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Abstract

In Muslim societies, men’s monopoly of decision-making power derives mainly from two factors: socio-cultural factors and erroneous interpretation of the notion of authority in Islam (Qawama) and this hadith from the prophet “any people that entrusts its affairs to a woman will never be prosperous”. There exists no authentic text that prohibits women’s access to decision-making. History has shown that from Baluis, the queen of Saba (a people related in the Koran) until now, women have been brilliantly leading communities. Indeed, women’s access to labor in general and decision-making in particular still remains a big issue in some Muslim countries because it is obvious that women’s financial and economic independence poses a real threat to paternal authority and power.

 

Résumé

Dans les sociétés musulmanes, le monopole du pouvoir de décision par les hommes découle essentiellement de deux facteurs : des facteurs socioculturels et d’une mauvaise interprétation de la notion d’autorité en Islam (Qawâma) et ce hadith attribué au Prophète ; « Ne connaîtra jamais la prospérité un peuple qui confie ses affaires à une femme ». Il n’y a aucun texte authentique qui s’oppose à l’accès de la femme aux postes de décisions. L’histoire a montré que depuis Balqûis, la reine de saba, un peuple cité dans le Coran jusqu’à nos jours, des femmes ont dirigé des peuples avec succès.  En effet, l’accès de la femme au travail en général et aux poste de décision en particulier reste toujours dans certaines sociétés musulmanes un problème épineux, parce qu’il est évident que l’autonomie économique et financière de la femme constitue est une réelle menace pour l’autorité et la puissance paternelle. 

 

Introduction

En dépit de la reconnaissance du principe d’égalité entre l’homme et la femme dans tous les domaines de la vie par le Coran, force est de constater que dans les sociétés musulmanes le pouvoir de décision est toujours le monopole des hommes. En conséquence, dans « Une Si Longue Lettre » Mariama Bâ réclame le droit de la femme au travail et au poste de décisions en particulier.  Aujourd’hui, deux positions se dégagent de cette importante question d’actualité qui divise les penseurs musulmans, que nous allons analyser dans cette étude : d’une part, celle de ceux qui sont pour le droit de la femme d’accéder aux postes de décisions, et celle de ceux qui s’y oppose, d’autre part. 

 

Les conditions de travail de la femme en Islam 

Dans son roman Une Si Longue Lettre, Mariama Bâ écrit : écrit :

« Nous avons droit au travail impartialement attribué et justement rémunéré »[1]. Mon Cœur est en fête chaque fois qu’une femme émerge de l’ombre. Je sais mouvant le terrain des acquis, difficile la survie des conquêtes : Les contraintes sociales bousculent toujours et l’égoïsme des mâles résiste. L’instrument des uns, appâts pour d’autres, respectées ou méprisées, souvent muselées, toutes les femmes ont presque le même destin que des religions ou des législations abusives ont cimenté[2]

 

En effet, l’idée d’attribuer l’origine des conditions de travail de la femme aux religions, plus particulièrement à l’Islam qui nous intéresse dans cette étude, ne découle que de la méconnaissance et de la désinformation. Si dans certaines sociétés musulmanes la femme est privée de droit d’accès aux sphères de décisions, c’est essentiellement un problème socioculturel. Mais en Islam, il n’y a aucun texte authentique qui interdit à la femme d’accéder aux postes de décision encore moins au travail quel qu’il soit et dans tous les domaines de la vie ; et de diriger les hommes si elle a les compétences requises. Dans son ouvrage : al Marat fî al Qurân wa as-Sunna (La femme dans le Coran et la Sunna), Mouhamed Izzat Dawaza confirme cette égalité entre l’homme et la femme : 

 La jurisprudence (sharîa) islamique juge que la femme musulmane – autant que le musulman – dispose de la pleine capacité dans tous les domaines et est digne de tous les droits dans les diverses activités civiques. Ceci comprend l’approbation de la participation de la femme musulmane aux côtés de l’homme musulman à toutes les structures de l’Etat et de la société, sur un même pied, ce qui lui confère aussi un droit égal aux activités politiques et sociales sous toutes les formes. Entre autres elle doit avoir accès à la science et aux arts dans toutes leurs variantes en vue de parfaire sa formation nécessaire à l’exercice des droits et des capacités que l’Islam lui octroie. Elle doit avoir un droit de regard sur tous ce qui se rattache à l’intérêt public. Elle doit aussi participer aux meetings et réunions des organisations patriotiques, de luttes et de réformes sociales.  Elle doit avoir accès à toutes les formes d’emploi de fonctionnement au sein de l’Etat et au dehors. Bref, la femme musulmane doit exercer tous les droits et toutes les tâches.[3]

