dire relative au devoir-avoir, devoir-être et/ou devoir-faire). D’un point de vue logique, l’unité prend la valeur d’un sujet (ce dont on parle) et la modalité, d’un prédicat (ce qu’on en dit). On peut distinguer entre modalités déontiques attributives (modalisant par avoir ou par être) – par exemple, une maison doit avoir une porte – et modalités déontiques actionnelles (modalisant par faire) – par exemple, une guitare doit produire de la musique. Cependant, en définitive, une modalité déontique actionnelle se laisse analyser en modalité déontique attributive.

            Les modalités déontiques prennent quatre formes principales (nous les illustrons avec devoir et avoir, mais les même principes valent pour devoir et faire ainsi que devoir et être): (1) prescription (devoir avoir); (2) interdiction ou proscription (devoir ne pas avoir); (3) permissivité (ne pas devoir ne pas avoir); et (4) facultativité (ne pas devoir avoir). Les deux premières modalités peuvent être regroupées sous l’étiquette « obligation » et les deux dernière, sous l’étiquette « option ». La liberté, au sens restreint (0), s’applique pour ce qui n’est affecté d’aucune des modalités – et qui est donc, à cet égard, indécidé ou indéterminé –; au sens large (0 + 3 + 4), elle inclut aussi les options. Évidemment, un élément donné peut passer d’une modalité à une autre, par exemple de 1 vers 4, de 0 vers 1, etc. Par exemple, le romantisme poétique prescrivait le lyrisme (modalité 1); en réaction le mouvement du Parnasse l’a proscrit (modalité 2). Comment considérer les éléments qui, sans être obligatoires, sont néanmoins possibles et fréquents (par exemple, un conte n’a pas à mettre en scène un dragon, mais il n’est pas rare d’en voir)? Nous dirons que les modalités peuvent être vues comme catégorielles (sans gradation possible) ou comme graduelles. Les éléments non obligatoires mais possibles et fréquents tombent sous le coup d’une prescription graduelle; cela revient à dire qu’ils tombent en même temps sous le coup d’une facultativité graduelle, puisque interdiction et facultativité sont, lorsque graduels, en corrélation inverse (si l’un augmente l’autre diminue, etc.).

            Le mot « norme » convoque, fût-ce implicitement, celui d’« écart ». La norme ne prend sa valeur que relativement aux écarts attestés, probables voire simplement possibles; l’écart ne prend évidemment sa valeur que relativement à la norme qu’il met à l’épreuve. La perspective est relative: ce qui est une norme relativement à un écart est aussi un écart relativement à cet écart, etc. Il existe aussi des écarts de l’écart, qui sont donc des retours à la norme. Le contenu d’une norme ou d’un écart n’ont rien de substantiel et un même phénomène peut être à la fois norme et écart, en succession dans le temps ou dans un même temps. Par exemple, la versification de la poésie, norme jusqu’au XIXe siècle français, est un écart, par rapport à la norme actuelle, où la poésie est non versifiée (du moins la poésie « savante »). La versification était un écart par rapport à la langue standard, non versifiée, mais, en même temps, elle était la norme en poésie.

Le mot « norme » peut désigner deux choses: soit la « règle » et/ou le modèle abstrait, le type, qu’elle fonde; soit l’unité qui respecte cette règle et la réalise comme occurrence. Par exemple, « Le chat mange la souris. » est un énoncé qui, notamment, respecte les normes du français et les normes du vraisemblable. Cet énoncé, cette occurrence réalise donc ces deux normes. Le mot « écart » est, quant à lui, généralement employé uniquement pour désigner l’unité occurrence qui contrevient à la norme abstraite (la règle et/ou le type qu’elle fonde). Par exemple, « La souris mange le chat » est un écart par rapport à la norme du vraisemblable. Cependant, en plus d’avoir cet emploi, le mot peut désigner le processus d’écart et également la différence, la distance entre la norme et l’unité qui ne la respecte pas (par exemple, en statistiques).

            Une norme est toujours définie par une instance, collective ou individuelle. Pour un même phénomène, elle peut varier en fonction des facteurs de variabilité habituels: temps, espace, sujet observateur, culture, etc. Une loi, par exemple une loi naturelle (comme la gravité), est, en principe, immuable et non définie par une instance (à moins d’invoquer Dieu, la Nature, etc.). Les sciences de la nature reposent sur des lois; les sciences de la culture (dont les études littéraires), sur des normes.

            Posons qu’une norme est toujours définie dans un système. Nous avons dégagé ailleurs quatre grands systèmes qui interagissent dans un texte littéraire (voir Style). Par exemple, la langue (ou dialecte) est un tel système, mais également les sociolectes (qui définissent les discours, les genres, etc.) et les idiolectes (qui définissent le style d’un écrivain, etc.). Par exemple, Le sonnet du trou du cul de Rimbaud et Verlaine est un écart par rapport au genre sonnet, au sonnet modèle donc, qui suppose un sujet si ce n’est noble du moins non vulgaire.

            Norme et écart sont associés: à des prévisions, qui se réaliseront ou non; à des attentes, qui seront comblées ou non; à des euphories (satisfaction), dysphories (insatisfaction), aphories (indifférence), etc. Selon le cas, ce qui est attendu, c’est la norme (par exemple, dans une lettre administrative) ou l’écart (par exemple, dans un texte littéraire). Selon le cas, c’est la norme ou l’écart qui est souhaité et donc procure euphorie.

La norme indique, du côté de la production, d’un point de vue prescriptif (au sens large, en incluant toutes les modalités déontique), qu’on en soit conscient ou non, la forme que devrait prendre le produit ou une de ses parties. Du côté de la réception, elle peut être utilisée, d’un point de vue évaluatif, pour évaluer ce qui a été produit. Enfin, du côté de l’immanence du produit, du produit en lui-même, d’un point de vue descriptif, la norme correspond à ce qui a été effectué avec (la plus grande) régularité; on rejoint ici la norme statistique.

 

6. Espace

            L’espace est le substrat dans lequel se déploient les phénomènes bi ou tridimensionnels et l’effet de ce déploiement. De même que le temps est associé à la fois à une position et à une durée (définie par la différence entre deux positions), l’espace correspond à la fois à une position (définie dans deux ou trois dimensions) et à une étendue (aire ou volume). L’étendue spatiale se mesure en deux (surface) ou trois dimensions (volume), de même la position spatiale se donne en fonction de deux ou de trois dimensions. Mais il est également, en cela il n’est plus comparable au temps, une forme. Contrairement au temps (qui va du présent vers le futur), l’espace, l’espace ne possède pas a priori une orientation. L’espace est aussi l’organisation particulière d’un lieu naturel ou construit quelconque; on peut aussi parler d’organisation spatial.

            De même que la position temporelle est rapportée à un état donné d’une culture donnée (telle pièce écrite au XIXe reflète plus ou moins, fut-ce par la négative ou par l’omission significative, la culture de son époque), l’espace est rapporté à une culture donnée (telle pièce écrite en France plutôt que partout ailleurs et reflétant plus ou moins la culture française).

            De même qu’on peut distinguer cinq temps principaux en interaction dans une production textuelle (ou autre: film, etc.), on peut y distinguer cinq principales sortes d’espaces: (1) espace de la production (associé à l’auteur et à l’écriture: lieux où il écrit, lieux qui l’« habitent », qui l’ont habité); (2) espace thématisé dans la production: (2.1) espace montré ou représenté, (2.2) espace évoqué (par exemple un personnage en prison (espace représenté) rêve à la plage (espace évoqué)); (3) espace de la réception (lieux où se trouve le récepteur au moment de la réception, lieux qui l’habitent, qui l’ont habité). Voir Temps. Pour une pièce de théâtre, l’espace de la production est double: celui de l’écriture et celui de l’élaboration de la mise en scène. On peut également considérer comme espaces, susceptibles de structurations et de dispositions variées: la page et/ou la double page (la page de gauche avec celle de droite) du texte écrit; la surface d’un tableau, etc. Voir Disposition. De même que les relations temporelles incluent la succession et la simultanéité (ou concomitance), les relations spatiales incluent, notamment, la contiguïté et la superposition (spatiale). Voir Temps.

            Dans l’analyse des espaces, on notera notamment: le nombre d’espaces (espace dyadique, triadique, etc.); l’étendue des espaces, leur « ameublement » (personnes, objets qui s’y tiennent, processus qui s’y déroulent, etc.); la distance entre espaces; les espaces littéraux et métaphoriques (le salon bourgeois symbolisant l’enfer dans Huis clos de Sartre); les déplacements d’un espace à un autre et au sein d’un espace; l’ouverture (place publique, etc.), fermeture (labyrinthe, prison, etc.) des espace; leur accessibilité, inaccessibilité (lieu utopique); évidemment, leur caractère positif, neutre, négatif; l’indice de mobilité des personnages (nombre de déplacements); la nature iconique (espace représenté de manière réaliste), stylisé, symbolique des espaces; la nature réelle (par exemple, la vraie tour Eiffel), réaliste (par exemple, la tour Eiffel dans un roman réaliste) ou fictive (par exemple, l’Eldorado, l’Olympe). Sur l’espace, voir Hébert 2013.

