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Résumé

          Homme de culture, d’ouverture et d’enracinement, apôtre de la civilisation de l’universel et chantre de la Négritude  le président Léopold Sédar a très tôt compris l’apport de l’arabité comme élément fécondant pour nous  les peuples Soudano-Sahéliens, qui sommes à la frontière de deux aires de civilisation, arabo-islamique et négro-africaine. C’est  la raison pour laquelle, bien avant l’indépendance du Sénégal, sous le régime colonial, le Président Senghor  a fait introduire l’enseignement de la langue et de la civilisation arabe  dans le système éducatif sénégalais au second degré, d’autant plus que tout  au long de l’histoire, voire la préhistoire, nous avons cheminé ensemble  et nous nous sommes mutuellement influencés.D’où l’apparition du concept de la négritude, pour la première fois, en Arabie préislamique, dans les productions des poètes et prosateurs arabes d’origine africaine. 

 

 

Abstract

          A man of culture, openness and rooting, apostle of universal civilization and bard of negritude President Leopold Sedar early understood the contribution of Arabism as a fertilizing element for us, Sudano-Sahelian people, who are on the border of two areas of civilization: the Arab-Islamic and black African. That’s why, long before the independence of Senegal, under colonial rule, President Senghor did introduce the teaching of Arab language and civilization in secondary school in Senegal. Especially since throughout history, even prehistory, we have lived together and influenced each other. Hence the emergence of the concept of negritude for the first time in pre-Islamic Arabia, among Arab poets and prose writers of African descent.

         

 

 

Les intellectuels qui n’ont pas compris la politique éducative du président Senghor, ont diversement, surtout mal interprété son attachement à l’arabité, que nous allons analyser dans cette étude. Pour Senghor  est pour l’un des plus importants apports extérieurs à la civilisation négro-africaine. Apport inhérent à la rencontre de deux peuples: arabe et africain au cours de l’histoire.



L’historique

          Il est difficile, voire, impossible de dater avec précision les premiers contacts entre l’Afrique noire et le monde arabe, mais il y a des siècles que l’Afrique noire est en contact avec l’Arabie. A en croire Mohamed Habib, 

 De nombreux  personnages qui se sont  illustrés lors de l’avènement de l’Islam avaient pour ancêtres des femmes éthiopiennes ; il en était ainsi pour des personnages aussi importants que le calife  Umar lui-même dont le père Khttâb était d’une mère éthiopienne Amr Ibn  al-Âs conquérant d’Egypte et un des architectes de l’Empire arabee[1].

 

 

Le cas de Bilâl Ibn Rabâh en est une parfaite illustration. Né esclave à la Mecque, Bilal s’était très tôt converti à l’Islam, il fut acheté par Abû Bakr le premier calife du Prophète. Comme Bilâl et Ouachi, qui a tué Hamza Ibn Abdel Mouttalib à la bataille de Ouhd, était aussi Ethiopien. Il s’est converti à l’Islam lors de la conquête de la Mecque. Lorsque les guerres d’apostasie ont éclaté, il décide de rejoindre les rangs des troupes de Khalid Ibn Walid. Dans la bataille de Yamama, il a tué Mousaïlimat al-Kazâb (le menteur) avec la même lance par laquelle il a tué Hamza. Pour échapper aux persécutions de leurs compatriotes mecquois, plusieurs compagnons du Prophète Mohamed  avaient trouvé refuge en Ethiopie dans la cinquième année de la mission prophétique. En effet, cet événement historique, d’une importance capital, explique, en partie le développement et la puissance de l’Ethiopie à cette époque. Selon Bernard Lewis:

Dans  l’Arabie préislamique et du début de l’Islam, les Arabes n’avaient aucune raison de considérer les Ethiopiens comme des inférieurs ou l’ascendance éthiopienne comme signe de basse extraction. Au contraire, de très nombreux indices permettent de penser que les Ethiopiens étaient considérés avec respect comme un peuple dont le degré de civilisation était sensiblement supérieur à celui des arabes eux-mêmes[2].

