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Pierre Gomez.  Nation Et nationalisme dans la littérature Gambienne. Paris : L’Harmattan, 2013.

Le docteur Pierre Gomez, de l'université de Gambie, célèbre dans son ouvrage intitulé Nation Et nationalisme dans la littérature Gambienne, paru aux éditions L’Harmattan en 2013, l’émergence d'une littérature gambienne, d'expression anglaise, dans toute sa créativité et dans tout son engagement. L'ouvrage débute par les éclairages apportés aux concepts de nationalité et nationalisme, grâce aux lectures théoriques. Celles-ci, lui permettent de lever toute ambiguïté sur les deux notions. Il se positionne d'emblée, en définissant le nationalisme au sens d'Ernest Gellner : « le nationalisme, est la conséquence d'une évolution structurelle d'un peuple cherchant à créer un espace homogène (...) son rôle premier est de servir la Nation » (Pierre Gomez (2013:26)). Ce faisant, l'auteur condamne la nature agressive que peut revêtir le nationalisme se justifiant, cette fois-ci, des rapports entre dominants et dominés ; entre allogènes et indigènes ou encore entre petites et grandes nations. L'histoire politique de la Gambie (pp 33-37) est revisitée à ses différents moments afin de montrer que le nationalisme n'apparaît pas de façon fortuite ni hasardeuse. Il se manifeste contre l'invasion étrangère. L'expansion de cette idéologie s'opère grâce au rôle catalyseur de la presse gambienne (pp 37-39). Cette presse, participe, de manière prépondérante, à l'éveil de la conscience nationale. Elle sert d'exutoire à tous ces auteurs engagés et décidés à affirmer leur gambianité sous diverses formes littéraires : poèmes, articles, nouvelles, théâtre, contes. Sa genèse, relatée dans l'ouvrage, est digne d'intérêt.

Nous retiendrons que le père de la presse nationale reste Edouard Francis Small qui crée le journal Gambia Outlook en 1922. Ce dernier, journal Aku des premières élites du pays, dénonce les injustices sociales durant la colonisation. D'autres journaux à l'instar de The Gambia Echo (1934-1970) de Lenrie Peters suivront l'exemple. De 1965 à 1989, nous apprenons dans le même ouvrage que les journaux s'activeront à faire état de la déception populaire après les indépendances. Nous citerons, Ndaanan (1971-1976) ; Tonya (1965) ; The Torch (1984). À sa fermeture pour des raisons financières, le flambeau sera repris, 20 ans plus tard, par le Daily Observer.  À cet effet, le professeur Jean-Dominique Penel du PADEF, dans son inventaire bibliographique de 2002, compte la présence de 1300 textes dans l'espace littéraire. Ces chiffres révèlent la vague récente d'une troisième génération d'écrivains de 1990 à 2001. Dès lors, une littérature gambienne d'expression anglaise existe, comme nous le concède Pierre Gomez dès son introduction, je le cite. « Notre travail, n'est pas une histoire de cette littérature … Seulement, il importait de rappeler que notre objet d'étude existe bel et bien. » Pierre Gomez (2013 :9)

Le dernier chapitre de l'ouvrage est l'occasion, pour l'auteur, d'analyser l'idée de nation chez les écrivains gambiens. Ce nationalisme se définit particulièrement d'un point de vue externe.

D'abord, contre l'oppression coloniale, ensuite contre le voisin sénégalais durant la période confédérale, pour finir contre tout envahisseur étranger. Ce nationalisme, exception faite de quelques rares auteurs, n'émane jamais d'un mouvement interne régissant la volonté commune de vivre dans une Gambie forte et unie. Pour analyser dans une perspective littéraire son objet d'étude, le chercheur, saisit un corpus allant des années 1930 à l'année 2003. Des axes thématiques évoquant une forte affirmation de l'identité et des valeurs propres à la Gambie, structurent l'ouvrage.

