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Résumé

          La corrélation se présente comme une suite signifiante de signes linguistiques entre deux interruptions manifestes de la communication. Il existe des signes discontinus, en français moderne, comme les temps composés ou les négations (a…mangé – ne…pas), et aussi des signes suprasegmentaux comme l’intonation. La corrélation établit une relation existant entre deux notions dont l'une ne peut être pensée sans l'autre, entre deux faits liés par une dépendance nécessaire, entre deux choses dont l’une implique l’autre et réciproquement. L’expression corrélative du temps s’exprime par la conjonction cum (en français moderne quand) précédée ou suivie de l’adverbe tum: tum…cum « au moment où »: vix (vixdum)…cum « à peine…quand (que) » ; jam…cum « déjà…quand ». C’est à partir de l’ancien français que la corrélation temporelle avec quant et que commence à être employée de façon plus régulière au point de supplanter le système latin, avec les combinaisons quant…si ; quant…lors ; quant…dunc ; cum…dunc lorsque la subordonnée est placée avant la principale introduite par l’adverbe. La subordination inverse se présente avec les combinaisons si…quant ; lors…quant ; lors…que.

Mots clés: corrélation – latin – ancien français – français moderne – si – quant – que – puis – lors  – cum – dunc.

 

Abstract

          Correlation is considered as a strain of meaningful linguistic signs between two noticeable interruptions of communication. There are discontinuous signs in modern French, such as compound tenses or negations (have...eaten -...not), and also supra-segmental signs like intonation. Correlation establishes a relationship between two concepts, one of which cannot be taken without the other, between two events related by a necessary dependence, or between two things that imply each other. Cum (when, in modern French) is the conjunction that expresses tense preceded or followed by the adverb tum: tum ... cum "when": vix (vixdum) ... cum "just ... when (as)"; jam cum ... « Even when». The temporal correlation with quant and que started to be used in old French so regularly that it ended up supplanting the Latin system, with the following combinations quant...si, quant ...lors; quant...dunc; cum...dunc when the subordinate clause is placed before the main introduced by the adverb. The reverse subordination occurs with combinations as ... si…quant ; lors…quant ; lors…que..

Key words: correlation – Latin – ancient French  –  modern French – si – quant – que – puis – lors  – cum – dunc.

 

Introduction

          Attesté depuis le XVe siècle, le mot corrélation est emprunté au latin correlatio, correlationis qui signifie « relation mutuelle ». C’est un terme morphologiquement composé du préfixe latin co de cum (avec) et du radical relatio (relation), que nous pouvons traduire en français par « interdépendance, réciprocité ». La corrélation établit une relation existant entre deux notions dont l'une ne peut être pensée sans l'autre, entre deux faits liés par une dépendance nécessaire, entre deux choses dont l’une implique l’autre et réciproquement.  La corrélation établit aussi un rapport de dépendance dû à un lien de cause à effet ou un lien créé par une cause commune, déterminée ou non.

          Lorsque nous abordons la question des systèmes temporels, nous choisissons de partir du concept de temporalité qui met en évidence les rapports temporels entre deux procès. Ces rapports « peuvent être exprimés par différents moyens allant de l’agrégation, par juxtaposition paratactique de propositions, accompagnés ou non de struments temporels, à l’intégration maximum par la subordination. » (Buridant, 2000).

          L’objet de ce travail est l’étude diachronique de la grammaticalisation des systèmes temporels corrélatifs, à la lumière du principe fondamental de la situation de communication  que dégage Emile Benveniste:

La langue constitue un système dont toutes les parties sont unies par un rapport de solidarité et de dépendance. Ce système organise des unités, qui sont les signes articulés, se différenciant et se limitant mutuellement. La doctrine structuraliste enseigne la prédominance du système sur les éléments, vise à dégager la structure du système à travers les relations des éléments, aussi bien dans la chaîne parlée que dans les paradigmes formels, et montre le caractère organique des changements auxquels la langue est soumise. (1976)

 

Cette vision de Benveniste fait penser à la définition que Weinrich (1973) donne du texte, comme une suite signifiante de signes linguistiques entre deux interruptions manifestes de la communication. Il existe des signes discontinus, en français moderne, comme les temps composés ou les négations (a…mangé – ne…pas), et aussi des signes suprasegmentaux comme l’intonation. On admettra qu’un texte se compose exclusivement de signes ordonnés en une suite linéaire, transmise du locuteur à l’allocutaire dans une consécution chronologique. Pour notre étude, un modèle hypothétique mérite d’être avancé: au début du texte ou message, l’allocutaire dispose d’une quantité d’information égale à zéro, cela signifie que toutes les possibilités sont encore ouvertes. A la fin du texte, l’allocutaire ayant perçu et compris la totalité de l’information, aucune des possibilités qui concernent l’objet de la communication ne reste disponible.