 

7. Fond, forme

            Traditionnellement, on considère que le fond est ce dont on parle (les thèmes ou, plus généralement, les contenus ou signifiés,) et la forme, comment on en parle. Le fond peut être subdivisé en sujet – ce dont on parle proprement dit – et prédicat – ce qu’on en dit.

            Dans la forme, on place la versification, les genres, les styles, les procédés rhétoriques, les tons, les niveaux ou registres de langue, les champs lexicaux, les figures de style (voir Style), la structure des phrases, les temps et modes verbaux, la ponctuation, la structure du texte, la voix et le point de vue de narration, etc. (Lafortune et Morin, 1996: X) On a pu dire que le style est la forme du texte (Bénac et Réauté, 1993). Voir Style.

            En réalité, cette distinction, en apparence claire, ne cesse pas d’être problématique. L’opposition fond / forme ne recouvre pas celle de signifié (contenu) / signifiant (véhicule du contenu). Voir Signe. En effet, si le fond correspond grosso modo au signifié (même si des signifiés ne sont pas nécessairement des thèmes: par exemple, les signifiés grammaticaux) et que certains éléments de forme ressortissent du signifiant (par exemple, plusieurs aspects de la versification), d’autres éléments de la forme font intervenir des éléments du signifié (par exemple, les tons: comique, sérieux, etc.) voire sont composés uniquement de signifiés.

            Par ailleurs, il est sans doute possible de distinguer un fond et une forme des signifiants et un fond et une forme des signifiés (sur le modèle de Hjelmslev, qui parlait de substance et de forme). Le fond est alors la partie invariante et la forme, la mise en forme et l’une des manifestations possibles de cette partie.

            Par exemple, pour ce qui est des signifiés, le signifié général ‘mourir’ (fond) peut être manifesté par les signifiés particuliers ‘mourir’ (forme), ‘décéder’ (forme), ‘manger les pissenlits par la racine’ (forme), etc. Par exemple, pour ce qui est des signifiants, une rime en -oir (fond), peut être manifestée par les signifiants gloire / espoir (forme), gloire / devoir (forme), etc. Autre exemple pour les signifiants, si on prend comme fond des signifiants les phonèmes, alors l’agencement spécifique de ces phonèmes, dans un poème, par exemple, est la forme de ce fond.

            Fond et forme sont traditionnellement réputés indépendants (théorie fond/forme). Cette conception entretient des relations affines avec les théories essentialistes (notamment l’idéalisme platonicien): il y a quelque chose qui est manifesté par une forme. Elle entretient également des relations étroites avec la théorie ornementaliste, qui veut qu’une œuvre d’art soit un (bon) contenu agrémenté d’une forme attrayante (par exemple, des figures de rhétorique).

            Dans les approches modernes (théorie fond-forme) d’inspiration non essentialiste, on considère plutôt qu’un changement au fond implique un changement à la forme et vice-versa (« mourir » n'a pas exactement le même sens que « décéder »). Autrement dit, comme le postule Saussure pour le signifiant et le signifié, fond et forme sont unis par une relation de présupposition réciproque: si on change l’un, on change l’autre. C’est ce que semble indiquer Flaubert: «La forme ne peut se produire sans l'idée et l'idée sans la forme».

            Le formalisme désigne une théorie (par exemple, le formalisme russe, la sémiotique, la narratologie) qui met l’accent sur le texte en lui-même et sur les phénomènes proprement littéraires, plutôt que sur l’auteur, le lecteur et autres éléments contextuels ou « extérieurs » (dimension sociologique, etc.). Dans un sens plus large, le mot désigne également, en littérature et plus généralement dans les arts, la posture de production (par exemple, la rédaction d’un texte littéraire) qui met l’accent sur la forme plutôt que sur le contenu. La posture qui met l’accent sur le contenu peut être appelée « substantialisme » (dans un sens différent de celui qu’accordait Hjelmslev à « substance ») ou « contenuisme » (Dirkx, 2000: 72).

            Les œuvres, mouvements, poétiques, théories, genres, auteurs, etc., peuvent être classés en formalistes / substantialistes selon l'intérêt qu'ils portent à la forme ou au fond. De manière générale, le substantialisme  est valorisé au détriment du formalisme, ainsi que les tons qui leur sont souvent respectivement associés, le sérieux (profond) et le ludique (léger). Hugo est un substantialiste lorsqu’il affirme: « La poésie n’est pas dans la forme des idées, elle est dans les idées elles-mêmes. » Par contre, certaines esthétiques font l’inverse: celle d’Oulipo, par exemple, et, de manière générale, les esthétiques modernistes.

            L’opposition fond/forme est homologue, analogue à une série d’oppositions traditionnelles dans notre culture: âme / corps, être / paraître, intelligible / perceptible, etc. Ajoutons qu’elle est homologue à invariant / variable, général / particulier, type (modèle) / occurrence (manifestation du modèle), etc.

 

8. Genèse, variante, mise en livre

            La génétique textuelle est l’étude des brouillons (et épreuves, annotées ou non), conçus comme des avant-textes. Elle permet de rendre compte des modalités, causes et effets des opérations de transformations (ratures, ajouts, etc.) intervenues d’un avant-texte à un autre et d’un ou de tous les avant-textes au texte « final ». Nous dirons qu’elle peut également rendre compte de ces mêmes opérations intervenant d’une version d’un texte « final » à une autre (par exemple, les deux éditions anthumes, c’est-à-dire non posthumes, des Fleurs du mal).

            Un avant-texte introduit en principe des variantes par rapport à un autre avant-texte du même texte, s’il y en a un autre, et par rapport au texte final. Aux modifications opérées par l’auteur s’ajoutent celles, volontaires ou non, des instances éditoriales (coquilles, censure, etc.). Les instances éditoriale (éditeur, directeur de collection, typographe, etc.) font également, avec ou sans consultation avec l’auteur, des choix qui influent sur la production même si ces choix ne constituent pas toujours à proprement parler des modifications du texte: choix du format du livre, de la police, des couvertures, du tirage, de la distribution, de la promotion, etc. Lorsqu’il y a plusieurs éditions différentes, on peut comparer les variantes textuelles et livresques (médiatiques).

            La genèse, la traduction, l’adaptation, les réécritures internes (par exemple, les trois aventures principales des Trois petits cochons), etc., sont des opérations comparables qu’on peut englober sous l’appellation générale, selon le cas, de transposition (s’il y a passage d’un système à un autre: traduction, adaptation, réécritures internes en différents styles, etc.) ou de diaposition (s’il n’y a pas ce passage: les réécriture interne des Trois petits cochons) (voir Transtextualité); elles exploitent notamment les grandes opérations de transformation (voir Opération).

            La genèse et la génération constituent les deux grandes perspectives de la production (voir Noyau génératif).

 

9. Genre

            Tout produit sémiotique (texte, image, etc.) relève, fût-ce seulement par la négative, d’un ou de plusieurs genres. Un genre textuel peut être défini sous différents angles, notamment soit en tant que programme de normes, soit en tant que type associé à ce programme, soit en tant que classe de textes qui relèvent de ce type. Un genre est un programme de prescriptions (éléments qui doivent être présents), d’interdictions (éléments qui doivent être absents) et autres modalités déontiques (facultativités, permissivités, optionnalités, etc.). qui règlent la production et l’interprétation (la réception) des textes. Le genre, avec le corpus, le contexte externe, etc., fait partie des unités globales déterminant les unités locales, par exemple un produit sémiotique donné..

            Prescriptions et interdictions s’appliquent, selon le cas, aux signifiants (un sonnet doit comporter des rimes de tel type) ou aux signifiés (un sonnet ne peut pas, en principe, être vulgaire, d’où l’effet parodique du « Sonnet du trou du cul » de Rimbaud et Verlaine) ; un conte de fée peut comporter ou non un ogre). Le programme que constitue le genre définit un texte type ou modèle (par exemple, le sonnet) auquel correspondent plus ou moins les textes occurrences qui en relèvent (tels sonnets) ; le genre définit ainsi une classe de textes occurrences.

            Un genre entretient des relations « horizontales » avec les genres avec lesquels il est interdéfini au sein d’un champ générique (par exemple, la tragédie et la comédie de l’époque classique). Il entretient également des relations « verticales » avec les genres qui l’englobent (le roman policier est englobé dans le roman) ou qu’il englobe (les différents sous-genres ou formes du roman policier). Tout texte relève d’un ou de plusieurs genres de même niveau et de plusieurs genres de niveaux différents (niveaux supérieurs et/ou inférieurs).

            Les genres peuvent être appréhendés dans l’une ou l’autre des trois perspectives suivantes: (1) le producteur et la production (de quel genre relève cette production selon le producteur?) ; (2) le produit (de quel genre relève cette production selon les marques génériques qu’elle contient?) ; (3) le récepteur et la réception (de quel genre de texte relève cette production selon celui qui la reçoit, la lit, l’interprète?). Dans certains cas, les perspectives ne correspondront pas. Par exemple, Maupassant (production) appelle certains de ses textes « contes », alors que les lecteurs actuels (réception) considèrent qu’il s’agit plutôt de « nouvelles ».

