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1. Introduction : la ville comme discours

La sociolinguistique urbaine[1], en tant que démarche visant à penser la mobilité au cœur des pratiques, a posé la nécessité de concevoir les espaces dits de ville comme des lieux de production non seulement des normes socio-spatiales, mais encore des normes langagières. Ce sont précisément les corrélations entre les discours topologiques visant à hiérarchiser les espaces et de fait les habitants qui y vivent, et les discours épilinguistiques rendant compte de la valeur sociale des différentes variétés de langues dans un même espace urbanisé qui fait sens des identités urbaines et de leur contraste. Penser ainsi la ville comme un espace plurilingue (socialement à minima) où se jouent, via les pratiques langagières, les tensions structurantes dudit espace, permet alors de la concevoir comme un processus, comme une matrice discursive de référence pour ses différents acteurs. Penser ainsi la ville permet enfin de construire une démarche interventionniste sur les tensions en cours (Bulot, 2011).

Le propos de cet article est de faire la part de la singularité de la ville d’Hanoï tout en mettant en avant la proximité des dynamiques langagières en œuvre eu égard aux situations urbaines déjà étudiées. Ainsi, nous rendons compte des représentations sociolinguistiques via leur mise en mots et particulièrement nous focalisons notre propos sur les pratiques des jeunes Hanoïens, dans la mesure où ils contribuent (au moins dans les discours épilinguistiques) à produire discursivement des normes substandard tout autant qu’à normaliser l’espace socio-langagier comme relevant d’une centralité linguistique nationale.

 

2. De quelques concepts en sociolinguistique urbaine

Travailler en sociolinguistique urbaine est bien entendu faire de la sociolinguistique, mais en interrogeant plus précisément en rapport avec les parlures urbaines d’une part les liens entre la production discursive des espace(s) et la mise en mots des lieux et, d’autre part les déplacements, les frontières et les limites intra-urbaines pour ce qu’ils permettent de saisir l’identité socio-langagière et les tensions et les conflits à l’intérieur de la communauté urbaine. C’est ainsi tenter de faire valoir minimalement l’opérativité tant discursive que cognitive de deux processus concomitants relatifs aux formes dites et/ou perçues comme spécifiques à un espace urbain donné : d’abord l’évaluation (hiérarchiser socialement les variétés de langues et les langues) et ensuite l’identification (attribuer les formes à des portions d’espaces) en tant qu’ils concourent à produire ledit espace, à l’organiser tout autant que ce que l’on appelle les structures socio-spatiales. Sans trop entrer dans le détail car cela a été largement exposé ailleurs (Bulot, 2009 et 2006), le chercheur peut retenir un socle conceptuel minimal visant à rendre compte de ces processus centraux à l’intelligibilité de l’espace des villes ; celui-ci tient en trois termes. 

L’identité urbaine. Le concept permet de rendre compte des pratiques langagières des locuteurs urbains se représentant la tension ainsi posée entre leur indispensable identification à une communauté et leur propre différenciation par rapport à d’autres lieux communautaires de tous ordres, signalant une appartenance groupale ; par la prise en compte et l’analyse de leur mise en mots de cette tension, il s’agit de dégager la spécificité identitaire de toute ville, et partant de tout espace urbanisé.

La mobilité spatio-linguistique. L’un des effets inhérents à la mobilité spatiale est de mettre à distance les individus et les groupes, et de recomposer le lien social autour notamment des représentations que l’on s’accorde sur autrui et sur soi-même. Plus l’espace est urbanisé, plus le rapport à l’autre, le rapport à sa façon de parler, fonde les limites et frontières intra-urbaines ; de même le discours sur autrui, sur la langue ou la pratique de langue d’autrui devient par défaut autrui. Ainsi le concept ne renvoie pas au seul changement (ou la volonté mise en mots de changement) de langue ou de variété qui accompagnerait une mobilité sociale généralement ascendante, mais à la façon dont les déplacements que l’on opère et les rencontres « langagières » que l’on fait (ou croit faire d’ailleurs) déterminent la représentation que l’on croit commune de la ville que l’on habite ; il rend compte de la mise en contact différenciée temporellement et spatialement « de groupes urbains posés comme distincts par les acteurs de la mobilité spatiale » (Bulot, 1999 : 43).

