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Résumé

 Au regard du Coran l’origine commune de tous les êtres humains constitue le premier principe d’égalité entre les deux sexes. En conséquence, le statut inférieur de la femme dans certains pays musulmans ne découle que d’une mauvaise interprétation des textes fondamentaux de l’Islam, de coutumes locales et de préjugés socioculturels. Sous ce rapport, il n’existe aucun texte authentique qui justifie l’infériorité de la femme. La loi successorale qui attribue à la femme une part égale à celle de la moitié de l’homme ne s’applique que sur les biens laissés par le défunt (l’héritage). Cela donne à tout parent en cas de nécessité de son vivant le droit et la liberté de partager équitablement ses biens à ses héritiers sans aucune distinction de sexes.

 

Abstract

          In the Koran, the common origin of human beings constitutes the first evidence of the principle of gender equality. Therefore, the inferior status bestowed on women in some Muslim countries results from an erroneous interpretation of basic formal texts in Islam, from local customs and socio-cultural prejudice. There is no authentic text that illustrates the inferiority of women. The death duties which attribute women a share equal to half the men’s share only applies to the belongings of the departed person (legacy). Every parent, in their lifetime, has the right to share their belongings equally between their heirs without discrimination on gender, if necessary.

 

 

Introduction

Malgré la reconnaissance des principes d’égalité par le Coran et par les différentes législations musulmanes, les femmes ne sont toujours pas satisfaites de leurs conditions dans les diverses sociétés musulmanes. Il en résulte que de nos jours, plusieurs  femmes intellectuelles et mouvements féministes se lèvent pour réclamer, à juste tire, l’amélioration  du statut qui leur a été imposé par les hommes sur la base  des préjugés socio-culturels ou au nom de la religion. Mariama Ba, dans roman Une Si Longue Lettre, écrit : 

Les irréversibles courants de libération de la femme qui fouettent le monde,  ne me laissent pas indifférente. Cet ébranlement qui viole tous les domaines, révèle et illustre nos capacités. Mon cœur est en fête chaque fois qu’une femme émerge de l’ombre. Je sais mouvant le terrain des acquis, difficile la survie des conquêtes : Les contraintes sociales bousculent toujours et l’égoïsme mâle résiste. L’instrument des uns, appâts pour d’autres, respectées ou méprisées, souvent muselées, toutes les femmes ont presque le même destin que des religions ou des législations abusives ont cimenté[1]       

 

Dans cette étude, nous allons analyser essentiellement : 

1- La mauvaise interprétation  des textes ;

2-  la  question  de la parité. Dans la loi successorale.

 

1. La mauvaise interpretation de l’Islam

L’idée d’imputer les conditions de la femme aux religions, plus particulièrement à l’Islam qui nous intéresse dans cette étude, ne découle que de la méconnaissance et de la désinformation. Donc, pour faire aboutir leur lutte de libération, les femmes doivent s’intéresser d’avantage aux textes du Coran, principale source de la religion musulmane. A notre avis, la dégradation des conditions de la femme s’explique essentiellement par deux facteurs :

1- Les croyances primitives qui considèrent la femme comme un être inférieur et qui continuent d’exister dans les sociétés modernes ;

2- La mauvaise interprétation de principales sources du droit musulman (le Coran et la Sunna).

 

La légende confirme que  l’homme est la base, la source, et que la femme est une créature secondaire créée pour le plaisir de l’homme et sa quiétude. Bien que cette légende  fût inventée suite à la condition de l’homme  et pour confirmer son autorité –comme la légende de Zeus enfantant Athéna de sa tête-, elle fut utilisée pour expliquer et renforcer  la notion d’infériorité de la femme, après que l’homme lui eut donner un caractère sacré, en l’enserrant dans l’ensemble des lois divines. La création d’Eve à partir d’Adam constitua donc un argument essentiel pour justifier l’infériorité physique, intellectuelle et morale de la femme Ainsi les idéologies traditionnelles, dont l’Islam, ont-elles contribué à confirmer cette infériorité[2]. L’on rapporte que le prophète Mouhamed a dit : Ayez de bons sentiments à l’égard de la femme, car la femme a été créée d’une côte ; or la partie courbe de la côte, c’est  la haute ; si tu  essayes de la redresser, tu la brise ; si tu n’y touches pas, elle ne cessera d’être courbée[3].       .           