Le concept de « corrélation » permet d’établir le passage d’un signe à l’autre au cours du déroulement linéaire du texte, dans une relation de complémentarité. La théorie des temps ne pouvant pas, dans le cadre de cette étude, être intégrée à une théorie générale de la grammaire, notre démarche écartera de ses analyses sur les syntagmes corrélatifs tous les subjonctifs, infinitifs, impératifs, participes et gérondifs. Elle s’intéresse plutôt à la façon dont les processus de grammaticalisation affectent le sens et la structure syntaxique de certains termes pour les introduire dans les systèmes temporels. Elle sera basée sur un des axes importants des systèmes temporels: la corrélation.

 

  1. Fonctionnement des syntagmes corrélatifs

          Dans les grammaires latines, l’expression du temps permet d’indiquer un simple rapport entre deux faits réels. Les systèmes corrélatifs se présentent comme des couples de mots, de même nature et de formation parallèle, l’un, de forme et de sens adverbiaux, se trouve dans la principale ; l’autre, de forme et de sens temporels, introduit la subordonnée. L’expression corrélative du temps en latin s’exprime par la conjonction cum (en français moderne quand). Mais étymologiquement quand vient du latin quando, à la fois conjonction et adverbe dont les emplois présents ont commencé dès l’ancien français:

Quando [kwando]

VIIe siècle        [kwando]  >  [kwande̥]  >  [kwand]  Amuïssement et chute de la voyelle finale.

VIIIe siècle         [kwand]  >  [kwant]  La consonne sonore d en finale absolue s’assourdit après l’amuïssement de la voyelle finale o: d  >  t.

Début XIe siècle  [kwant]  >  [kwa͂nt]    La voyelle a, suivie de la consonne nasale n, se nasalise: an  >  a͂n.

XIe siècle              [kwa͂nt]  >  [ka͂nt]  La consonne w en position forte se simplifie: kw  >  k.

XIIIe siècle         [ka͂nt]  >  [ka͂n]   t final s’amuït, mais subsiste dans la graphie jusqu’au XVIIe siècle où d revient mais prononcé t dans les liaisons.

XVIIe siècle          [ka͂n]  >  [ka͂]     La consonne nasale n implosive se dénasalise et la nasale se maintient: a͂n  >  a͂: quand

Quand: La graphie du français moderne nous revoie à l’étymologie du mot.

La conjonction cum peut être précédée ou suivie de l’adverbe tum: tum…cum « au moment où »:

Tum multi pavent cum noctua cécinit

« Beaucoup ont peur au moment où une chouette crie »

La subordination inverse donne un sémantisme exprimant une consécution cum…tum « quand…alors »:

Haec cum dixit, tum abiit

« Quand il eut dit cela, alors il partit »

La conjonction cum peut être précédée des adverbes:

-              vix (vixdum): vix (vixdum)…cum « à peine…quand (que) »:

Haec vixdum dixit cum abiit. 

« A peine eut-il dit cela qu’il partit » ;

-             jam: jam…cum « déjà…quand » exprimant une sorte de simultanéité:

Jam omnes silébant, cum exire voluit.

« Déjà tous se taisaient quand il voulut sortir »

En ancien français, l’adverbe de temps quant est un nominalisateur de phrase. Adverbe, il fonctionne aussi comme conjonction et introduit une proposition circonstancielle de temps ou de cause, ou des deux ensembles:

Quant l’ot Rollant, si cumençat a rire (Roland, 302)

« Quand Roland l’entend, il se prend à rire »

Qant vos en avez tant juré,

tout m’en avez aseüré (Reanart, 187-88)

« Quand vous vous êtes tant justifiée, tous vos serments m’ont pleinement rassuré »

 Il sert à introduire la subordonnée en relation avec un terme antécédent de sémantèse temporelle ou de sémantèse voisine (Moignet, 1976):

Prez sui que je li face soudre

lors qant Renart sera venuz

et li jugemenz iert tenuz (Renart, 120 – 22)

« Je suis prêt à lui faire payer la cause quand il aura comparu et que la sentence aura été rendue. »

Que, conjonction, attesté depuis le IXe siècle, est issu de la conjonction latine quĭa qui exprime en latin classique la cause (parce que) et qui s’est peu à peu imposée au détriment de quod.