 

A ce sujet, Cheikh Mouhamed Mahdi Sams Adin écrit :                    

Il n’y a en Islam rien qui sépare la femme de l’homme dans la vie pratique. Rien dans les textes de la jurisprudence (Sharîa) qui approuve la discrimination, au contraire, il en est parmi ces textes qui désapprouvent pareille attitude. Il en est de même dans la réalité historique. Celle-ci prouve sans aucun doute la participation des femmes à la vie pratique aux côtés des hommes à l’époque où les musulmans pratiquaient l’Islam authentique dans leur vécu quotidien. L’état de séparation ainsi que la mise en touche de la femme, c’est-à-dire son renvoi de la vie pratique, ne sont pas le résultat de jugements juridiques authentiques mais la résultante d’une débauche historique et d’un recul de la civilisation. Cette situation a obscurci les lois de la jurisprudence véritable et vicié sa pureté sous son amas de coutumes qui viennent de sociétés non islamiques et surtout à la suite du torrent des femmes esclaves qui a noyé la vie musulmane. Celle-ci furent utilisées en tant qu’objets de plaisir et de jouissance. Dès lors, la femme libre fut cloîtrée pour être préservée de la débauche et, par conséquent, éloignée du champ des activités pratiques[4].             

 

L’analyse de ce texte révèle que la difficulté, pour ne pas dire l’interdiction à la femme d’accéder aux postes de décision dans certaines sociétés islamiques découle en partie des facteurs socioculturels qui font que certains musulmans « ne peuvent pas imaginer la relation entre l’homme et la femme que par l’acte sexuel» [5], d’où la nécessité d’interdire à cette dernière de sortir de chez elle et  d’accéder au travail. La position de Mouhamed Gahzali sur le travail de la femme en est une parfaite illustration.

Je déclare en toute clarté que le fait de pousser la femme à sortir de chez elle n’a pas pour motif de boucher les trous dans le domaine de l’agriculture, de l’industrie ou du commerce. Ce ne pas non plus pour ranger la paperasse dans les bureaux, les cabinets ni pour vendre les vêtements entassés sur les étalages des magasins. C’est donc une débauche et perfide que de vouloir faciliter la jouissance avec la femme. C’est banaliser ses charmes  et la mettre sous les regards des loups ou entre leurs mains chaque fois qu’ils le souhaitent[6]       

 

L’auteur attaque donc la femme qui, à ses yeux, n’est qu’un objet de désir indigne de confiance, sans aucune valeur morale. Le fait de considérer que le travail de la femme est une débauche ou une manière de faciliter la jouissance avec la femme sans aucune preuve est une fausse accusation, une attitude indigne d’un croyant et fortement condamnée en Islam. Dans La Sourate XXIV, le Coran dit :

Ceux qui profèrent des accusations contre des femmes chastes sans produire par la suite quatre témoins, appliquez-leur quatre vingt coups de fouet et n’acceptez plus jamais leur témoignage, car ceux-là sont les pervers[7]

 

Par ce verset sans équivoque, le Coran a montré que la femme est digne de confiance et qu’on lui doit respect et considération. Ceux qui accusent une femme d’immoralité et qui n’en produisent pas la preuve s’exposent non seulement à un châtiment corporel, mais, de plus, la peine de n’être plus jamais considéré par la justice comme digne de confiance en matière de témoignage.    Par ailleurs, Abou Alâ Al Mawdoudi l’un des plus farouches opposant au travail de la femme écrit : 

Charger la femme d’obligations extérieures n’est pas seulement une injustice ; en vérité elle n’est pas apte à accomplir les devoirs qui incombent à l’homme. Ces tâches ne peuvent être accomplies que par ceux dont la force de travail est stable et infatigable ; ceux dont la force intellectuelle et physique est à toute épreuve et à laquelle on peut se fier. L’autonomie des femmes dans leur vie économique les a rendues indépendantes des hommes. La femme qui gagne sa vie d’une façon autonome, qui, seule, accomplit toutes les fonctions qui, l’incombent, sans avoir besoin d’un protecteur ou d’une aide dans sa vie quotidienne, pour quelle raison une telle femme aurait-elle besoin de s’attacher à un homme unique pour seulement éteindre la flamme de ses désirs ? Pour quoi porterait-elle en vain le poids de la morale et de la jurisprudence ? Pourquoi supporterait-elle les lourdes conséquences qui découlent de la vie familiale ?[8]            

