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Résumé

Cet article vise à saisir les manifestations et les significations de l’écriture de la transgression dans l’ouvrage romanesque, The House Gun, de l’écrivaine sud-africaine Nadine Gordimer. La contribution aborde la rupture du code moral, la polyphonie narrative et le principe de l’hétérogénéité comme les champs illustratifs de la transgression.

Mots-clés: écriture, transgression, code moral, polyphonie narrative, hétérogénéité.

 

Abstract

This paper aims at unveiling the manifestations and significance of transgressive writing in the South African writer’s novel, Nadine Gordimer, The House Gun. This research examines such issues as the breach of the moral code, narrative polyphony and the question of heterogeneity as telling instances of the transgression unfolding in the text.

Keywords: writing, transgression, moral code, narrative polyphony, heterogeneity.

 

 

INTRODUCTION

Transgresser, c’est aller à l’encontre des codes et principes établis. Le roman africain en langues européennes est un exemple manifeste de cette rupture scripturale qui irrigue de façon continue le champ signifiant de la littérature africaine. Nonobstant son caractère restrictif, focalisé uniquement sur les littératures africaines en langue française, l’écrit fondateur de Sewanou Dabla[1] enseigne que l’innovation est une marque séminale qui caractérise la production des romanciers de la post-indépendance, préoccupés qu’ils sont par une écriture ouvertement iconoclaste. Sous le syntagme de “nouvelles écritures africaines,” Dabla désigne le renouveau esthétique qui marque l’aire du roman africain d’expression française, univers diégétique dorénavant visité par la catégorie de la subversion fonctionnelle.

Dans le regard diachronique qu’il porte sur la littérature africaine, Michel Naumann (2001:56) postule, lui, l’existence de la littérature”voyoue,”néologisme utilisé pour mettre en exergue la nouvelle littérature africaine qui s’interdit d’observer les règles conventionnelles qu’on lui connait jusqu’ici. Ce renouveau littéraire qui prend son origine au début de la décennie des années 1980, lit-on, est caractérisé par une écriture amorale, violente et cynique, pour traduire les misères de l’Afrique, toujours au stade de l‘autodétermination. Pour autant, il est possible de regretter que la recherche de Michel Naumann reste silencieuse sur une période aussi importante que celle de la littérature post-apartheid.[2] Une telle situation de vide herméneutique fonde l’intérêt de la présente recherche, rendant donc à cette contribution toute sa valeur heuristique.

Sur la base de l’hypothèse d’une forte teneur transgressive dans l’ouvrage de la romancière sud-africaine Nadine Gordimer, The House Gun (1999), il est pertinent de se demander comment cette transgression s’objective dans cette matrice signifante, précisément au niveau de l’écriture, énoncée comme “mise en signes spécifique [sic],” selon le mot de Monique Carcaud-Macaire (1997: xi). D’une autre manière, quelles sont les manifestations de la charge transgressive? Quelles sont les significations qui s’attachent à une telle démarche scripturale dans l’ouvrage du prix Nobel de littérature 1991?

Dans le souci de répondre à ces interrogations, la présente contribution, qui prend appui sur la théorie postmoderne, dans son acception de mise en crise des formes canoniques (Hutcheon, 1988:57), se propose d’étudier la rupture du code moral, la polyphonie narrative et l’hétérogénéité qui imprègnent le récit de Nadine Gordimer.

 

I. LA RUPTURE DU CODE MORAL

La lecture de The House Gun offre de constater que le code moral, énoncé comme l’ensemble des règles de bienséance d’une société est mis à mal, enfreint qu’il est par une écriture qui fait la part belle à la sexualité et à tout ce qui s’y rapporte. Cette infraction du code peut se lire au moins à deux niveaux: d’une part par la présentation de scènes se rapportant à la sexualité; l’iconogramme de la sexualité et d’autre part par la mise en évidence dans le tissu narratif de scènes se rapportant à la sexualité transgressive; l’homosexualité en étant une illustration particulièrement riche de sens.