Le premier élan nationaliste de la Gambie, celui que nous voyons comme un nationalisme anti-colonial, voit le jour en réaction contre le mauvais traitement, infligé jusqu’ici aux populations locales par les colonisateurs impassibles. À ses débuts, cette idéologie se pose pour défendre la dignité et la libération du peuple. Nous sommes dans la littérature de contestation contre l'impérialisme avec Tijan Sallah (1988), Before the New Earth ; Nana Grey-Johnson (1997) pour son roman I Of Ebony. Janet Badjan-Young, dans The Battle of Sankandi, interprétée à l'Alliance Franco-Gambienne, le 25 mai 2002, revisite les ravages du passé colonial. Dans le jeune roman de Baaba Sillah (2003), When The Monkey Talks, une véritable revendication se présente. C'est aussi l'occasion pour l'auteur de retracer la biographie d'Edouard Francis Small, à travers le personnage d’Edu Fara Mundaw alias Paa Mundaw, un Aku dévoué à sa patrie. Est aussi cité l'exemple du révérend J.-C. Faye à travers le personnage de Goorgui Faye, un homme d’église connu pour ses discours sur le dialogue religieux.

La liberté et la démocratie seront célébrées par les auteurs comme Gabriel J. Roberts dans son poème, Election Day (1951) ; puis, Ode to Amata (1971) lorsqu'il communie avec le peuple, pour fêter l'indépendance de la Gambie. Junkunda Chaka Daffeh (1972) suit avec gaieté, les même pas.

La jovialité est éphémère après le soleil des indépendances. L’espoir tant attendu, comme dirait Samuel Beckett, dans En attendant Godot, d’une Gambie prospère tarde à venir. Le faux-pas sera perpétré par la nouvelle classe dirigeante ayant oublié ses promesses. Le ton adopté par la littérature et la presse écrite, à l'égard du monde politique, est sévère. Pierre Gomez cite dans ce contexte, des poèmes de quelques auteurs comme : Junkunda Daffeh (1972); Omar Bah avec Janjarri (1973); Lamin King Kolley (1996) dans So Called Wise Acts. Il en va de même pour Mariama Khan (2003) qui, dans son recueil de poèmes intitulé Futa Toro, promène un regard perdu dans une Afrique, dépouillée de ses valeurs culturelles et humaines. Elle s'en remet à la divinité, dans Prayers for The Gambia pour le retour de la paix (Pierre Gomez (2013:140-142)).

Le thème du panafricanisme est salué avec la projection de certains modèles d'unité africaine. Des auteurs gambiens rendent hommage à ces hommes qui ont combattu pour la dignité et la libération de l’Afrique. N'jogou Bah (1972) dans son poème Ode to Kwame rend hommage à Kwamé Krumah ; Mohamed Ibrahima Jagne, le 21 février 1995, parle du Bissau Guinéen Amilcar Cabral. Quelques temps avant l'indépendance de la Gambie, la troupe de théâtre, The Banjul dramatic society, fera une représentation sur la vie de Patrice Lumumba.

Le nationalisme culturel sera défendu par ceux qui redoutent une rupture avec la tradition. Les textes littéraires fustigent le déracinement tout en invitant à une revalorisation du patrimoine culturel gambien (Pierre Gomez, (2013:68-75)). Les poèmes de Swaebou Conateh (1972) dans New Africa et Ansu Dibba (1976) dans Culture, sont illustratifs. Lenrie Peters (1972) dans le poème Reflections of Beverage, invite à la consommation locale quand Gabriel J. Roberts (1974) vante dans une pièce de théâtre intitulée The Prophet, l'exception gambienne. En 1966, les élèves de Gambia high et Latrikunda mettent en scène l'inadaptation des valeurs traditionnelles à la modernité.  Bala Saho (2000) dans son recueil de poèmes Songs Of A Foraging Bird chante la beauté de l'Afrique ancestrale.