 

 

A la lumière de ces passages, il apparaît clairement que la rencontre  entre l’Arabie et L’Abyssinie (Ethiopie) date de l’époque préislamique. En Afrique de l’Est, et de l’Ouest, c’est à partir du IX siècle que les géographes et les historiens musulmans nous renseignent sur la nature  des  relations avec le monde arabo-musulman. Les premiers auteurs s’intéressent essentiellement au mouvement d’esclaves vers le Nord et l’Est, à travers la Mer Rouge et l’Océan Indien, vers la péninsule arabique et l’Iraq en traversant le Sahara vers les marchés d’esclaves de l’Afrique du Nord-Ouest  Pour le découpage de l’Afrique Noire en plusieurs zones géographiques, les premiers géographes musulmans ont utilisé des termes spécifiques dont  Habassa qui désigne l’Ethiopie et la Corne de l’Afrique, Nûba (Nubie)  correspond à la République du Soudan actuel, le terme Zanj est utilisé pour les peuples de langue bantou. Quant au terme Bilâd a-Sûdân, (pays de Noirs), il désigne toute la zone d’Afrique Noire située au Sud du Sahara,  il englobe tous les Etats noirs d’Afrique Occidentale où la rencontre avec le monde arabo-musulman remonte au IXe siècle pour des besoins commerciaux et esclavagistes. Il en résulte l’islamisation de la population locale à partir du XIe  siècle.  

          Cette islamisation a commencé par les cours royales où les premiers jalons de l’enseignement de l’Islam ont été posés, il bouleversa ainsi les structures sociales politiques, judiciaires, culturelles et, bien sûr, religieuses. Cependant, les habitants du  Royaume du Tekrûr comme tous les autres peuples noirs, étaient des animistes. Il en est ainsi jusqu'au moment où  leur souverain Wara Diabi, fils de Rabis, fut initié au texte fondamental de l’Islam par les érudits visiteurs du nord. Il se convertit à l’Islam et introduisit la loi musulmane. Il décida de s’y conformer, après leur avoir fait ouvrir les yeux à la lumière d’Allah. L’Islam, est sans doute, l’un des apports extérieurs qui ont plus fécondé la civilisation Soudano-Sahelienne. D’autant plus que, tout au long de l’histoire, nous nous sommes réciproquement influencés. La pénétration de l’Islam au Sénégal par la conversion pacifique du souverain du Tekrûr  a entraîné la naissance de l’enseignement de la langue arabe  la première langue écrite  au Sénégal.  

          La  longue présence de l’Islam en Afrique, au centre de grandes civilisations et cultures, a abouti à une influence réciproque qui a profondément marqué la conscience et la culture  africaine de l’Ouest en général et du Sénégal en particulier. Comme disait le professeur Paul Rivet à juste titre, «  Quand deux peuples se rencontrent, s’ils combattent souvent, ils se métissent toujours[3] ». Ce fut le cas entre les peuples Aarabo-musulman et Soudano-Sahelien au cours de leur évolution. Il reste que le métissage religieux et culturel s’est plus développé et plus étendu que le métissage biologique.

 

 

Sa politique éducative

          Le président Senghor a très tôt compris que pour le développement de nos cultures et civilisations respectives les Négro-Africains et Arabo-Berbères sont nécessaires les uns aux autres:

C’est pourquoi, bien avant l’indépendance, sous le régime colonial, j’ai fait introduire l’enseignement de la langue et de la civilisation arabes dans l’enseignement sénégalais de second degré. Car  notre coopération, même économique si fructueuse  qu’elle puisse être ne résisterait pas aux épreuves si, d’abord nous ne  nous connaissons pas, ne nous aimons pas. Et nous ne pouvons le faire qu’en étudiant et goûtant nos civilisations respectives dont la culture est l’esprit[4]

 

 

Le président Senghor étant chrétien et formé à l’école occidentale, la majorité de musulmans Sénégalais n’ont jamais compris sa politique culturelle   et sa volonté d’accorder une telle importance à la langue et la civilisation arabes. En conséquence,  beaucoup d’intellectuels ont critiqué et mal interprété sa décision d’introduire l’enseignement de l’arabe dans le système éducatif sénégalais. Cette attitude s’expliquerait par le fait que, tout au long de la période coloniale, les autorités administratives, dans leur politiques islamique, avaient préconisé l’introduction de l’enseignement de l’arabe à l’Ecole publique pour aboutir à la suppression de l’enseignement musulman dans les écoles coraniques au profit de celui de la langue et  de la civilisation françaises.