 

Pour éviter cet amalgame entre l’Islam et les idéologies traditionnelles, il faut que les intellectuels musulmans acceptent d’analyser certains propos attribués au prophète Mouhamed avec objectivité et plus de sérieux. Ce hadîth serait tiré de la légende qui raconte que :

Lorsqu’Adam fut dans le paradis, tous les habitants du paradis furent étonnés de la beauté de sa figure, et ils vinrent en foule pour voir Adam. Adam mangea un peu des fruits du paradis ; le sommeil s’empara de lui, et il s’endormit. Or on ne dort point dans le paradis, et son âme demeura éveillée. Dieu créa ensuite Eve à l’image d’Adam, en prenant à celui-ci pour la femme une de ses côtes du côté gauche[4]

 

Cette légende qui a donné naissance à ce hadîth est loin de refléter la réalité historique de la création d’Eve en Islam. Voici telle qu’elle est rapportée dans le Coran : 

Votre Seigneur vous a créés à partir d’une âme (nafs) unique, dont ensuite, il créé son épouse.[5]  

Il vous a créés à partir d’une âme (nafs) unique, dont ensuite, il a tiré son épouse.[6]

C’est lui qui vous a créés à partir d’une âme (nafs) unique dont il a tiré son épouse afin que cette âme (nafs) se trouva en sécurité au près d’elle.[7]

 

Contrairement à la légende, le Coran dans ces versets évoque l’origine commune de tous les êtres humains dont Adam et son épouse Eve.        

 

Dans son ouvrage « Makânat al marat fî-al quân wa as-sunnat  As-sahîhat » (La place de la femme dans le Coran et la Sunna authentique), Mouhamed Baltâgu résume le sens de ces versets qui signifient que « L’homme et la femme sont créés de la même matière»[8] ; ce qui constitue pour lui la première preuve d’égalité entre l’homme et la femme. Ils sont tous créés d’argile comme écrit dans le Coran :

Nous vous avons créé, puis nous vous avons donné une forme, ensuite nous avons dit aux anges : prosternez-vous devant Adam. Ils se prosternèrent, à l’exception d’Iblis qui ne fut point de ceux qui se prosternèrent (Allah) dit : « Que–est ce qui t’empêche de te prosterner quand je te l’ai demandé ? Il répondit : je suis meilleur que lui : tu m’as créé de feu alors que tu l’as créé d’argile.»[9]    

 

Par ailleurs, pour revenir à la légende citée plus haut, c’est une falsification du récit  Coranique que voici :

O Adam ! Habite ce Jardin, toi et ton épouse ! Mangez de ses fruits, en lisse, où vous voudrez, mais n’approchez pas de cet arbre-ci, sans quoi vous serez parmi les injustes ! Or le Démon les fit pêcher,  à cause de cet arbre ; il les fit sortir de l’état où ils étaient et Nous dîmes : Descendez du Jardin ! Les uns pour les autres, vous êtes un ennemi. Vous aurez, sur la terre, séjour et brève jouissance jusqu’à un moment fixe[10] 

O Adam ! Habite ce Jardin, toi et ton épouse ! Mangez de ses fruits, partout où vous voudrez, mais n’approchez point de cet arbre-ci, sans quoi vous serait parmi les injustes ! Mais le Démon les induisit  en tentation pour leur rendre visible leur nudité qui leur était dérobée et il dit : Votre Seigneur ne vous interdit de toucher  aux fruits de cet arbre que par crainte que vous ne soyez des Anges et ne soyez parmi les immortels ! En vérité, leur jura-t-il encore, je suis pour vous un conseiller sûr. Iblis les conduisit à leur chute, par sa perfide, et Adam et sa femme ayant goûté du produit de l’arbre, leur nudité leur apparut et ils disposèrent sur eux des feuilles d’arbres du Jardin. Alors le Seigneur leur cria : ne vous avais-je point interdit d’approcher de cet arbre ? Ne vous avais-je pas dit  que le Démon est pour vous un ennemi déclaré[11]

 

Il n’y a rien dans ce verset coranique qui montre qu’Eve a été  créée à partir d’Adam, encore moins de ses côtes ou d’une quelconque partie de son corps. Contrairement aux affirmations de Simone de Beauvoir, en Islam l’origine d’Eve ne peut nullement justifier l’infériorité physique, intellectuelle ou morale de la femme. Car tout être humain est né d’une femme et d’un homme. Même si réellement Eve est créée à partir d’Adam, cela ne doit en aucun cas justifier l’inégalité entre les deux sexes, car la naissance de Jésus d’une mère sans père ne signifie pas l’infériorité pour lui. Le Coran écrit : « Pour Allah, Jésus est comme Adam qu’il a créé à partir de la poussière, puis il lui dit : «Sois» et il fut»[12].