Quĭa [kwĭa]

1er s. av. J.-C.          [kwĭa]  >  [kwya]         ĭ bref en hiatus se ferme en semi-consonne y.

IIe s.               [kwya]   >   [kwa]      Le y ne pouvant palataliser la semi-consonne w,           s’amuït, ne faisant entendre aucun y de transition.

VIIe s.                  [kwa]     >   [kwe̥]            Amuïssement et maintien de la voyelle finale:

a  >  e̥.

XIe s.                    [kwe̥]  >  [ke̥]                      La consonne w en position forte se simplifie:

kw  >  k.

XVe s.                [ke̥]    >   [kœ]              Ce central (articulé au milieu de la cavité buccale) se labialise, c’est-à-dire qu’il est prononcé avec les lèvres projetées en avant, et ainsi il passe à œ sourd (articulé entre ouvert et fermé). Ce œ s’amuït complétement au XVIIe s.. ll devient ǝ, voyelle d’appui après un groupe consonantique et devant un mot commençant par une consonne.

Que: cette graphie, retenue en français moderne, rappelle l’appartenance étymologique du mot.              

Que est un adverbe relatif de temps quand il est en rapport avec un substantif antécédent de sémantèse temporelle ; il est beaucoup plus courant que quant (Moignet, 1976):

Deus, meie culpe vers les tues vertuz

De mes pecchez, des granz et des menuz,

Que jo ai fait dés l’ure que nez fui

Tresqu’a cest jur que ci sui consoüt (Roland, 2369-72)

«Dieu, par ta grâce, mea culpa, pour mes péchés, les grands et les menus, que j’ai faits depuis l’heure où ja naquis jusqu’à ce jour où me voici abattu ! »

Ces tournures corrélatives sont d’autant plus agréables à employer en latin qu’en ancien français et encore plus qu’en français moderne.Nous nous intéresserons particulièrement, dans cette étude, à deux systèmes corrélatifs bien connus en ancien français:

-             le premier est le système Quant + V1…adverbe + V2 ou  système Subordonnée + Principal.

-             le second est le système adverbe …Quant ou Que ou Principal + Subordonnée où l’adverbe introduit l’énoncé premier.

Dans l’un comme dans l’autre système, l’obligation d’apporter un complément au procès désigné est réelle: un complément qui est un adverbe dans le premier système et une conjonction Quant ou Que dans le second. Dans la subordination inverse, l’adjonction des deux éléments dans les systèmes Lors…Que et Puis…Que a permis d’obtenir en français moderne de simples conjonctions: Lorsque introduisant une subordonnée temporelle et Puisque une subordonnée causale. Cette adjonction, surtout celle de puis…que en puisque exprimant la cause, intervenue à partir du XVIIe siècle, n’a fait que conforter l’allocutaire dans la position d’incompréhension ou mésinterprétation des messages reçus. Puis vient du latin vulgaire postius qui est une réfection de post et de postea au sens de « après, ensuite » qui n’établit aucun lien avec la cause:

Póstius [póstĭus]

Latin   [póstĭus]

1er s. av. J.-C.      [póstĭus]  >   [póstyus]         ĭ bref en position de hiatus se ferme en semi-consonne y.

IIe s.                 [póstyus]   >   [pó̜styus]         Changement vocalique: ŏ bref devient ouvert: ŏ  >  ǫ.

                       [pó̜styus]   >      [pó̜st̮us]          Palatalisation: t  +  y  >  t̮.

                       [pó̜st̮us]   >    [pó̜st̮s̮us]             Assibilation en sifflante: t̮  >  t̮s̮.

                      [pó̜st̮s̮us]     >  [pó̜s̮t̮s̮us]             Palatalisation du s antécédent: st̮s̮  >  s̮t̮s̮.

                     [pó̜s̮t̮s̮us]  > [pó̜s̮s̮s̮us]  >  [pó̜s̮s̮us]   Assimilation de t médian puis simplification: s̮t̮s̮   >   s̮s̮s̮  >   s̮s̮.

                     [pó̜s̮s̮us]  >   [pó̜ys̮s̮us]     Apparition d’un y de transition entre la voyelle précédente et la géminée palatalisée:   s̮s̮ >  ys̮s̮.

