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Résumé

Les sociétés africaines, en générale, sont fortement ancrées dans leurs croyances traditionnelles et leurs pratiques mystiques, à tel point que les religieux n’hésitent pas à parler de syncrétisme. L’onomastique constitue, à cet effet, un domaine très fécond du fait qu’on trouve dans les systèmes de nomination des anthroponymes tout à fait singuliers qui portent une dimension curative d’un mal qu’est la mort. C’est donc le phénomène culturel qu’on appelle kañeleŋ que nous étudions dans le présent article. Nous ferons ainsi un exposé des manifestations du phénomène avant d’arriver à l’étude typologique des anthroponymes utilisés. Enfin, nous verrons comment ces anthroponymes sont porteurs de religiosité, d’abord en montrant qu’ils ne sont pas l’apanage d’une communauté spécifique ensuite en les comparant à des patronyme arabe pour montrer qu’ils ont leurs équivalences parfaites.

 

Most clés : croyance traditionnelle – pratique mystique – anthroponymes – kañeleŋ – religiosité

 

Abstract

African societies, in general, are strongly rooted in their traditional beliefs and mystical practices to such an extent that the religious do not hesitate to speak of syncretism. The anthroponomie is, for this purpose, a highly fruitful in so far as we find in the naming systems quite strange surnames that carry a healing dimension. This is thus, the cultural phenomenon called kañeleŋ that we want to study in this article. We will do an overview of the phenomenon and its manifestations throughout various Senegalese ethnic groups before tackling the sociolinguistic analysis of the anthroponyms collected from the fieldwork. Finally, we will see how these anthroponyms are carriers of religiosity, first by showing that they are not confined to a specific community, then comparing them with Arabic surname to show that they have their exact matches.

 
Key words: traditional belief - mystical practice - anthroponyms - kañeleŋ - religiosity

 

 

 Introduction

Dans les sociétés africaines, il existe beaucoup de pratiques et de croyances qui sont inconnues du monde extérieur. Les prénoms étudiés dans cet article ont une coloration culturelle très forte et traduisent une certaine manière de percevoir le monde. L’objet de notre étude, le kañeleŋ, est un phénomène culturel sous-tendu par un système de nomination spécifique. Les anthroponymes qu’il utilise présente un grand intérêt tant au plan linguistique, que socioculturel et anthropologique. C’est justement pour dévoiler le caractère informatif de na nomination qu’Oumar Ka déclare que « toponymie, ethnonymie, concurremment avec l’anthroponymie, peuvent contribuer à la connaissance historique de nos régions »[1]. Cependant, des considérations stéréotypées donnent libre cours à toutes sortes de commentaires visant à atteindre l’homme aux encrages traditionnels dans sa foi pourtant inébranlable. L’étude se focalise sur les anthroponymes traditionnels utilisés dans le cadre de la pratique du kañeleŋ et cherche à fournir des informations sur la manière dont les peuples ciblés agencent le réel.  Notre objectif est de démontrer d’abord que ces prénoms ne sont pas l’apanage d’une ethnie spécifique mais qu’ils existent dans toutes les sociétés sénégalaises. Ensuite nous  essaierons de nuancer les commentaires qui les associent au paganisme en dressant le catalogue des idées reçues sur la culture et qui font beaucoup de tors à la conscience morale de l’être culturel.

 L’étude du  phénomène culturel du kañeleŋ relève de l’anthroponymie qui regorge des ressources aussi riches que variées, en fournissant des informations sur la façon dont on utilise les noms propres, aux situations dans lesquelles ils apparaissent, et aux fonctions qu’ils remplissent selon les circonstances où ils sont émis. Les systèmes de nomination sont également révélateurs de culture et d’histoire. A ce titre, l’onomastique s’avère une science fondamentale. C’est fort conscients de cela que Charles Beker et Waly Coly Faye soutiennent que « dans chaque culture, les noms propres constituent un système qui fournit des indications sur la façon dont les groupes sociaux agencent le réel »[2].

 

 

1. La collecte et l’analyse des données

Le recueil des données analysées dans ce travail est passé par une recherche de terrain qui a ciblé les Wolof, les Seereer, les Peul, et les Mandingue vivant dans la zone du Niombato[3] et du Niumi[4]. Le choix de ces groupes ethniques s’explique par leur accessibilité et leur ancrage dans la pratique qui nous intéresse. Des entretiens semi directifs ont donc été réalisés avec quatre personnes dans chaque communauté, soit seize au total. Celles-ci sont choisies parmi les adeptes du kañeleŋ. L’entretien qui a duré tente minutes pour chaque enquêté a permis de collecter des données très précieuses sur les aspects suivants :

Les systèmes traditionnels de nomination

La pratique du kañeleŋ dans la société

Les prénoms kañeleŋ et leurs significations

L’expansion de la pratique du kañeleŋ

La pratique du kañeleŋ et la foi en Dieu

 

Dans certaines ethnies – les Mandingue, les Diola et les Seereer notamment – les Kañeleŋ forment un groupe social organisé, facilement repérable par leur comportement, leur apparence (surtout l’accoutrement), et où le savoir se transmet par initiation des jeunes générations. Dans d’autres, par contre, ils sont plus difficiles à identifier et n’ont pas le même ancrage, ni le même degré de connaissance de la pratique. C’est pour cette raison que dans les groupes organisés l’entretien a ciblé les tenants des rênes de cette pratique alors qu’ailleurs, ce sont plutôt ceux qui portent les prénoms kañeleŋ qui constituaient notre cible.

Au travail de terrain s’ajoute une recherche documentaire qui nous a mené à fouiller dans des ouvrages d’onomastique, de linguistique, d’histoire, de sociologie et de religion pour appréhender le phénomène étudié dans toute sa complexité. L’analyse offre d’abord un bref survol de la pratique du kañeleŋ et se poursuit avec une approche sémantique et pragmatique des anthroponymes collectés avant de terminer par un retour aux origines lointaines de cette pratique.

L’approche comparative adoptée dans l’analyse a pour objectif de saisir, à travers la vitrine de l’anthroponymie, les manifestations du kañeleŋ dans chacune des sociétés susmentionnées. Une étude historique devrait permettre de remonter aux origines lointaines de ce type de nomination afin de comprendre les mécanismes qui sous-tendent la création des anthroponymes et la dimension mystique qu’ils portent. Une approche sémantique et pragmatique permet d’accéder au sens explicite et implicite des prénoms traités en partant chaque fois de leur signification littérale pour aboutir à leur valeur pragmatique.