 

En outre, dans la pensée musulmane, l’origine de la création est une preuve d’égalité entre tous les êtres humains. Le Prophète Mouhamed dit : « Votre Dieux est unique et votre père est unique. Vous appartenez tous à Adam et Adam est créé de la terre». Par ailleurs, Il est  important pour les féministes d’avoir une bonne connaissance de la religion pour rejeter certaines lois imposées aux femmes par les hommes au nom de la religion ; lois auxquelles viennent s’ajouter certains préjugés socioculturels à l’égard de la femme. Le célèbre réformateur Seyyid Mouhamed Rachid Rida, grand bâtisseur de l’exégèse coranique moderne écrit : 

 Dieu a préféré l’homme à la femme en le créant plus fort en corps en en esprit. Ne conteste cette préférence de Dieu dans l’ordre  naturel que celui qui est ignorant ou prétentieux ; l’homme est plus grand de crâne, doté d’une  raison plus vaste, d’un muscle plus solide ; il est plus apte que la femme à comprendre les sciences et à faire toutes sortes de travail ; il jouit aussi d’une plus grande aptitude pour accomplir sa fonction relative à l’accouplement conjugal et injecte sa semence à la femme par acte  volontaire et choix[13]

 

La lecture de ce texte montre qu’on n’a pas besoin d’être spécialiste de l’Islam pour savoir que ce passage n’a  aucun rapport avec l’Islam. Ce n’est que le reflet d’un préjugé socioculturel à l’égard de la femme qui n’engage que son auteur. Contrairement à cette attitude, le Coran écrit : 

O homme ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah est le plus pieux, Allah est Omniscient et grand- connaisseur[14]

 

L’analyse de ce verset montre que le genre n’a jamais été un critère de préférence en Islam. Mais ce qui est étonnant, voir inquiétant, c’est que l’auteur de ce texte est l’un des plus grands penseurs musulmans du XXe siècle :  

 Son commentaire coranique du Manâr  demeure la référence de base pour l’exégèse du Coran. La plupart des auteurs qui comptent aujourd’hui dans ce domaine à travers les pays musulmans d’expression arabe se réclament du model manarien, soit qu’ils le reproduisent fidèlement, soit qu’ils en illustrent les inspirations fondamentales, à la fois dans un souci de continuité de la communauté avec ses sources, et d’adaptation du message coranique aux temps nouveaux[15]

 

Il est donc regrettable que ces propos émanent d’un penseur d’une telle dimension intellectuelle. En 1975, à l’occasion de l’année internationale de la femme, Wahbi Sulaimane ghawji, un grand chercheur dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, fit une remarque du même ordre : 

 En moyenne le cerveau de l’homme dépasse, en volume, celui  de la femme de cent grammes ; ceci n’est pas le résultat de la différence de deux morphologies, car il a été constaté que le rapport du cerveau de l’homme par rapport à son corps est de 1/40, alors que celui de la femme est de 1/44. Comparez les deux rapports ! En outre, le cerveau de la femme compte moins de circonvolutions et est moins organisé que celui de l’homme[16]

 

L’on sait que ce texte n’est qu’un résultat de la recherche. Qu’il soit vrai ou faux, il  n’a rien à voir avec l’Islam. Mais pour justifier leur attitude, ces auteurs citent ces propos attribués au prophète : 

Les femmes ont moins de raison  et de foi. Lorsqu’on a demandé au prophète pourquoi ? Il répondit : Le manque de raison se traduit en ce que le témoignage de deux femmes vaut le témoignage d’un seul homme et le manque de foi se traduit en ce que  pendant ses règles la femme ne prie pas et ne jeûne pas.