Et enfin la territorialisation linguistique. La mise en mots de l’espace urbanisé (c’est-à-dire où le fait de pouvoir assumer ou non (Ripoll et Veschambre, 2006) la survalorisation de la mobilité spatiale (Rémy et Voyé, 1992) relève d’une double détermination : celle relative au territoire dans la mesure où on doit considérer l’espace comme une aire légitime de proxémie liée aux parcours, aux lieux de vie, de sociabilité et celle relative à la territorialité que l’on peut concevoir comme la représentation de ce même territoire. Ainsi le concept interroge le terrain pour savoir s’il y a juxtaposition, coïncidence entre deux univers représentationnels, entre un lieu tel qu’il est dit et les représentations topolectales de la langue. La territorialisation linguistique (Bulot, 2006) est la façon dont, en discours, les locuteurs d’une ville s’approprient et hiérarchisent les lieux en fonction des façons de parler (réelles ou stéréotypées) attribuées à eux–mêmes ou à autrui pour faire sens de leur propre identité.

 

3. Hanoï, une ville sociolinguistiquement singulière ?

      3.1. Les terrain et questionnement sociolinguistiques 

Hanoï est la capitale actuelle du Vietnam[2], et de fait une métropole, un centre politique, économique, culturel et social du pays. Comme toute ville de ce type, Hanoï est également un espace de rencontres, d’échanges des personnes venues de différentes régions du Vietnam, et dès lors un lieu de contacts de langues et de cultures de toutes sortes. En cela, elle n’est pas remarquable. Elle n’est pas davantage différente des autres villes du monde lorsque, en lien avec un accroissement de population sensible (Tableau 1), ses limites administratives évoluent vers un élargissement géographique des limites de la ville.

Elle n’est pas davantage exemplaire – sinon qu’elle constitue un laboratoire sociolinguistique manifeste des tensions en cours entre des politiques linguistiques unificatrices car persuadées des bienfaits du monolinguisme comme idéologie et les dynamiques langagières pertinemment diverses et hétérogènes – lorsqu’elle se pose comme matrice discursive[3] et impose ses catégorisations, dénominations et désignations tant des personnes, que des langues que des espaces, et que, dès lors, elle donne à penser à ses habitant-es que la ville pré-existe à leurs discours. Elle n’est pas davantage remarquable lorsqu’elle inclut des populations et des langues différentes marquées par la glocalisation (Robertson, 1995 ; Bierbach & Birken-Silverman, 2007) et les pratiques urbaines valorisantes et valorisées par les mobilités de tous ordres.

Année Population (habitants) Superficie (km2)
1954 53 000 152
1961 91 000 584
1978 2 500 000 2.136
1991 2 000 000 924
1999 2.672.122 924
2005 3 200 000 924
2007 3 398 889 924
2008 6 233 000 3 344,7
2009 6 451 909 3 344,7
30/10/2010 6 913 000 3 344,7

Tableau 1 : Hanoï : population et superficie

 

Ce qui la rend remarquable est un faisceau de facteurs : parce que l’élargissement n’est pas dû à un élargissement a posteriori de la population qui aurait afflué vers la ville mais une volonté de construire une ville à échelle mondiale, parce qu’il existe un discours identitaire fort sur ce qu’est être hanoïen, parce que l’identification à cet espace valorisant que constitue la figure choronymique des quartiers anciens est un enjeu identitaire d’auto-identification, le discours sur la langue d’Hanoï (le parler hanoïen) construite comme unique, distincte et mono-normée, donc, de fait, le discours épilinguistique sur leurs propres pratiques plurinormées, devient, pour les habitant-es de la ville un outil de catégorisation discriminant – mais structurant – les différents groupes sociaux qui la compose (cela en partie dû à l’élargissement mais aussi à la mobilité interne de certaines populations, notamment les étudiant-es).

 

      3.2. Méthodes d’enquêtes et échantillon

Dans un contexte officiellement monolingue (Nguyen Xuan, 1991 ; Tran, 1991 ; Hoang, 1985), peu exploité dans et par une approche discursive[4], enquêter sur la pluralité langagière et qui plus est dans une variété autre que ce que l’idéologie impose et construit comme norme unique est plus qu’une gageure ; cela expose tant le chercheur que les enquêté-es à de réelles difficultés ; c’est pourquoi, la stratégie d’enquête retenue, somme toute pour travailler sur une situation de minoration socio-langagière – une discrimination sociolinguistique (Bulot, 2013) auto et hétéro attribuée – a été a) de choisir une population marquée par la compétence certes de la norme de référence (la langue vietnamienne enseignée à l’école) mais encore par une compétence linguistique altéritaire, en l’occurrence des étudiant-es en français de l’Université de Langues et d’Etudes Internationales de l’université nationale de Hanoï et b) de considérer que, via d’abord des entretiens semi-directifs, la langue devait permettre la pluralité des mises en mots pour recueillir des observables que l’on puisse ensuite analyser qualitativement (a priori le choix de la langue est du fait de l’enquêté-e) et ensuite via des questionnaires pour une approche plus quantitative des réponses (ĐẶNG, 2012).