 

 

2. La dimension culturelle du kañeleŋ

On désigne sous le nom de « kañaliŋ » une femme dont la progéniture meurt systématiquement. La mort du premier né ne soulève souvent pas de suspicion, mais dès qu’il s’en suit le deuxième et puis le troisième, on commence à construire toute une théorie métaphysique autour de ces décès successifs. Toutes les femmes soumises à ce terrible sort forment alors un groupe social qu’on appelle « kañaliŋ » en société mandingue. Ces femmes peuvent être reconnues grâce à certains types comportementaux qu’elles adoptent, ou à la coiffure qu’elles portent selon les coutumes de la société à laquelle elles appartiennent. En société mandingue ou seerer, elles font « le fou » en adoptant des attitudes « anormales » comme le fait de verser la nourriture par terre, de danser en exhibant leurs parties intimes, de manger les restes de nourriture lors des cérémonies, de tenir des propos blasphématoires envers Dieu etc.

En milieu diola Essil de Casamance, elles portent une coiffure particulière qui les distingue des autres femmes et se baladent toujours avec un fuñalenum[5]. Toutes ces pratiques et tous ces comportements ont pour unique but d’invoquer la naissance tant souhaitée d’un enfant. La question cruciale reste cependant de savoir, une fois que les prières sont exaucées et que l’enfant vienne au monde, ce qu’il faut faire pour le garder en vie et empêcher qu’il meure comme ceux qui l’ont précédé. C’est un problème et puisque chaque problème appelle une solution, voyons les solutions préconisées. Ici, étant donné que les sociétés sont différentes, on pourrait s’attendre à ce que les solutions proposées soient différentes ; mais il a été surprenant de constater que pratiquement toutes les sociétés investies utilisent la même méthode pour remédier à ce malheur. Cette solution, c’est que le prochain né devra porter un prénom particulier, qui en fait, est une forme de prière adressée à Dieu pour que l’enfant ne meurt pas, ou bien un prénom qui le chosifie et le soustrait ainsi du monde des mortels. Comme chez les arméniens, « Chaque nom propre est un mot, un nom simple doté de signification »[6].

Le phénomène du kañeleŋ  inclut deux cas de figure tout à fait semblables au point qu’on pourrait les confondre mais nettement distincts dans leurs fonds:

Le premier cas, comme nous l’avons dit précédemment, concerne les femmes dont la progéniture meurt systématiquement peu de temps après la naissance sans que les causes du décès soient forcément bizarres ou mystérieuses. L’autre cas relève moins de croyances traditionnelles ou de superstition ; il concerne les femmes qui connaissent la maternité très tard, généralement des années après le mariage, et cela malgré le désir d’avoir un enfant et les multiples efforts allant dans ce sens. Bien évidemment, une telle situation trouve mille explications dans la médecine moderne, mais force est de reconnaître que du temps des ancêtres, beaucoup de choses qui, aujourd’hui paraissent bien évidentes pour nous, hommes du 21ème siècle, étaient pleines de mystère. Ce cycle « anormal » de décès doit donc être brisé ; et pour cela, les sociétés étudiées recourent aux anthroponymes de manière presque identique. Cela dit, il faut souligner, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, que « chacune de ces appellations obéit à des règles particulières d’allocation ou de transmission ; chacune, de ce fait, parle un langage particulier »[7].

 

 

mandingue seereer wolof pulaar signification
ъooto Saaku  Mbuus Saaku Le sac
Karfa /////////////////// Ndëŋkaan //////////////////// La confidence
? Ñak Yaakaar Tass Yaakaar /////////////////// Briser l’espoir
Ñaakaasi Jaruko Naxe ////////////////// Le trompeur
Alamuta Roog wuusi Sarax yalla Wuri/ Guroowo Don à Dieu
Filijee Sindiin Mbalit/sagar ///////////////// La poubelle
Manlafi Mbode / Mbugataan Kenbugul / Buguma Jiđđeere/ Gañaađo Personne n’en veut
Tumbulu /sii yaabatu Ñoowi ? Fadi Vis, reste parmi nous
Meeta Miñaan Yagg yoon Eeri Ъooyđo Celui qui a duré

Tableau 1 : Equivalence de signification entre les anthroponymes mandingue, seereer, wolof et pulaar

 

 

3. L’erreur d’interprétation

Dans les sociétés musulmanes sénégalaises, en général, les anthroponymes sont ceux légués par la tradition arabo-islamique et dont une bonne partie se retrouve dans le Coran, livre saint des musulmans.  Ces anthroponymes sont ceux que portaient le prophète Mouhamad et les siens et le degré de leur réceptivité dans la société musulmane sénégalaise est tel que les prénoms comme Boubacar, Ousmane, Mamadou, Fatoumata, Aicha, etc. sont intrinsèquement associés à l’islam, alors que d’autres comme les prénoms seereer Faahaan et Miñaan sont synonymes de paganisme. Cela relève pourtant d’une méconnaissance notoire des bases philosophiques de ces anthroponymes. A ce propos, cet extrait de notre entretien avec Yaffa Diouf[8] est très édifiant :

C’est une tradition que nous perpétuons. Nous pensons que grâce à ce prénom, l’enfant sera épargné de la mort. Le pouvoir de donner la vie et de la prendre revient à Dieu Le Tout Puissant mais nous devons toujours entreprendre des choses pour améliorer notre condition et lutter contre les lois de la nature et ça marche dans la plupart des cas, sinon nous l’aurions abandonné depuis longtemps. C’est juste comme le travail du médecin qui essaie de sauver un patient de la mort tout en sachant, en tant que croyant, que c’est Dieu qui aura le dernier mot. Nous ne luttons pas contre Dieu, nous l’implorons afin qu’il accorde longue vie à l’enfant[9].

 

 

Ce qu’il faudrait rappeler, c’est que la religion et l’arabité restent différentes, mais l’association des deux dans un rapport intrinsèque est souvent à l’origine de la dévaluation de beaucoup de valeurs inhérentes aux autres langues de notre milieu.  Le tableau ci-dessous offre une lecture comparative de ces anthroponymes en seereer et en arabe. Il permet de voir tout le paradoxe qui est né du fait qu’entre deux signifiants renvoyant tous au même signifié, l’un soit gracieusement accepté et intrinsèquement associée à l’islam parce qu’elle est dite en arabe (la langue du Coran) pendant que l’autre est farouchement rejeté parce qu’il est dite dans une langue sénégalaise. Cela trouve naturellement son fondement dans la fausse relation d’inclusion que certains musulmans construisent entre la langue arabe et la religion musulmane.

                                         

Seereer Arabe Signification
Mosaan Jamiil(a) Le beau / la belle
Felwin Habib L’ami des gens
Ñak Yaakaar ilyaas Sans espoir
Ñoowi Yahya Vis, reste parmi nous
Miñaan kaaliid Celui qui a duré
Fahaan / Močaan hassan Le bon, le meilleur

Tableau 2 : Equivalence de signification entre les anthroponymes seereer et arabes.