            À un courant (le réalisme), un mouvement (le nouveau roman), une école (le romantisme), une période (le Moyen âge) correspondent des genres plus ou moins spécifiques. Comme n’importe quelle autre forme sémiotique, les genres apparaissent dans la transformation de formes antérieures ou contemporaines, se transforment et disparaissent en donnant ou non naissance à de « nouvelles » formes.

 

10. Histoire, récit, narration, action

            L'histoire, dans un texte littéraire selon la perspective de la narratologie, est l'enchaînement logique et chronologique des actions et états thématisés (c’est-à-dire véhiculés par le contenu du texte). Le récit est la façon particulière de présenter les actions et états d’une histoire. Une même histoire peut être racontée de différentes manières (par exemple, en suivant l’ordre chronologique ou non).

            Le narrateur est l’instance thématisée (intégrée dans les contenus du texte) qui produit le récit et le narrataire, l’instance thématisée à laquelle le récit est fait. Narrateur et narrataire sont les pendants dans le texte des instances empiriques et extratextuelles que sont l’auteur et le lecteur réels; ils sont également les pendants de l’auteur construit et du lecteur construits, soit l’image que donne le texte, respectivement, de son auteur et de son lecteur.

            Une histoire implique des actions, une action pouvant être considérée comme le passage d’un état à un autre qui lui est opposé (par exemple, celui qui est pauvre peut devenir riche). Ces transformations impliquent des personnages (plus exactement des acteurs, voir Personnage) qui produisent, volontairement ou non, les actions et/ou en reçoivent les effets. Les actions peuvent être subdivisées en trois grandes catégories: les actions proprement dites, les paroles (et autres produits sémiotiques assimilables: les images, etc.) et les pensées verbales.

            Un récit est fait, schématiquement, d’une part, de descriptions d’actions et d’acteurs (personnages, objets, concepts, pensées non verbales, etc.) et, d’autre part, de logues de paroles (monologues, dialogues, etc.) ou de pensées (monologue intérieur). Les logues peuvent eux-mêmes enchâsser des descriptions et logues (et ainsi de suite).

            Prologue et épilogue sont des séquences narratives facultatives qui encadrent le récit principal. Le prologue est une séquence narrative qui précède le récit principal et lui sert d’ouverture; l’épilogue est une séquence narrative qui suit le récit principal et lui sert de conclusion.

            L’intrigue est le fil logique qui unit les différents états et actions de l’histoire. L’exposition est la ou les parties du récit qui présentent et mettent en place les principaux éléments de l’histoire. Le nœud est la « Péripétie ou suite de péripéties qui, dans une pièce de théâtre, un roman, amènent l’action à son point culminant, si bien que la situation ne pourra être éclaircie que par la catastrophe finale, ou par l’accomplissement d’actions nécessaires qui constitueront le dénouement. » (Bénac et Réauté, 1993: 160) Le dénouement est la partie du récit vers lequel les actions et états de l’histoire convergent et offrent leurs pleines conséquences.

            La courbe dramatique représente la fluctuation de l’intensité dramatique en fonction de l’écoulement du temps (par exemple, généralement l’intensité dramatique atteint son sommet dans le nœud et/ou le dénouement).

 

11. Langue

            Considérons que la langue est faite des composantes suivantes: morphologie et lexique, sémantique, grammaire et syntaxe. La morphologie est la forme des unités lexicales: morphèmes (par exemple, les racines des verbes), mots, expressions, phraséologies (par exemple, les proverbes et autres phrases toutes faites). Le lexique est l’inventaire même des unités lexicales. La sémantique est le sens, en contexte et s’il y a lieu hors contexte (en langue), des unités lexicales, des syntagmes, des propositions, des énoncés, du texte. La grammaire est l’ensemble des règles de transformation morphologique des unités en contexte. La syntaxe est l’ensemble des règles de combinaison et de distribution des unités (considérons que la ponctuation en fait partie), eu égard à leur nature (par exemple, substantif, verbe) et fonction (par exemple, sujet, complément).

            Donnons quelques exemples seulement d’éléments linguistiques auxquels on peut s’intéresser. On peut étudier: les catégories lexicologiques (synonymie, parasynonymie, homonymie, polysémie, hyponymie/hyperonymie (par exemple: chien/mammifère), holonymie/méréonymie (par exemple, corps/tête), etc.); les niveaux ou registres de langue (vulgaire, populaire, littéraire, etc.); les types de vocabulaire (langue générale, langues de spécialité, etc.); les champs lexicaux et sémantiques, les isotopies (voir Signe); les dénotations et connotations (voir Connotation, dénotation); les sens littéraux et figurés; les ruptures syntaxiques; les inversions; les élargissements ou restrictions de sens; etc.

            En tant que les composantes de la langue sont définies par des normes, on peut étudier, dans un texte donné, le respect ou non-respect de ces normes (voir Style).

 

12. Mode mimétique

            Un mode mimétique est un mode d'organisation qui détermine le régime d'impression référentielle du texte  (Rastier) et, plus généralement, d’un produit sémiotique. L’impression référentielle – terme moins connoté que celui d’illusion référentielle que l’on utilise souvent – peut être définie comme l’effet de réel de ce produit.

            Plus concrètement, le mode mimétique peut être appréhendé dans le type de relation entre le monde construit par le produit et le monde réel. Parmi les modes mimétiques, on peut distinguer (avec certains recoupements): le réalisme empirique (dans le réalisme, par exemple), le réalisme transcendant (par exemple, dans le romantisme, le symbolisme, le surréalisme), l’idéalisme, le merveilleux, le fantastique, l’étrange, la science-fiction, l’absurde, l’allégorisme, le symbolisme, le mythique, le légendaire, l’historique, le biographique, le fantasy, etc.

 

13. Noyau génératif

            La génération est, avec la genèse, l’une des deux perspectives possibles pour envisager la production. La génération consiste dans le passage d’un type (ou modèle) à une occurrence (manifestation du modèle) ou encore dans celui d’un noyau génératif à la manifestation. Dans les deux cas intervient le passage d’une unité virtuelle à la « même » unité mais réalisée. Ce passage se produit grâce à des opérations de transformation (adjonctions, suppressions, substitutions, conservations, etc.).

            L’analyse générique, dans la mesure où elle conçoit l’occurrence (par exemple un texte donné) comme le résultat d’opérations de transformations effectuées à partir du type (par exemple, le roman), est une approche générative. À l’opposé, la génétique textuelle, qui notamment rend compte du passage des avants-textes (brouillons et épreuves) au texte, est évidemment une approche génétique.

            D’autres approches sont encore plus nettement génératives. Van Dijk considère que le contenu d’un texte peut être résumé dans une macroproposition qui génère l’ensemble du contenu de ce texte; c’est ainsi que « Je t’aime » serait la macroproposition de tel sonnet de Louise Labé. On voit la critique principale que l’on peut faire de ces approches et donc de l’aspect, le noyau génératif: ce noyau est très général et de ce fait peut tout aussi bien convenir pour un grand nombre de productions sémiotiques; leur pouvoir caractérisant, du moins celui associé au noyau le plus profond, est alors faible. Selon Spitzer, toutes les parties de l’œuvre (du moins les principales parties) sont isomorphes (elles ont la même structure) entre elles et le tout est isomorphe aux parties; en ce sens, chaque partie est une microreprésentation, c’est-à-dire qu’elle constitue une réplication, en plus petit, du tout. Les parties sont ici des grands aspects du texte (style, composition, intrigue, thèmes, etc.). L’élément qui explique la structure est l’étymon spirituel (ou la racine mentale): étymon parce que, comme la racine étymologique d’un mot, il est originel; spirituel parce qu’il est caractéristique de l’esprit de l’auteur. Cet étymon est, pour Spitzer une vision du monde. Voir Vision du monde. Mais, comme nous l’avons vu, on peut considérer qu’il existe des noyaux génératifs qui ne soient pas des visions du monde. On peut également considérer qu’une œuvre peut posséder plusieurs noyaux génératifs. De Saussure à Jakobson, la théorie du mot clé est un autre exemple de théorie générative. En vertu de cette théorie, un texte donné est généré par les diverses formes que prennent les graphèmes (lettres) et/ou phonèmes d’un mot donné ou d’un groupe de ces unités; dans sa version forte, cette théorie veut que tout texte ait son mot clé.

 

14. Onomastique

            L’onomastique est l’étude des noms propres (dorénavant « Np »). L’onomastique d’un texte est l’inventaire des Nps qui s’y trouvent (voire éventuellement ceux d’autres textes, s’il y a des évocations de ces Nps d’autres textes) et la structure de significations qu’ils fondent. L’onomastique littéraire s’intéresse à la nature (et donc notamment aux espèces de Nps), aux fonctions, aux modalités, causes et effets de la présence des Nps dans une œuvre littéraire donnée ou un groupe de ces œuvres ou dans un ou plusieurs genres littéraires.