 

Ainsi pour s’opposer au travail de la femme, l’auteur justifie-t-il son refus par l’infériorité physique et intellectuelle de la femme et manifeste sa volonté de rendre la femme nécessiteuse et dépendante de l’homme. Car en réalité, l’autonomie économique et financière de la femme est un important facteur de régulation de rapport mari-femme. 

L’analyse de ce passage montre que l’interdiction de l’accès des femmes aux postes de décision est une mauvaise interprétation de la notion d’autorité (qawâma) définie dans la sourate IV à laquelle vient s’ajouter le hadîth rapporté par Abûbakra : « Lan youfliha qawmun wallû umûrahum ilâ imrat » (Ne connaîtra jamais la prospérité un peuple qui confie ses affaires à une femme).  

 

Al Qawâma (L’autorité)

 Pour certains penseurs musulmans, le verset 35 de la sourate IV est la principale source d’interdiction de l’accès des femmes aux sphères de décision : « Les hommes ont autorité sur les femmes du fait que Dieu a préféré  certains d’entre vous à certains  d’autres et du fait  que les  hommes font dépenses sur leurs biens en faveur de leurs femmes  »[9]. Pour que cette notion erronée de qawâma ne soit pas mise en doute, Al Bahi Al Khouly affirme que ce verset

est une loi sociale indispensable aux liens qui unissent la famille une loi psychologique doit être déduite de cette généreuse parole. Chacun des deux époux doit en faire sa conviction intime en toute quiétude et sérénité comme ce fut le cas pour la génération passée et comme c’est le cas chez la majorité d’aujourd’hui. Agissant ainsi, tous les croyants doivent penser qu’il s’agit d’obéir à Dieu[10]  

 

Ce verset ne peut nullement être interprété comme une interdiction de l’accès des femmes aux postes de responsabilité. Dans son ouvrage sur la femme, Dr Mohamed Baltāgu écrit :

Contrairement aux affirmations de certains Oulémas, qui se réfèrent à ce verset pour nier la légitimité pour les femmes de diriger les hommes, les versets ne leur interdit pas l’accès aux postes de responsabilité. Il parle de la responsabilité qui incombe à l’homme dans le foyer conjugal.[11]

 

 L’auteur explique al qawâma (l’autorité) par l’obligation pour l’homme de prendre en charge et d’entretenir son épouse.  Quant à Mouhamed Izzat Darwâza, il explique la qawâma par le fait que « c’est l’homme qui détient le droit de divorce à l’exclusion de l’épouse. Il détient seul le droit à la polygamie ». Dans son argumentation, l’auteur a sans doute oublié que la femme a le droit au kholou (le divorce à l’initiative de la femme avec la seule condition de rembourser la dot), car l’homme qui détient le droit de divorce en cas de répudiation, perd la dot. Ce droit, équivalant au droit de divorce, permet à la femme de rompre son mariage. En outre, certains voient dans la qawâma : la charge financière du foyer qui incombe à l’homme seul :

le signe d’une capacité plus grande qui le rend apte à prendre la femme sous son autorité. Il est plus prompt à prendre les décisions et à les mettre en exécution de par sa force et ses moyens matériels. La nature sociale veut que ce soit ainsi dans tous les lieux et dans chaque circonstance afin que l’ordre et l’harmonie règnent. L’homme étant plus présent, il est plus apte à affronter les problèmes et les résoudre. Il n’y a point de contradiction entre toutes ces affirmations et le fait que les deux époux ont les mêmes droits[12]          

 

Ces penseurs qui, conformément à la loi coranique reconnaissent l’égalité et les mêmes droits aux deux époux, expliquent la qawâma (la responsabilité de l’homme dans le foyer conjugal par l’infériorité physique et intellectuelle de la femme). Mouhammed Qutb ne dit pas le contraire. Selon lui, la qawâma : 

découle de la nécessité d’un administrateur qui supervise l’organisation générale de cette société établie entre l’homme et la femme avec ce qui en résulte de progéniture et ce qu’il en incombe  en fait de responsabilité. L’homme est, par sa nature pensante et non passionnelle, en plus de ce à quoi la vie l’a préparé, en mesure de se battre grâce à des nerfs solides capables de supporter les exigences du combat. Nous sommes conduits à reconnaître que c’est l’homme qui est le mieux qualifié pour assumer  la qawâma sur le foyer[13]