 

 

Lorsque nous avons collecté ces données et recueilli les commentaires rétrospectifs de nos informateurs la-dessus, nous avons pu constater certaines choses qui ont alimenté notre curiosité à creuser d’avantage dans ce phénomène pour élucider un certain nombre de questions. Chacun de ces noms porte en lui une signification explicite qui permet d’établir son rapport direct avec le phénomène étudiée et d’en comprendre la dimension sociale et c’est pareil dans tous les autres groupes ethnico linguistiques que nous avons investis. Nous avons également constaté que d’une langue à l’autre, les prénoms utilisés étaient des équivalents d’un point de vue sémantique.

De ces constats, sont alors sorties une multitude de questions et d’hypothèses : par exemple, le fait que ce phénomène soit connu de toutes les sociétés que nous avons investiguées (celles portées dans le tableau le sont juste à titre d’exemple) porte à se demander si son expansion ne va pas au-delà des environnements socioculturels investis. En effet, les deux langues qui nous intéressaient au départ étaient le seereer et le mandingue, mais c’est en élargissant un peu notre champ d’investigation que nous avons trouvé des équivalents de certains de ces noms dans d’autres langues telles que l’arabe. Par exemple, le prénom arabe Yahya signifiant « vis » est l’équivalent sémantique du prénom seereer Ñowi ou Tumbulu chez les Mandingue. Le prénom seereer Močaan a la même valeur sémantique que le prénom arabe Hassan[10]; le prénom bambara Ñamankoolu, équivaut à Manlafi chez les Mandingue, à Kenbugul en wolof et veut dire « je ne le veux pas ». Le prénom arabe Kalidou signifie la même chose que le prénom seereer Miñaan[11] alors que le prénom seereer Mosaan est l’équivalent parfait de l’arabe Jamil[12]. Le nom arabe Il-yàs signifie la même chose que le nom serer Ñak yaakaar ou le nom wolof Tas Yaakaar c'est-à-dire « briser l’espoir ». La liste est loin d’être exhaustive, le listing pourrait continuer avec des prénoms comme Félwin qui veut dire le chouchou des gens, Ndoféen qui veut dire joie, bonheur ; Sedar qui signifie « celui qui n’aura jamais honte » Maadaan « celui qui a perdu sa mère à la naissance » ; Jegaan « le nanti » et j’en passe.

 

 

4. Classification des prénoms

La classification des anthroponymes collectés permet de les diviser en cinq catégories suivant le sens qu’ils véhiculent et la philosophie qui se trouve à l’origine de leur création. Chaque catégorie constitue un stock où, suivant la situation et l’idée qu’on souhaite véhiculée, on vient puiser un prénom pour baptiser son enfant ainsi. Cet aspect est d’une grande importance car « le nom propre sert à la fois à identifier (un individu, une famille...), à classer et à signifier »[13]. Il faut remarquer que beaucoup de ces prénoms ne sont pas prédestinés à un sexe spécifique ; ils peuvent être portés aussi bien par un garçon que par une fille.

 

 

Les prières:

Certains sont des prières à Dieu pour qu’il garde l’enfant sous sa protection. Il existe en serer un dicton qui dit que pour s’assurer que son argent est à l’abri du vol, il faut le confier au voleur. C’est pour dire que puisque c’est Dieu qui décide de qui doit mourir, en remettant l’enfant entre ses mains, il sera peut être épargné. Ce sont les prénoms comme Roog wuusi, Alamuta, Ndenkaan, etc. Une étude similaire menée dans la société mandingue a d’ailleurs permis à Amadou Karadou Camara de constater qu’

Après beaucoup de cas de mortalité infantile enregistrés au niveau d’une femme, ou une agénésie prolongée, on se permet le plus souvent de confier cet état de fait au bon Dieu qui, par sa miséricorde, pourra accorder sa grâce[14].

 

 

La chosification:

Une autre catégorie de prénoms a pour objectif de chosifier l’enfant. Ces prénoms renvoient souvent à des objets inanimés, ou à des arbres dont la résistance et la durée de vie sont particulièrement longues. Ce faisant, on soustrait l’enfant du monde des mortels. Ce sont les prénoms tels que Sindiin, Saaku, Booto, Sagar, Mbuus, etc.

 

 

Le désintéressement simulé:

Une troisième catégorie de prénoms montre un désintéressement total par rapport à l’enfant. Ce désintéressement n’est cependant qu’une simulation. On feint de ne pas « aimer » l’enfant mais au fond, il est notre unique raison de vivre. Ce type de prénoms, indiquent Becker et Faye, est basé sur « une stratégie de l’évitement destinée à conjurer le sort »[15] ; pour ce faire, on donne à l’enfant un nom qui signifie le contraire de ce que l’on souhaite réellement. Ce sont souvent les êtres que nous adorons le plus que Dieu nous arrache ; en se désintéressant de l’enfant, il sera peut être épargné. Ce sont les noms comme Manlafi, Mbode, Kenbugul, etc.

 

 

Le contexte de naissance:

Un quatrième type de prénoms cherche juste à rendre compte du contexte dans lequel l’enfant est venu au monde et concerne principalement ceux qui viennent au monde tardivement alors que les parents l’ont souhaité depuis longtemps. Ce sont les prénoms comme Miñaan, Yagg yoon, Meeta, etc.

 

 

La particularité physique:

Enfin, il faut noter les prénoms qui sont issus de surnoms dénotant à l’origine  une particularité physique : Mosaan (le beaux/la belle chez les Seereer) Jamiil (même signification chez les arabes) ; la date de naissance : Ramadaan (qui est né dans le mois de ramadan chez les arabes) Sunkari (ramadan chez les Mandingue) Tabaski (Aïd el kebiir chez les Wolof), Gamou ou Mawlid (célébration de la naissance du prophète Mouhamad), etc.

Il est à noter que ces prénoms sont souvent le deuxième pour les enfants qui les portent. Le premier, celui qui est porté à l’état civil, n’est presque jamais utilisé et arrive parfois même à être oublié alors que le second qui lui est juxtaposé n’apparaît pas dans l’état civil mais sera utilisé presque toujours, car on considère que c’est ce dernier qui lui porte bonheur.