          Pour ce faire, ils se sont intéressés à l’enseignement de l’arabe et è son introduction dans l’école publique. En 1844, Abbé David Boilat, en sa qualité de prêtre et Inspecteur de l’instruction publique au Sénégal et Dépendance,  pour l’intérêt de la civilisation française, avait préconisé d’interdire les écoles musulmanes ou  de forcer les parents d’envoyer leurs enfants à l’école publique en y affectant un professeur d’arabe. Dès sa nomination au poste de gouverneur du Sénégal en 1854, Faidherbe s’était fixé les mêmes objectifs. En 1857, il décida, pour la première fois de prendre  des mesures purement politiques pour supprimer ou,  à défaut,  contrôler, les écoles musulmanes, déjà fort prospères dans tous les coins du pays.

          Contrairement aux autorités coloniales, le Président Senghor avait porté  un intérêt particulier à l’enseignement de la langue et de la civilisation arabe dont il avait, très tôt, senti la nécessité pour le Sénégal. En conséquence, bien avant l’indépendance, il avait décidé d’introduire  l’enseignement de la langue arabe dans le système éducatif sénégalais. A partir de la rentrée d’octobre 1976, dans l’enseignement du second degré, tous les élèves de la section littéraire devaient obligatoirement apprendre une langue classique: l’arabe ou le Latin au choix. Il y a mieux  à l’université, ceux qui étudient ces langues furent tous boursiers. 

          Dans son allocution à la cérémonie de remise du diplôme de Doctorat honoris causa, à l’Université d’Alger le 21 février 1969, le Président Senghor expliquait le motif de son attachement à l’arabité:

 Si nous  encourageons et si nous organisons scientifiquement l’enseignement de la langue et de la civilisation  arabes à l’Université de Dakar, c’est parce que l’arabité fait partie du patrimoine culturel africain et que nous autres, de la civilisation nord- soudano-sahelinne, nous l’avons assimilée comme élément fécondant.[5]

 

 

Dans cette allocution, le Président Senghor a ouvert d’importantes pistes des                                             recherches. Il appartiendra aux chercheurs de les approfondir dans les différents domaines éducatif, judiciaire et littéraire.

 

 

L’apport culturel de l’arabité

          Comme nous l’avons signalé plus haut, avant l’introduction de l’enseignement de la langue française en Afrique noire par la ville de Saint-Louis  en 1819, l’arabe était la seule langue écrite au Sénégal et en Afrique Noire enseignée par les marabouts visiteurs (les commerçants arabes). En matière de justice, Idrîssî, dans son ouvrage sur le climat, fait les remarques suivantes  sur les habitants du Sûdan:«Leurs rois acquièrent tout ce qu’ils savent du gouvernement et de la justice, par l’enseignement qu’ils reçoivent de certains visiteurs érudits du nord »[6]  

          Au Sénégal, la société traditionnelle, comme  toutes société humaines, avait sa justice inspirée des coutumes et traditions locales. En effet, l’avènement de l’Islam dans le pays a entraîné la naissance et l’application de la justice musulmane Selon Carson A Ritchie:

La  Justice est administrée par leurs marabouts à qui seul ce droit appartient. La justice est nommée en langue nègre «  hion hialla » (la voix de Dieu » ainsi ils la rendent gratuitement au même temps qu’elle est demandée  par les parties. Car si une personne est mécontente d’une autre ou pour payement ou pour quoi que ce soit  il lui dit le « Hione Hialla » la partie est obligée de la suivre chez le marabout du village, lequel après avoir entendu leur différend, regarde dans le livre de la loy où il cherche le chapitre qui en traite et ce livre chante et le marabout prononce.[7]  

 

 

Dans le domaine littéraire,  le professeur Amar Samb avec  sa thèse de doctorat d’Etat intitulée « La contribution du Sénégal à la littérature  d’expression arabe », sera l’un des premiers chercheurs à explorer cette piste de recherche pour révéler au monde  l’importante production littéraire:   