 

Contrairement au principe d’égalité entre l’homme et la femme reconnu par le Coran, ces discours antiféministes, sans aucun fondement religieux, n’ont pour objectif que de justifier l’obéissance que la femme doit à l’homme. Cette vision erronée de la qawâma, semble être partagée par beaucoup de penseurs musulmans contemporains. Le grand penseur égyptien Al Akkad écrit :

La femme peut être sujette à l’injustice dans les droits sociaux durant de longues périodes, car l’injustice à l’égard du faible est une loi de la nature qui ne cessera point de s’exercer, que ce soit dans la vie animale ou de l’homme en société. Mais les droits sociaux ne restent pas continuellement injustes à l’égard de l’homme : cela provoquerait un déséquilibre qui va à l’encontre de la logique qui est celle de la justice, et de la nature également. C’est commettre une injustice à l’égard de l’homme que de lui dénier un contrôle sur la femme qui dépasse le contrôle que celle-ci exerce sur lui. Car, si elle bafouait les droits de celui-ci (sur elle), elle donnerait naissance à une progéniture qui ne serait pas de lui. Si c’est lui qui bafoue le siens il ne peut faire pareil et n’interrompe pas l’itinéraire procréatif authentique qui est celui de tous les mâles. Le mâle accomplit le devoir du genre quand bien même il entretient des rapports avec plusieurs femelles. La femme ne remplit point le devoir dans la perpétuation du genre en s’adonnant à une pratique analogue. Celle-ci ne peut être motivée que par un désir infidèle ou un rejet de morale véritable. C’est commettre une injustice à l’égard de l’homme que de lui reprocher sa volonté et, ce qui en découle, la nécessité de lui obéir sans certains domaines. La structure du tempérament masculin est celle de l être qui veut et ordonne, celle du tempérament féminin est réponse et approbation de la volonté de l’autre. Il est vain, par conséquent, de croire que l’on peut modifier les données renfermées au cœur du Génus de toute éternité par l’intermédiaire de débats sans les assemblées, de pages de livres et de textes de constitutions. Tout système  social que l’on édifie sur une telle injustice (la remise en cause de la suprématie masculine) est absurdité et égarement même s’il est porté momentanément par une vague mal intentionnée[14].

 

Pour que la domination masculine ne soit pas soumise à la critique, Al Khomy prétend que  laisser la femme « quitter  son foyer ne peut qu’aller à l’encontre de la volonté de Dieu le Très Haut, concernant la vie conjugale et la maternité, c’est créer une situation inédite que l’Islam condamne »[15]. Il faut préciser qu’il n’y a aucun texte ni dans le Coran ni dans la Sunna authentique qui interdit à la femme de sortir de son foyer conjugal encore moins d’accéder aux sphères de décision quelle qu’elles soient. En effet, le verset 33 de la Sourate XXXIII au quel l’auteur fait allusion pour interdire à la femme de sortir de son foyer conjugal est mal interprété parce que mal compris. Selon Mouhamed Baltâgû, ces versets sont spécialement révélés et uniquement destinés aux épouses du Prophète. Voici les versets en question : 

Ô femmes du Prophète ! Celle d’entre vous qui commettra une turpitude prouvée, le châtiment lui sera doublé par deux fois : et ceci est facile pour Allah. Et celle d’entre vous qui est entièrement soumise à Allah et à son messager et qui fait le bien, nous lui accorderons deux fois sa récompense et nous avons préparé pour elle une généreuse récompense.

Ô femmes du Prophète ! Vous n’êtes comparables à aucune femme. Si vous êtes pieuses, ne soyez pas trop complaisantes dans votre langage, afin que celui dont le cœur est malade ne vous convoite et tenez un langage décent. Restez dans vos foyers, et ne vous exhibez pas à la manière des femmes d’avant l’Islam (Jâhiliya) accomplissez la Salât, la Zakât et obéissez à Allah et son messager. Allah ne veut que  vous débarrasser de toute souillure, ô gens de la maison (du Prophète), et veut vous purifier complètement.[16] 

 

En effet, la mauvaise interprétation du verset 34 de la sourate IV cité plus haut, ainsi que la généralisation de ces versets uniquement destinés aux femmes du Prophète à toutes les femmes musulmanes, voilà en somme la principale source d’interdiction à la femme d’accéder au travail en général et aux postes de décision en particulier.