 

 

5. Aux origines du Kañeleŋ

La question de l’origine historique de la pratique du Kañeleŋ est complexe et soulève beaucoup d’incertitudes. Néanmoins, certains indices offrent des pistes de réflexion pouvant mener à un résultat assez fiable, même s’il serait risqué de prétendre avoir épuisé la question.  Il s’agit donc de chercher à déterminer l’origine lointaine de cette pratique et le système de nomination qui en a résulté. Le phénomène serait-il issu d’une société donnée, à partir de la quelle il se serait diffusé aux autres, par le fait des situations de contact et des influences linguistiques et culturelles qui en résultent ? Pour ce qui concerne les sociétés sénégalaises, il existe des recherches en quantité suffisante qui attestent leur cohabitation à une période donnée de leur histoire ; mais le problème reste à déterminer l’orientation de cette influence. L’usage de ces prénoms est-il purement culturel ou comporte-t-il un fondement religieux ? La réponse à cette interrogation pourrait constituer un élément d’explication irréfutable à sa large diffusion dans le monde musulman. En lisant le Coran pour trouver une éventuelle trace du phénomène, c’est avec surprise que nous avons découvert l’histoire de Zacharie à la sourate XIX. Zacharie était vieux et sa femme était stérile ; voici la prière qu’il adresse à Dieu :

O mon Seigneur, mes os sont affaiblis et ma tête s’est enflammée de cheveux blancs. [Cependant] je n’ai jamais été malheureux [déçu] en te priant, o mon Seigneur.

Je crains [le comportement] de mes héritiers, après moi et ma propre femme est stérile. Accorde-moi, de Ta part, un descendant.

Qui hérite de moi et hérite de la famille de Jacobe. Et fait qu’il te soit agréable, o mon Seigneur[16].

Le Seigneur lui répondit :

O Zacharie, nous t’annonçons la bonne nouvelle d’un fils. Son nom sera Yahya [Jean]. Nous ne lui avons pas donné au paravent d’homonyme[17].

 

 

Dans le verset 5 Zacharie nous apprend que sa femme est stérile, donc si elle vivait aujourd’hui, elle serait considérée comme une kañeleŋ du fait qu’elle ne pourrait pas avoir d’enfant. Le verset 7 dévoile le prénom que devra porter l’enfant « Yahya », qui a la même signification que le prénom seereer Ñoowi ou Tumbulu en mandingue. Enfin, à la fin du verset 7 on apprend que personne avant cet enfant n’a porté ce prénom. Cet événement pourrait donc être vu comme la naissance du phénomène. De plus, bien que le but du prénom « Yahya »  ne soit pas explicitement exprimé dans ces versets,  le prénom Yahya revient dans le verset 12 de la même Sourate. Selon les marabouts avec lesquels nous en avons discuté, ce verset est souvent copié et façonné en gris-gris que l’on fait porter aux nouveaux nés autour du poignet. Il les préserverait de la maladie, des forces occultes et de la mort précoce. Cela vient renforcer donc l’hypothèse qu’il s’agit bien d’un phénomène qui trouve son origine dans la religion.

Partant déjà de cette découverte, notre curiosité nous a poussé à creuser davantage et c’est lors d’un voyage que nous avons effectué en Gambie dans le cadre de nos recherches que nous avons découvert un récit dans un ouvrage de rhétorique servant de support pédagogique aux classes de seconde, première et terminale des écoles arabes de la Gambie. Elle reprend les propos d’un poète arabe dans une élégie à son petit enfant, et voici ce qu’il dit :

أسمه  ﻳﺤﻲ  ﻮ ﺳﻤﻳﺗﻪ  ﻴﺤﻲ  ﻟﻴﺤﻲ ﻓﻠﻡ ﻳﻜﻦ إل ﺮﱢﺩ ﺃﻣﺮ ﷲ  ﻔﻴﻪ ﺴﺒﻴﻶ[18]

 

 

Ce passage se rapporte explicitement à la pratique du kañeleŋ telle qu’elle se fait dans les sociétés seereer, mandingue ou wolof ou pulaar. La conclusion logique est que ce phénomène est bien connu dans la société arabe et serait peut être même une perpétuation de la situation rapportée dans le Saint Coran telle que nous l’avons vu.

Pour comprendre les raisons qui sous tendent cette manière de nommer, il convient peut être de la rapporter à une certaine conception de l’univers relative au pouvoir du verbe. On dit souvent qu’il faut considérer les choses positivement car les choses que nous disons ont le pouvoir d’influer sur les éléments de la nature et de changer l’ordre prédéfini du réel. On comprend dès lors que ces noms sont des formes d’incantations destinées à influer sur les lois de la nature afin d’intervertir le cours des choses ;  ainsi par la force de ces prénoms, « ce qui était destiné à mourir vivra peut être ». C’est là tout l’effet escompté de ces prénoms. Cependant, comme le poète arabe, les kañeleŋ sont conscients que la volonté divine sera faite comme l’atteste ces propos de Madame Juujuu Seekan que nous avons intervwé :

Too doolu mu siyaabatu niŋ alamuta le ti. Siyaabatu, wo le mu , “i si sii jaŋ, i ye m batu. Dukaree, i si sii jaŋ, i ye m batu, nte ye taa. “ Alamuta, niŋ wo wuluuta, niŋ ŋà a kuŋ lii, ń si a fo a ye ko, “Alla muta, silaŋ woo, ŋà Alla muta le Mansoo.[19]

 

 

A la lumière de cette citation, on peut dire que les kañeleŋ sont loin de se considérer comme des concurrents du Créateur et que les intentions qu’on les prête visent peut être à les discréditer et à les pousser à abandonner leurs pratiques et leur système de nomination. Mais, si cela devait arriver, c’est la culture sénégalaise qui perdrait une bonne partie de sa richesse.

 

 

Conclusion

C’est le propre de la recherche scientifique de s’élever au-dessus de l’opinion commune pour saisir la réalité inconnue, déformée ou oubliée des choses à travers le temps. Cela ne veut aucunement dire que le chercheur soit crédule ou qu’il veuille toujours prendre le contre-pied des savoirs établis car il se dirigerait tout droit vers l’erreur. Il ne doit pas non plus se fier aveuglément aux versions non démontrées et souvent altérées de l’opinion publique.

A travers cet article, nous avons pu revisiter une pratique socioculturelle perpétrée dans presque toutes les ethnies du Sénégal sans pour autant qu’elle soit bien connue du monde extérieur. Pour preuve, les multiples attaques et jugements de valeurs qui les associent tantôt au paganisme, tantôt à une tradition animiste devenue obsolète.

A la lumière des développements présentés, on peut désormais dire que ce n’est nullement un hasard que cette même pratique ait été relevée dans des écrits arabes à travers les sources présentées dans le texte.  De ce fait, il convient de reconnaître que les traces que nous avons trouvées dans le Coran et dans le poème arabe ne peuvent pas être attribuées au simple fait de la coïncidence. Elles ne peuvent pas non plus être passées sous silence sous prétexte qu’elles ne convergent pas avec la version populaire sur l’origine et la nature de ces prénoms. D’ailleurs, comme le dit J. A. Coleman, « one of the fundamental purposes of academic inquiry is to challenge assumptions »[20]. Toutefois, elles constituent une clef à la perception de la vision que les sociétés étudiées se font du monde, qu’il soit physique ou métaphysique.

