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Abstract

This article is a contribution to the scholarly woks on the origins and evolution of African and African-American literatures. It revisits the contentious debate over literary traditions and canons that are seemingly believed to be rooted and developed in western cultures and literatures. Accordingly, some scholars argue that the African and African-American literary traditions are inheritent to those occidental literary traditions and canons as they have influenced their writers’ literary backgrounds.

From a critical and comparative approach, this paper transcends the above-mentioned controversies. It brings to conclusions according to which both African and African American literatures have their own traditions whatsoever the influence of western traditions have upon them. It highlights that the question of genre raised upon the novel is a matter of heritage and political cultural hegemony that turns into dependence.

Keywords: literary tradition - African novel - African-American novel -    heritage- influence- dependence

 

Résumé

            Cet article est une contribution aux travaux menés sur les origines et  l'évolution des littératures africaine et afro-américaine. Il examine en grande partie le débat contentieux sur les traditions et canons littéraires que l'on croit apparemment être enracinés et développés dans les cultures et littératures occidentales. En conséquence, certains chercheurs défendent que les  traditions littéraires africaines et afro-américaines sont inhérentes à celles de l’Occident car elles ont influencé leurs écrivains.

            À partir d'une approche critique et comparative, cet article  transcende lesdites controverses. Il mène à des conclusions selon lesquelles les littératures africaines et afro-américaines ont leurs propres traditions quelle que  soit l'influence  que les traditions occidentales ont eue sur elles. Ainsi, la question de genre  romanesque soulevée sur la forme des romans africains et africain-américains  qui, ne semble pas obéir aux standards européens, relève d’un héritage culturel et d’une hégémonie culturelle politique qui se transforment en dépendance.

Mots clés: tradition littéraire- roman africain – roman africain-américain- héritage- influence- dépendance

 

 

INTRODUCTION

               Après un siècle d’existence (pour la littérature africaine écrite) et plus de deux siècles d’existence (pour la littérature africaine-américaine), celles-ci ne sont que miettes pour certains érudits littéraires par rapport aux littératures occidentales et asiatiques qui existent depuis une dizaine de siècles maintenant. Cependant, les littératures africaines et africaine-américaines ne restent pas moins révolutionnaires et significatives sur le plan artistique, culturel et littéraire. Aussi, ne cessent-elles pas de susciter, des questions de traditions et de genres littéraires qui sont des points focaux dans cette étude.

          A travers une analyse critique et par une approche comparative qui mettent en lumière des questions de genèse, d’influence et d’interdépendance culturelle ayant marqué l’histoire des littératures africaine et africaine-américaine, cette étude se propose de revisiter l’histoire des traditions littéraires des romans africain et africain-américain. Dans cette analyse, nous aborderons la question fondamentale de l’héritage culturel menant à des controverses sur les traditions et genres littéraires. Nous soulignerons également le problème des langues d’expression menant à des difficultés d’harmonisation du discours pour parler d’une seule littérature africaine par rapport à la littérature africaine-américaine qui est sa descendante de facto.

 

I-De l’héritage culturel

            Sur la base de certaines théories et critiques[1] du genre romanesque de par ses origines lointaines et ses formes multiples qui ont traversé les cultures et traditions asiatique d’une part et européenne d’autre part depuis l’Antiquité, nous constatons que  les romans africain et afro-américain ont bel et bien leurs propres traditions bien que celles-ci soient récentes ou influencées par leurs prédécesseurs. S. Amanor Dseagu défend cette thèse:

There is also evidence that the novel form had been known long before it became established in England and Europe. The classic Chinese novel spans a long period of European literary history stretching from the late Middle Ages to the nineteenth century. Even judging by its finest titles, it differs from the modern Western novel not only because it shows no comparable concern with form but because it represents a different composition of fiction.