            Les natures – l’être des phénomènes – et les fonctions – le faire des phénomènes – peuvent être envisagées notamment sous deux angles: méréologique (avec des touts et des parties) et classificatoire (avec des classes et des éléments classés). Ainsi, on peut dresser l’inventaire des traits de définition du phénomène (qui sont autant de parties qui le composent). Par exemple, on a cherché à définir le Np d’un point de vue: morphologique (il porte souvent la majuscule, etc.); syntaxique (il est souvent sans déterminant, etc.); sémantique (selon la théorie considérée: il n’aurait pas de sens (asémanticité), il n’aurait que peu de sens ou seulement une sorte de sens (hyposémanticité), il serait le signe linguistique avec le plus de sens (hypersémanticité); etc. On peut également faire une typologie, c’est-à-dire une classification des diverses formes possibles d’un même phénomène. Ainsi les anthroponymes sont les noms et prénoms de personnes; on peut leur adjoindre les Nps d’animaux (Fido, Prince, etc.) voire d’objets singuliers (par exemple, les noms d’épées, comme Excalibur). Les toponymes sont les noms de lieux naturels ou artificiels (Montréal, le lac Noir, Le Louvre, etc.). Les chrononymes sont les noms de périodes historiques (le Moyen âge, la Renaissance). Les réonymes sont des noms d’objets ou d’institutions (par exemple, les marques de commerce: Viagra, ou les noms de compagnies: Ford). Dans la mesure où l’on considère que les titres d’œuvres sont des noms propres, la titrologie est une branche de l’onomastique littéraire. De plus, natures et fonctions peuvent être envisagées statiquement ou dynamiquement, c’est-à-dire dans leurs éventuelles transformations (apparition, maintien ou transformation, disparition, etc.) dans le temps historique (d’une période à une autre), dans le temps de l’histoire racontée ou dans la succession des unités du produit sémiotique (par exemple, la succession des mots, des chapitres d’un texte).

            Les noms propres forment, avec d’autres types d’unités linguistiques (noms communs, pronoms, descriptions définies), l’étiquette d’un acteur (un acteur est une entité, en incluant les personnages mais en ne s’y limitant pas, dotée d’un rôle dans un texte; voir Personnage, actant, acteur, agoniste). Sur l’onomastique, voir Hébert, 2013.

 

15. Personnage, actant, acteur, agoniste

            Au sens le plus large, un personnage est une entité anthropomorphe impliquée (ou susceptible de l’être) en tant qu’agent (ou sujet) dans l’action thématisée (c’est-à-dire « racontée » dans les signifiés) et fictive d’un produit sémiotique (un texte, une image, etc.). Par exemple, en vertu de cette définition, dans un roman, une pomme qui tombe par gravité sur la tête de quelqu’un est l’agent d’une action, celle de tomber sur la tête du malheureux justement, mais elle n’est pas anthropomorphe, notamment en ce qu’elle n’a ni conscience ni volonté, et n’est donc pas un personnage; également ne sera pas considéré comme un personnage le politicien réel dont on rapporte, fort mal selon lui, les propos dans un quotidien. Mais seront des personnages, par exemple, l’épée magique dotée de conscience et donc de volonté dans un conte, François, le chat qui obsède les deux protagonistes dans Thérèse Raquin (Zola), HAL 9000 (alias Carl), l’ordinateur contrôlant de 2001, l’odyssée de l’espace.

            La sémiotique préfère à la notion de personnage, plutôt intuitive et problématique, les notions d’acteur et d’actant. Au sens large, un actant est une entité qui joue un rôle dans un processus (une action) et/ou une attribution (l’affectation d’une caractéristique à quelque chose). Un acteur est une entité qui remplit au moins deux rôles (ce peut être le même rôle pour deux processus ou attributions ou plus) dans un produit sémiotique donné (par exemple, tel texte). Par exemple, celui qui se lave est un acteur puisqu’à la fois agent de l’action et patient de cette action. Les acteurs ne se limitent donc pas aux personnages, même largement définis. Ainsi, l’indice boursier Dow Jones sera un acteur dans un texte financier.

            Les rôles possibles peuvent varier d’une théorie à une autre. Le modèle actantiel de Greimas en prévoit six: sujet, objet (l’action que le sujet veut accomplir), destinateur (ce qui demande que l’action soit posée), destinataire (ce pour qui, pour quoi l’action est faite), adjuvant (ce qui aide le sujet dans son action), opposant (ce qui nuit au sujet dans son action). La sémantique interprétative de Rastier prévoit, sans exclusive, une quinzaine de rôles: (1) rôles processuels: accusatif (élément affecté par l'action) ; datif (élément qui reçoit une transmission) ; ergatif (élément qui fait l'action) ; final (but recherché) ; instrumental (moyen employé) ; résultatif (résultat) ; (2) rôles attributifs: assomptif (point de vue) ; attributif (caractéristique) ; bénéfactif (élément bénéfique) ; classitif (classe d’éléments) ; comparatif (comparaison métaphorique) ; locatif spatial (lieu) ; locatif temporel (temps) ; maléfactif (élément néfaste) ; holitif (tout décomposé en parties) ; typitif (type auquel se rapporte une occurrence).

            Au point de vue de l'ontologie naïve (qui définit les sortes d'êtres, au sens large), un acteur peut correspondre à: (1) un être anthropomorphe (par exemple, un humain, un animal ordinaire ou magique, une épée qui parle, etc.) ; (2) un élément inanimé concret, incluant les choses (par exemple, une épée ordinaire), mais ne s’y limitant pas (par exemple, le vent, la distance à parcourir) ; (3) un concept (le courage, l’espoir, la liberté, etc.). Par ailleurs, il peut être individuel ou collectif (par exemple, la société).

            Dans l’analyse d’un acteur simulacre d’un être humain (personnage), on peut distinguer les aspects suivants: 1) aspect physique (apparence, taille, poids, etc.) et physiologique (âge; tempérament[2] sanguin, nerveux, musculaire, etc.; etc.); (2) aspect psychologique (caractère, désirs et aversions, aspirations, émotions, attitudes, pulsions, etc.), intellectuel (intelligence, connaissances, culture, etc.) et idéologique (croyances, valeurs, moralité, etc.) ; (3) aspect relationnel et social (histoire personnelle, noms et prénoms, classes sociales (politiques, économiques, professionnelles, etc.), état civil, famille, conjoint, amis, ennemis, relations professionnelles, etc.); (4) pensées, paroles (et autres produits sémiotiques: dessins, etc.) et actions. Chacun de ces aspects peut être déployé en sous-aspects. Par exemple, l’aspect physique comprendra l’apparence extérieure du visage, du corps, etc.

            Un agoniste, dans la théorie de Rastier, est un acteur de niveau hiérarchiquement supérieur qui subsume, englobe au moins deux acteurs ayant des rôles identiques ou similaires. Par exemple, dans la série des Tintin d’Hergé, Dupont et Dupond forment de manière générale un tel agoniste. Les acteurs englobés dans un agonistes peuvent relever de la même classe ontologique (par exemple, deux humains comme les Dupont-Dupond) ou encore relever de classes ontologiques différentes (un humain et un animal, un humain et un objet, un animal et un objet, etc.). Charles Grandet est associé, par le narrateur balzacien, à un élégant coffret dans Eugénie Grandet; Julien Sorel, dans Le rouge et le noir, s’identifie lui-même à l’aigle napoléonien.

 

16. Psychologie

            La psychologie étudie les contenus et processus mentaux et les actions (gestes, paroles, etc.) qui en découlent en sont les indices et les affectent en retour. L’aspect psychologique est relatif à l’auteur et au lecteur ainsi qu’aux acteurs du texte qui sont dotés d’un esprit, d’une psychée complexe (humains, animaux supérieurs, êtres anthropomorphisés).

            L’analyse peut porter sur les éléments psychologiques ou psychanalytiques associés à un texte: fantasmes, pulsions, motivations, mécanismes de défense, censure, refoulement, rêves, complexes, psychoses, névroses, phobies, affects, émotions, sentiments, passions, tempéraments, moi, surmoi, ça, etc.

            Ces éléments peuvent être dégagés en fonction de la triple perspective de toute production: du côté du producteur (l’auteur réel ou celui construit par le texte), du produit lui-même (par exemple, l’inconscient du texte, celui des personnages), du récepteur (le lecteur empirique, réel ou encore le lecteur construit par le texte, l’image que celui-ci projette de ce lecteur).

 

17. Réception, production, immanence

            La réception est, au sens restreint, l’ensemble des performances sémiotiques (et leurs produits) effectuées dans la réception d’une œuvre. En relève notamment: adaptations, traductions, ventes, réimpressions, rééditions, éditions différentes, lectures, interprétations, critiques, descriptions, analyses, citations, influences qu’a l’œuvre.