 

 

Bibliographie

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* UFR de Civilisations, Religions, Arts et Communication. Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal.

[1] Oumar Ka. « Des toponymes sénégambiens » In Réalités africaines et langue française n°15. Dakar : CLAD, 1981, p.103.

[2] Charles Beker et Waly Coly Faye. “La nomination seereer” In Ethiopiques : La civilisation sérère d’hier à demain. (Actes du colloque des journées culturelles du Sine) Fatick : 10-12 mai 199,  p.89.

[3] Cette localité est située dans la région de Fatick - département de Foundiougne – et s’étend de la commune de Sokone à celle de Karang à la frontière terrestre avec la Gambie.

[4] Le Niumi est la région située sur la rive nord du fleuve Gambie.

[5] C’est un petit bâton auquel on attribue des pouvoirs mystiques de protection du détenteur.

[6] H. Acharian, cité par Mariane Petrossian. « Etude comparée des anthroponymes en français et en arménien ». Mémoire de maîtrise, Université d’Etat d’Erevan, Faculté de philologie romane et germanique, section française, 2009, p.4.

[7] Charles Becker et Waly Coly Faye. op.cit.

[8] Yaffa Diouf est une kañeleŋ vivant dans le Niombato

[9] Ceci est notre traduction ; l’entretien s’étant tenu en seereer.

[10] Le bon ou le meilleur

[11] Celui qui a duré

[12] Le beau

[13] Charles Becker et Waly Coly Faye. Op.cit.

[14] Amadou Caradou Camara. « Anthroponymie des prénoms mandingues ». http://www.nkoacademie.fr/cariboost_files/_28Anthroponymie_20des_20Pr_C3_A9noms_20Mandingues_29.pdf

[15] Charles Becker et Waly Coly Faye. op.cit. p.95.

[16]Le Saint Coran. Sourate XIX, versets 4, 5, 6 (traduit de l’arabe par Cheihk Hamidoullah).

[17]Le Saint Coran. op.cit., verset 7.

[18] Moustapha Amin et Ali Diarim.  اابﻼ ﻋﺔ ااﻮﺁﻀﺣﺔ    (Précis de rhétorique). Qom: Al-Hadi, 1995. p263.

il s’appelle Yahya. Je l’ai appelé Yahya pour qu’il vive mais mon intention n’est pas de le soustraire à la volonté divine. [Ma traduction]

[19] Extrait de l’entretien que nous a accordé Juujuu Seekaan, Chef  Kañeleŋ dans le Niumi.

Il existe d’autres noms comme Siyaabatu et Alamuta. Siyaabatu veut dire « reste ici et attends-moi ». Quant à Alamuta, lorsque l’enfant nait, le jour du baptème, nous disons « Dieu, nous te le confions, toi qui est le Seigneur des mondes ». [Ma traduction]

[20] J. A. Coleman. “Language Teaching, Language Learning, Language Testing”. Inaugural Lecture, University of Portsmouth, 17 February 1994. p.1.

[Un des principaux objectifs de la recherche académique, c’est de remettre en cause les thèses établies].

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Résumé

Cet article est une étude du rêve érotique dans Aventurarse perdiendo, une nouvelle de la collection Novelas amorosas y ejemplares, de María de Zayas y Sotomayor. Il s’agit d’une tentative de démonstration de l’originalité de la première romancière espagnole qui se démarque de la tradition littéraire castillane du XVIIe siècle quant au topique de l’amour onirique. Ce travail essaie aussi de mettre en exergue l’intégration, dans la thématique du rêve érotique, d’éléments appartenant à l’univers du subconscient, ce qui constitue une sorte d’anticipation sur la pensée de Freud, une nouveauté que María de Zayas apporte au genre littéraire de la nouvelle. Dans la première partie de cette étude nous revenons sur la présence du rêve amoureux dans la littérature espagnole antérieure à la nouvelliste afin de bien identifier, dans la deuxième partie, l’originalité de María de Zayas et son apport au genre qu’elle a cultivé.

Mots clé: nouvelle,  rêve, amour, érotisme, Siècle d’Or, subconscient.

 

Resumen

Este artículo es un estudio del sueño erótico en Aventurarse perdiendo, un relato de la colección Novelas amorosas y ejemplares de María de Zayas y Sotomayor. Se trata de un intento de demostración de la originalidad de la primera novelista española en cuanto al manejo del tópico del amor onírico. El presente trabajo intenta destacar la integración, en la temática del sueño erótico, de elementos sacados del universo de la subconsciencia, lo cual constituye una especie de anticipación sobre el pensamiento de Freud, una novedad que María de Zayas introduce en el género literario de la novela cortesana. En la primera parte de este estudio, volveremos sobre la presencia del sueño amoroso en la literatura española anterior a la escritora a fin de identificar, en la segunda parte, la originalidad zayesca y su aportación al género que ha cultivado.

Palabras clave: novela, sueño, amor, erotismo, Siglo de Oro, subconsciencia.  

 

 

A pesar de los importantes trabajos que se han adelantado sobre doña María de Zayas y su novelística, esta sigue brindándonos sustancias literarias que merecen un detenimiento de los estudiosos. Nuestra reflexión sobre el binomio sueño-amor en Aventurarse perdiendo entra en la perspectiva de seguir escudriñando los temas y artificios con los que la escritora ha hilvanado sus obras y que, hasta aquí, no han sido objeto de profundo análisis. La temática del sueño tiene una larga tradición en la literatura española y ha sido plasmada desde varias perspectivas. Sin embargo, la índole de los sueños literarios varía según los autores y las épocas[1]. Así, por cuestiones de coherencia y de delimitación temática, nuestro trabajo versará sobre la literatura española áurea centrándose esencialmente en el planteamiento del sueño amoroso y erótico en Aventurarse perdiendo de doña María de Zayas y Sotomayor. El objetivo de este artículo es llegar a demostrar cómo la escritora se desmarca de sus contemporáneos rompiendo los cánones prefabricados por sus predecesores en la plasmación del tópico del amor onírico. La crítica histórica será el pilar de nuestra metodología. La aplicación de dicho método de análisis literario nos permitirá, en la primera parte de nuestro estudio, recorrer el itinerario del sueño erótico en la literatura española del Siglo de Oro. En el segundo apartado que dedicaremos al análisis del sueño amoroso en Aventurarse perdiendo, el mismo enfoque metodológico seguirá siendo el carril sobre el que rodará nuestra interpretación de la recreación del tópico. Intentaremos desvelar cómo la escritora convierte lo subconsciente en el nuevo hilo que enriquece el tejido novelístico del amor onírico en ese relato.   