 

En effet, la question du témoignage de la femme nous intéresse au plus haut point parce qu’elle est confirmée dans le Coran. On lit dans la Sourate II :

 O les croyants ! Quand vous contractez une dette à échéance déterminée, mettez-la en écrit ; et qu’un scribe l’écrive, entre vous en toute justice, un scribe n’a pas à refuser d’écrire que selon ce qu’Allah lui a enseigné ;  qu’il écrive donc, et que dicte le débiteur ; qu’il craigne Allah son Seigneur, et d’en rien diminuer. Si le débiteur est gaspilleur ou faible, ou incapable de dicter lui-même, que son représentant dicte alors en toute justice. Faites-en témoigner par deux témoins d’entre vos hommes, et à défaut de deux hommes un homme et deux femmes d’entre ceux que vous avez agréés comme témoins, en sorte que si l’une d’elle s’égare l’autre puisse.[17]

 

En milieux intellectuels, cette question est différemment interprétée pour justifier l’infériorité de la femme par  des arguments faibles et peu convaincants, allant de la sagesse divine à la sensibilité de la femme, en passant par la faiblesse de sa mémoire et de son caractère. A notre avis cette attitude s’explique essentiellement par la difficulté pour ces penseurs d’analyser correctement le discours coranique. Selon Wahbi Sulaimane : 

La sagesse  de cette position est manifeste, car la fonction naturelle de la femme est de rester chez elle pour élever ses enfants et gérer son foyer pour le bien de son mari. Pour s’acquitter de sa tâche dans les meilleures conditions, elle ne peut prendre part aux activités extérieures à la maison. Elle ne peut donc assister aux accords financiers discutés par les hommes et, même si elle y assiste, elle n’est pas capable de comprendre tout à fait le sujet c’est pour cette raison qu’il faut faire appel à une deuxième femme pour l’assister et l’aider à rectifier ce qu’elle croit juste au moment où cela ne l’est pas. Le texte coranique qui est l’émanation de Dieu est très clair à ce niveau et ne peut être sujet à aucune spéculation.[18]

 

Cette appréciation est une injure à la femme. On oublie que Kadidja, la femme du prophète, était l’une des plus riches personnalités  de la Mecque. Par conséquent, elle ne pouvait pas ignorer les accords financiers. En outre, pour ne pas être piégés par leurs propres contradictions, les partisans d’inégalité entre l’homme et la femme  choisissent de passer sous silence d’autres questions où il n’y a aucune différence entre le témoignage de la femme et celui de l’homme, comme le serment d’anathème.  Le Coran précise:

Et quant à ceux qui lancent des accusations contre leurs propres épouses sans avoir d’autres témoins qu’eux même, le témoignage de l’un d’eux doit être une quadruple attestation par Allah qu’il est du nombre des véridiques. Et la cinquième attestation (attestation) est que la malédiction d’Allah tombe sur lui s’il est du nombre des menteurs, et ne lui infligera pas le châtiment si elle atteste quatre fois par Allah qu’il (son mari) est certainement du nombre des menteurs, et la cinquième (attestation) est que la colère d’Allah soit sur elle s’il  était du nombre des menteurs.[19]

 

Les auteurs considèrent ce verset comme une affaire intime à la femme;  ce qui explique le peu d’intérêt qu’ils accordent à cette  question d’une importance capitale. Par ailleurs, Mouhamed Jamal de l’Université du roi Adel Aziz d’Arabie Saoudite justifie l’infériorité de la femme par la faiblesse de sa mémoire :

Le Coran fait du témoignage de la femme la moitié de celui de l’homme, car la mémoire de la femme est faible sauf en ce qui concerne sa famille ou son intimité propre. La psychologie  moderne et les expériences dans les cours de justice confirment la sagesse coranique  dans ce domaine. En effet, l’infériorité  mentale de la femme, signalée par le hdith, ne pas un défaut ou un manque chez elle, mais une nécessité. Cette infériorité est comblée  par l’affection et l’amour qu’elle peut porter à ses enfants, à leur éducation, chose que l’homme est incapable d’accomplir[20]

 

Contrairement  à Jamal, Madiha Khamis juge que la femme a une bonne mémoire; cependant :