La deuxième source qui sert de référence à cette catégorie d’intellectuels s’opposant à l’accès des femmes aux sphères de décision est un Hadith rapporté du prophète par Abou Bacrar : « Ne connaîtra jamais la prospérité un peuple qui confie ses affaires à une femme ». Avant d’analyser ce Hadîth, il est important de connaître qui est son auteur ? Pour répondre à cette question vitale, l’universitaire Fatima Mernissi est allée fouiller dans Fath Al-Bari d’Ibn Hajar, une œuvre monumentale de dix-sept volumes où elle trouve que l’auteur était : 

Un Ancien esclave avant de se convertir à l’Islam, Abou Bakra menait une vie dure, pleine d’humiliation d’un esclave dans la ville de Taïf où seule l’aristocratie avait la dignité. En l’an 8 de l’Hegire (630), le Prophète avait décidé qu’il était temps pour lui de partir à la conquête de Taïf. Le Prophète campa devant la ville et assigna la citadelle pendant dix-huit jours, mais en vain. Il décida de lever le siège et de partir. Mais auparavant, il envoya des messagers au tour du fort de la ville assiégée que tout esclave qui quitterait la citadelle pour rejoindre le rang de Mouhamed serait libre. Une dizaine d’esclaves répondirent à son appel, Abou Bakra fut de ceux-là [17]               

 

Grâce à la fraternité musulmane qui cimente les rapports entre tous les membres de la communauté à laquelle vient s’ajouter le principe d’égalité entre tous les musulmans sans distinction de race, de couleur, de langue ou de condition sociale ou économique, les nouveaux convertis ont grimpé des échelons pour accéder à un statut social qu’ils n’auraient jamais espéré à Taïf leur ville natale. Comme le disait Fath al-Bari, « Vous étiez, vous les arabes, dans un état inqualifiable de dégradation, d’impuissance et de dissolution, l’Islam d’Allah et de Mohamed vous a sauvés et vous a amenés là où vous êtes maintenant. »[18]        

Après sa conversion quelques années plus tard, Abou Bakra devient disciple du Prophète et notable à Bassora une ville irakienne alors l’une des plus grandes métropoles islamiques. Il est l’un des disciples du Prophètes le moins connu. Il est absent de la liste des compagnons du prophète, selon « certains experts la paternité d’Abou Bakra n’était guère évidente »[19]        

Ce qui explique sur quoi  dans sa recherche sur la généalogie des disciples du Prophète, Imam Ahmed Ibn Hanbal  a avoué « Avoir passé rapidement sur le cas d’Abou Bakra, sans enter bans les détails, car on lui conseillait de ne pas trop fouiller»[20]

Certes, Abou Bakra était disciple du Prophète, mais il n’est pas suffisant d’être témoin de l’époque du Prophète pour être rapporteur et source fiable de Hadith. Il y a d’autres critères pour juger le transmetteur de hadith, et par conséquent évaluer l’authenticité d’un hadith. Le plus important est la moralité du rapporteur. Imam Malik Ibn Anas disait :

 Il y a des gens que j’ai écarté, comme narrateurs de Hadiths, non pas parce qu’ils mentaient en tant qu’hommes de science en racontant de faux hadiths que le Prophète n’a pas dits mais tout simplement parce  que je les ai vus mentir dans les rapports quotidiens, banals, qui n’ont rien à avoir avec la science [21] 

 