Dans la matrice signifiante, le champ lexical est dominé par des termes licencieux et polissons ayant trait à la sexualité. Les lexies comme “ sperm”(64), “ovum”(64), “vagina” (p.98), “anus” (p.98), “fucks”(76), “orgasm”(210), “genitals”(207) sont assez édifiants pour comprendre que la fiction narrative ne s’embarrasse guère de circonlocutions et appelle les choses par leurs noms. De la sorte, l’abécédaire en rapport avec les préceptes moraux n’est plus de saison dans la mesure où la prose gordimienne se déprend de la réserve et de l’euphémisme pour fustiger avec force la décadence ambiante. Cette forme d’écriture qui fait abstraction de la langue de bois, ce que Pierre Merle (1993:56) désigne sous le vocable de “brutalisme,” témoigne sans aucun doute de la subversion évoquée dans le texte.

En effet, lorsque la violence et les pratiques permissives sont le lot quotidien, il n’est plus possible de respecter les règles en rapport avec l’axiologie. Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre que la violation du code moral par la fiction narrative vient être le symétrique d’une collectivité éminemment pathologique et acéphale, en raison de sa dimension permissive. Pour qui est imbu des principes postmodernes, les barrières et frontières, y compris celles ayant un lien avec la morale, ne sont plus intangibles, d’où l’écriture débridée de l’écrivaine.

La transgression sexuelle prend une autre orientation dès lors que le récit de Gordimer présente des descriptions sexuelles graphiques à la limite de la pornographie. On comprend que les scènes en rapport à la sexualité, loin d’être suggérées comme c’est souvent le cas dans l’érotisme, sont présentées avec des détails fort édifiants. Le paragraphe suivant est typique de cette réalité sexuelle évoquée dans le texte narratif:

He doesn’t see it when he follows how he found them. Exactly how he found them is clear in every detail. They’re both dressed (that’s the way she likes it), only their genitals offered each to the other, her skirt bunched out of the way and his backside still half-covered by his pants as he’s busy inside her. They egg each other on with the sounds that are, he can’t stop himself hearing, familiar to him from both of them they are seized by what that can’t stop, it’s happening in front of him, it seems to him that’s what’s it’s always like, if you could see yourself, a contortion, an epileptic fit. He fled from it. He thought he heard her laughing and crying. He sat in the dark in the cottage waiting for her to feel her way in and say, That’s all there is to it, so! (p.152)

 

Ici, le lecteur ne se contente plus de lire un récit, il est comme pris par la main aux fins d’assister sans bourse déliée à une représentation filmique hard. La relation sexuelle entre Carl Jespersen et Natalie James est racontée avec une précision photographique au mépris des règles de pudeur et de rectitude morale. Dans ces conditions, il importe de comprendre que le tabou naguère associé à la sexualité est levé pour présenter les faits, tous les faits dans l’acuité de leur nudité. Lorsque l’immoralité est une pratique journalière, l’observance des règles de bienséance est un luxe glorieux qui n’est plus à l’ordre du jour. Sur cette base, le texte de Gordimer prend ses distances avec la morale conventionnelle et revendique pleinement sa différence, “son éloignement des centres officiels” dirait Antoine Volodine (2008:385).

A côté des descriptions sexuelles, The House Gun met en évidence des exemples de sexualité transgressive. Sous cette terminologie, se trouvent désignées des pratiques sexuelles contre-nature, au nombre desquelles l’on peut citer l’homosexualité. Sans céder outre mesure à une forme d’homophobie des temps nouveaux, l’homosexualité en tant que pratique déviante, viole ce que Fabrice Thumerel (1998:57) nomme avec pertinence “l’idéologie normative,” entendue comme “les règles qui établissent le moralement acceptable dans une société donnée.” En incorporant dans le récit des scènes en rapport avec cette pratique sexuelle anticonformiste, la romancière sud-africaine s’installe de cette façon dans le registre de la transgression, comme le montrent les mots qui suivent: ”There is the gay trio in the house. David Baker and Carl Jespersen are lovers, Jespersen’s fling with Duncan is a thing of the past” (p.115).

David Baker, Carl Jespersen et Duncan Lindgard constituent le trident homosexuel de la matrice romanesque de Gordimer. Leurs cheminements, dans le cadre de cette orientation sexuelle, sont présentés sans censure aucune, comme pour ne pas dénaturer l’état véritable dans lequel se trouve la collectivité. En réalité, la présentation de la pratique homosexuelle dans le texte de fiction médiatise une écriture folle, libertaire et affranchie des règles de convenance dans ce locus social à la moralité problématique. La narration, une autre catégorie textuelle, permet de mettre en exergue la dimension transgressive du texte de Gordimer.