History tells us that the novel did not originate in England or in Europe. The novel was already well known in the Far East before A.D. 1000. The first Japanese novel is said to have been written by Japanese, traditionally identified by name as Murasaki Shihitu, who lived during the Heian Age, which dates from about 795 to about 1185. Both in style and in plot structure, that novel has been said to be very different from the usual Western novel (DSEAGU 1992: 586)

 

Il faut noter dans cette perspective que beaucoup de siècles se sont écoulés entre les traditions occidentale et asiatique et celles de l’Afrique ou de « l’Amérique noire » [2] du Nord, car les peuples de la Diaspora noire ont eu contact avec l’écriture il n’y pas très longtemps c’est-à-dire il y a moins de six siècles (vers le XVIIe siècle). Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’existait pas de littérature chez ces peuples de la même origine et du même héritage culturel. Il y avait une littérature qui reposait sur une tradition purement orale dont la richesse est caractérisée par le folklore qui est un ensemble d’éléments culturels: mythes, légendes, contes, proverbes etc.

            Cette culture ou plutôt tradition orale se transmettait de génération en génération. Pour la préservation des ses valeurs cardinales, ce sont les griots[3] qui étaient les plus grands conservateurs ou consultants traditionnels qui se voulaient à la fois messagers et mémoires de leurs sociétés. Cette époque de l’histoire des peuples noirs qui reposait sur une littérature spéciale et orale date pourtant du Moyen Age même si elle ne possédait pas de sources écrites permettant de valider cette prédominance ou préexistence culturelle.

            Dès lors, si toute littérature est fille d’une culture particulière, pourquoi les romans afro-américain et africain ne sont apparus respectivement qu’au début des XVIIIe et XXe siècles ?  Cette question peut être d’emblée répondue en précisant que l’Europe n’avait pas le monopole du savoir devant l’Afrique mais plutôt celui de l’écriture. Car – rappelons ou reconnaissons le – n’eût été les deux grands évènements historiques (l’esclavage et la colonisation) qui ont certes bouleversé les peuples africains et atteint leur dignité et intégrité morale, ces peuples-là auraient difficilement eu accès à l’écriture. Cette thèse est discutable, mais certains chercheurs comme Janheinz Jahn l’ont défendue:

Africa’s traditional literature is oral. But since Africans began coming into contact with Arabic and western cultures, they have produced written literary works; at first only a few did so, but afterwards a great many. Former slaves in Europe who somehow ended up in Europe or America were writing in European languages as early as the sixteen and eighteen centuries. With the establishment of mission schools in Africa, written literary works have been produced there too in both European and African literary languages, since the beginning of this century. (JAHN 1968: 21)

 

En termes de publication de roman, ce sont, sans doute, les afro-américains qui ont précédé leurs homologues africains. Ceci s’explique par deux raisons. D’abord, ils ont été les premiers noirs à avoir accès à l’écriture grâce à la déportation qui ne leur a permis cette activité qu’au XVIIIe siècle. Ensuite, cette expérience difficile a très tôt fait naître chez eux une révolte du cœur et a suscité une curiosité d’écriture. Cependant, il faut reconnaître, en contrepartie, que tout le background culturel qui a influencé leurs écrits, à savoir le caractère autobiographique et oral du « slave narrative», vient d’une grande partie de l’expérience de la souffrance engendrée par l’esclavage. D’autre part, ils voulaient se réconcilier avec leur passé nostalgique en écrivant des mémoires. Rowe & Killam élaborent ce point:

Though the African presence in North America predates trans-Atlantic slave trade, African American literature begins with the oral performances with which African slaves relieved, when possible, the physical and psychological horrors of their lives. Written literature did not emerge until the eighteenth century, principally because slaves were forbidden by statute to acquire literacy or any intellectual equipment that might engender a rebellious consciousness of self-worth (ROWE & KILLAM 2000: 6).