Ces étudiants sont originaires de plusieurs régions du pays mais aussi de Hanoï (dans toutes ses acceptions), habitent dans cette ville depuis au moins trois ans et ont donc pu intégrer les discours dominant produit par la matrice discursive[5], ont des contacts et des échanges avec les gens vivant à Hanoï et dès lors eu des choix à faire interactionnellement devant les différentes variétés du vietnamien. Les recueils des observables ont été réalisés en deux temps[6] : la pré-enquête par entretiens semi-directifs en 2011 et l’enquête elle-même par questionnaire en 2012[7].

L’entretien est thématisé en trois temps : le territoire de Hanoï, l’identité hanoïenne et le(s) parler(s) hanoïen(s). Au total, 27 questions réparties en trois grands items : les questions concernant les représentations sur le territoire de Hanoï et l’identité hanoïenne, les questions concernant le parler hanoïen et les questions portant sur les caractéristiques sociales des informateurs. Dix entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de 10 informateurs (6 filles et 4 garçons) de la promotion QH2007[8] fin juin et début juillet 2011[9]. Ils/elles ont entre 21 et 23 ans et déclarent habiter[10] toutes et tous à Hanoï au moment des entretiens. Parmi ces informateurs, trois sont nés dans l’« ancienne » Hanoï (avant l’élargissement de 2008), un dans Hanoï « élargie » (voir la carte ci-dessous). Les six autres sont nés ailleurs (hors Hanoï).

 

4. Hanoï et les mises en mots de l’espace

      4.1. La pluralité des désignations de la ville : le rapport à l’identité

Les désignations d’Hanoï sont plurielles sans pour autant être exclusives les unes des autres : c’est une ville « ancienne », « vieille » « nouvelle », « élargie ». Hanoï « ancienne » ; elle est celle des livres, de la littérature, des poèmes ; l’Hanoï de leur enfance, vécue ou racontée et aussi celle d’avant l’élargissement de 2008. Les enquêté-es parlent d’un espace citadin (Bulot, 2011), « moral », « abstrait », qu’ils nomment Hanoï « Hanoï1 ». L’Hanoï « nouvelle », « élargie » est tantôt Hanoï d’avant et après 2008, tantôt seulement les nouvelles régions de Hanoï ; en fait, le terme « Hanoï2 » est utilisé de manière récurrente pour désigner les régions élargies de Hanoï.

hanoi

 

 

Pour ce moment d’enquête, sur les dix informateurs[11] deux garçons (M1, M3) et une fille (F6) sont nés à Hanoï1, un garçon (M2) est né à Hanoï2, un garçon (M4) et une fille (F5) sont nés dans le Centre du Vietnam, une fille (F3) est née dans le Sud et les trois autres filles (F1, F2, F4) sont nées dans le Nord. Nous appellerons les informateurs qui ne sont pas nés à Hanoï les « nés ailleurs ». Les trois nés à Hanoï y habitent évidemment depuis leur naissance. Six sur sept nés ailleurs habitent à Hanoï depuis leurs études universitaires, donc depuis 4 ans. F4 n’est pas née à Hanoï, mais y habite depuis l’âge de 10 ans.

Sur le plan politique et démographique, six informateurs sur dix sont de statut hanoïen et possèdent « le passeport intérieur (hộ khẩu)[12] de Hanoï ». En effet, M1, M3, F6 le sont évidemment, car ils sont nés à Hanoï de parents hanoïens, M2 né à Hanoï2 et l’est naturellement depuis 2008. F2, F4 (et sa famille) ont « changé de statut » et obtenu les passeports intérieurs de Hanoï. F1 est en cours de « changement de statut ». Les trois autres qui n’ont pas (encore) ce statut sont nés dans le Centre et le Sud du Vietnam.