 

II. LA POLYPHONIE NARRATIVE

La polyphonie narrative, définie comme la présence d’une multiplicité de voix narratives dans le texte de fiction, est l’autre palier du dispositif textuel qui témoigne de la transgression dans l’écrit de Gordimer. Sans doute n’est-il pas dénué d’intérêt de rappeler, après Mikhail Bakhtine (1987:67), que le roman de type traditionnel a ceci de particulier qu’il se caractérise par un principe monologique ou homophonique. En d’autres mots, dans cette typologie romanesque, le trait fondamental, c’est que le narrateur omniscient raconte en se servant du pronom sujet “Il”. A cet égard, The House Gun témoigne de ce souci de se départir de cette règle séculaire dans la mesure où il met en évidence plusieurs narrateurs qui racontent à travers les pronoms sujets “he” et “I”.

La narration omnisciente, matérialisée par l’utilisation du pronom sujet “he,” est le dispositif énonciatif qui détient la palme dans The House Gun. L’instance narrative est donc dotée d’une prescience qui fait qu’elle est l’alpha et l’oméga du récit romanesque. A la manière d’un démiurge, elle relate toutes les actions des personnages et connait tout de ceux-ci, comme le montre le paragraghe suivant:

Harald was in the cottage. He had gone first to the room at the end of the garden where the plumber’s assistant and part-time gardener lived. A padlock on a stable door; the property was old, the man occupied what once must have housed a horse (p.44)

 

Dans le paragraphe sus-mentionné, le narrateur non seulement donne des informations sur le personnage de Harald, bien plus il fait des commentaires, confirmant donc la position omnisciente dans laquelle l’instance narrative se trouve. Par-delà cette disposition narrative traditionnelle, le roman de Gordimer a ceci de transgressif que la narration ne se fait pas uniquement à travers une instance omnisciente.

Le narrateur qui raconte au “I” est l’autre dispositif énonciatif que le récit donne à lire. Ici, le lecteur se trouve en présence d’un personnage du texte qui raconte. Un des exemples est celui de Duncan, le fils unique du couple Lindgard, auteur d’un meurtre présumé, comme le montre ce passage fort expressif:

I’ve copied that quotation again and again, don’t know how many times, in the middle of the night from memory I’ve written it on a scrap of paper the way she used to scribble a line for a poem, I’ve stopped in the middle of a section, when I was concentrating on my plan, and had to write it out somewhere. (p.282)

 

Ce balancement narratif entre les narrateurs ”he“ et “I” invite à comprendre que le récit s’inscrit sans aucun doute dans le registre de la subversion. Par la polyphonie narrative, le texte de Gordimer remet en question les composantes du roman de type traditionnel, précisément l’énonciation à la troisième personne et le point de vue omniscient. Une telle posture esthétique, faut-il le rappeler, épouse le paradigme postmoderne en ce que celui-ci s’émancipe des conventions littéraires solidement ancrées (Barry, 2010: 85). Dans The House Gun, cette écriture qui prend ses distances avec les règles canoniques est davantage attestée à l’examen de l’hétérogénéité du roman.

 

III. UN RECIT HETEROGENE

L’hétérogénéité participe également de cette logique de rupture qui informe le récit gordimien. Dans les linéaments qu’il établit d’une production littéraire postmoderne, André Lamontagne (1998:63) retient, entre autres, la notion d’hétérogénéité. Un tel critère part du postulat que le texte de fiction est un condensé d’éléments mutiformes, pris ici et là, pour former un ensemble narratif appelé roman. La fiction narrative de Gordimer peut bien être afflublée de cette caractéristique, à savoir l’hétérogénéité, si l’on porte le regard sur les éléments épars qui la constituent. Dans une visée taxinomique, il est possible de distinguer tour à tour l’hétérogénéité linguistique, graphique, textuelle, générique et grammaticale.