            Au sens large, la réception est la perspective d’analyse qui se place du côté du récepteur et de la performance sémiotique de la réception. La réception est alors le processus et la relation qui unit le récepteur (par exemple, le lecteur) au produit (par exemple, le texte) lui-même et aux produits et productions qui en découlent (par exemple, la lecture, l’analyse, la critique du texte, etc.). Les perspectives complémentaires sont: la production (du côté de l’auteur et de ses performances sémiotiques: génétique du texte, intention, message, vision du monde (voir Vision du monde)) et l’immanence (du côté de l’œuvre en elle-même). La production est le processus et la relation qui unit le producteur (l’auteur) au produit. Autrement dit, un schéma de la communication littéraire prend en compte, au minimum, trois instances et deux processus-relations (trois si on inclut la transmission du produit au récepteur). Voir l’annexe sur les différentes situations d’analyse relativement aux trois instances et deux processus.

            Entre les différentes perspectives, des différentiels sont susceptibles de se loger. Par exemple, une intention (perspective de la production) de produire tel phénomène chez le récepteur peut ou non être inscrite dans l’immanence de l’œuvre et peut ou non être perçue et être effective chez le récepteur (perspective de la réception). En gros, quatre combinaisons sont possibles. Prenons l’exemple du comique (on pourrait prendre d’autres exemples, comme les sens littéral et figuré) et les instances de la production et de la réception: (1) comique du côté de la production perçu comme comique du côté de la réception; (2) comique du côté de la production perçu comme non-comique (voire triste) du côté de la réception; (3) non-comique du côté de la production perçu comme non-comique du côté de la réception; (4) non-comique du côté de la production perçu comme comique du côté de la réception. Les combinaisons 2 et 4 correspondent à des processus communicationnels ratés, mais cette écriture ratée et/ou cette lecture « erratique » (St-Gelais, 2007) peuvent être créatrices et intéressantes. Sur les différentes situations d’analyse générée par la triple perspective: producteur, produit et réception, voir Hébert, 2014 et 2012.

 

18. Recueil

            Un recueil est une œuvre constituée par le regroupement de textes, souvent courts. Sur l’analyse d’un recueil, voir Hébert, 2013.

            Ces recueils seront anthologiques (par exemple, une anthologie des meilleurs textes de la poésie française du XXe s. ou des meilleurs textes d’Hugo) ou non (Les fleurs du mal de Baudelaire). Ils regrouperont des extraits de textes longs (par exemple, les anthologies scolaires) ou au contraire des textes courts ou non mais intégraux: des nouvelles, des poèmes, des aphorismes, etc.

            La succession des textes au sein du recueil se prête à une analyse de la disposition (voir Disposition) et du rythme (voir Rythme).

            La coprésence de plusieurs textes au sein d’une même unité englobante a pour effet de modifier, d’infléchir, de déterminer leur sens propre. En effet, en vertu du principe général que le global détermine le local – le contexte (corpus, culture, etc.) détermine le texte; le genre détermine le texte; le texte détermine ses constituants (phrases, mots), etc.) –, un texte dans un recueil n’a pas le même sens qu’en dehors de ce recueil. Chaque texte du recueil est le contexte, plus ou moins rapproché, des autres (voir Contexte).

            La relation entre recueil et texte s’inscrit dans une famille de relations entre tout et partie: contexte et texte; lexie (groupe de morphèmes, ex. « agriculteur ») et morphème (ex. « agri- »); phrase et lexie; période (groupe de phrases) et phrases; texte et période; texte et chapitre; chapitre et paragraphe; strophe et vers; etc. Voir Contexte.

            En ce qui a trait à la représentativité, des textes seront plus ou moins représentatifs (ou plus ou moins non représentatifs) du recueil que d’autres textes, et cela en fonction des caractéristiques envisagées (voir Style)...

 

19. Relation, opération, structure

            Tout phénomène peut être envisagé comme une structure. Une structure est faite de deux éléments ou plus, ou termes, unis par au moins une relation dont on fait état (cependant, une structure réflexive unit un terme à lui-même). Une structure est le point de départ et/ou d’aboutissement d’opérations. Une opération est un processus, une action par laquelle un sujet opérateur caractérise, transforme ou émane (le modèle, le type émanant une manifestation, une occurrence) un objet; que cet objet corresponde par ailleurs à une relation, un terme, une opération ou une structure.

            Les opérations de caractérisation dégagent des propriétés d’un objet, par décomposition (mentale), classement, typicisation (ou catégorisation; par exemple, en reconnaissant que tel texte est un poème), comparaison, corrélation présencielle (présupposition, exclusion mutuelle, etc.) et/ou causale, etc. Les opérations de transformation produisent, détruisent ou transforment des objets. Les grandes opérations de transformation sont: l’adjonction (on ajoute un élément); la suppression (on supprime un élément); la substitution (on remplace un élément par un autre); la permutation (on modifie l’ordre relatif des éléments, comme dans une anagramme) ou plus généralement le déplacement (précédé par un placement); l’augmentation (on augmente l’intensité d’un élément); la diminution (on diminue l’intensité d’un élément); et la conservation. Dans la conservation marquée, alors qu’on s’attend à ce qu’une opération soit effectuée, l’opération ne se produit pas; selon le cas, la conservation prend la forme d’une non-adjonction, d’une non-suppression, etc.

            Parmi les grandes familles de relations on trouve: (1) les relations comparatives (identité, similarité, opposition, altérité, similarité analogique (dont la comparaison métaphorique et l’homologation), etc.); (2) les relations présencielles (présupposition, exclusion mutuelle, corrélation directe, corrélation inverse, etc.); (3) les relations globales-locales: typicistes (impliquant occurrences et types), méréologiques (impliquant parties et touts), ensemblistes (impliquant éléments classés et classes d’éléments); (4) les relations temporelles (succession, superposition, superposition-succession, etc.); (5) les relations spatiales; etc. Sur les relations et les opérations, voir Hébert, 2012 et 2007.

 

20. Rythme

            Le rythme est l’effet de la succession d’au moins deux unités (mais ce peut être la même unité répétée) disposées dans au moins deux positions différentes; le rythme est également la structure particulière produite dans cette succession organisée.

            L’étude du rythme dépasse le contexte de l’étude de la versification (voir Versification). D’une part, les textes en prose (non versifiés) comportent évidemment des phénomènes rythmiques; d’autre part, les rythmes peuvent impliquer des éléments qui ne sont pas des signifiants, mais des contenus (signifiés, sèmes, isotopies, etc.) ou encore des signes (faits d’un signifiant et d’un signifiés); de plus, toute production sémiotique (film, tableau, etc.) produit des rythmes et pas seulement les textes; enfin, bien d’autres rythmes que ceux étudiés en versification informent les textes versifiés, ces rythmes négligés (mais produisant tout de même leurs effets qu’on en soit conscient ou non) sont les rythmes du contenu (signifiés, sèmes, etc.) mais également des rythmes du signifiant délaissés dans l’étude versificatoire (par exemple, les rythmes des traits constituant les phonèmes et non pas seulement des phonèmes eux-mêmes).

            L’étude rythmique présuppose l’étude de la disposition des unités (voir Disposition). La disposition des unités présuppose leur segmentation; leur mise en séquence ou sériation produit le rythme. Sur l’analyse du rythme, voir Hébert, 2013 et 2012.

 

21. Signe, signifiant, signifié

            Le signe (par exemple, le mot « bateau ») est une unité constituée d'un signifiant et d'un signifié. Le signe linguistique minimal est le morphème (« agri-cult-eur » compte trois morphèmes). Le signe maximal est le texte.

            Le signifiant est la forme du signe qui permet de transmettre le contenu, le sens. Il y a quatre sortes de signifiants textuels: (1) phonémiques (phonèmes, par exemple b-a-t-o,) et, plus largement, (2) sonores (intonation, timbre, etc.); (3) graphémiques (graphèmes ou grossièrement les lettres, par exemple, b-a-t-e-a-u) et, plus largement, (4) visuels (police, taille, disposition dans la page, images iconi     Dans l’analyse des signifiants, on peut notamment chercher les répétitions significatives de phonèmes (allitérations, assonances, etc.) ou de graphèmes ou de groupes de phonèmes ou de graphèmes et ce, dans le cadre d’une analyse rythmique ou non (voir Rythme).

            Le signifié est le sens, le contenu véhiculé par un signifiant. Un signifié est décomposable en sèmes ou traits, parties de sens. Le signifié ‘bateau’ se décompose en sèmes /moyen de transport/ + /sur l’eau/, etc. Un sème répété forme une isotopie (par exemple, /liquide/ dans « boire de l’eau »). Un groupe de sèmes répétés forme une molécule sémique (par exemple, /sentiment/ + /positif/ dans « amour et amitié »). Les topoï (ou clichés) sont des molécules sémiques stéréotypées (voir Topos). Diverses typologies des sèmes existent: figuratif / thématique / axiologique (Greimas et Courtés), inhérent / afférent (Rastier), dénotatif / connotatif (voir Connotation, dénotation).