 

 

I- El sueño erótico como tópico en la literatura española áurea

La cabida que tiene el sueño en la literatura se remonta a la antigüedad grecolatina y casi se ha hecho un hueco en la mayoría de las corrientes literarias que a lo largo de los siglos han marcado la historia de la literatura. En la poética española áurea lo onírico era una de las materias con las que los escritores acuñaban sus obras. El recién estudio de Antonio Alatorre titulado El sueño erótico en la poesía española de los siglos de oro nos abre el abanico del erotismo onírico en el arte literario de España. El primer poema de sueño erótico en la literatura española, según revela Alatorre, es de Sem Tob a mediados del siglo XIV. Son los ocho versos siguientes:

                     En sueño una fermosa

                     besava una vegada,

                     estando muy medrosa

                     de los de su posada.

                     Fallé cosa sabrosa,

                     saliva muy temprada.

                     Non vi tan dulce cosa

                     más agra a la dexada.[2] 

 

 

La poesía de Cancionero del siglo XV también nos ha dejado poemas en los que el amante enamorado sueña de noche con la dama amada gozando de lo que de día no tiene la oportunidad. En el Cancionero General recopilado por Hernando del Castillo hay un poema de Jorge Manrique, “Vos cometistes traición”, conocido también bajo el título de “Porque estando durmiendo lo besó su amiga”, en el que un enamorado explica a su amiga –amante- cómo por la noche ella lo hirió con un beso causándole una herida que solo pueden curar otras heridas semejantes, es decir otros besos. El poema es el siguiente:

         

       Vos cometistes traición,

                     pues me heristeis, durmiendo,

                     de una herida que entiendo

                    que será mayor pasión

                     el deseo de otra tal

                     herida como me disteis,

                     que no la llaga mi mal

                     ni daño que me hicisteis.

                     Perdono la muerte mía;

                     mas con tales condiciones,

                     que de tales traiciones,

                     cometáis mil cada día;

                     pero todas contra mí,

                     porque, de aquesta manera,

                     no me place que otro muera

                     pues que yo lo merecí.

                   Más placer es que pesar

                    herida que otro mal sana

                    quien durmiendo tanto gana,

                    nunca debe despertar.[3]

         

 

 

 El mismo tema del erotismo onírico es retomado también por otros escritores como Garci Sánchez de Badajoz y Cristóbal Castillejo.  Pero el carácter erótico del sueño tuvo más envergadura en la literatura italiana que en la española. Por eso algunos versos de Cristóbal Castillejo se tildaron de atrevidos en el contexto de una España receptora del Concilio de Trento. Aunque Castillejo criticó la imitación de los modelos italianos sobre todo por Jorge Manrique, Garci Sánchez y Boscán, hasta  dedicó unas coplas al asunto (“Contra los encarecimientos de las coplas españolas que tratan de amores”), el erotismo atrevido de su Sueño refleja una influencia italiana. Sin embargo, cabe precisar aquí que eso no es contradictorio ya que Castillejo solo fustiga la excesiva imitación de las formas italianas en la poesía Cancioneril española y no el contenido. La sensualidad y la expresión sin tapujos con las que cuenta su sueño hacen pensar en la poesía erótica italiana. A continuación citamos algunos versos de dicho poema que ilustran la libertad con la que el poeta enfoca la intimidad onírica.

                     Yo, mi señora, soñaba

                     esta noche que pasó

                     que, desnudo como estaba,

                     a vuestra merced me hallaba

                     sin camisa como yo;

                     y del placer que tenía

                     {…}

                     mas, con miedo de perder

                     de gozar de tal mujer,

                     deseché los embarazos

                     y, tomándoos en mis brazos,

                     di comienzo a mi placer.

                       Los ojos gozan de veros

                     y la boca de besaros;

                     {…}[4]

 

 

El sueño opera aquí como la ocasión subconsciente de cumplir un deseo inalcanzable en estado de vigilia como lo sugieren los versos “desperté para morir, / porque vivo deseando”. El placer y la alegría experimentados al consumir el acto sexual en situación onírica contrastan con la decepción que se apodera del personaje, ya despierto, al darse cuenta de que todo se quedó en un sueño, es decir en pura fantasía. El hecho de despertarse pone fin al placer sexual del estado onírico pero enardece el anhelo de gozar de la amante en estado de vigilia. El coeficiente erótico de este sueño es sumamente elevado y por eso Alatorre lo califica de

“Moderno”, sobre todo la sensualidad, una sensualidad de lo más directo –los dos cuerpos desnudos frente a frente ni adornitos. Lo cual nos lleva al realismo, a la naturalidad de toda la escena. Todo es ficción, desde luego, pero los personajes son perfectamente verosímiles. El soñador puede ser un caballero atrevidamente prendado de una dama en “un alto estado constituida”, o un jovencito bisoño que nunca en tal se vio…[5]

 

 

Para ir acercándonos a la época de doña María de Zayas, escudriñemos la presencia del sueño amoroso y erótico en la poética de Lope de Vega y Góngora, dos figuras emblemáticas de la literatura española áurea cuyas obras conoce, sin duda, la autora de Aventurarse perdiendo. Lope compone en su comedia La batalla del honor un soneto que habla de un sueño amoroso.[6] Luis de Góngora por su parte plasmó en 1582 el poema titulado por la crítica “Ya besando unas manos cristalinas” cuyo erotismo hunde tal vez sus raíces en la tradición poética italiana a la luz de su analogía con el soneto “Son questi i bei crin d’oro onde m’avvinse” compuesto por Sannazaro. He aquí el texto gongorino:

Ya besando unas manos cristalinas,

ya anudándome a un blanco y liso cuello,

ya esparciendo por él aquel cabello

que Amor sacó entre el oro de sus minas,

ya quebrando en aquellas perlas finas

palabras dulces mil sin merecello,

ya cogiendo de cada labio bello

purpúreas rosas sin temor de espinas,

estaba, oh claro Sol invidïoso,

cuando tu luz, hiriéndome los ojos,

mató mi gloria, y acabó mi suerte.

Si el cielo ya no es menos poderoso,

por que no den los tuyos más enojos,

¡rayos, como a tu hijo, te den muerte![7]

 

 

El erotismo del poema no da cabida a ningún tapujo. El soñador y su amante viven una intimidad romántica en una escena que va graduando en sensualidad. Del besar las manos soltando palabras dulces pasan a comerse los labios. No huelga establecer el paralelismo del sueño de Luis de Góngora con el de Sannazaro que a continuación reproducimos.