Jusqu’ici , en effet, presque personne n’avait songé à faire ce travail ni ne s’était intéressé à la production littéraire arabe négro-africaine, le monde arabe qui, au premier chef, devait y porter son attention s’enferme  par chauvinisme linguistique et par mépris, dans le sentiment que seuls les Mutanaî, les Ibn  Hâja les Sawqî peuvent faire de beaux vers arabes  ou écrire dans la langue du Coran, les orientalistes, surtout européens, malgré leur grande réputation  de chercheurs curieux orientent tout bonnement  leur curiosité vers l’Orient. Cette négligence et cet oubli nous ont aussi déterminé à  révéler aux uns et aux autres l’extraordinaire pouvoir d’assimilation  et sens esthétique du Nègre et en particulier du Sénégalais ouvert à tous les vents de la culture d’où qu’il vienne. Cette contribution  du pays de Senghor à la littérature d’expression arabe  sera à la foi, un défi et une caution devant l’histoire[8]        

 

 

Dans cette œuvre exaltante, le professeur Samb semble particulièrement fasciné par deux poètes:

1-Ahmed Iyan Sy  de Saint-Louis pour ses idées « rendues avec simplicité, amour poétique sonorité, cadence  rythme, orfèvre en pleine possession de son art. Il n’est pas exagéré de dire que  Ahmed Iyane Sy est l’un des plus grands poètes sénégalais contemporains »[9] . Nourri des traditions de grands classiques arabes, Ahmed Iyane Sy est un poète tourné vers l’avenir et ouvert à tous les courants de pensée. Outre Allah et son Envoyé Mohamed, il a aussi  abordé les sujets éternels de la poésie ; passion du pays natal, l’amitié, la mort, les aspirations généreuses, la glorification des  grandes figures sénégalaises, africaines et françaises. Enraciné dans sa terre du Sénégal, tout était devenu pour Ahmed Iyan Sy une source d’inspiration poétique.        

 

2- Djûn-Nûn Ly de Thiès. L’auteur se pose la question de savoir si «  la poésie amoureuse et surtout courtoise ne  trouve pas son expression la plus pure chez Djûn-Nûn Ly ? C’est en connaissance de cause que le Grand Saint Cheikh Sad Bhou a dit: « tu es un Arabe qui s’est égaré de sa tribu »[10]  En effet, tous les autres  prosateurs et poètes ont exprimé leur sentiment, leur pensées, leur convictions, leurs amours, leurs passions en arabe  mais surtout dans un style luxuriant et d’extrême clarté. Cette belle réussite s’explique essentiellement par l’assimilation de la culture et la civilisation arabes et islamiques par les Sénégalais. Par conséquent, le Coran et la religion islamique constituent d’importantes sources d’inspirations pour tous les prosateurs et poètes sénégalais. Dans son mémoire de maîtrise  intitulé «  Le Coran source ou influence  de Cheikh Hamidou Kane et d’Amar Samb, les exemples de l’Aventure Ambiguë et de Matraqué par le destin ou la vie d’un Talibé » Moussoukoro Keïta révèle que:

Même  dans les pays musulmans ne parlant pas arabe, le Coran constitue  la source d’inspiration aussi bien au point de vue thématique que poétique, social culturel et religieux que nous nous proposons d’étudier dans ce travail de recherche. C’est d’ailleurs cette conception du Coran que les romanciers sénégalais vont utiliser pour combattre  l’homme blanc. Dans Karime Osumane Socé a eu largement  recours aux textes sacrés. Cependant, s’il faut chercher des textes modèles qui s’inspirent de l’Islam, il faut se pencher du côté de  l’Aventure Ambiguë» de Cheikh Hamidou Kane et de « Matraqué par le destin  de Amar Samb[11]          

 

 

L’analyse de ces différents travaux scientifiques sur la littérature sénégalaise d’expression arabe  et la production romanesque sénégalaise d’inspiration islamique et coranique confirme  l’apport de l’arabité à la civilisation soudano-sahelienne en générale et sénégalaise en particulier production dans lesquelles l’islam est une  référence exceptionnelle En conséquence, la plupart des romans sénégalais sont pleins de références islamiques:  

La religiosité étant variable d’un auteur à l’autre, l’imprégnation du religieux est plus ouu moins marquée d’un texte à l’autre. Le bout de bois de dieu d’Ousmane Sembene, l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kâne, la grève des baatou d’ Aminata Sow Fall, goor gnack de Cheikh Alioune N’dao manifestent tous, à des niveaux différents, la religiosité de la société sénégalaise. En effet, chacun de ces textes sous la pression de la modernité et des mutations sociales, pose certains aspects de la religion et marqué, dans sa forme, par certaines structure de l’imaginaire religieux. Une si Longue Lettre de Mariama Bâ est marqué par ces déterminations contextuelles et aborde la question religieuse d’une façon singulière ; liée sans doute, à la culture de l’auteur et à sa condition de femme musulmane imbue de culture moderne[12]               

 

 

La saturation  des romans sénégalais de références islamique est une parfaite illustration de la richesse culturelle  de notre pays, fécondée par la civilisation arabo-islamique. En effet, le long cheminement de deux peuples arabe et africain tout au long de l’histoire a radicalement changé l’attitude  des Arabes à l’égard de l’homme noir. 