On sait qu’un hadith mawdû (apocryphe) est un hadith dont la chaîne de transmission comporte un qui n’est pas digne de confiance. S’il en est ainsi, l’authenticité de ce hadith qui constitue une référence pour les partisans du mouvement antiféministe, mérite une analyse plus approfondie et plus objective. Car dans son ouvrage : Usd Al-Ghaba, Ibn Athir, nous apprend que : Abou Bakra l’auteur du haith en question « fut condamné et flagellé pour faux témoignage par le khalife Oumar Ibn Al-Khattab [22]» Cette sanction lui a été appliquée parce

 qu’il fut parmi les quatre témoins venus devant Oumar accuser officiellement du crime de Zina un personnage illustre, un homme politique en vue, Al-Mughira Ibn Shuba. Les quatre témoins rapportèrent devant Omar qu’ils avaient vu Al-Mughira Ibn Shubaen en terrain de forniquer illégalement. Oumar commence son enquête, et un des témoins avoua qu’il n’était pas vraiment très sûr d’avoir tout vu. Le doute de la part d’un des témoins met les autres en danger de qadf (châtiment par flagellation pour faux témoignage) et Abou Bakra fut flagellé [23]     

 

C’est une sanction prévue par le Coran qui, dans la Sourate XXIV écrit : « Ceux qui lancent des accusations contre des femmes chastes sans produire par la suite quatre témoins, fouettez-les quatre-vingts coups de fouets et n’acceptez plus jamais leur témoignage ». A la lumière de ce verset, le témoignage d’Abou Bakra n’a plus aucune valeur. Par conséquent, il devient très difficile voire impossible de prouver objectivement l’authenticité de son Hadith : « Ne connaîtra jamais la prospérité un peuple qui confie ses affaires à une femme ».

Par contre, Cheikh Al Gazālí qui reconnaît l’authenticité de ce hadith l’a analysé dans son contexte historique. Selon lui, ce hadith ne concerne que les peuples perses qui, après la mort du roi Qaysar avaient intronisé sa fille. Informé de cette situation, le prophète  prononça ce hadith qui, selon Ghazali, ne s’applique pas à tout peuple dirigé par une femme, car, dit-il, tout au long de l’histoire de l’humanité, des femmes ont toujours dirigé des peuples avec succès, de Balquis la reine de Sabba à Margaret Thatcher[24], en passant par Goldamer[25], Indira Gandhi[26] etc... Dans la sourate IX, le Coran confirme le principe d’égalité entre l’homme et la femme devant les responsabilités sociales et politiques : « Les croyantes et les croyants sont alliés les uns des autres. Ils commandent le bien et interdisent le mal»[27] autrement dit, les hommes et les femmes sont des alliés donc égaux dans le commandement, dans la gestion des affaires publiques et dans le combat contre la corruption pour le bien de tous. Ce verset est une illustration d’égalité et de complémentarité entre l’homme et la femme. Principe cher à Mariama Ba qui écrit :

Mes réflexions me déterminent sur les problèmes de la vie. J’analyse les décisions qui orientent notre devenir. J’élargis mon opinion en pénétrant l’actualité mondiale. Je reste persuadée de l’inévitable et nécessaire complémentarité de l’homme et la femme[28]

 

Pour des raisons d’intérêts sociaux, Mouhamed Ghzali prétend que

L’islam ne voit pas en la femme une compétence pour être président de l’Etat et pour détenir les rênes du pouvoir. Il refuse aux musulmans de la choisir pour une telle fonction. La totalité des juristes est d’accord pour estimer que les hommes sont plus aptes aux fonctions politiques et administratives que les femmes. Ainsi fut élaboré le modèle à travers le comportement du prophète. Celui-ci n’à point désigné des femmes à la tête d’aucun poste et les califes, après lui ont suivi cette tradition (sunna). L’aptitude à la fonction chez la femme ainsi qu’à sa compréhension, nécessite une analyse scientifique solide : afin de ne pas lui faire assumer de tâche disproportionnée avec ses capacités réelles[29]                 

 En effet, ces différents auteurs justifient l’interdiction de la femme d’accéder aux postes de responsabilité par son infériorité physique, intellectuelle et morale. Contrairement à cette attitude injuste et injustifiée, l’interdiction faite à la femme d’accéder aux postes de décisions est une volonté manifeste de l’homme de maintenir la femme dans une situation de dépendance matérielle et morale de l’homme pour préserver son autorité (qawâma). « Un principe – selon Al Kholy – sur lequel a été modelée la nature de la femme en vue de fonder la vie conjugale. La femme ne déprécierait-elle pas l’autorité (qawâma) en question en s’adonnant à un travail et en apportant sa contribution propre aux dépenses du foyer ? »[30]. L’analyse de ce texte révèle l’inquiétude de l’homme et le motif principal d’interdire à la femme le travail social en général et l’accès aux postes de décision en particulier, parce qu’il est évident que l’autonomie économique et financière de la femme est une réelle menace pour la puissance paternelle. Car