Son questi i bei crin d’oro onde m’avvinse
Amor, che nel mio mal non fu mai tardo?
Son questi gli occhi ond’ usci il caro sguardo
ch’entro’l mio petto ogni altra voglia estinse?
È questo il bianco avorio che sospinse
la mente inferma al foco ove tutt’ardo?
Mani, e voi m’avventaste il crudel dardo
che nel mio sangue allor troppo si tinse
Son queste le mie belle amate piante,
che riveston di rose e di vïole
ovunque forman l’orme oneste e sante ?
Son queste l’alte angeliche parole?[8]

 

Antonio Alatorre coteja los dos poemas poniendo el énfasis en la semejanza textual en cuanto a la forma: en ambos textos hay que esperar hasta la salida del sol para darse cuenta de que es un sueño. Al respecto, escribe Alatorre:

                   

Al comienzo, los dos sonetos parecen de “descripción de una hermosa”, no de “sueño erótico”. Las manos, los cabellos de oro, la tersura de la piel, la dulzura de las palabras están en los dos. Sólo al final, con la salida del sol, vemos que se trata de un sueño.[9]

  

 

 

Las fuentes literarias de este soneto de Góngora están en Ovidio (Amores, I, 13) donde un amante cuenta cómo su noche de placer fue interrumpida. Salcedo Coronel subraya que los versos “cogiendo de cada labio bello/ purpúreas rosas sin temor de espinas” proceden del Orlando furioso del italiano Ludovico Ariosto. Y Dámaso Alonso[10] adelanta que Luis de Góngora se inspira en el “capitolo VIII” de Ariosto en el que se reprocha a la aurora levantarse temprano como lo hace también el escritor español con el sol. Ariosto escribe:

O più che ' l giorno a me lucida e chiara,

dolce, Gioconda, aventurosa notte,

quanto men ti sperai tanto più cara!

(Rime, capitoli, VIII, 1-3)

 

 

El acercamiento de los dos textos es todavía mayor con lo parecidos que son los versos “mirar le rose in su le labra sparse/ porvi la bocca e non temer de’ espini” del capitolo VIII de Ariosto y los versos 7-8 del soneto gongorino “ya cogiendo de cada labio bello/ purpúreas rosas sin temor de espinas”. La analogía es total, y eso desvela las fuentes poéticas del texto de Góngora pero también la influencia del erotismo literario italiano en la poesía española áurea. Otro poema atribuido a Luis de Góngora y recogido por Antonio Carreira reanuda con el tema del sueño erótico:

No estaba Clori, como siempre, ingrata

una noche que dio atentos oídos

a mis dulces de amor tristes gemidos,

a pesar de honestísima escarlata.

Ofrecílos al ángel que me mata,

mas dulcemente fueron admitidos

a mi constante amor y a mi fe grata.

¡Qué de quejas le di de su dureza!

¡Qué alarde hice allí de pensamientos!

¡Qué agradecida se mostró a mi llanto!

Desperté, y hallé sólo mi firmeza,

mi amor hecho ludibrio de los vientos,

Clori sorda, cual áspid, al encanto.[11] 

 

 

El breve recorrido de la presencia del sueño amoroso y erótico en la literatura española anterior a María de Zayas y Sotomayor demuestra que la temática goza ya de una larga tradición. Sin embargo, en todos los ejemplos que venimos estudiando y en otros textos a los cuales no hemos podido detenernos por no ser el objeto del presente trabajo, el soñador es siempre varón. Y en ello se tiene que buscar la peculiaridad de María de Zayas. En Aventurarse perdiendo, el personaje que hace el sueño amoroso es una mujer llamada Jacinta. Hay pues una inversión por parte de la escritora de otro paradigma ya preestablecido por la tradición poética del Siglo de Oro. La mujer que siempre ha sido el objeto con el que sueñan los hombres enamorados para satisfacer sus deseos libidinosos se convierte en la soñadora perseguidora de su fantasma. Esta disidencia zayesca dimana de su feminismo que ratifica en toda su novelística con el planteamiento de muchos tópicos literarios de su época. A continuación iremos profundizando la reflexión sobre la manera de enfocar el sueño amoroso en Aventurarse perdiendo.

 

 

II-El sueño amoroso en Aventurarse Perdiendo: disidencia e innovación 

La principal peculiaridad de la novela Aventurarse perdiendo respecto del resto de la primera compilación es, sin duda, su plasmación con ingredientes oníricos extraídos del mundo de lo subconsciente. Las aventuras amorosas de Jacinta, la heroína de esta novela, echan sus raíces en las profundidades irracionales de un sueño. En efecto, la protagonista se ha enamorado de una sombra que vio mientras estaba en los brazos de Morfeo.  Hay, pues, una subversión del proceso habitual del enamoramiento. Si los personajes femeninos de Zayas suelen enamorarse en estado de vigilia, en esta novelita el amor surge en un estado de inconsciencia onírica. La propia Jacinta cuenta a Fabio: 

Diez y seis años tenía yo cuando una noche estando durmiendo, soñaba que iba por un bosque amenísimo, en cuya espesura hallé un hombre tan galán, que me pareció (¡ay de mí, y cómo hice despierta esperiencia dello!) no haberle visto en mi vida tal. Traía cubierto  el rostro con el cabo de un ferreruelo leonado, con pasamanos y alamares de plata. Paréme a mirarle, agradada del talle y deseosa de ver si el rostro confirmaba con él; con un atrevimiento airoso, llegué a quitarle el rebozo, y apenas lo hice, cuando sacando una daga, me dio un golpe tan cruel por el corazón que me obligó el dolor a dar voces, a las cuales acudieron mis criadas, y despertándome del pesado sueño, me hallé sin la vista del que me hizo tal agravio, la más apasionada que puedas pensar, porque su retrato se quedó estampado en mi memoria, de suerte que en largos tiempos no se apartó ni se borró della. Deseaba yo, noble Fabio, hallar para dueño un hombre de su talle y gallardía, y traíame tan fuera de mí esta imaginación, que le pintaba en ella, y después razonaba con él, de suerte que a pocos lances me hallé enamorada sin saber de qué, porque me puedes creer que si fue Narciso moreno, Narciso era el que vi.[12]

         

 

El simbolismo onírico del bosque, espacio donde ocurre la historia soñada, ya nos sumerge en las honduras de la subconsciencia. En efecto, en la ciencia de interpretación de los sueños, el bosque como símbolo es “un lugar de pura experiencia de acercamiento a lo subconsciente”.[13] Eso añadido a la herida del corazón femenino por la figura masculina desconocida hace que el sueño ya involucre los elementos generadores de una incontrolable pasión amorosa.  Por eso, unos días después del sueño, Jacinta encuentra a don Félix y se enamora locamente de él pensando haber encontrado al hombre de su visión onírica. Sin embargo, ese amor no es ordinario; es motivado y avivado por una poderosa fuerza subyacente que trasciende la expresión de un simple sentimiento o flechazo. Cuando Jacinta ve a don Félix sus emociones experimentadas en la realidad onírica suben a la superficie de la realidad de vigilia, gracias a la reminiscencia, y convierten, así, al hombre en el objeto deseado.