[elle] prend ses décisions sous l’impulsion de ses sentiments, au détriment de la raison, ce qui représente un manque de raison qui est aussi à l’origine du manque de foi chez elle. Le Coran demande pour le témoignage la présence de deux femmes au lieu d’une, pour que l’une rappelle l’autre. Ii ne s’agit pas ici  de se rappeler les faits, car la femme à une bonne mémoire. En effet, l’une doit rappeler l’autre l’existence de Dieu, afin de réveiller chez elle la conscience de la crainte  de Dieu et q’elle revienne à la raison et à la foi[21]

 

Pour Mouhamed Ghazali, défenseur et auteur d’un ouvrage sur le droit de l’homme, c’est le caractère de la femme qui justifie cette inégalité :

 Etant donné que la femme peut être influencée psychologiquement et physiquement par ses règles, et que ces influences peuvent toucher son caractère et sa manière de voir les choses  et de les juger l’Islam a voulu éviter tout  incidence imprévisible en exigent  que le témoignage d’une femme doit être confirmé  par une autre. L’islam ne fait cici que traduire les les appréhensions de la médecine qui affirme que la menstruation  affecte la santé et l’équilibre de la femme.[22]

 

De même, pour Zahye Kadoura :

Le caractère instable de la femme, causé par des facteurs naturels, demande qu’on prenne davantage de précautions dans l’acceptation de son témoignage. Cela ne touche point la dignité et le droit de la femme, mais favorise l’accusé auquel il faut maximum de garantie s pour permettre à la justice de trancher dans la clarté[23]

 

Zaïdane  Abdul Baki de l’Université d’al Azhar écrit :

La femme est sensible par nature .Elle manque aussi d’expérience dans le domaine social. Il se peut qu’elle soit fatiguée sous l’influence des règles, de l’allaitent, ou d’une grossesse, ce qui peut éventuellement affecter sa psychologie et l’empêche de voir juste. S’il s’agit d’un meurtre elle préfère plutôt ne pas regarder[24]

 

Selon Ghada al Kharsa, « Il est notoire que la femme est un être sensible. Cette sensibilité peut l’amener à témoigner en faveur de sa famille, son fils  son père et son mari. C’est pourquoi la sagesse divine  a voulu se prémunir contre de telles situations, afin de préserver les droits de chacun »[25]. A en croire ces différents auteurs, hommes et femmes, si dans ce verset le Coran a fait du témoignage de la femme la moitié de celui de l’homme c’est parce que :

1-la femme est un être sensible qui manque d’expérience dans le domaine social et ses fonctions naturelles peuvent l’empêcher de voir juste ;

2-elle a une mémoire faible ;

3- ses règles peuvent influer sur sa manière de voir les choses et de juger ;

4-la sagesse divine veut s’entourer de toutes les garanties pour le bon fonctionnement ;

5-c’est un moyen de préserver le droit pour tous.

 

En effet,  ces éminents intellectuels et universitaires ont oublié que des femmes ont assuré la fonction de juge depuis les premiers siècles de l’Islam. Donc ce verset nécessite une analyse objective et une réflexion approfondie. Ses caractères social et économique le classent dans la catégorie des versets normatifs qui, comme l’héritage et la polygamie peuvent évoluer  pour s’adapter aux réalités et aux exigences de la communauté musulmane   dans l’espace et dans le temps.

Le prophète Mouhamed était le premier à réévaluer la question du témoignage en acceptant un seul témoignage de Khuzeymat In al Thâbit al ansârî,  en lieu et place de deux témoins exigés par le Coran. En conséquence, les compagnons du prophète ont réglé cette question à leur manière. Oumar Ibn al Khattâb, le deuxième calife du prophète connu pour sa rigueur, son honnêteté et son attachement à la justice

s’est fait aider lors de son khilafat d’un compagnon femme parmi les mouhjirat « ou émigrées » Qureïchites, qu’il a nommée contrôleur dans le marché de Médine. Il s’agit de Chifae Bent Abdellah qui contrôlait les prix et prononçait des jugements en cas de litiges concernant les transactions[26]

 