Le pouvoir économique de l’homme lui confère une véritable autorité morale. Le mari est dans le couple le responsable moral de la femme et il est généralement perçu qu’une femme revendique trop de prérogatives dans son ménage. L’épouse est censée agir sous le contrôle de son mari. Toute contestation est porteuse d’un risque pour l’avenir, notamment celui des enfants. [31]             

 

Donc pour préserver son autorité et sa prééminence, l’homme interdit à la femme l’accès au travail en général et aux postes de décision en particulier au nom de l’Islam, pour la rendre nécessiteuse et dépendante de l’homme. A la lumière de ce bref exposé, il s’avère qu’il n’y a aucun texte authentique qui interdit aux femmes l’accès aux postes de responsabilité quels qu’ils soient et dans tous les domaines de la vie et de diriger les hommes si elles ont les compétences requises. Pour ce faire, il n’y a qu’un seul et unique moyen c’est d’assurer une bonne éducation à la femme.

Dès la naissance de l’Islam, le Coran avait proclamé qu’aucun homme et aucune femme ne peut vraiment être libre sans l’acquisition du savoir « Sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? »[32].  Mariama Ba qui a très tôt compris l’importance de l’éducation pour les filles en a fait une revendication « Nous avons droit, autant que vous (les hommes) à l’instruction qui peut être poussée jusqu’à la limite de nos possibilités intellectuelles. Nous avons droit au travail impartialement attribué et justement rémunéré »[33] Dora Akunyili, Directrice générale de l’Agence pour l’administration et le contrôle de l’alimentation et de médicaments au Nigeria, remarque que  plus les femmes sont éduquées plus elles sont libres. C’est pourquoi, dit-elle, je conseillerai aux jeunes filles de travailler dur, de dépendre de leur cerveau et non de leur physique. C’est le meilleur moyen qui permettrait aux femmes d’être distinguées. La Marocaine Amia Gurib Fakim, professeur de chimie, lauréate 2007 du prix l’Oréal-UNESCO pour la science, explique le secret de son succès : « J’ai une éducation très complète de mes parents, surtout de ma mère qui pensait que c’était le seul moyen de donner à une femme son indépendance »[34]              

D’autre part, le début des années 90 était une date repère pour l’accès des femmes aux sphères de décision. Cependant, les chefs des gouvernements du Pakistan, de Turquie et du Bangladesh étaient toutes des femmes musulmanes. Ce qui confirme encore une fois que l’Islam ne s’oppose pas à l’accès des femmes aux sphères de décision tant qu’elles ont la compétence requise. Le classement des femmes les plus influentes au monde, établi par le magazine américain Forbes, en est une parfaite illustration. Les six premières femmes dans l’ordre : la chancelière allemande Angela Merkel, La secrétaire d’Etat américaine Condolizza Raice, la vice présidente chinoise Wu Yi, la PDG de Pesico Indra Nooyi, celle de Xerox Anne Mulcahy et celle de Citigroup Sallie Krawcheck. Leur nomination ou leur entrée en fonction se situe  entre 2001 et 2005. Depuis 2005, il ne se passe pas un semestre sans qu’une nouvelle vienne gonfler les rangs des femmes qui occupent les postes de décision. La dernière en date c’est l’américaine Nancy Pelois, la première femme  à occuper le fauteuil de présidente du Congrès américain ; et la tanzanienne Ascha- Rose Migiro, numéro deux des Nations unies.

Dans tous les domaines et sur tous les continents, les postes de décision sont de plus en plus disputés par des femmes grâce à l’accès des filles à l’éducation. Aujourd’hui sur 198 pays dans le monde, 11 comptent des femmes chefs d’Etats, 3 reines (Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark); et 7 présidentes (Chili, Finlande, Irlande, Lettonie, Liberia, Philippines, Suisse), 7 vice-présidentes (Afrique du Sud, Burundi, Costa Rica, Gambie, Salvador, Taiwan, Zimbabwe), 5 chefs de gouvernements (Allemagne, Nouvelle-Zelande, Mozambique, Jamaïque et Corée du Sud) sans oublier Amina Wudûd. Madame Wudûd est professeur d’études islamique à l’Université de Virginie au Etats Unies et la première femme à accéder à l’imamat (la direction de la prière) ; une fonction que les hommes se sont injustement réservée. 