 

En revanche, pour parler de la littérature orale en général qui est la source des deux traditions littéraires que nous comparons, c’est nettement la littérature africaine qui a précédé pendant plus de neuf siècles, car l’Afrique est non seulement le berceau de l’Humanité mais aussi la terre mère des écrivains afro-américains. Aussi, depuis longtemps, il existait une littérature orale traduite en Arabe et publiée sous forme de récits ou chroniques historiques appelés tareh  comme le Tareh Es Soudan de Ibn Kaldum publié depuis le XIe siècle[4]. Cependant, en termes de publication, le roman afro-américain est apparu en premier lieu, grâce à la déportation occasionnée par la traite négrière qui a légué aux Afro-américains une seconde culture qui féconde celle d’origine. Alors, cette partie du peuple noire déportée aura, vite, traduit sa culture sur le plan littéraire comme un couteau à double tranchant qui est une métaphore d’un double héritage culturel. Janheiz Jahn décrit, dans ces lignes, l’histoire de celui qui a occasionné cette forme de « littérature d’exil » à travers les écrits d’Olauda Equiano qui est le précurseur du roman dans la tradition littéraire afro-américaine: « Equiano told the story of his very varied life, and he is the first report we have by an African on his country of origin.  It is well-known and easily accessible. » (JAHN 1968: 40).

           En effet, Equiano est le premier esclave exporté de l’Afrique de l’Ouest. Le pays d’origine auquel Jahn fait allusion est celui du Nigéria qui est aussi la terre natale de Chinua Achebe, une célèbre figure littéraire et l’un des pionniers de la littérature africaine anglophone. Voici un scénario historique qui démontre le rattachement culturel des écrivains afro-américains à l’Afrique. Richard Barksdale & Keneth Kinnamon relatent les faits:

Few men in the eighteenth century lived a life more varied and adventurous than that of Olauda Equiano (or Ekwuano), known in later life as Gustava Vassa (or Vassa). An Ibo, Equiano was born east of the Niger in what is now the first south-central of Nigeria. His account of Ibo life and culture in the first chapter of his autobiography, The Interesting Narrative of the Life of Olauda Equiano, or Gustava Vassa, the African (1789), is invaluable as one of the first descriptions of an African society by an African. Many of the customs and beliefs recorded by Equiano still prevail among the Ibo people (BARKSDALE & KINNAMON 1972: 5).

 

 II- De l’influence et de la dépendance des cultures occidentales

En étudiant les traditions littéraires africaine et afro-américaine, il faut d’abord noter qu’elles ont été toutes assujetties à une domination culturelle réalisée à travers un système colonial très solide et impératif, car l’objectif majeur du colon était d’abord de dominer les autochtones en leur imposant sa langue et sa culture ; ce qui a été bien acquis dès le début de la conquête. La preuve de cette réalité est la présence en Afrique d’une littérature écrite dans des langues d’expression différentes: l’anglais le français, l’allemand, le portugais, l’espagnol, et l’arabe alors qu’en Amérique du nord il n’y a qu’une seule langue d’expression purement anglaise. 

             Dès lors, une grande différence s’impose, car si la littérature africaine, en terme de tradition, ne connaît que deux grands ancêtres, à savoir la tradition orale africaine sur le plan culturel et l’Europe sur le plan linguistique à travers la langue d’expression, la littérature afro-américaine, quant à elle, en a trois par devoir de mémoire. Cette dernière trouve premièrement ses origines en Afrique, son ancêtre (le grand-père) sur le plan culturel. Deuxièmement, la littérature américaine en général qui est sa mère naturelle car elle n’est qu’une branche de celle-ci. Et troisièmement l’Europe (le père) dont la langue d’expression et la tradition littéraire sont implantées en Amérique par le biais du colonisateur anglais. Pierre Lagayette montre dans la citation suivante que cet impérialisme culturel et littéraire s’est opéré sous forme de «condition romanesque » chez les écrivains américains en général:

Les premiers romanciers américains, il est vrai, ont été victimes d’une conjoncture plutôt défavorable: primauté de la culture politique, succès de la littérature « utilitaire » […] et vogue des auteurs anglais. […] la mode est aux récits de captivité, aux aventures rocambolesques; à la pénombre et au frisson du genre gothique, et les romanciers américains de la première heure vont suivre le goût des lecteurs. Ils adaptent les modèles anglais mais avec beaucoup de prudence (LAGAYETTE 2001: 27).