 

 

L’image de Noir en Arabie  médiévale

          Les anciennes sources nous révèlent que les relations entre les arabes  noires en Arabie médiévale étaient nourries d’un sentiment de supériorité et de mépris à l’égard des Noirs.  Dans son Murûj a-dhab, Masoûdî (mort en 956), à décrit  quelques propriétés exclusivement propres aux Noirs:

Les cheveux crépus ; les sourcils rares, les narines développées, les lèvres  épaisses, les dents aiguës l’odeur forte de peau, la noirceur de la prunelle, les crevasses des pieds et des mains, le développement des parties génitales et une pétulance excessive due à l’organisation imparfaite de son cerveau, d’où résulte la faiblesse de son intelligence[13].

 

 

Nasr ad-Dîn Tûsî, un auteur persan, dans son ouvrage  intitulé At-Taswourât remarque que « les Zanj ( les peuples de langue bantou) sont différents des animaux uniquement en ce que leurs deux mains ne reposent pas sur le sol. Bien des gens ont pu observer qu’il est plus facile  d’apprendre quelque chose aux singes qui sont plus intelligents que les Zanj »[14] Ibn Khaldmun, considéré par beaucoup d’intellectuels africains comme l’un des pères fondateurs de la sociologie, écrit à propos de l’homme noir: « les seuls hommes qui acceptent l’esclavage sont les Nègres, et ce, du fait de leur faible degré d’humanité et leur proximité de l’état animal[15]  Ces considérations et différents jugements témoignent d’un manque d’honnêteté intellectuelle, d’un sentiment de haine et de mépris de la part d’Ibn Khaldûn  et de ces différents auteurs à l’égard de la race noire. Ibn al-Mubârak,  mort en (796 ou en 737), ra conte  cette étonnante histoire:

« J’arrivai à Menine une  année de grande sécheresse. Des gens  sortirent pour faire la prière des rogations. Je sorti avec eux, quant un jeune homme noir se présenta, vêtu de deux pièces de lin: l’une couvrant ses jambes, l’autre jeté sur ses épaules. Il s’assit à mes côtés. Je l’entendis faire cette prière: « Mon Dieu, aurais-tu créé les visages humains pour qu’ils ne soient, à Tes yeux, que péchés et œuvres mauvaises? Retiendrais-Tu l’au du ciel  pour corriger Tes serviteurs? O Toi, le Patient, lin de douceur, Toi dont les serviteurs ne connaissent que le bien, je Te demande de leur accorder la pluie qu’ils demandent » Et il ne cessait de répéter «  tout de suite tout de suite » Si bien que le ciel revêtu dit de nuées et que la pluie tomba de toutes parts Ibn Mubârak ajouta: « J’allai chez al-Fudayl qui me dit: « Pourquoi te vois-je si triste ? Il s’agit d’une affaire où quelqu’un nous a devancé, il se l’est attribuée à nos dépens ». Et je lui raconte l’histoire. Al-Fudayl se mit à crier et tomba en évanoui [16]      

 

 

L’analyse de cette histoire révèle à cette époque, le mépris voire la haine des arabes à l’égard des  noirs, considérés comme des êtres inférieurs qui ne méritent aucune considération. Il faut signaler que même Umar Ibn al-Khattâb, le deuxième calife du Prophète, n’a pas échappé à cette situation à cause de ses origines africaines. Dans son ouvrage kitâb al-Muabbar, Mouhamed Ibn Habib raconte: « Un jour, du vivant du Prophète Mouhamed (P.S.L.), un homme insulta Umar en l’appelant « fils de noir » A la suite de cet incident, Dieu révéla ce verset du Coran[17]  « O vous qui croyez ! Que certains ne se moquent pas des certains (autre) ; peut être les moqués soit-ils meilleurs que les moqueurs. »[18] A propos de la diversité des couleurs, le Coran ajoute: « Parmi ses signes sont la création de cieux et de la terre la diversité de vos idiomes et de vos couleurs. En vérité, en cela sont certes des signes pour vous qui savez. »[19]