            Les types de sèmes que l’on peut s’attendre à trouver sont: (1) les sèmes associés à des classes oppositives de grande généralité (/abstrait/ vs /concret/, /animé/ vs /inanimé/, /humain/ vs /animal/ vs /végétal/ vs /minéral/, /positif/ vs /négatif/, etc.); (2) les sèmes associés à des classes correspondant aux champs de l’activité humaine (/alimentation/, /architecture/, /marine/, etc.); (3) les sèmes associés à d’autres classes que celles déjà mentionnées (/fruit/, /ustensile/, etc.); les sèmes qui ne fondent pas des classes mais définissent des caractéristiques (par exemple, /rond/, /doux/, /célèbre/, /jaune/, etc.). Un signifié comporte toujours plusieurs sèmes. Il peut contenir les quatre sortes de sèmes, c’est le cas par exemple de ‘poire’, qui contient notamment: /concret/, /végétal/; /alimentation/; /fruit/; /jaune/.

            Lorsqu’on dresse la liste des signes lexicaux (morphèmes, mots, expressions, phraséologies) qui contiennent un sème donné dans un texte donné, on dégage le champ lexical de ce sème; par exemple: « noir », « hiver », « le Grand Voyage », « mort » pourraient constituer le champ lexical du sème /mort/ dans un poème. Nous dirons que les sèmes qui, dans un texte donné, accompagnent un sème donné dans les unités lexicales où ce sème se trouve constituent le champ sémantique de ce sème. Par exemple, si le sème /mort/ est, dans un texte donné, généralement ou toujours accompagné des sèmes /obscurité/ et /négatif/, ces sèmes en constituent le champ sémantique.

            Des sèmes ou des signifiés peuvent être identiques. Ils peuvent également être opposés (par exemple, les signifiés ‘nuit’ vs ‘jour’, les sèmes /nuit/ vs /jour/). L’homologation est une relation entre (aux moins) deux paires d’éléments opposés (par exemple des sèmes opposés) en vertu de laquelle on peut dire que, dans l’opposition A/B, A est (toujours ou majoritairement) à B ce que, dans l’opposition C/D, C est (toujours ou majoritairement) à D. La notation formelle d’une homologation se fait de la manière suivante: A: B:: C: D, par exemple, dans notre culture: blanc: noir:: vie: mort:: positif: négatif (le blanc est au noir ce que la vie est à la mort, etc.).

            L’analyse des signifiants peut transposer la plupart des concepts que nous venons de voir pour les signifiés: les sèmes deviendront des phèmes (par exemple, les statuts de consonne ou de voyelle correspondent à des traits, des caractéristiques phémiques); les isotopies deviendront des isophonies; les molécules sémiques deviendront des molécules phémiques; etc.

            Des corrélations pourront être dégagées entre, d’une part, des sèmes, des isotopies, des molécules sémiques et, d’autre part, des phèmes, des isophonies et des molécules phémiques. (Pour une introduction à la sémiotique, voir Hébert, 2012 et 2007)

 

22. Société

            Il existe deux grandes manières d’étudier les relations entre la société et le texte (littéraire ou non), manières qui peuvent se combiner.

            La première est causale et s’attache à mettre au jour la détermination plus ou moins grandes des signifiants et signifiés du texte par le social.

            La seconde est représentationnelle et s’attarde à la représentation du social qu’effectue le texte, en particulier, mais pas exclusivement, par la thématisation (l’inscription en tant que signifié, thème) plus ou moins directe (fût-ce par la négative ou par l’omission significative: le roman du terroir qui passe sous silence les problèmes liés à la vie campagnarde) du social dans le texte. La thématisation produit ce qu’on a appelé la « société du texte ».

            Le reflet de la société dans le texte peut se faire par conservation (tel élément de la société trouvant son pendant direct dans le texte) ou encore être obtenu par l’une ou l’autre des grandes opérations de transformation que sont l’adjonction, la suppression, la substitution, la permutation, l’augmentation et la diminution. Voir Relation, opération et structure.

            La « théorie du reflet » pose plusieurs pièges. Il faut notamment tenir compte d’un possible reflet par la négative, par l’omission significative, ainsi que des reflets composés par condensation (deux phénomènes et plus du réel reflétés en un phénomène du texte) ou dissociation (un phénomène du réel reflété en deux phénomènes et plus du texte). C’est sans compter les transpositions possibles (du sérieux au parodique, par exemple).

            Les trois principaux aspects sur lesquels on peut se pencher dans l’analyse sociologique sont les classes sociales (dominants/dominés, nobles/roturiers, ouvriers/intellectuels, enfants / adultes, etc.), les institutions (État, système scolaire, Église, Justice, Éducation, etc.) et les idéologies (voir Croyances, valeurs et idéologies).

            La société réelle est l’un des contextes du texte (voir Contexte) et constitue en fait le « réservoir » de tous les contextes déterminés par le social (en excluant donc, par exemple, le contexte physique brut). Sur l’analyse du social, Hébert, 2013.

 

23. Style

            Le style a reçu de nombreuses définitions. Le style, pour ce qui des textes (mais la notion déborde le textuel), peut notamment être défini comme les choix faits par un énonciateur, entre tous les moyens que lui offre la langue et les autres systèmes textuels, en tant que ces choix manifestent un écart par rapport au degré zéro de l’énoncé, c’est-à-dire la formulation la plus logique et la plus simple. Par exemple, « Il est parti pour le très long voyage » est un écart par rapport au degré zéro « Il est mort ».

            On notera que, dans une telle définition, il n’y a style que s’il y a écart; or, on peut aussi bien considérer que la réalisation de la norme, notamment si elle n’est pas attendue, est aussi un style. On peut également définir le style, plutôt que relativement au degré zéro, relativement au degré attendu (qui peut être le degré zéro ou un écart par rapport à celui-ci). Dans les deux cas, le style produit (et est produit par) un écart relativement à une norme. Voir Écart, norme. Or, les normes sont définies au sein de systèmes. Un texte est produit dans l’interaction de quatre grands systèmes: le dialecte (ou langue fonctionnelle), le sociolecte (usage de la langue et de normes proprement sociolectales qui définit notamment les genres), l’idiolecte (usage du dialecte, d’un sociolecte et de normes proprement idiolectales, c’est-à-dire propres à un énonciateur), le textolecte (usage du dialecte, d’un sociolecte, d’un idiolecte et de normes proprement textolectales, c’est-à-dire propres à un texte). Le style a pu être également défini, plus restrictivement, relativement à l’idiolecte, comme usage du dialecte et d'un sociolecte propre à un énonciateur, c’est-à-dire, en gros, comme norme idiolectale (Rastier, 2001) (par exemple, le style de Baudelaire). Mais si le style est ainsi particularisant, dans d’autres sens, il est généralisant. C’est ainsi qu’on parlera de styles associés à des genres, par exemple le style romantique, ou à des manières d’écrire générales: style simple, fleuri, tempéré, sublime, artiste, esthétique, impressionniste, noble, figuré, etc. (Bénac et Réauté, 1993). On touche alors, notamment, aux tons. Le ton est une manière d’écrire d’un énonciateur qui traduit son humeur ou ses sentiments et attitudes vis-à-vis du sujet qu’il traite. Le style a pu également être vu comme la forme du texte (par opposition à son fond; voir Forme et fond).

            Peu importe comment on le définit, il faut se rappeler que le style touche autant les signifiés (les contenus) que les signifiants (les phonèmes, graphèmes, etc.). Les écarts sont produits par des procédés d’écriture (mais ceux-ci produisent également des non-écarts s’ils sont attendus). Parmi ceux-ci, on trouve les figures de styles. On peut regrouper les principales figures de style dans les familles suivantes (Pilote, 1997): (1) figures d'analogie: comparaison, métaphore, allégorie, personnification; (2) figures d'opposition: antithèse, antiphrase (ironie), chiasme, oxymore; (3) figures de substitution: métonymie, synecdoque, périphrase; (4) figures d'insistance: répétition, redondance, pléonasme, anaphore; (5) figures d'amplification: hyperbole, accumulation, gradation; (6) figures d'atténuation (ou d'omission): euphémisme, litote, ellipse; (7) figures faisant appel aux sonorités ou graphies: onomatopée, harmonie imitative, assonance, allitération. Faisons remarquer que tous les procédés d’écriture ne sont pas des figures (par exemple, S+7, où l’on substitue à un nom commun (un substantif, d’où le « S ») d’un texte de départ le septième nom commun qui le suit dans le dictionnaire), même si probablement tous les procédés d’écriture, dans la mesure où ils sont perceptibles, produisent, notamment, des figures. Au niveau le plus fondamental, les écarts stylistiques sont produits par les grandes opérations de transformation (voir Relation, structure et opération).

 

24. Temps

            Le temps est le substrat dans lequel se produisent les simultanéités et les successions. Il peut également être vu comme l’effet de la succession, accompagnée ou non de simultanéités, d’unités. Enfin, il s’agit aussi d’un repère relatif (avant, après, etc.) ou absolu (1912, 1913, etc.), précis ou imprécis, associé à une ou plusieurs unités (position initiale, position finale et durée, c’est-à-dire intervalle de temps entre ces deux positions).