 

Pour mieux étayer ce que Lagayette a argumenté, il serait mieux de faire comprendre que les écrivains de la littérature américaine en général qui est à la fois la mère de la littérature africaine-américaine, ont été confrontés à un problème de tradition car ils voulaient dès le début de leur indépendance politique enclencher une forme d’écriture qui rime avec indépendance totale sur tous les plans. Ils voulaient ainsi adopter une nouvelle forme d’écriture puisque continuer à utiliser la tradition occidentale qu’ils reconnaissent comme leur ancêtre sans contestation n’était pas idéal pour certains. Peter B. High explique ce phénomène en clarifiant que les écrivains américains voulaient créer une « littérature nationale » avec leur propre version:

In the early years of the new republic, there was disagreement about how American literature should grow. There were three different points of view. One group was worried that American literature still lacked national feeling. They wanted books which expressed the special character of the nation, not books which were based on European culture. Another group felt that American literature was too young to declare its independence from the British literary tradition. They believed the United States should see itself as a new branch of English culture. The third group also felt that the call for a national literature was a mistake. To them, good literature was universal, always rising above the time and place where it was written. The argument continued for almost a hundred years without any clear decision. As American literature grew and flowered, the greatest writers found a way to combine the best qualities of the literature of the Old and New Worlds. They also gave their works the universality of great literature (HIGH 1986: 27).

 

Parallèle à l’idée d’indépendance politique d’abord acquise en 1776 qui fut d’ailleurs un grand succès des Pères fondateurs des USA appréciés par tout le peuple américain, une indépendance culturelle aussi s’annonça avec la naissance d’une « littérature nationale et originale » dont le premier roman apparut en 1789. Ce qui constitue encore une grande victoire, car la naissance du premier roman américain, The Power of Sympathy de William Hill Brown coïncide avec l’année de la ratification et de l’entrée en vigueur de la Constitution des USA (1789). Pierre Lagayette décrit cette histoire qu’il considère comme les « prémices de la littérature américaine »:

Si l’on mesure une littérature nationale par les  œuvres d’imagination en prose que l’on a coutume d’appeler « roman », alors la littérature américaine n’existe pas avant 1789 avant The Power of Sympathy, de William Hill Brown, que la critique moderne s’est plu à considérer comme le « premier roman américain ». Les balbutiements d’un genre littéraire naissant offrent rarement des exemples  de franche réussite, et celui qui s’attache surtout à la valeur artistique d’un texte fera bien d’oublier prestement les œuvres de cette pro-fiction américaine. Mais les plus attentifs y décèleront des vertus et des indices témoignant de la lente gestation qui va mener, vingt ans  plus tard, à l’éclosion de talents surs comme Irving et Cooper (LAGAYETTE 2001: 27). 

 

Pour autant, les premiers romans qui se désignent typiquement et respectivement comme romans américain et afro-américain ont tous vu le jour la même année en 1789. Il s’agit de The Power of Sympathy de William Hill Brown et The Interesting Narrative of the Life of Olauda Equiano, or  Gustava Vassa, the African, Written by Himself d’Olauda Equiano. Cependant, des critiques on été formulées à l’endroit d’Equiano dont le roman a été jugé moins conventionnel et qualifié comme «slave narrative» (récit oral d’esclave) plutôt qu’un roman au sens propre. C’est d’ailleurs la même critique qu’avaient reçue les deux premiers romans de la littérature anglophone de l’Afrique de l’Ouest à savoir People of the City de Cyprian Ekwensi (1952) et The Palm-Wine Drinkard d’Amos Tutuola (1952).

            Au regard de ce qui s’est passé, ceux qui voulaient attaquer l’œuvre d’Equiano auraient donc déduit que l’on ne peut pas naître avant son ancêtre si toutefois les écrits d’Equiano se veulent héritiers de la tradition littéraire américaine. En revanche, cet auteur n’attendait qu’un accès effectif et formel à l’écriture pour matérialiser sa culture et tradition et aussi faire revivre son expérience.