Habitant ce lieu et possédant même le « passeport » (6/10 informateurs), les nés ailleurs et nés à Hanoï2 déclarent de fait ne pas être hanoïens. Seuls les trois nés à Hanoï1 répondent affirmativement à la question « Es-tu hanoïen-ne ? ». Pourtant selon M3 : « Je suis obligé de me présenter comme Hanoïen, mais je n’aime pas me présenter ainsi […] en effet, je veux me considérer comme Hanoïen, mais je ne le suis pas […] je ne suis pas une personne hanoïenne dans mon imagination ». Ce discours est corrélé aux attributs généraux de l’identité des Hanoïen-nes. A la question portant sur la fierté d’être un Hanoïen-ne, les réponses sont toutes affirmatives pour les informateurs nés à Hanoï, car « d’abord les Hanoïens sont souvent des gens civilisés, polis et ils ont une longue tradition culturelle » (M1) ou simplement comme F6 « le fait d’être hanoïenne, c’est agréable ». Comme Hanoï est la capitale du Vietnam, les Hanoïen-nes ont un autre motif de fierté : ce sont « des citoyens de la capitale » (M1, M2, M3, F4, F6). De même, M4 venu du Centre, déclare que les habitants des autres provinces sont aussi fiers des Hanoïen-nes, car ces derniers peuvent montrer qu’ils méritent d’être citoyens de la capitale.

L’enjeu symbolique est clair et lourd de tensions socio-spatiales : devenir hanoïen-ne signifie prendre part à une identité valorisante que par ailleurs d’autres discours vont marquer comme fracturée voire excluante; selon F1, F2 et F4, si un-e Vietnamien-ne est né-e ailleurs ou a changé de statut, il est préférable d’être fier du lieu (de la province) où on est né. Et pour F3 « S’il s’agit seulement que l’on soit citoyen de la capitale, il ne faut pas en être fier. Il vaut mieux seulement être fier quand on contribue quelque chose (au développement) à cette ville ». En regard de la survalorisation de l’identité hanoïenne, on ne peut que comprendre ces discours qu’à l’aulne d’un contre-discours, d’une quasi contre-norme socio-spatiale.

 

      4.2. Des fractures territoriales et identitaires

À la question « Quelles sont les limites / la frontière de Hanoï dans ton imagination ? », les dix informateurs la localisent dans les arrondissements intérieurs de Hanoï1. M3 et M4 disent même que Hanoï comprend seulement les 3 « anciens arrondissements » (M3 : Đống Đa, Hoàn Kiếm, Hai Bà Trưng ; M4 : Đống Đa, Hoàn Kiếm, Ba Đình). Pour eux, le lieu symbolique, représentatif de Hanoï est le lac Hoàn Kiếm (lac de l’Épée restituée), les vieux quartiers (dans l’arrondissement de Hoàn Kiếm) et/ou tout cet arrondissement, car ce lieu « conserve l’âme de Hanoï ». En effet, parlant du « territoire de Hanoï », les informateurs ne citent pas davantage les communes extérieures de Hanoï1 comme : Đông Anh, Sóc Sơn, Gia Lâm. Il semble donc qu’ils soient plutôt défavorables (neuf sur dix) à l’élargissement de Hanoï en 2008, du point de vue culturel, car d’après eux : « On ne peut pas concilier les deux cultures » (M3); « Chaque région a sa façon de vivre » (F2); « [L’élargissement] crée un tableau avec les couleurs claires et sombres et les parties sombres enlaidissent la ville » (F3); « La culture de Hanoï est la norme, l’élargir à une autre culture, ce n’est plus la norme, c’est le “mélange” » (M1) ; « Dans les régions élargies, il y a des citoyens de la capitale[13] qui sont plus pauvres que ceux de l’extérieur (d’autres provinces ?), leurs conditions de vie ne peuvent pas atteindre celles d’autres provinces, ce n’est pas raisonnable » (M4) ; « Élargir, oui, mais trop élargir […], ce n’est pas raisonnable » (F2). Mais M2 (né à Hanoï2) lui en revanche apprécie ce projet sur le plan du développement économique, car c’est une chance pour que « les régions pauvres se développent ». Toujours d’après M2, « la plupart des habitants de ma « région » sont fiers de devenir Hanoïens ». Pour F1 cela va « aider la ville à décentraliser les zones industrielles et les écoles, pour que la ville ne soit pas trop peuplée, trop ‘trépidante’ »

Alors, « qu’est-ce qu’Hanoï » ? Selon les discours tenus, c’est plutôt un espace urbanisé, une grande ville, animée, peuplée, mais donc bruyante et même “trépidante”. Donc si l’on veut éviter ces inconvénients, on va habiter « dans ses environs où il y a encore des rizières, mais ces régions appartiennent peut-être aussi à Hanoï » (M2). Hanoï est aussi le lieu où on trouve plus facilement du travail et où l’on gagne mieux la vie : « La formation m’oblige à rester ici, je ne peux pas trouver un emploi avec la formation d’enseignant de français dans ma province » (F1) ; « C’est une ville au-delà de fleuve, un lieu où il y a de grands centres et qui offre des possibilités d’être en contact avec les progrès scientifiques du monde » (F2, F6, M2). Selon F4, c’est son deuxième pays natal, car « il y a ici ma famille, mes amis et mon travail ». Quant à M1, « c’est encore le lieu où je suis né ». À cette question même, nos informateurs/trices rapportent et renvoient à une ville idéalisée comparant le passé au présent : Pour eux/elles, la ville d’autrefois est à la fois Hanoï1 et Hanoï « dans les livres » (M3) : plus belle, moins peuplée, plus tranquille, plus paisible, avec plus de contacts humains ; c’est une ville jolie avec les gens qui pédalent et font du petit commerce.