IVe s.         [pó̜ys̮s̮us]    >   [pó̜ǫys̮s̮us]  >  [púǫys̮s̮us]  Diphtongaison conditionnée de ǫ́ soumis à l’influence du y: ǫ́ + y > ǫ́ǫ > úǫ.

VIIe s.          [púǫys̮s̮us] > [púǫys̮s̮e̥s]  > [púǫys̮s̮s]  Amuïssement et chute de la voyelle finale u.

                    [púǫys̮s̮s] >  [púǫys̮s̮] > [púǫys̮]   Absorption du s final par la géminée et simplification de la géminée.

                    [púǫys̮]  >  [púǫys]          Dépalatalisation de s̮  > s.

                    [púǫys]  >  [púǫis]     Vocalisation du y de transition en i qui forme une triphtongue par coalescence avec la diphtongue úǫ qui précéde.

Xe s.             [púǫis]    >  [púęis]        Différenciation: ǫ  >  ę.   

                     [púęis]   >  [púiis]    >   [púis]   Assimilation de ę en position médiane et la triphtongue se réduit à une diphtongue:                       úęi > úii > úi.

                   [púis]   >  [pǘis]      Palatalisation de ú en ǘ sous l’influence de i diphtongal.

XIIIe s.       [pǘis]  >  [püís]      Normalisation: déplacement de l’accent du premier élément de la diphtongue au second.

                    [püís]  >  [pẅís]      Consonnification du premier élément devenu atone: ü > ẅ

                    [pẅís]  >  [pẅí(s)]  Amuïssement de s final qui subsiste sous forme sonore z en cas de liaison: Puis     

L’adjonction a d’abord donné à puisque le sens disparu au XIVe siècle de « depuis que ».

On montre alors en quoi l’évolution diachronique, s’inscrivant dans un mouvement de grammaticalisation, permette de renforcer le sens prototypique de la locution conjonctive, en relation avec la persistance sémantique de son constituant de base, à la jonction des valeurs sémantiques et discursives.

 

Les systèmes Quant + V1…Adverbe + V2

          L’adverbe SI est une des particules les plus caractéristiques de l’ancienne langue dans le système corrélatif. Cette particule, très régulièrement employé dans les textes, signifie ainsi, mais adapte facilement son sens aux besoins de la phrase, au point qu’il est souvent difficile de lui accorder la nuance exacte. (Foulet, 1998). C’est un adverbe qui joue un rôle important dans l’expression de la corrélation parce qu’il sert à introduire le deuxième procès de l’énonciation:

Quant il fu endormiz, si li fu avis que devant lui venoit uns hons toz avironez d’estoilles (Queste del Saint Graal, p. 130, 29)

« Quand il fut endormi, alors (ainsi) on l’avertit qu’un homme tout entouré d’étoiles venait devant lui. »

Quant l’ot li reis, fierement le reguardet,

Si li ad dit: « Vos estes vifs diables » (Roland, 745-746)

« Quand le roi l’entend, le regarde durement, alors il lui dit: vous êtes un démon »

Quant il eurent coroné, si l’assisent en une haute caiiere (Conqueste C, XCVII, 1)

« Quand ils l’eurent couronné, ils l’installèrent sur un trône élevé »

Et quant il ot grant piece alé,

Si retrova mort le destrier (Charrette, 304 – 305)

« Après avoir fait bien du chemin, (alors, ainsi) il retrouva mort le cheval »

Et quant li vavasors l’entant,

            Si s’an mervoille duremant (Charrette, 2083 6 2084)

« Quand l’arrière vassal l’entend, il est saisi d’une étrange inquiétude »

Quant cil le vit vers lui venir,

            Si s’en commença a foïr (Erec et Enide, 2885 – 2886)

« Quand ce dernier (le troisième brigand) le vit venir vers lui, il se mit à prendre la fuite. »

A la place de si, nous pouvons rencontrer lors: attesté depuis le XIe siècle, il est issu du latin tardif illa hora « à cette heure » issu du phénomène proclitique lahora après l’aphérèse de illa  donnant la. Il est supplanté à partir du XVIIe siècle par alors qui, attesté depuis le XIIe siècle, est resté rare jusqu’au XVe siècle et est issu du renforcement de lors par la préposition à. Lors ne subsiste guère que dans des locutions conjonctives lors même que, dès lors que. 