 

Conclusion

Au cours de cette étude, nous avons remarqué que dans les sociétés musulmanes ce sont les femmes qui sont souvent victimes de la mauvaise interprétation des lois coranique. Car à l’exception de quelques unes dans le arabo-musulman, la formation intellectuelle ne va pas souvent au-delà de l’apprentissage de la lecture du Coran. Il en découle certaines inégalités dont les femmes sont victimes au nom de l’Islam dans certains pays musulmans. En effet, l’accession de ces dirigeantes de toutes les races et de toutes les religions aux importants postes décision, illustre l’aptitude, la dignité et le droit de la femme à l’accès à toutes les structures de l’Etat et de la société. Ce pendant il devient une nécessité de généraliser et de pousser l’éducation des filles au plus loi possible et dans tus les domaines. Contrairement à certaines idées, Cette étude montre clairement qu’en Islam il n’y a aucun texte authentique qui s’oppose à l’accès des femmes aux sphères de décisions dans tous les domaines de la vie. 

 

Bibliographie

  • Le Coran
  • Ba, Mariama. Un si Longue Lettre. Dakar : Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 1981.
  • Baltâgi, Mouhamed. Makânat Al Mar-at Fî Al Islam (La Place de la Femme en Islam). Caire : Al Mazîd, Li Dâr A- Salam, 2005.
  • Dayf, Shawqî. L’universalité de l’Islam. Organisation Islamique pour la Science et la Culture (ISESCO), 1998.
  • Djâbir, Aboubakar. Mihâdj Al-Muslim. Paris: Edition Islima, 1986.
  • Ghassan, Ascha. Statut Inférieur de la Femme en Islam. Paris : Harmattan, 1987.
  • Magali, Morsy. Les femmes du Prophète. Paris : Mercure de France, 1989.
  • Mernissi, Fatima. Le Harem Politique. Paris : Albin Michel, 1987.
  • Silimân, Ibn Abdel Rahmân Al Hukaïli. Les Droits de l’homme en Islam, Riyad : 1999.

* Enseignant-chercheur, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

[1] Mariama Une Si Longue Lettre, Les Nouvelles Editions Africaines. S.D, p 89.

[2] Mariama Bâ, op. cit, p 129.

[3] Voir Ghassan Ascha, op. cit., pp180-181

[4] Ghaassan Ascha op. cit.,  pp 164_165

[5] Ghassan, Ascha, idem

[6] Ghassan Ascha, op. cit.,  p173

[7] Coran Sourate 24 verset 4

[8] Ghassan Ascha, op. cit.,  p171

[9] Coran Sourate, IV verset 35

[10] Ghssan Ascha op. cit.,  p 90

[11] Moahmed Baltâgu, Makânatu al marat fî al quân wa as-Sunna as sahîha ( la place de la femme dans le Coran et la Sunna authentique) pp 243-244 Caire 2005

[12] Ghassan Ascha op. cit.,  pp 87-88

[13] Ghassan Ascha op. cit.,  p 87

[14] Voir Ghassan Asha op. cit.,  pp92-93

[15] Ghssan Asham op cot p 91

[16] Coran  versets 29-33 Sourate XXXIII

[17] Fatima Mernissi Le harem politique, p 69, Albain Michel Paris 1987

[18] Al Fath-Al Bari cité par Fatima Merniss idem

[19] idem

[20] Ibn Al-Athi, Usd Al Ghaba cité par F Merrnissi

[21] Muruj Ad,volume II p 380 cité par F Mernissi op. cit.,  p 79

[22] Ibn Athir cité par F. Mernissi idem

[23] F. Mernissi  op. cit.,  p p 80-81

ibid

[24] Ancienne première ministre d’Angleterre

[25] Ancienne première ministre d’Israel

[26] Ancienne première ministre de l’Inde

[27]Coran : sourate 9, verset 77

[28] Mariama Ba op. cit.,  p 129

[29] Ghassan Ascha op. cit.,  p 179

[30] Voir Ghassan Acsha p168

[31] Gouverner le Sénégal Entre ajustement structurel et le développement durable sous la direction de Momar-Comba Diop  p 253, Paris Karthala 2004 

[32] Sourate XXIX, verset 11

[33] Mariama Ba op. cit.,  p89

[34] Voir Jeune Afrique   4 mars  2007 N°2408-47 éme année .p38