La question identitaire se pose ainsi en termes de légitimité. En fait existent en discours, mais aussi dans les pratiques sociales de relégation, de vrais Hanoïens[14] – ce qui suppose qu’il y en ait de faux – opposés à des gens de toutes les classes sociales, venus de partout – étudiants, ouvriers, paysans saisonniers, employés et nationaux ou étrangers – qui veulent travailler et habiter dans cette ville. Quels sont les attributs de cette identité urbaine mise en mots et renvoyant à une norme fantasmée dont nous verrons les effets sur les pratiques et représentations liées aux langues, à la langue ? Elle relève de plusieurs traits congruents :

« personne dont la racine est à Hanoï d’autrefois, dont la famille, les parents, les grands-parents sont là […], depuis au moins 3 ou 4 générations qui y habitent » (F1, F3, F5, F6, M1) ;

« Ce ne sont pas les gens venus ailleurs et qui ont changé de statut » (F1) ;

« une personne de Tràng An[15]» polie, élégante (F2, F4, F5) ;

« Une personne hanoïenne est souriante, douce, calme, conviviale » (F2, F5, F6).

« Les Hanoïens utilisent des petits bols, ils mangent par une petite quantité à chaque fois, ils mangent lentement » ; ils sont « civilisés, polis » (F4) ;

« Ils ont une longue tradition culturelle » (M1) ;

« Ils s’intéressent à l’apparence, les vêtements, les moyens de transport sont luxueux (…) ils ont tout ce qui est de meilleur, ils sont plus intelligents que les gens des provinces » (M2).

 

L’incarnation de cette identité renvoie également à une modélisation de l’espace marquée par la présence d’une population respectueuse des valeurs confucéennes. Concernant la question des personnes représentant le mieux cette identité, les réponses données vont vers les vielles personnes, comme gardiennes des traditions culturelles, à ces personnes âgées qui font de la gymnastique ou qui marchent autour des lacs, à ces jeunes intellectuels, dynamiques, intelligents, à ce vieux monsieur assis sur le banc au bord du lac de l’Épée restituée. C’est aussi une image féminine d’une commerçante dynamique, entreprenante, ou l’image d’une jeune fille en tunique traditionnelle, d’une jeune fille élégante qui sait bien faire la cuisine, de bons plats pour les fêtes et au quotidien, et sait aussi jouer d’un instrument ... De fait, « de nos jours il reste très peu de vrais Hanoiens » (F3, F5), car ils sont « métissés avec des gens venus ailleurs » (M4) ou « ils partent à l’étranger ou vont habiter à HoChiMinh-ville » (F3). Les vrais Hanoïens « existent, mais en petite quantité » (F3, F5, M4) : « Ce sont les vieux dans les vieux quartiers ou les jeunes qui vivent pour cela (les valeurs humaines) (M3) » et selon F3 : « Les caractéristiques des Hanoïens ont disparu depuis longtemps, ils n’existent plus ».

Idéalisée, cette identité est pourtant marquée à son tour a) par la proximité relationnelle, sans doute à comprendre comme un trait de désirabilité sociale (i.e. « je côtoie les vrai-es Hanoïen-es et cela me valorise »). « Ma tante est une vraie Hanoïenne […] ses frères et sœurs, sa mère aussi […] c’est agréable quand on est en contact avec eux » (F2) ; « C’est une dame, vendeuse de café dans les vieux quartiers […] et bien que je sois étudiant, elle m’a servi comme un client riche » (M4) ; « Je connais des filles dans les vieux quartiers, leurs parents leur apprennent la façon de cuisiner […], elles savent jouer des instruments » (F5). Et b) par une mise à distance fondée sur le refus d’accepter la mixité des pratiques sociales effectives : « les gens de Hanoï d’aujourd’hui sont plus indifférents (M4)», que « ce sont les gens de tous les coins du pays » (F2, F3) et qu’« ils font perdre les beautés de l’ancienne Hanoï » (F3). Toujours pour F3 : « La différence entre une personne hanoïenne d’autrefois et d’aujourd’hui, c’est la pérennisation des caractéristiques culturelles ».