             A la différence des écrivains afro-américains,  cette occasion ne s’est présentée chez leurs confrères africains et nigérians en particulier qu’au début de la deuxième moitié du vingtième siècle (en 1952). N’empêche, les précurseurs du roman nigérian aussi ont été rangés au même banc qu’Equiano. Bernth Lindfords qui fait partie de ceux que nous appelons « critiques de l’extérieur » rétorque ceci aux défenseurs du roman africain:

Ekwensi’s novels are still failures. They combine some of the worst features of Western popular literatures with some of the least subtle techniques of African oral narrative art.  It seems that when Ekwensi is not trying to get by with cheap effects borrowed from shoddy sources, he is labouring to make an obvious point. Thus, like his heroes, he vacillates between complete Westernisation and reversions to his African heritage (LINDFORDS cited by DUROSIMI 1975: 185).

 

Ce que nous venons de développer montre que le roman afro-américain, de par son triple héritage, a soit devancé ou est resté sur la même longueur d’ondes que ses ancêtres sur le plan culturel. En réalité, sur le plan littéraire et artistique, le roman afro-américain est paradoxalement le vrai ancêtre du roman africain anglophone du Nigéria puisque Equiano qui est le premier romancier afro-américain est aussi d’origine nigériane. Donc, cela va sans dire qu’il va influencer les futures générations d’écrivains nigérians. C’est ce que Rowe et Killam ont démontré dans A Companion to African Literature:

In 1958, Chinua Achebe published the first standard West African novel in English, Things Fall Apart. Since that time hundreds of other titles have appeared: more than five hundred from Nigeria and some fifty from Ghana, Sierra Leone, and Gambia. Some critics regard The Interesting Narrative of the Life of Olauda Equiano, or  Gustava Vassa, the African, Written by Himself (  1789), which appeared in two abridgements in 1967 and 1968 and a facsimile reprint in 1969 (all edited by Paul Edwards) ,as the ancestor of the West African novel in English. Others think that the story should begin with Cyprian Ekwensi’s People of the City (1952) (ROWE & KILLAM 2000: 185).

 

Cette assertion de Killam et Rowe est très édifiante sur  la question de la genèse du roman africain même si elle ne prend en charge que le roman nigérian en particulier. Cependant, il n’est pas moins important dans l’étude de l’évolution de la littérature africaine. Parler du roman nigérian seul peut suffire, car le plus grand nombre de publication de romans vient de cette zone de l’Afrique.

           Eu égard à ce que nous avons développé, il n’est pas facile de tracer l’histoire de la littérature africaine, voire ses traditions. En d’autres termes, il est difficile de parler de littérature africaine d’une manière homogène comme celle d’Amérique ou d’Europe. Le problème majeur qui se pose est que l’Afrique est une unité géographique qui se distingue aussi par une pluralité culturelle alors que l’Amérique peut être définie comme une seule unité, voire entité géographique et culturelle car la littérature américaine (mère) de même que sa branche (afro-américaine) ont toutes la même langue d’expression. Ce qui n’est pas le cas en Afrique et qui fait que chaque zone se retrouve avec une langue d’expression différente selon l’expérience coloniale. Par conséquent, on se retrouve avec plus de quatre langues d’expression d’origine européenne que sont: Anglais, Français, Espagnol, Portugais, entre autres.  Janheinz Jahn fait cette remarque:

Africa is geographical, not a cultural term. There are two different  cultural  areas, with  different  histories and traditions: on the one hand North Africa,  and on the  other what is variously called  ‘Negro Africa’, ‘Black Africa’, ‘non-Islamic  Africa’ and ‘Africa south of Sahara’. The peoples in these two areas have all sorts of relations with each other over thousands of years, yet the difference between them have remained (JAHN 1968: 19).

 

Jahn nous aide à observer à quel point il est difficile d’harmoniser ou de donner la date d’apparition du roman africain d’autant plus que c’est une aire géographique caractérisée par une diversité linguistique et dont la littérature aussi se subdivise en sous branches et évolue à des ères et aires différentes.  Il y en a qui ont existé depuis l’Egypte ancienne comme le cas de la littérature africaine berbère. D’autres sont récentes et n’ont émergé considérablement qu’après l’ère coloniale. C’est là que beaucoup de critiques éprouvent des difficultés à dire d’une manière uniforme où se situe le roman africain.  Néanmoins,  il n’est pas impossible de suivre les différentes branches de littératures qui prédominent pour tracer l’origine du roman et sa date d’apparition.