Au  début du 4ème siècle à Bahdad,

 l’une de ces célèbres savantes était la servante de la mère du calife Al Moqtadir, appelée Thomal. Elle s’est assise en 302 de l’hégire pour juger une affaire opposant 2 individus, en se faisant entourée des juges et de savants. Il y avait des divergences de points de vue entre les savants de l’Islam au sujet de l’exercice  des fonctions de juge par une femme. L’Imam Attabari l’un des plus éminents exégètes de Coran à son époque a admis qu’une femme puisse être juge [27] 

 

L’exercice des fonctions de juge par des femmes dans différentes époques de l’histoire de l’Islam montre clairement que :

1-Le témoignage de la femme est une question dépassée en Islam ;

2- Il n’y a aucune différence entre l’homme et la femme sur le pan intellectuel et moral ;

3- Il n’y a aucune fonction sociale, politique, économique ou religieuse réservée aux hommes. En d’autres termes, l’Islam n’interdit pas aux femmes l’accès aux sphères de décision. Quant au motif de la dispense de la prière en période de menstruation, il ne s’agit nullement d’un manque de foi ou d’infériorité de la femme. Si elle est dispensée de la prière, c’est parce que la pureté légale est une condition sine qua none  pour l’accomplissement de la prière aussi bien pour la femme que pour l’homme. Par contre, pour le jeûne, rien ne justifie son incompatibilité avec la période de menstruation si la femme veut ou décide d’observer le jeûne.[28]                   

 

2. La question  de la parité dans la loi successorale.

La parité en Islam est une question qui doit être traitée avec le plus grand sérieux. L’Islam quiest ressorti de la révélation divine, s’affirme comme religion de justice et d’égalité. En conséquence, la loi successorale  qui attribue à la femme une part égale à la moitié de celle de l’homme nécessite aujourd’hui une autre analyse plus approfondie et plus objective. Dans la sourate IV, le Coran dit :

Voici ce dont Allah vous fait commandement  au sujet de vos enfants : au mâle une portion semblable à celle de deux filles; si les héritières sont au dessus de deux à eux les deux tiers de ce qu’a laissé le défunt ; si l’héritière est unique à elle la moitié [29]

 

Le verset 13 de la même sourate conclut :

Tels sont les ordres d’Allah. Et quiconque obéit à Allah et son messager Il, le fera entrer dans  les jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, pour y demeurer éternellement 

Quiconque désobéit à Allah et à son messager, et transgresse ses ordres, Il le fera entrer au feu pour y demeurer éternellement. Et celui-là aura un châtiment[30] 

         

Ce verset qui ne laisse aucune possibilité d’interprétation clos définitivement le débat sur cette  question de l’héritage.   Il est important de signaler que cette loi coranique  ne s’applique que sur : « ce qu’ont laissé les pères, les mères ainsi que les parents  proches»[31] (l’héritage).

L’analyse de ce verset révèle que le Coran n’interdit nullement au fidèle musulman, de son vivant et en fonction de sa situation familiale ou en cas de nécessité,  de partager équitablement ses biens entres ses héritiers et affecter à chacun la part qui lui revient sans distinction de sexe ou d’âge, à la seule condition que le partage soit  équitable. Dans les « Sahîh al-Buikhârî et Muslim », Nu’ mân Ibn Bachîr rapporte : 

Mon père m’a fait un don important, mais ma mère lui a répondu : Je n’agrée ce don que si tu prends l’Envoyé de Dieu à témoin. Mon père est allé solliciter son témoignage. l’Envoyé  de Dieu lui dit : est ce que tu as  offert la même  chose à tous tes enfants ? Mon père  lui a répondu « Non ». l’Envoyé de Dieu Lui a répondu: Craignez Dieu et soyez équitables entre vos enfants » Puis Il  ajouta : je ne peux accorder mon témoignage pour une injustice[32]

 

Contrairement à l’héritage, ces propos du Prophète Mohamed confirment l’égalité de droit de tous les enfants quant aux biens de leurs parents. Ceci, en cas de nécessité, donne à ces derniers le pouvoir et la pleine liberté de partager équitablement ses biens auxquels tous ses enfants  ont droits sans aucune distinction de sexe. Il en est de même de l’accès au travail, des sphères de décisions et même de l’imamat (La direction de la prière).     

 

Conclusion

Au cours de cette étude, nous avons remarqué que ce sont les femmes qui sont souvent victimes de la mauvaise interprétation des lois coraniques. En effet, à l’exception de quelques unes dans le monde arabo-musulman, la formation intellectuelle des femmes ne va pas souvent au-delà de l’apprentissage de la lecture du Coran.