 

5. Le parler hanoïen ou la territorialisation des pratiques sociales

      5.1. La norme de référence : le parler des « vieux »

La question de langue est centrale à Hanoï dans la mesure où le vietnamien qui est dit y être parlé est censé être la norme. On retrouve cette configuration dans tous les Etats centralisateurs et de ce point de vue le Vietnam n’échappe pas à ce principe : la langue de la capitale doit être la langue de l’Etat et, partant de la nation cependant que les pratiques langagières de ladite capitale sont tout autant hétérogènes que dans les autres parties du territoire linguistique.

En discours, un parler hanoïen de référence existe. C’est un parler « facile à entendre, à comprendre » (F3, F6, M1, M4), avec « une bonne prononciation […]  les mots utilisés sont les plus normés trouvés dans le dictionnaire » (M1), « il n’y a pas de mots des provinces » (F2, M1), ses locuteurs et locutrices « …prononcent légèrement / plus agréable à entendre / pas trop lourd/vite comme les autres provinces » (F1, F4, M2), ou « la voix est légère » (thanh, nhẹ) (F1, F2, F3, M2),  « ils prononcent bien avec clarté (ils ne confondent pas l et n, ils parlent doucement, pas trop fort », (F2) « ils parlent lentement, pas trop vite comme dans ma province » (F4), « ils font des phrases avec tous les éléments sujet, prédicat » (F1, F4), « les sons sont assez faciles à entendre […] séduisants » (F3). Selon nos informateurs, le parler hanoïen doit être considéré comme une norme car c’est « le parler de la capitale » (F5) » et que « être capitale signifie être lieu des normes » (M3), ce parler est aussi valorisé comme un « parler avec une voix représentative, typique et intéressante » (F1) du Nord, voire « la langue norme du Vietnam » (F5) sans pour autant être la norme de tous, même si par ailleurs c’est le parler des médias, des journalistes de la chaîne télévisée nationale. Langue de la modernité, ce parler est aussi celui de la tradition (on retrouve les attributs précédents) dans la mesure « [les vieux[16]] sont des musées […] avec des expériences de vie » (F5); « La voix des vieux sont plus légère, plus agréable/intéressante que celle d’autres provinces » (F1), « Ils sont gardiens de la tradition culturelle […] ce sont eux qui apprennent aux descendants les valeurs traditionnelles » (F5) et, conséquemment incarnent la pureté linguistique« Le parler des vieux Hanoïens est  le plus conforme à la norme » (F4). Paradoxalement – mais de fait c’est inhérent aux modalités de minoration sociolinguistique, où une façon de parler, une langue, peut être identitaire et en même temps partiellement ou totalement rejetée ; le parler hanoïen semble avoir des défauts : les Hanoïen-nes ne prononcent pas correctement la langue : « Ils ne roulent pas le r » et « Ils confondent entre r et d, entre tr et ch » (M4, F5). Ou selon M3, « le parler hanoïen n’a pas d’âme ».

 

      5.2. Et le parler des jeunes Hanoïens ?

Nous avons récemment (Bulot et Feussi, 2012 : 18) rendu compte d’une typologie complexe des parlers dits de jeunes – donc générationnels – en situation urbanisée. Les parlers des jeunes Hanoïen-es n’échappent bien entendu pas à cette typologie. Leurs pratiques sont diasporiques (Simonin, 2010) par la dimension novatrice des contacts de langues mis en jeu (l’anglais s’impose comme langue de modernité) dans un contexte fort d’échanges médiés via les TIC, plurilingues car ils procèdent de compétences relevant du plurilinguisme (Coste, Moore, Zarate, 1999) tant entre variétés nationales que par les apports des autres langues, urbanisés (Rémy et Voyé, 1992) car liés aux mobilités et motilités (Kaufmann, 2008) autant des langues, des parlures que des personnes, des cultures…, hiérarchisés puisqu’ils renvoient à des pratiques où se jouent la stigmatisation et la discrimination (Doytcheva, 2007 ; Bulot, 2006b et 2013), identitaires par la dynamique des marquages spatiaux (Ripoll, 2006 ; Bulot, 2011), langagiers pour ce que cela suppose des espaces publics, énonciatifs, où de telles pratiques deviennent la norme, glottogénétiques pour ce qu’ils illustrent de la glottogénèse des langues au sens sociolinguistique du terme (Feussi, 2008), et enfin politiques (Lamizet, 2002) dans la mesure où ils questionnent le lien social et les discours glottonomiques actifs dans la société vietnamienne où le parler des jeunes hanoïen-nes font prescription des relations à engager entre groupes sociaux qui s’opposent symboliquement et/ou économiquement.