           Bien que le roman soit apparu en Europe depuis le Moyen Age et en Amérique à  la fin du XVIIIe siècle,  en littérature africaine en général il n’a vu le jour qu’au début du XXe siècle. De ce fait, il faudrait préciser que si dans la littérature africaine francophone, le premier roman est Force bonté de Bakary Diallo publié en 1921, il n’en demeure pas moins qu’il existait des romans dans la littérature africaine anglophone bien avant celui-ci.

              Toutefois, si nous nous fondons sur l’historique de la littérature africaine, l’on conviendrait que le premier roman africain est pourtant  apparu en Afrique du Sud avec Thomas Mofolo qui a publié en 1906, dans sa langue, Sesuto, traduit en Anglais sous le titre, The Traveller of the East suivi de Pitseng en 1910 et Chaka en 1925. Ces œuvres sont des références qui montrent que le roman africain anglophone a précédé celui des francophones. Ainsi, ce que ces romans de langues d’expression différentes ont de commun sur le plan culturel est le fait qu’ils ont  tous puisé leurs sources dans la tradition orale.

            Cependant, bon nombre de critiques qui s’intéressent à la littérature africaine d’expression anglaise considèrent le roman nigérian, Things Fall Apart, (1958)   comme le plus célèbre voire celui qui marque le début de la littérature de l’Afrique de l’Ouest anglophone. En principe, dans cette aire, c’est les romans d’Amos Tutuola et de Cypian Ekwensi, respectivement The Palm-Wine Drinkard et People of the City publiés en 1952 et ayant comme source la mythologie yorouba qui sont les précurseurs. Killam et Rowe analysent:

The first francophone Africa, novels appeared in the 1920s. Force Bonte (1921), by Bakary Diallo and L’Esclave (1926), by Felix Couchoro had supported the colonial system while asking for full assimilation. Not until the 1960s was the body of work large enough to declare its independence from the French novel while sharing common aesthetic concerns (ROWE & KILLAM 2000: 181)

 

Quant au roman afro-américain, il est plus ancien que le roman africain mais beaucoup plus récent que celui de l’Europe.  Il a vu le jour en 1789 avec Olauda Equiano qui a inspiré ses successeurs qui, à leur tour, ont perpétué la tradition comme dans Letter From an American Farmer (1884)[5] de Saint Jean de Crèvecœur et Narrative Life of Frederick Douglass, An American Slave (1845)[6]. Equiano a influencé ces générations et d’autres en Afrique. Ainsi, on assiste à une scène de transmission de génération en génération, de l’Amérique en Afrique comme cela se faisait au temps de la tradition orale.

             Par le triple héritage de l’expérience afro-américaine et le double héritage africain, se sont forgées deux traditions littéraires artistiquement et culturellement liées. Leurs modes d’écriture situées entre le folklore de la littérature orale et la langue d’expression de l’ancien colonisateur, ont traversé des aires et ères de l’Afrique à l’Amérique en passant par les mouvements littéraires du « Harlem Renaissance » des années 1920, la Négritude implantée entre l’Afrique et les Caraïbes depuis les années 1930 et le « Black Art Movement » des années 1960.[7] Houston  A. Baker Jr montre comment cette tradition a été perpétuée au fil des années à travers des générations différentes.

 

 

CONCLUSION

En définitive, c’est sans doute les transformations et transmissions à travers l’oralité de génération en génération qui ont inspiré les écrivains contemporains des deux camps. Samba Diop explique d’où vient le caractère hybride du roman africain:

L’oralité est l’élément de support premier du projet narratif moderne en langues européennes. Cependant, il est aussi devenu banal de dire  que le roman est d’origine européenne. Au-delà de ses origines, il importe de savoir  comment ce genre s’est adapté à l’Afrique et donc, comment l’écrivain postcolonial l’utilise en partie pour y inscrire des concepts tels que  la nation, l’ethnicité et la  conscience de groupe (DIOP 2003: 47)