Un jeune esclave abyssin se rendait à la mosquée pour y faire toutes ses prières. Le Messager de Dieu, ayant remarqué sa présence assidue, fut étonné un jours de ne pas le voir. Il demanda à son maître: où est le garçon? Il a de la fièvre, Messager de Dieu! Eh bien allons lui rendre visite! Le Messager de Dieu et plusieurs de ses compagnons allèrent sur-le-champ rendre visite au garçon. Quelques jours plus tard, ne le voyant pas revenir, Le Messager de Dieu demanda à son maître: Comment va le garçon ? Il est dans le même état. Le Messager de Dieu alla rendre une nouvelle visite au garçon, qui mourut dans ses bras. Et Le Messager de Dieu  procéda lui-même à l’ablution du corps et à sa mise en linceul et à son enterrement. De nombreux compagnons s’étonnèrent. Les muhâjirûn ( Les musulmans originaires de la Mecque  émigrés à Ythrib) dirent: Nous avons quitté nos maisons, nos biens, nos parents, nous n’avons vu personne des nôtres, jusqu’ici, recevoir un traitement comparable à celui de ce garçon. Et les Ansârs (habitants de Ythrib convertis à l’Islam) dirent: Nous avons accueilli le Prophète chez nous, nous l’avons partagé et soutenu avec nos bien. Et  voilà qu’il nous préfère un esclave abyssin.[20]

 

 

En effet, pour justifier le privilège et la place de choix  auprès d’Allah et de son prophète, qu’occupent ces deux jeunes noirs alors considérés comme des êtres inférieurs, le Coran  écrit: « Homme ! Nous vous avons créés (à partir) d’un mâle et d’une femme et nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez. Le plus noble d’entre vous aux yeux d’Allah est le plus pieux Allah est Omniscient et bien informé[21] Ce verset est une leçon magistrale pour l’humanité en général et pour la Umma islamique en particulier. Il confirme l’ignorance  et l’incapacité  de certains auteurs d’analyse le texte coranique, qui ne véhicule aucun préjugé de race ou de couleur. Ces considérations sans aucun fondement scientifique ou religieux ont donné naissance en Arabie  à la notion de la «  négritude » chez les poètes et écrivains d’origine africaine.

 

 

L’ancêtre de la Négritude 

          En Arabie, Le sentiment de la négritude a pris naissance chez les poètes et prosateurs arabes d’origine africaine bien avant l’avènement de l’Islam. Il s’agit pour ces hommes de couleur, de défendre  les valeurs morales de la race noire. C’est le cas d’Antara (525-615), un héros et un des plus grands poètes de la période préislamique. Né d’un père arabe et d’une mère éthiopienne, sa peau foncée impliquait nécessairement une infériorisation sociale et en  faisait la victime d’insultes et d’injures. Dans l’un de ses poèmes, il écrit: « Les ennemis m’injuriaient à cause de ma peau noire, mais la blancheur immaculée de mon caractère efface toute noirceur ».[22]

Suhaym, également poète d’origine africaine (mort) en 660); écrit:

- Bien que je sois esclave mon âme est noble.

- Bien que ma peau soit noire mon caractère est blanc.

- La couleur noire de ma peau n’efface pas ma nature, car je suis comme misc

celui qui y goûte ne peut l’oublier.[23]

 

 

Nusyb (mort en 726), était l’un de plus doués de ces poètes noirs. Pour se moquer de lui; un jour le grand poète arabe Kuthayrî dit.:

-Je vis Nusayb égaré parmi les hommes. Sa couleur était celle du bétail.

-On peut le reconnaître à sa couleur noire et luisante et quand bien même il serait opprimé, il a le visage sombre d’un oppresseur[24]

 

 

Nusyb répond:

-Il m’a seulement traité de noir et il n’a fait que dire la vérité

-La couleur de ma peau ne me démunie pas aussi longtemps que je possède cette langue et ce cœur vaillant.

-Certes, ils sont élevés dans leur ligne, pour moi les vers de mes poèmes sont ma lignée.

-Comme il est préférable d’être un Noir à l’esprit vif et a la parole claire que d’être un Blanc et muet.