Les discours ne distinguent plus le parler des jeunes vrais Hanoïen-nes ou le parler des gens d’ailleurs. En ce sens, l’espace langagier hanoïen tend à fusionner : « Il n’y a pas un parler propre des jeunes Hanoïens, c’est le parler des jeunes en général » F3. Et du point de vue des jeunes eux-mêmes, ce parler compose avec des langues étrangères (anglais, français, chinois…), utilise des mots grossiers, les mots d’argot, des contrepèteries, des insultes en langue étrangère « Il y a des jeunes qui ajoutent souvent des gros mots, ce n’est pas dans le but d’insulter les autres, mais parce que c’est leur habitude de parler » (F1) ou « l’utilisation des gros mots est naturelle, car c’est difficile de se maîtriser quand on est jeune, donc ils disent des gros mots » (F3) ou encore « il semble que quand on utilise les mots d’insultes en langue étrangère, ça devient plus léger » (M4). Ils utilisent aussi le langage du chat, écrivent avec des signes, remplacent des lettres (h pour ; j pour gi[17] ; y pour i (roy au lieu de roi[18] ; đai au lieu de đay[19]) ; p pour b). Ils prolongent et/ou raccourcissent les mots, ils les détournent aussi. Ils font des changements dans le vocabulaire et aussi la façon de parler : pour parler des unités de monnaie, ils emploient củ[20] pour dire million, ou quand les parents leur donnent de l’argent ils disent qu’ils sont chargés[21].

Comme les autres pratiques juvénalophones (Bulot, 2001), l’innovation et la connivence de l’endogroupe y sont permanentes « Je suis 8X et je me sens vieille devant ces jeunes sur le plan langagier, je ne peux pas comprendre » (F1) ou « Je ne peux pas toujours comprendre ce que les jeunes disent, c’est seulement entre leur groupe. Je suis jeune, mais en écoutant les 9X ou 0X je ne peux pas comprendre » (F2) ou encore « Ils ne peuvent se comprendre qu’entre eux » (M4). Et, par ailleurs, elles gardent une valeur dépréciée « Je l’utilise, mais au bas niveau, les autres peuvent toujours comprendre, ce n’est pas comme les jeunes » (F2), mais néanmoins active interactionnellement « Entre amis on l’utilise, mais je n’aime pas, j’ai l’impression que l’on perd quelque chose […] la perte de la langue vietnamienne » (F5), M1 affirme qu’il peut tout comprendre ce que les jeunes disent, mais « (je) n’utilise jamais le parler des jeunes, je veux garder les valeurs/identités culturelles ».

Se déclarer locuteur / locutrice d’une forme finalement stigmatisée parce que le statut que l’on s’accorde n’est pas en adéquation avec la valeur de ladite forme sur le marché linguistique renvoie là encore à la complexité des espaces. Il ne faut en effet pas oublier que les discours rapportés ici sont ceux de la dominance (les enquêté-es sont sinon Hanoïen-nes du moins en situation de pouvoir accéder à ce statut via leur mobilité sociale ascendante. Leur identité locative (être hanoïen-ne pour réussir sa mobilité) est prégnante sur leurs stratégies non seulement socio-spatiales, mais discursives et encore identitaire : c’est le discours sur la ville d’Hanoï qui structurent leur appréhension de la diversité des pratiques de tous ordres.

 

6. Pour conclure : une circulation des normes ?

Les différents discours topologiques et épilinguistiques ont montré que les représentations de Hanoï viennent ou de ce que ses usagers ont lu ou entendu dire (les discours circulants, les discours dominants) ou de leurs propres expériences (leur mémoire sociolinguistique visant à inscrire dans les usages individuels des pratiques collectives plus ou moins perçues mais pleinement vécues). Sur le plan sociolinguistique – on peut alors parler de territorialisation active –, il apparaît que le centre de la ville est discursivement constitué comme un modèle, mais en quoi y a-t-il circulation des normes ?

Les discours sur la langue et ses pratiques n’ont de pertinence qu’en lien avec leur spatialisation. Construites comme hanoïennes (avec ses modalités), comme vietnamiennes, comme urbaines, comme jeunes, les pratiques en question relèvent autant de pratiques différenciées normées que de stratégies identitaires. Comme toutes pratiques – fussent-elles décrites comme seulement générationnelles – elles sont de fait les indices et traces urbaines des nouvelles formes d’exclusion où la connaissance de la langue – en fait de la variété dominante spatialisée – pour réussir son intégration sociale reste en discours la condition indispensable et quasi-rédhibitoire ; mais où, en pratique, cette connaissance renvoie conjointement à une connaissance dévalorisée et surtout frustrante de la langue dominante quasi-exogène.