Lors permet de marquer fondamentalement une référence dans le passé à distance du moment de l’énonciation, fonctionnant comme thème, ce qui lui a valu la dénomination de « lorcentrique », chef de file d’un ensemble d’adverbes connecteurs marquant les articulations d’un récit au passé (Buridant, 2000).  

A la veille de la Pentecoste, quant li compaignon de la Table Reonde furent venu a Kamaalot et il orent oï le servise et len vouloit metre les tables a hore de none, lors entra en la sale a cheval une molt bele damoisele (Queste del Saint Graal,1,1-5)

 

« La veille de la Pentecôte, quand les compagnons de la Table Ronde furent venus (étaient venus) à Camaaloth et comme ils allaient se mettre à table après avoir entendu la messe, une demoiselle d’une très grande beauté entra à cheval dans la salle. »

Et quant ce vint que Abraham fut au mengier, Melchisedech benoist Dieu sur la table …Lors luy donna Abraham le disme de tous les biens de son pays (Oisiveté, JA. I, XX, 27)

« Et quand Abraham se trouva au repas, Melchisedech bénit Dieu à table…Alors Abraham lui donna le dixième de tous les biens de son pays. » 

L’adverbe dunc se rencontre comme deuxième élément corrélatif à la place de si et de lors. Il se présente plus comme exprimant une causalité descendante permettant de connaître les effets d’un fait connu:

Quant ço veit Guenes qu’ore s’en rit Rollant,

Dunc ad tel doel pur poi d’ire ne fent (Rolant, 303 – 304)

« Quand Ganelon voit que Roland s’en rit, il en a si grand deuil qu’il pense qu’il éclate de courrouxé »

Li arcevesques, quant vit pasmer Rollant,

            Dunc out tel doel unkes mais n’out si grant.

            Tendit sa main, si ad pris l’olifan (Rolant, 2222-24)

« Quand l’archevêque vit Roland s’évanouir, il en éprouva tant de douleur qu’il n’en eu jamais de plus grande. Il tendit sa main, a pris l’olifant. »

Com(e), adverbe de manière, peut être aussi conjonction et introduire une subordonnée temporelle de la concomitance. Com et quant sont concurrentiels pour exprimer la concomitance simultanée.

Com, dont la parenté avec le latin est remarquable, semble plus fréquent dans les traductions et les ouvrages savants (Buridant, 2000). Traduit par comme, il exprime à la fois le temps, la cause et la comparaison:

Cum vit le lit, esguardat la pulcela

Dunc li remembret de sun seinor celeste (Alexis, 56-57)

« Quand il vit le lit, de la jeune fille qui s’offre à ses regards, il lui souvient de son seigneur celeste »

Il y a dans la relation corrélative entre quant et dunc un effet de causalité exprimé dans la subordonnée temporelle. Une causalité qui peut être qualifiée de descendante ou deductive où à partir d’un fait (ou phénomène) connu, on en détermine les effets (ou les conséquences).

On trouve de même si com:

Si comme ils furent la venu, si leur dist li dux (Conqueste C, XII, 23-24)

« Quand ils furent arrivés là, le duc leur dit… »

          Ce système où quant est dans la première partie de l’énoncé quant…adverbe, appelle aussi bien la temporalité que la causalité. Son emploi est plus fréquent avec l’adverbe si qu’avec les autres.

 

Les systèmes Adverbe…Quant ou Que

Ce système dans lequel la subordonnée se trouve dans la deuxième partie de la phrase, pour des raisons d’ordre expressif ou affectif, s’oppose à l’ordre de reprise thématique que nous avons étudié plus haut. Dans ce système, l’adverbe indique différents rapports entre la principale et la subordonnée:

-             la cause:

Se li devons grant enor feire,

            Qant por nos fors de prison treire

            A tant perilleus leus passez

            Et passera ancor assez, (Charrette, 2417 – 20)

« Nous devons l’honorer (Logres) de notre mieux quand (parce que), pour nous tirer de prison, il a passé et devra encore passer par tant de lieux si dangereux. »         

-             un état d’esprit:

Mout se despoire et desconforte,

Quant son seignor dire ne l’ose (Erec et Enide, 3718 – 3719)

« Elle est au comble du désespoir et du désarroi, quand (puisque) elle n’ose avertir son seigneur »

Lors commença li duelx si forz,

            Quant Enide cheoir le vit. (Erec et Enide, 4602 – 03)

« Quel profond désespoir s’empara alors d’Enide, quand elle le vit s’effondrer! »

Lors fu mes sire Gauvains liez,

Que li pié remestrent pandu

Par les ongles a son escu ; (Perceval, 7866-68)

« Monseigneur Gauvain exulte de voir que les pattes demeurent suspendues à son bouclier par les griffes. »

Nous nous trouvons dans ces exemples devant une causalité ascendante ou explicative où l’on part d’un fait (ou d’un phénomène) pour en déterminer la cause (l’origine).