 

En effet, l’attitude des Arabes tout au long de la  période médiévale à l’égard des hommes de couleurs, a donné naissance à l’ancêtre du mouvement de la négritude, fondée par Césaire, Senghor et Damass.  

 

 

Conclusion

          Le mérite, le grand mérite du président Senghor est d’être l’un de rares, pour ne pas dire le seul, intellectuels africains à comprendre que  pour développer leurs cultures et leurs civilisations respectives, Négro-Africains et Arabo-Musulman ont besoin  les uns aux autres . Et que notre coopération, économique, politique et culturelle,  si fructueuse qu’elles puisse être,

ne résistera pas aux épreuves si, d’abord nous ne nous connaissons pas, ne nous aimons pas. Et nous ne pouvons le faire qu’en étudiant et goûtant nos civilisations respectives dont la culture est l’esprit.[25]

 

 

L’attachement de l’académicien poète président à l’arabité, à la différence de beaucoup des chefs d’Etats négro-africains, est une parfaite illustration de sa dimension universelle. 

 

 

Bibliographie

-    Coran, la traduction de Mouhame Hmidoullah

-    Discours d’ouverture du Président Senghor, première conférence ministérielle arabo- africaine Dakar 1972.

-    Ghzâlî, Temps et Prières, Albin Michel, Paris 1996.

-    Huseïen, Mouhamed. Pensez Le Coran. Paris: Grasset, 2009. 

-    Kebé, Mouhamed Habib. « De la religion dans une Si Longue Lettre de Mariama Ba » in Les cahiers pédagogiques de la Brousse.

-    Keïta, Moussoukoro. « Le Coran source ou influence de Cheikh Hamidou Kane et d’Amar Samb l’exemple de L’Aventure Ambiguë  et de Matraqué par le destin  ou la vie d’un Talibé » Mémoire de maîtrise, Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2002- 2003.

-    Lewi, Bernard. Race et couleur en Islam. Paris: Payot, 1982.

-    Samb, Amar.  La contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe. Dakar: IFAN, 1972.

-    Senghor, Léopold Sédar. Liberté 3, Négritude et Civilisation de l’Universel. Paris: Seuil, 1977.


[1] Mouhamed Habib. Kitâb al-Muahbbar, cité par Berrnard Lewis: Race et couleur en pays d’Islam

Paris: Payot, 1982, p. 23.

[2] Bernard Lewis, op cit p. 23.

[3] « Discours d’ouverture du Président Senghor,conférence ministérielle » Dakar ,1976

[4] Discours d’ouverture du Président  Leopold Sedar Senghor  op cit.

[5] Leopold Sedar Senghor, Liberté 3,  Négritude et Civilisation de l’ Universel p 165,

Seuil, Paris 1977.

[6] Po. cit p 63

[7] Carson A Ritche, Deux textes sur le Sénégal ( 1679-1677) p 337

[8] Amar Samb: La contribuition du Sénégal à la littérature d’expression arbe p 98  IFAN 1972

[9] Amar Samb  op cit p 99

[10] Amar Samb op cit  p 544

[11] Moussukoro Keïta: Le Coran source ou influence de Cheikh Hamidou Kane et d ‘Amar Samb  les exemples de l’Aventure Ambiguë et de Matraqué par le destin ou la vie d’un Talibé . Mémoire de maîtrise,  Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2002-2003, pp. 2-3.

[12] Mou hamed Habib kebé,  De la religion dans une Si Longue Lettre de Mariama Ba, Les Cahiers pédagogiques. Les Editions de la Brousse, p58

[13] Cf: Bernard Lewis op. cit p p 58-59

[14] .op cit. pp      61-62

[15] Idem

[16] Al-Ghzâlî ,Temps et Prières,  pp 75-76, Albin Michel , Paris 1996.

[17] opcit p 32

[18] Sourate XLIX, verset ii

[19] Sourate XXX,vesret 22

[20] Mahmoud Hussein, Penser le Coran, Grasset, p108, Paris 2009

[21] Sourate, XLIX, verset 13

[22] op cit pp 129-130

[23] op cit p24

[24] Cf,Bernad Lewis op cit p 29

[25] Discours d’ouverture  du président Senghor de la conférence ministérielle arabo- africaine. Dakar 19 et 21 avril 1976.