 

 Eu égard à ce que Samba Diop a affirmé, cela va sans dire que c’est l’appropriation voire la démystification du genre romanesque par les écrivains africains en le transposant en roman ethnique qui  justifie la forte présence de mythes, contes, légendes et proverbes dans les romans africain et afro-américain. Bref, voici ce qu’il faut appréhender pour élucider la controverse « originelle et conceptuelle.» Il faut comprendre que peut-être c’est le genre seulement qui a été emprunté (à la limite), mais la tradition est purement africaine ou afro-américaine car les écrivains de ces peuples l’ont réadapté à leur façon pour montrer de nouvelles traditions dans la littérature en général. Chinua Achebe souligne et confirme cet aspect quand il dit:

African people did not hear of culture for the first time from Europeans. Their societies were not mindless but they had a philosophy of great depth and value and beauty; they had poetry and above all, they had dignity. (ACHEBE 1975: 8)

  

BIBLIOGRAPHIE

  • BAKER Jr. Houston A. Blues, Ideology and Afro-American Literature: A Vernacular Theory. Chicago: The University of Chicago Press, 1984.
  • BARKSDALE, Richard & Keneth Kinnamon.Black Writers of America:  A Comprehensive Anthology.New Jersey: Prentice Hall, 1972.
  • DE CREVECŒUR, Saint Jean de,Letter From an American Framer. London Mac Millan, 1884.
  • DIOP, SambaDiscours national et identité  ethnique à travers le roman sénégalais.Paris: L’Harmattan, 2003.
  • DOUGLASS, Frederick,Narrative Life of Frederick Douglass, An American Slave. London: Mac Millan, 1845.
  • DSEAGU, S. Amanor.  “The Influence of Folklore Techniques on the Form of the African Novel” inNewLiterary History, Vol. 23, n° 3 Politics and Culture. Baltimore: Summer 1992.
  • DUROSIMI, Jones Eldred. Ed.African Literature Today N ° 5: The Novel in Africa. London: Heinemann, 1975.
  • HIGH, Peter B.An Outline of American Literature. New York: Longman, 1986.
  • JAHN, Janheinz.Neo-African Literature: A History of Black Writing. New York: Grove Press. 1968.
  • KILLAM G. D.The Writings of Chinua Achebe. London: Heinemann Educational   Books, 1975.
  • KILLAM, Douglas & Ruth Rowe. eds.The Companion to African Literatures. Oxford: James Currey, 2000.
  • LAGAYETTE, Pierre.Histoire de la littérature américaine(nouvelle édition). Paris: Hachette, 2001.
  • UNESCO. (sous la direction de Ahmadou Moctar Mbow),Histoire générale de l’Afrique I:méthodologie et préhistoire africaine. Paris: P. A / Edicef / Unesco, 1979.

[1] Pour plus de détails sur cette question voir les théories de Peter B. High,  Pierre Lagayette, Richard Barksdale et al.,  Samba Diop,  Douglass Killam et al. dont les références complètes figurent dans notre bibliographie.

[2] Terme que nous utilisons pour  les Afro-américains bien qu’il  soit chargé selon certains ethnologues qui font la différence entre « Africain-Américain » et « Afro-Américain ». Néanmoins, dans ce travail nous comprenons par son  usage la génération d’écrivains afro-américains.

[3] Il y a des sociétés où il n’existe pas de griot certes, mais il y a toujours des personnes ressources qui peuvent jouer ce rôle de transmetteur de savoir.

[4] Cf., Joseph Ki-Zerbo, (sous la direction de), Histoire générale de l’Afrique I:méthodologie et préhistoire africaine (Paris: P. A / Edicef/ Unesco, 1979).

[5] Cf., Saint Jean de Crevecoeur, Letter From an American Framer (London Mac Millan,1884).

[6]Cf., Frederick Douglass, Narrative Life of Frederick Douglass, An American Slave (London: Mac Millan, 1845).

[7] Cf. Houston A. Baker Jr, Blues, Ideology and Afro-American Literature: A Vernacular Theory (Chicago:  The University of Chicago Press, 1984).