Cependant le nationalisme gambien atteint le sommet avec la confédération sénégambienne, Pierre Gomez (2013 :142-168). En effet, les textes les plus nationalistes sont écrits durant cette période. Le Sénégal, sert de repoussoir, dixit Pierre Gomez (2013:152), pour les auteurs comme: Gabriel John Roberts, Fodeh Baldeh, Sheriff Samsudeen Sarr, Nana Grey- Johnson. Gabriel John Roberts (1972) dans sa pièce de théâtre, A coup is Planned, donne un avertissement en prévenant du complot monté, à l'insu du peuple. Il anticipe en parlant de la Confédération Sénégambienne bien avant sa création en 1982. 16 ans plus tard, il adapte cette même pièce en un roman intitulé The Gossieganderan Myth (1988). L'auteur y signifie que ce pacte est désormais effectif. Il insiste sur le caractère négatif des habitants de Gandera (Sénégal) à l'égard des gens de Goosiera (Gambie) (Pierre Gomez (2013:152)). Shériff Samsudeen Sarr (1984) publie le roman Meet me in Conakry, où il défend la gambianité grâce à la différence de langues. Il en découle un nationalisme linguistique. L'anglais devient un symbole gambien par rapport au français chez le voisin sénégalais. Cette démarcation entre les deux pays est aussi opérée par Ebou Dibba (1986) dans le chapitre 6 de Chaff On The Wind. Nana-Grey Jonhson (1987) dans, Week-End In July, invite à la négation de toute union avec le Sénégal pour mieux affirmer la souveraineté gambienne.

Cependant, l'auteur qui aura le plus marqué son empreinte dans ce nationalisme anti-sénégalais, à travers ses écrits, reste Fodeh Baldeh (1996) avec Fate of an African President. Il est emprisonné à la suite de ses productions écrites en langue française où il fait appel aux pays francophones pour sauver la Gambie. Il peint ainsi, d'une manière virulente dans Rebirth et The Senegalese intervention, l'armée sénégalaise en la qualifiant d'ennemie. Toutefois, le traité d'amitié signé en 1991 après la dissolution de la Confédération Sénégambienne en 1989, sera le début d'une nouvelle fraternité. Cette réconciliation s’exécute dans le respect de la souveraineté des deux pays.

Pierre Gomez (2013:168-176) remarque que les minorités sont aussi fustigées dans la littérature gambienne. Le nationalisme, là encore, s'affirme à l'égard des communautés allogènes de la Gambie (Mauritaniens, Guinéens, Sénégalais, Européens...). Tijan Sallah (1980), dans son recueil de poèmes When Africa Was A Young Woman, se fait l'avocat de l'Afrique en luttant contre les stéréotypes sur l'Africain, notamment avec le poème If You Ask Me Why My Teeth Are Ivory White. Dans, We Let Tourist, il dénonce les méfaits du tourisme et ses conséquences dévastatrices sur la jeune génération. Le mode de vie casanier des Mauritaniens est jugé sévèrement. Il en est de même que le traitement de faveur à l'encontre des Libanais. Nana Grey-Johnson, pour sa part, déplore l'inflation des prix par les Guinéens (Gomez (2013:170)). Ebou Dibba (1989) dans Fafa voit la Gambie comme un eldorado comparé aux Etats-Unis. Hassoum Ceesay (2003) dans Seeking to please, suit le même chemin.

En marge de tous les écrivains, cités jusqu'ici, Pierre Gomez (2013 : 199-202) observe que quelques rares auteurs comme Nana Grey-Johnson, Baba Galleh Jallow et Charles Thomas, voient d'un point de vue interne, la question nationale. L'idée de nation est, pour ces derniers, un principe positif qui met en valeur une conscience collective, une volonté commune de vivre dans l'unité politique, religieuse, ethnique. Nana Grey-Johnson (1987), dans son recueil de nouvelles, A Krio Engagement And Other Stories et plus particulièrement dans sa nouvelle She, pense que les Gambiens sont responsables, de leur propre disharmonie. L'idée est la même chez Baba Galleh Jallow (1999), avec Ultimate Conflict. Charles Thomas (2000) dans sa pièce de théâtre The Memorandum informe des freins à une cohésion sociale. Le point central entre ces auteurs reste la difficile acceptation de l'autre dans sa différence, de l'altérité tout simplement. A l'issue de cette analyse de l'ouvrage, Nation Et Nationalisme Dans La Littérature Gambienne, du Docteur Pierre Gomez, il devient évident que l'existence d'une littérature gambienne est indéniable.