            Distinguons entre trois grandes sortes de temps: (1) le temps thématisé, lié à l’enchaînement chronologique des états et des événements de l’histoire racontée dans une production sémiotique (fût-ce dans un seul mot comme « épousera », qui raconte une mini-histoire); (2) le temps de la disposition (voir Disposition), produit par la succession – fortement (dans un film), moyennement (dans un livre) ou faiblement ou non contrainte (dans un tableau) – d’unités sémiotiques « réelles » (signes, signifiants ou signifiés) de la production sémiotique. Ces deux temps peuvent coïncider ou non (exemple de non-coïncidence: le deuxième événement de l’histoire sera présenté dans la première phrase et le premier événement dans la seconde phrase). Le temps thématisé, qu’il soit fictif (dans un roman) ou reflète le temps réel (dans un quotidien), est un simulacre (3) du temps réel. On peut encore distinguer (1.1) le temps thématisé représenté et (1.2) le temps thématisé évoqué; par exemple des personnages du XXIe siècle (temps thématisé représenté) peuvent évoquer l’Antiquité (temps thématisé évoqué).

            Si on rapporte le temps aux trois instances de la communication sémiotique et à ses deux processus (voir Réception, production et immanence), on peut distinguer cinq temps: le temps du producteur (de l’auteur); le temps de la production de l’œuvre; le temps du produit lui-même (par exemple, le temps thématisé); le temps de la réception de l’œuvre; et le temps du récepteur (voir Espace).

            Rapportés aux trois statuts du signe, les éléments temporalisés auront trois statuts: (1) ce seront des indices relativement au producteur (le choix d’une forme, d’un signifié, d’un signifiant en tant qu’il informe sur la situation temporelle de production); (2) ce seront des symboles relativement à ce dont on parle (ce sont les temps thématisés); (3) ce seront des signaux relativement au récepteur (et donc des indices sur la nature prêtée, par le producteur, au récepteur et à sa situation temporelle).

            Puisque le rythme peut être défini comme l’enchaînement, dans au moins deux positions temporelles successives, d’au moins deux éléments (fût-ce le même élément répété), l’étude du rythme présuppose l’étude du temps. Sur les relations temporelles, voir Hébert, 2007. Sur le temps, voir Hébert, 2013.

 

25. Thème, thématique, structure thématique

            Au sens le plus large, un thème est un élément sémantique, généralement répété, se trouvant dans un corpus donné, fut-ce ce corpus réduit à un seul texte (ou plus largement, un seul produit sémiotique: image, film, etc.).

            En ce sens, un thème n’est pas nécessairement un élément conceptuel, général, existentiel et fortement valorisé ou dévalorisé (l’amour, l’espoir, la mort, la gloire, la liberté, la vérité, etc.); ce peut aussi bien être un élément conceptuel autre (l’entropie, le pluriel grammatical, l’amour des chats) ou un élément concret, général (les êtres animés, c’est-à-dire dotés de vie) ou particulier (les chats), important (la Tour Eiffel) ou dérisoire (le chewing gum).

            Considéré comme un tout inanalysé un thème correspond à un sème dont la répétition constitue une isotopie. Considéré comme un tout analysé, un thème correspond à un groupe de sèmes corécurrents (répétés ensemble), à une molécule sémique. Voir Signe.

            Une structure thématique est un groupement d’au moins deux thèmes unis par au moins une relation dont fait état l’analyste; par exemple, si dans une œuvre l’amour (thème 1) cause (relation) la mort (thème 2), ces trois élément forment une telle structure.

            Au sens traditionnel du mot, une thématique est un groupement d’au moins deux thèmes dont les relations ne sont pas nécessairement explicitées par l’analyste. Bref, il peut, en principe, s’agir d’un simple inventaire de thèmes coprésents. Une structure thématique, par définition, rend nécessairement explicites des relations entre les thèmes qui la constituent. Postulons que tout thème peut être analysable et transformé en structure thématique et inversement. Par exemple, on peut appréhender l’amour en tant que thème proprement dit ou comme une structure thématique triadique comportant deux termes et une relation: « X aime Y ».

            En tant que groupe de sèmes, un thème peut être stéréotypé, c’est-à-dire défini relativement à un niveau systémique donné. Il prend alors la valeur d’un topos (au sens large), d’un cliché de contenu (par exemple, l’amour contrarié ou impossible, l’arroseur arrosé, etc.). Voir Topos.

            Le symbole est une structure thématique de comparaison analogique métaphorique unissant un symbolisant (par exemple, une balance) et un symbolisé (la justice dans notre exemple). Différents niveaux de symboles peuvent être distingués. Voir Topos.

 

26. Topos

            Un topos (« topoï » au pluriel), au sens le plus large, est un groupe de sèmes corrécurrents (qui réapparaissent ensemble), c’est-à-dire une molécule sémique, stéréotypé au sein d’un système autre que celui de la langue (voir Signe).

            La stéréotypie peut être créée à différents niveaux (voir Style). Un sociotopos, ou topos au sens restreint, apparaît dans au moins deux productions de producteurs différents (par exemple, deux textes d’auteurs différents). Un idiotopos, sans être un sociotopos, apparaît dans au moins deux productions différentes d’un même producteur. Un textotopos, sans être ni un sociotopos ni un idiotopos, apparaît au moins deux fois dans une même production sémiotique.Une groupe sémique qui n’est ni un sociotopos, ni un idiotopos, ni un textotopos est un anatopos, un groupe sémique non stéréotypé.

            Au-delà du sociotopos, défini au sein d’un même genre ou discours, on peut distinguer le culturotopos, partagé par une culture donnée indépendamment des frontières génériques et discursives, et au-delà encore, l’anthropotopos, qui est de nature transculturelle voire qui constitue une constante anthropologique (un élément présent dans toutes les cultures).

            Un, plusieurs, tous les éléments constitutifs d’un topos donné peuvent être généralisés ou particularisés. Par exemple, par généralisation, le topos « /poète/ + /méprisé/ + /par peuple/ », qu’on trouve notamment chez Baudelaire et Hugo, deviendra « /être d’un monde supérieur/ + /méprisé/ + /par êtres d’un monde inférieur/ ». Cela permet par exemple d’élargir ce topos à Jésus, à l’homme de la caverne de Platon, à Socrate, etc.

            On peut distinguer entre topoï thématiques (par exemple, la fleur au bord de l’abîme, le méchant habillé en noir) et topoï narratifs (par exemple, l’arroseur arrosé, la belle qui aime un homme laid).

            Une œuvre est faite pour l’essentiel de topoï de différents niveaux et la part non stéréotypée des contenus thématiques est congrue. Il existe des milliers, peut-être des dizaines de milliers, de sociotopoï.

            On peut appliquer aux symboles (et aux allégories qu’ils peuvent fonder s’ils sont étendus et systématiques) les mêmes distinctions que nous venons de faire pour les topoï: sociosymboles, idiosymboles, textosymboles, anasymboles, culturosymboles (la balance comme symbole de la justice) et anthroposymboles (les archétypes, par exemple l’arbre comme symbole de l’homme). Sur l’analyse des topoï, voir L’analyse des textes littéraires: vingt approches (http://www.signosemio.com/documents/approches-analyse-litteraire.pdf).

 

27. Transtextualité

            Genette (1982: 8) distingue cinq formes de transtextualité: (a) la paratextualité (relation d’un texte avec sa préface, son titre, etc.) ; (b) l'intertextualité (citation, plagiat, allusion) ; (c) la métatextualité (relation de commentaire d'un texte par un autre) ; (d) l'hypertextualité (lorsqu'un texte se greffe sur un texte antérieur qu'il ne commente pas mais transforme (parodie, travestissement, transposition) ou imite (pastiche, faux, etc.), celui-là est l'hypertexte et celui-ci l'hypotexte) et (e) l’architextualité (relation entre un texte et les classes auxquelles il appartient, par exemple son genre). Quant aux éléments dits paratextuels, ils participeront, selon le statut qu’on leur accorde, d’une relation intertextuelle (au sens élargi que nous donnons au terme) si on les considère comme externes au texte, d’une relation intratextuelle si on les considère comme internes au texte, ou d’une relation proprement paratextuelle.

            Quant à nous, nous définissons l’intertextualité dans un sens plus large que ne le fait Genette et englobons ce qu’il appelle l’intertextualité, la métatextualité et l’hyper/hypotextualité; évidemment, les distinctions de Genette n’en demeurent pas moins pertinentes.

            L’autotextualité est susceptible de prendre plusieurs formes: du texte comme tout à lui-même comme tout, du tout à une partie, d’une partie au tout et, enfin, d’une partie à cette même partie. Lorsque la relation s’établit entre une partie et une autre du même tout, il y a intratextualité (par exemple, si on compare deux personnages du même texte).