Nous rencontrons des cas où quant peut exprimer aussi bien le temps (quand) que la cause (parce que), surtout dans les cas de subordination inverse:

Chascuns [des pans] de sa chemise,

     Trencha bandes longues et lees,

S’ont lor plaies entrebendees,

Quant l’un (s) ot l’autre bendé (Erec et Enide, 3920 – 23)

« Chacun coupa dans les pans de sa chemise des bandes longues et larges et ainsi ils se sont mutuellement bandé leurs plaies, après s’être l’un l’autre soignés (parce qu’ils se sont soignés l’un l’autre).» 

Deux procès presque simultanés, mais le second précède le premier.

Les conjonctions composées ou corrélatives ont connu le processus de soudure syntaxique (Hopper & Traugott, 1993) présentant les unes comme des mots indivisibles voire insécables et les autres comme des unités syntaxiques ayant des restrictions quant aux éléments pouvant s’insérer entre ceux qui constituent la conjonction.

 

Conclusion

          Dans la corrélation, l’ordre de reprise thématique où la subordonnée précéde la principale, présente plus la conséquence d’un fait que sa temporalité. L’ordre de la subordonnée inverse exprime mieux la cause que le temps. Cela permet de faire remarquer que la corrélation ne fait établir aucune relation connue incontestée. La difficulté est démultipliée quand il s’agit de déterminer dans une phrase la cause et la conséquence. 

 

Oeuvres citées

TROYES (de) CH. (1994),  Le chevalier au lion (Yvain),

Abréviation: Yvain.      éd. et trad. D. F. Hult, Lettres Gothiques, (écrit en 1177).

TROYES (de) CH. (1991), Le chevalier de la charrette,

Abréviation: La charrette. Flammarion, Paris, (écrit en 1177).

La chanson de Roland, éd. MOIGNET G. (, 1969),  Bordas, Paris, (écrit vers 1100)

Auteur anonyme (1936, rééd. 1956, 1996), La Mort le roi Artu, éd. FRAPPIER (J.), Droz, Génève. Abréviation: Artu.  (écrit vers 1230)              Auteur anonyme (1978, 1983), , Lancelot, 9 vol., éd. MICHA A., Droz,Genève, Roman du XIIIe siècle, 2 vol., T. I, 10 / 18.        

Auteur anonyme (1984 et 1999), La Queste del Saint Graal, éd. PAUPHILET A., Champion, Paris, Abréviation: La Queste.

 

Bibliographie

  • BAUMGARTNER, E. ; MENARD, P. (1996), Dictionnaire étymologique et historique de la langue française. Librairie Générale Française. Paris.
  • BENVENISTE, E. (1966), Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, (2 vol.):
  •  BURIDANT, C. (2000), Grammaire nouvelle de l’ancien français, Éditions Sedes.
  • IMBS, P.( 1956), Les propositions temporelles en ancien français: la détermination du Moment, Les Belles Lettres, Paris.
  • JOLY, G., (1998), Précis d’ancien français (morphologie nominale et verbale et syntaxe) A. Colin, Paris.
  • MARCHELLO-NIZIA, Ch. (2006), Grammaticalisation et changement linguistique, De Boeck & Larcier, Bruxelles.
  • MARCHELLO-NIZIA, Ch. (2001), Grammaticalisation et évolution des systèmes grammaticaux in Langue Française 130.
  • MARCHELLO-NIZIA, Ch. (1979), Histoire de la langue française aux XIVe et XVe siècles, Bordas, Paris.
  • MEILLET, A. (1982), Linguistique historique et linguistique générale,  Slatkine.
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  • RAYNAUD DE LAGE, C. (19641964), Manuel pratique d’ancien français, Picard, Paris,
  • RAYNAUD DE LAGE, G. (1993),  Introduction à l’ancien français, 2e éd., G. Hasenohr éd., SEDES,
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  • WEINRICH, H. (1973),  Le Temps, Le Seuil, Paris.