Pour ce qui est de la dimension linguistique, le récit de Gordimer, quoiqu’écrit essentiellement en langue anglaise, apparait indubitablement, pour faire référence à la métaphore évangelique, comme une véritable Tour de Babel du fait de la légion de langues qui le traversent.  Concurremment à la langue de Shakespeare, le lecteur est au prise avec une profusion linguistique qui se manifeste par la présence intrusive de langues aussi diverses que l’espagnol ”basta”(187), l’allemand ”doppelganger” (229), le portuguais” L’Agulhas”(285), le français” Nous sommes tous [sic] créatures mêlées d’amour et du mal”(183), l’italien ”flagrante delicto” (195) et les langues africaines comme l’afrikaans “klaar”(128) et le zulu ”UNGEKE UDLIWE UMZWANGEDWA SISEKHONA” (249). Cette polyvalence linguistique, à défaut d’être une manoeuvre de diversion, s’analyse comme un véritable procédé de subversion qui vient remettre en question l’homogénéité du genre romanesque, notamment son principe cardinal de l’unité linguistique (Jouve, 2001:78). De cette façon, le récit de Gordimer prend les allures d’un impressionnant kaléidoscope linguistique. Comment ne pas y lire la métaphorisation littéraire de l’être ensemble, ce qui se désigne dans le microcosme sud-africain l’ubuntu[3]? Face à ceux qui embouchent les trompettes de l’égocentrisme totalitaire, la fiction de Gordimer promeut l’ouverture altéritaire dans l’espoir de construire un monde plus hamonieux parce que devenu plus humain.

L’hétérogénéité est aussi manifeste au niveau graphique. Cela est perceptible à travers la dimension hétéroclite du texte en raison d’une typographie changeante d’une page à une autre ou encore sur la même page. Les processus d’italicisation qui le dipustent à l’écriture romaine apparaissent être la preuve manifeste de cette incontinence graphique. Une telle disposition vient mettre à mal l’harmonie du texte narratif, notamment son caractère uniforme. Une de ces nombreuses occurrences apparait dès l’incipit du roman:

He/she. She has marked the date on patients’ prescriptions a dozen times since morning but she turns to find a question that will bring some kind of answer to that word pronounced by the messenger. She cries out.

What day is it today?

Friday.

It was on a Friday (p.5)

 

Le procédé d’italicisation, un critère scriptural qui fonde la métatextualité du récit, participe de la volonté de l’instance narrative de mettre en évidence ce qui apparait comme une vérité cardinale. Par le jeu de l’italique, ce mot étant manifestement entendu dans son acception de création, s’instaure donc une disharmonie graphique, au sens où le récit perd son unité typographique, traversé qu’il est par une multiplicité de formes au niveau de la graphie. Cette technique mobilise forcément l’attention du lecteur qui prend ainsi connaissance du traumatisme vécu par Claudia Lindgard, au creux de la vague, du fait de l’arrestation de son fils unique, Duncan, pour meurtre présumé. Le texte a dès lors l’allure d’un véritable pandémonium, où la typographie, loin d’être uniforme est manifestement échevelée, donnant à voir une floraison de formes en la matière. Ce faisant, il s’inscrit dans la violation de la norme promue par le roman traditionnel dont un des traits saillants reste “l’homogénéité typographique” et son “écriture administrative” (Dabla, 1986:56).

La ressource intertextuelle est une autre piste à explorer pour prendre toute la mesure du phénomène de l’hétérogénéité qui traverse le texte de Gordimer. On sait au moins, depuis Julia Kristeva (1968:146), que “tout texte se construit comme mosaique de citations.” The House Gun ne déroge pas à ce principe dans la mesure où le lecteur du roman se rend compte qu’il est en présence d’un carrefour romanesque qui unit plusieurs textes.

D’emblée, la référence épigraphique est un exemple patent des ressources intertextuelles présentes dans le texte. On peut donc lire cette citation empruntée à Amoz Oz, le romancier israélien contemporain, à travers son ouvrage romanesque, Fima (1991): ”the crime is the punishment.” Ici, l’épigraphe s’analyse comme un pacte de lecture qui vient renseigner le lecteur, le préparer à lire une trame dominée par les notions de criminalité et de la violence subséquente. De par sa nature intertextuelle, l’épigraphe sémiotise le fait que Gordimer écrit son texte en s’appuyant sur ceux de ses pairs qui l’ont précédée dans la pratique romanesque.