 

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* PRES Université Européenne de Bretagne-Rennes 2 / EA 4246 PREFics / GIS Pluralités Linguistiques et Culturelles.)

[1] A poser comme une sociolinguistique de l’urbanisation (donc marquée par le spatial turn), posant la prégnance de la culture urbaine sur les pratiques de tous ordres et notamment les pratiques langagières.

[2] Et mise en mots comme une capitale millénaire. En 2010, Hanoï a fêté mille ans d’accession au statut de capitale du Vietnam (1010-2010).

[3] Les discours tenus sur la ville et qui sont considérés dans les pratiques sociales comme étant la ville, constituent la matrice discursive des normes et des espaces en relevant. La ville ne se réduit pas à ses discours, mais les discours sur la ville deviennent la ville perçue et se confond de la sorte avec le vécu (voir Bulot)

[4] Car il existe, au Vietnam, nombre de travaux sur la description linguistique de la norme, à l’instar de ceux qui existent en linguistique française en France, entre autres.

[5] Ce point a déjà été démontré sur d’autres villes comme Rennes, Rouen, Alger, Douala, etc. Voir http://www.sociolinguistique-urbaine.com/spip.php?article122

[6] Nous ne relaterons ici que le premier moment d’enquête (les entretiens).

[7] L’enquête par questionnaire est réalisée en mai 2012 avec les étudiants de la promotion suivante mais aussi en quatrième année ; ils ont terminé leurs études universitaires au moment de l’enquête. Le questionnaire est composé d’échelles d’attitudes non-prescriptives (Voir Bulot 1999) et de questions ouvertes qui ont à donner des exemples des situations précises où le parler jeune est utilisé et aussi à exprimer leurs représentations vis-à-vis des thèmes principaux de notre enquête : l’identité hanoïenne et le parler (jeune) hanoïen. Sur un total de 80 étudiants 75 questionnaires (cinq étudiantes absentes le jour de l’enquête) ont été recueillis (94 %). Sur cet échantillon global, 20 étudiants sur 75 sont nés dans l’« ancienne » Hanoï, 3 étudiants sont nés dans Hanoï « élargie », 46 sont nés dans les provinces du Nord du Vietnam et 6 dans les provinces du Centre du Vietnam.

[8] QH est le sigle de Quoc Gia Ha Noi (Université Nationale de Hanoï) et 2007 : l’année de l’entrée à l’Université selon la promotion.

[9] Cela représente plus de 10 heures d’enregistrements.

[10] De nombreuses enquêtes en sociolinguistique urbaine ont montré que l’identité locative (le lieu que déclarent les habitant-es comme le leur) est essentiel à la construction des discours de tous ordres. Cela a été montré une première fois sur la ville de Rouen (France) (Bulot, 1999).

[11] Pour anonymer les entretiens semi-directifs, ils sont codés selon le sexe et l’ordre chronologique de passation. M1 désigne le premier garçon interviewé et F1 lapremièrefille, etc. ce chiffre certes restreint a permis une saturation des données significative.

[12] Ho khau est « à la fois un livret familial et passeport intérieur utilisé dans les pays d’Extrême-Orient » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Huji)

[13] Le lexème « capitale» (la capitale, les citoyens de la capitale) est mentionné en moyenne quatre fois par tous les informateurs.

[14] Selon les discours sociaux dominants également repris dans les discours recueillis, une personne vraiment hanoïenne est originaire (sic) de Hanoï, a des qualités humaines effectives et sa famille habite là depuis au moins 3 générations.

[15] Dans les discours sociaux, il s’agit sans conteste d’une personne de la capitale.

[16] Le terme người già (les vieux) n’est pas un terme péjoratif. Il est souvent employé pour exprimer le respect des jeunes vis-à-vis des personnes âgées, car vieux signifie aussi expérimenté. Sur ce point retrouvons Bernard Zongo (2004 : 239) pour qui « ce terme ne possède pas la connotation péjorative que lui attribue le contexte européen, il est au contraire synonyme de sagesse et d’expérience » dans le contexte vietnamien.

[17] Gi= gì en vietnamien signifie en français quoi

[18] Roi = ri pour dire en vietnamien que c’est réglé/fini/terminé.

[19] đai = đái (pisser); đay = đấy (voilà) / đâu đấy = où/quelque part

[20] C est une unité-quantité pour compter les légumes racines comme pommes de terre, patate douce, carotte

[21] Dans le sens où les fusils sont chargés.