Au Sénégal, contrairement aux hommes, l’initiation des femmes à l’école coranique a pour objectif principal l’apprentissage de quelques versets coraniques pour s’acquitter des cinq prières quotidiennes obligatoires pour tout musulman ou préparer les enfants musulmans à l’entrée à l’école laïque en lieu et place des jardins d’enfants. En conséquence, certaines inégalités dont les femmes sont victimes au Sénégal et dans les pays musulmans en général, sont inhérentes à l’ignorance et à une fausse interprétation des enseignements islamiques. Il va sans dire que les mouvements féministes musulmans, dont l’objectif  principal est bien sûr la promotion et la défense de la cause féminine, doivent s’armer d’une solide connaissance de l’Islam pour réussir dans leur entreprise.

 

Bibliographie

Le Coran

Dayf, Shawqî. L’universalité de l’Islam, l’Organisation Islamique pour la Science et la Culture (ISESCO). Rabat, 1998.

Djâbir, Aboubakar. Mihâdj Al-Muslim. Paris : Editions Islima, 1986.

Ascha, Ghassan. Du statut inférieur de la femme en Islam. Paris : L’Harmattan, 1987.

Magali, Morsy. Les femmes du Prophète. Paris : Mercure de France, 1989.

Ba, Mariama. Un si Longue Lettre. Dakar :N.E.A., 1981.

Mernissi, Fatima. Le Harem Politique. Paris : Albin Michel, 1987.

Dr Mouhamd, Baltâgi. Makânat Al Mar-at Fî Al Islam  ( La Place de la Femme en Islam). Caire : Al Mazîd, Li Dâr A-Salam, 2005.

Silimân, Ibn Abdel Rahmân Al Hukaïli. Les Droits de l’homme en Islam. Riyad, 1999.


* Enseignant/Chercheur, Unversité Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

[1] Mariama Ba. Une Si Longue Lettre. Dakar : N.E.A., 1981, p.129.

[2] Simone de Beauvoir. Le deuxième sexe. Citée par  Ghassan Ascha. Du  Statut inférieur de la Femme en Islam Paris : L’Harmattan, 1987, p.23.

[3] Al Boukhri, Sahiht6, 145

[4] Tabari. De la Création à David. Paris: Sindbad, 1980, p.78.

[5] Coran Sourate IV verset 1

[6] Coran Sourate XXXIV verset 6

[7] Coran Sourate  VII verset 189

[8] Mouhamed Baltâgu. Makânat al marat fî al Qurâ wa As-sunna As-sahîhat (La place de la femme dans le Coran et la sunna authentique). p.

[9] Coran Sourate  VII versets 11-12

[10] Coran Sourate II versets 35-36

[11] Coran VII 19-20

[12] Coran  Sourate III, verset 59

[13] Voir Ghassan Ascha, op. cit.,  p.48

[14] Coran Sourate XXXXIX verset 13

[15] Ali Merad. L’exégèse Coranique. Paris : PUF, 1998, p.82.

[16] Voir Ghassan Ascha. op. cit., p.58.

[17] Coran Sourate II verset 282.

[18]  Voir Ghassan Ascha. op. cit., p.63.

[19] Coran Sourate XXIV versets 6-9

[20] Voir Ghassan Ascha. op. cit., p.67

[21] Idem

[22] Idem

[23] Idem

[24] Idem

[25] Idem

[26] Shawqi Dayf. L’universalité de L’islam. Organisation islamique pour l’Education, les Science et la Culture « ISESCO », 1989, p.72.

[27] Shawqi Dayf, op. cit., p.72.

[28] Pour plus d’information sur ce sujet voir Cheikhou Diouf, « Le concept de l’jmâ dans la pensée musulmane » in Revue du Groupe d’Etudes  Linguistique et Littéraires No 2 mars 1998, p.155.

[29] Coran, sourate IV, verset 11

[30] Coran, sourate IV, verset 13

[31] Coran, sourate IV, verset 7

[32] Voir, Shawqî Dayf, L’universalité de l’Islam, Organisation islamique pour l’Education les Sciences et la Culture ISESCO, 1996, p.80.