Au surplus, l’interrogation de Claudia lors de sa visite à son fils, Duncan, incarcéré, aux fins de vérifier sa culture littéraire permet d’affirmer la dynamique intertextuelle qui traverse le récit : “Have you ever read Thomas Mann? I’ll bring you’ The Magic Mountain’” (p.101). The Magic Mountain (1924) fait référence à une production romanesque de l’écrivain allemand du XXe siècle, Thomas Mann, lauréat du prix Nobel de littérature 1929. On comprend que, dans le registre d’un palimpseste, The House Gun fait la preuve de la dissémination des voix sociales dans le texte narratif, procédé que Jean Michel Yvard (2002:47) désigne sous le terme d’intertextualité.

Toutes ces références intertextuelles violent les normes du roman traditionnel et autorisent à soutenir que le texte de Gordimer s’inscrit dans la logique de la transgression. Il sied de rappeler, après Tro Deho (2005:97), que la technique de l’intertextualité doit être comprise dans la perspective du renouvellement du récit traditionnel bien usitée par les auteurs postmodernes. Une telle disposition vient rappeler avec insistance aux chantres de l’unité et de la pureté, la diversité inscrite dans ce monde actuel et célèbre par là même la notion de “l’impureté” si chère à l’écriture postmoderne (Nayar, 2006:220).

Dans la même veine, les références bibliques qui abondent dans le texte viennent rappeler que le roman se construit en puisant à d’autres genres narratifs. Au moins deux versets bibliques méritent l’attention:” Harald with his Our Father who are in heaven…” (p.82) et ” Thou Shalt Not Kill.”(p.98). Dans le premier, on reconnait la prière que Jesus–Christ enseigna à ses disciples (Mathieu 6, verset 9). Pour ce qui est du deuxième, il rappelle le sixième commandement du décalogue dans la foi chrétienne. Sur la base de ce qui précède, il est possible de soutenir que The House Gun est un roman hétérogène, ce qui autorise à conclure que Gordimer fait sienne la notion d’hybridité générique, pour faire usage du métalangage de la théorie postmoderne.

L’hétérogénéité grammaticale, quant à elle, découle du fait que le texte romanesque permet de constater une labileté manifeste dans l’application des règles se rapportant à la grammaire anglaise.  Il est loisible de citer les règles en rapport avec la ponctuation et le discours rapporté.

Dans The House Gun, les règles de la ponctuation sont pratiquées avec un dilettantisme qui ne peut laisser impassible le critique. L’occurrence suivante est partculièrement symptomatique de cette pratique quasi anarchiste de la ponctuation :

You dragged me back you made  me puke my death out of my lungs you revived me after the madhouse of psychopath doctors you  plan you planned to save me in the missionary position not only on my back good taste married your  babies because I gave mine away like the bitch who eats the puppy she’s whelped develop ‘careers’ you invent for me because that’s what a woman you’ve saved should have you took away from me my death for that for what you decide I live for said I must stop punishing myself but here’s news for you if I stay with you it’s because I choose I choose the worst punishment I can find for myself I revel in it do you know that (p.153)

 

Cet énoncé agrammatical, qui prend des libertés avec les principes de la grammaire anglaise, donne toute la mesure de la transgression dans l’ouvrage de Gordimer. Sauf à faire preuve d’une naiveté primaire, l’on ne saurait soutenir que Gordimer ignore cette règle scolaire selon laquelle une phrase commence par une lettre majuscule et prend fin par un point. A la vérité, Gordimer se départit du confort de l’orthodoxie de la grammaire anglaise pour promouvoir une pratique de ponctuation hétérodoxe. Une telle démarche scripturale s’inscrit dans l’épistémé postmoderne qui refuse les barrières toujours inhibitrices des normes et des rigidités qu’elles induisent. En revanche, se trouve exaltée la liberté, ou les libertés, c’est selon.

Cette liberté scripturale se poursuit au niveau du discours rapporté qui subit aussi la liberté créatrice de l’écrivaine qui déploie ainsi ce qu’on pourrait présenter comme une grammmaire atypique: “As you know, Senior Counsel said.” (p.126). Dans le texte narratif, le discours rapporté ’’As you know” n’est pas encadré par des guillemets qui viendraient traduire le fait qu’il est rapporté. Or la grammaire anglaise enseigne que les guillemets doivent être utilisés pour matérialiser une telle situation. On comprend dès lors que le récit, ici encore, transgresse les principes de la grammaire anglaise pour promouvoir ce qu’il est possible de désigner comme une grammaire adhoc, expression de la licence poétique de l’écrivaine. A cet egard, il est loisible de soutenir que Gordimer est une romancière postmoderne, au sens où elle”joue dans un registre très personnel” (Jouve, 2001:89).