            L’intertextualité et l’architextualité peuvent être envisagées soit comme des relations globales (établies entre touts), soit comme des relations locales (établies d’abord entre parties puis, de manière indirecte, entre touts) ; dans ce dernier cas, le terme de départ est considéré comme une partie du texte et le terme d’arrivée, une partie d’un autre texte (intertextualité) ou une partie d’un type textuel (architextualité).

            De surcroît, il existe des relations locales-globales: par exemple, une partie d’un texte évoquera globalement un autre texte ou un genre (par exemple, la phrase (partie) d’un roman qui dirait: « J’ai lu Hamlet » (tout)).

            L’étude intertextuelle englobe et dépasse l’étude des sources et influences d’une œuvre (ne serait-ce que parce que des évocations intertextuelles peuvent ne pas être volontaires); les sources trouvent leurs pendants symétriques dans les textes « influencés » par un texte.

            Un texte A peut entretenir une relation d’intertextualité directe avec un texte B ou indirecte en entretenant une relation d’intertextualité avec le texte C lui-même en relation d’intertextualité avec le texte B.

Deux textes peuvent sembler entretenir entre eux une relation intertextuelle directe, mais en réalité ils puisent, tous deux, éventuellement en s’ignorant l’un l’autre, à un troisième texte que l’analyste ignore ou encore dans un même réservoir des formes disponibles pluôt anonymes (sans être attachées à un auteur en particulier) et anopératiques (sans relever d’une œuvre en particulier), qu’elles soient prégnantes ou non, à une époque donnée.

            Un cas particulier est celui où l’un des deux textes reliés est celui qui a justement participé, par son rôle canonique, à la constitution du réservoir des formes disponibles (par exemple, un traité moderne de féminisme qui n’aurait pas connaissance des travaux de de Beauvoir pourrait tout de même en reprendre les idées puisqu’elles sont largement diffusées). Évidemment, les ressemblances entre textes peuvent également être le fait de ce grand pourvoyeur de ressemblances qu’est le hasard. En élargissant l’hypertextualité on en vient à englober l’adaptation (un roman adapté en roman pour la jeunesse ou en film ou l’inverse), la traduction et mêmes les réécritures internes (par exemple, les trois séquences principales des Trois petits cochons) sous l’étiquette de transposition (s’il y a passage d’un système à un autre: dans la traduction ou dans les réécritures internes d’un style à un autre, par exemple) ou diaposition (s’il y a maintien dans un même système: dans notre exemple des Trois petits cochons). Nous employons ici le mot « transposition » dans un sens plus général que chez Genette). Une transposition fait devenir un élément x d’un système a en un élément x’ d’un système b. La transposition suppose donc le passage transformateur d’un « même » élément d’un système à un autre. Voir Hébert, 2013 et 2012.

 

28. Versification

            La versification est un ensemble d’aspects textuels plus ou moins codifiés propres aux textes versifiés, rimés et/ou comptés ou encore partagés avec d’autres formes textuelles (par exemple, les allitérations et assonances, le rythme se trouvent aussi dans la prose).

            Les principaux aspects englobés dans la versification sont les suivants: nombre de syllabes du vers; traitement des hiatus (synérèse et diérèse) et des « e » caducs; regroupement des vers: strophes; disposition; richesse, genre de la rime; césures et autres coupes; accents, scansion et rythme (voir Rythme); formes fixes ou non.

            La plupart de ces aspects relèvent des signifiants (disposition des vers, richesse de la rime, etc.), mais d’autres relèvent des signifiés ou du moins des signes, c’est-à-dire de touts faits d’un signifiant et d’un signifié (par exemple, l’interdiction de faire rimer des mots de même racine, comme « bonheur » et « malheur »). C’est sans compter que des signifiés peuvent être associés aux éléments qui relèvent du signifiant (sens des phonèmes, sens de l’harmonie imitative, effet de stabilité et de symétrie des vers pairs, etc.).

            Un texte sera versifié ou non (texte en prose). Un texte non (proprement) poétique peut être versifié (par exemple, le théâtre de Racine ou un roman en vers de l’auteur québécois Réjean Ducharme: La fille de Christophe Colomb); un texte poétique peut être non versifié (dans la poésie moderne ou dans la prose poétique). Sur l’analyse de la versification, voir Hébert, 2013.

 

29. Vision du monde, vision de quelque chose

            La vision du monde, la conception du monde, est la représentation du monde qui est celle d’un producteur donné, d’une classe, d’un type de producteurs donné (par exemple, une école littéraire, une classe sociale, une nation, une culture, l’humanité entière). Donnons un exemple simplifié de vision du monde. L’historien de l’art Worringer voit dans les représentations picturales géométriques et schématiques des Égyptiens de l’Antiquité le symptôme, chez ce peuple, d’un rapport angoissé au monde.

            Théoriquement et méthodologiquement, puisqu’elles peuvent ne pas correspondre, il faut distinguer la vision du monde réelle, empirique (celle qui se trouve « dans la tête » d’un producteur), et la vision du monde construite, celle dégagée à partir des productions du producteur. Par exemple, un auteur peut vouloir donner de lui ou de ce qu’il pense, à travers son texte, une image qui ne corresponde pas à ce qu’il est vraiment, à ce qu’il pense vraiment. La vision du monde construite est élaborée en utilisant le produit comme source d’indices mais aussi, éventuellement, en l’utilisant comme source d’informations thématisées (par exemple, si un texte parle directement de la vision du monde de l’auteur, etc.). La vision du monde construite se trouve véhiculée, plus ou moins directement, plus ou moins explicitement, plus ou moins consciemment, dans un, plusieurs, tous les produits du producteur (par exemple, plusieurs textes littéraires d’un même auteur). L’utilisation du produit comme source d’indices sur le producteur repose sur le postulat, difficilement contestable, que le produit informe toujours sur le producteur (et la production) et donc qu’il peut informer notamment sur la vision du monde qu’a ce producteur.

            Par ailleurs, une « vision » peut également porter sur un élément plus restreint que le monde. Donnons des exemples littéraires. On peut ainsi analyser, dans un produit littéraire donné (texte, corpus, genre, topos, etc.), l’image, la représentation, la conception ou la vision que se fait l’auteur: de lui-même, de la littérature, d’une culture, d’une classe ou d’un groupe social, de la langue, d’un genre, de l’amour, etc.

            Généralement, si ce n’est toujours, la vision peut être rendue par une ou plusieurs propositions logiques: par exemple, « Le monde est pourri », « Les femmes sont inconstantes ». Éventuellement les propositions logiques d’une même vision seront reliées entre elles par des relations particulières et donc constituées en structures plus ou moins complexes (jusqu’à former une idéologie élaborée). La vision peut être celle du producteur proprement dit (par exemple, un auteur), mais également, vision thématisée, celle d’un « personnage » (réel: un politicien dans un quotidien; fictif: un personnage dans un roman) dépeint dans la production; dans ce cas, la vision thématisée peut être congruente avec celle du producteur (le journaliste, le romancier) ou alors différente voire opposée.

            L’analyse de la vision du monde – et, de manière plus atténuée, de la vision de quelque chose – s’inscrit généralement dans les études génératives. En effet, on postule souvent que cette vision génère le produit, partiellement ou totalement. Par exemple, Spitzer considère, c’est sans doute excessif, que la vision du monde d’un auteur informe non seulement les thèmes mais tous les aspects de l’œuvre (le style par exemple). Voir Noyau génératif.

 

Ouvrages cités

- BÉNAC, H. et B. RÉAUTÉ (1993), Vocabulaire des études littéraires, Paris, Hachette.

- DIRKX, P. (2000), Sociologie de la littérature, Paris, Armand Collin.

- GENETTE, G. (1982), Palimpsestes, Paris, Seuil.

- HÉBERT, L. (2007), Dispositifs pour l’analyse des textes et des images. Introduction à la sémiotique appliquée, Limoges, Presses de l’Université de Limoges.

- HÉBERT, L. (2012-) Dictionnaire de sémiotique générale, dans Louis Hébert (dir.), Signo, Rimouski, http://www.signosemio.com/documents/dictionnaire-semiotique-generale.pdf

- HÉBERT, L. (2013-), L’analyse des textes littéraires: vingt approches, dans L. Hébert (dir.), Signo – Site Internet bilingue de théories sémiotiques, Rimouski, http://www.signosemio.com/documents/approches-analyse-litteraire.pdf

- HÉBERT, L. (2014-), L’analyse des textes littéraires: une méthodologie complète, version numéro x, dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/documents/methodologie-analyse-litteraire.pdf.

- KERBRAT-ORECCHIONI, C. (2002), « Connotation », dans A. Jacob (dir.), Encyclopédie philosophique universelle, S. Auroux (dir.), II. Les notions philosophiques, dictionnaire, tome I, Paris, Presses universitaires de France, p. 425-426.

- LAFORTUNE, M. et S. MORIN (1996), L’analyse littéraire par l’exemple, Laval (Québec), Mondia.


[1] Nous nous inspirons d'un document de J. Blais (U. Laval), que nous modifions et développons considérablement.

[2] Notons que le tempérament relèvera, selon les théories, soit de la physiologie, soit de la psychologie, soit des deux.