  

CONCLUSION

L’étude qui s’achève a entrepris de lire les manifestations et les significations de l’écriture transgressive dans l’ouvrage romanesque, The House Gun, de la romancière sud-africaine Nadine Gordimer. La subversion évidente des règles se rapportant au code moral, la mise en texte de la polyphonie narrative et la dimension incontestablement hétérogène que promeut le roman, sont les preuves tangibles de la valeur transgressive du texte romanesque. Une telle démarche scripturale, mise en rapport avec la théorie postmoderne, permet de comprendre que la transgression sémantise la mise à mort de la rigidité et de la fixité pour faire l’éloge de la diversité et de la pluralité. Par ailleurs, l’écriture transgressive participe de cette ère où, les règles de morale, lorsqu’ elles existent, sont plutôt riches de leur vacuité. De ce point de vue, le libéralisme scriptural de l’écrivaine sud-africaine semble être un écho au libéralisme politique contenu dans la formule”nation arc-en-ciel,” symbole de la nouvelle Afrique du Sud qui veut renier les zélateurs de tout hégémonisme, d’où qu’ils viennent. On peut légitimement soutenir que le concept de dissidence,[4] souvent associé à des écrivains blancs comme André Brink, John-Maxwell Coeztee et Nadine Gordimer, n’est pas  seulement politique, il se nimbe d’une signification scripturale qu’il serait possible de vérifier à l’aune de la production littéraire de tous les auteurs appartenant à ce courant.

 

BIBLIOGRAPHIE

  • Bakhtin, Mikhail, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1987
  • Barry, Peter, Beginning Theory: An Introduction to Literary and Cultural Theory, New Delhi, Viva Books, 2010
  • Carcaud-Macaire, Monique, “Les horizons nouveaux de la critique : l’apport théorique et méthodologique d’Edmond Cros dans l’approche des phénomènesculturels,” Questionnement des formes Dabla, Sewanou, Les Nouvelles écritures africaines : romanciers de la seconde génération, Paris, L’Harmattan, 1986
  • Gordimer, Nadine, The House Gun, London, Clays Limited, 1999
  • Hutcheon, Linda, A Poetics of Postmodernism: History, Theory, Fiction, New York, Routledge, 1988
  • Jouve, Vincent, La Poétique du roman, Paris, Armand Colin, 2001
  • Kristeva, Julia, Sémiotiké. Recherche pour une sémaanalyse, Paris, Seuil, 1968
  • Lamontagne, Andre, “Métatextualité postmoderne : de la fiction à la critique,”Etudes littéraires, Paris, Edition Merveille, vol.30, No 3, 1998
  • Merle, Pierre, Le Lexique du français tabou, Paris, Seuil, 1993
  • Naumann, Michel, Les nouvelles voies de la littérature africaine et de la libération : une littérature “voyoue”, Paris, l’Harmattan, 2001
  • Nayar, Pramod, Literary Theory Today, New Delhi, Asia Book Club, 2006
  • Thumerel, Fabrice, La Critique littéraire, Paris, Armand Colin, 1998
  • Tro, Deho Roger, Création romanesque négro-africaine et ressources de la littérature orale, Paris, L’Harmattan, 2005
  • Volodine, Antoine, “A la frange du réel,” Défense et illustration du post-exotisme en vingt leçons, Montréal, VLB éditeur, 2008
  • Yvard, Jean Michel, “Métatextualité et Histoire”, Métatextualité et Métafiction :  théorie et analyses, Renne, Presses Universitaires de Renne, 2002

[1] Sewanou Dabla, Les Nouvelles écritures  africaines:romanciers de la seconde génération, Paris, L’Harmattan, 1986

[2]  A cet égard, il est possible de lire avec intérêt la thèse de Komenan Casimir, Aspects de la novation dans la prose romanesque de John-Maxwell Coetzee, Abidjan, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan, 2013.

[3]  Ce terme bantou, une des langues d’Afrique du Sud, postule une fraternité universelle.

[4] Ce terme renvoie aux auteurs blancs qui ont choisi de se dresser contre  la politique injuste et humiliante de l’apartheid, prenant ainsi fait et cause pour les opprimés du système contre le pouvoir blanc.