Vi en efecto el mismo dueño de mi sueño, y aun de mi alma, porque si no era él, no soy yo la misma Jacinta que le vió y le amó más que a la misma vida que poseo. -refiere ella.[14]

 

 

Incluso dice a don Félix que su amor es anterior al conocimiento de ambos: “Yo os quiero, no tan sólo desde el día que os vi, sino antes.” (I, 51). Su arrebato de amor es tan fuerte que la heroína no dudará en franquear los límites de la moral imperante y del código del honor solo para poseer a don Félix. En efecto, la evasión de Jacinta de la casa de sus padres para fugarse con su amante mancha su propia reputación y deshonra también a su familia. Pero la heroína pasa de todo porque no goza de su entera libertad en ese amor predestinado que se acabará con la muerte de don Félix sin que Jacinta tenga nunca la posibilidad de disfrutar de su amante. Cada vez que la protagonista ha estado a punto de gozar de su amor con don Félix, ha surgido un obstáculo, como si ella estuviera condenada a amar pero sin tener el placer. Aquí se puede establecer un paralelismo entre el sueño y la realidad. El sueño se interrumpió cuando Jacinta estaba a punto de satisfacer el deseo de ver la cara de la figura soñada. En su amor con don Félix también la muerte del amante llegó cuando estaban a punto de cumplir el tiempo de separación de cuerpos recomendado por el Papa por el anterior estado religioso de Jacinta. En ambos casos, la historia se remata en un momento culminante de espera de la realización de un deseo íntimo. Así que ese amor nunca se consumirá. Todos esos fracasos de la heroína se deben al hecho de que el amor que la mueve es un amor imposible, el amor a algo que no tiene existencia, el amor a una sombra. En los siguientes versos ella expone las razones que hacen imposible su amor:

                             

Yo adoro lo que no veo

y no veo lo que adoro,

de mi amor la causa ignoro

y hallar la causa deseo.

Mi confuso devaneo

¿quién le acertará a entender?,

pues sin ver, vengo a querer

por sola imaginación,

inclinando mi afición

a un ser que no tiene ser.[15]

 

 

El juego de contrarios de tipo petrarquesco (“Yo adoro lo que no veo/ y no veo lo que adoro”) pone el énfasis en la irracionalidad de la pasión amorosa de la heroína. La vista, primer sentido corporal que entra en acción en materia de amor, está ausente en la inclinación sentimental de Jacinta como se puede notar en el poema con el empleo del verbo ver siempre en forma negativa (“lo que no veo”/ “y no veo”/ “pues sin ver”). Es, pues, un amor ciego incontrolable por su víctima. La mitología grecolatina nos ha brindado casos de amor inverosímiles como “Pigmaleón que adoró la imagen que después Júpiter le animó; y el mancebo de Atenas, y los que amaron el árbol y el delfín”[16]. Pero, por lo menos, en esos ejemplos de amor increíbles la cosa querida tiene forma, todo lo contrario en el caso novedoso de Jacinta que se enamora de una sombra, es decir algo imaginario que “no tiene ser”. Por eso su amor con el caballero puede interpretarse también como una manera, por parte de Jacinta, de buscarle forma y vida reales a su fantasma gracias a la descodificación de los símbolos oníricos que le intuyen que la figura del sueño es don Félix. Todo eso hace de esta relación una persecución del fantasma. 

La actuación de la protagonista bajo el impulso subconsciente arroja a la narración ingredientes que “parecen directamente extraídos del consultorio siquiátrico de algún estudioso de Freud”[17]. Zayas ha enfocado el asunto onírico desde una nueva perspectiva hasta entonces desconocida en la novelística española. El hecho de buscar la explicación de los comportamientos humanos en la inconsciencia onírica es una aportación zayesca a la literatura española áurea. En Aventurarse perdiendo el sueño es la palanca que arranca la narración y regula el dinamismo de la intriga. La intensidad con la que la heroína se entrega al universo amoroso se fundamenta y se solidifica en la visión onírica. Gracias al sueño, atizador de las llamas amorosas, Jacinta ha transformado al hombre en  un objeto erótico apasionadamente deseado. Lo cual deja bien sentado que las protagonistas de Zayas “no sólo son deseadas sino que desean, y, si son objeto del varón, éste puede ser igualmente objeto erótico suyo”[18]. En ese aspecto, la escritora rompe los moldes predefinidos por la tradición novelística cortesana que quiere que el hombre sea el verdadero conquistador de la mujer. 

En realidad, el sueño es el único carril sobre el que rueda toda la historia de Jacinta con don Félix porque si la relación nació de una visión onírica, esta quitará a la heroína a su amante. Un sueño premonitorio ha anunciado a Jacinta la futura muerte de don Félix.

…una noche, que parece que el sueño se había apoderado de mí más que otras (porque como la Fortuna me dio a don Félix en sueños, quiso quitármele de la misma suerte) soñaba que recebía una carta suya, y una caxa que a la cuenta parecía traer algunas joyas, y yéndola a abrir, hallé dentro la cabeza de mi esposo.[19]

 

 

Al día siguiente, Jacinta salía de su casa con sus compañeras y ella oyó una voz que le decía: “Muerto es, sin duda, don Félix, ya es muerto.”[20]. Y poco después, llegó la noticia de la muerte de don Félix que se había ahogado en la Mamora. Esa voz mística que viene a confirmar lo soñado por la protagonista antes de que ocurra en la realidad de vigilia añade a lo onírico una nota sobrenatural.  

Al hacer del sueño la base subterránea de toda la intriga novelesca, Zayas maneja el tópico literario de lo maravilloso, un terreno ya arado por sus predecesores. Lo cual viene del hecho de que “es propensión esencial de la imaginación española el tratar lo maravilloso, no como puramente fantástico, sino como una realidad extraordinaria, una segunda realidad.”[21] La presencia del artificio sobrenatural responde, pues, a una voluntad de seguir los cánones preestablecidos por Cervantes, principal teórico de la novela en España. Pero sí, hay un toque personal de Zayas que parece anticipar algún pensamiento de Freud. 

El estudio del sueño amoroso en Aventurarse perdiendo nos ha dejado bien claro que la temática del amor onírico fue tratada por varios escritores anteriores a María de Zayas. De procedencia italiana, el sueño erótico acabó convirtiéndose en un tópico trillado en la literatura española clásica. Su manejo por los grandes escritores españoles del Siglo de Oro es un barómetro para evaluar el diálogo intertextual entre la Italia y la España de la época. La primera parte de nuestro trabajo ha desvelado que los predecesores de nuestra novelista manejaban el tópico del sueño erótico sin mayores modificaciones. En sus obras el hombre ha sido siempre el protagonista del sueño erótico. Ese repaso del erotismo onírico nos ha permitido también disponer de elementos comparativos que dejan escuetas las innovaciones de la escritora.

El análisis del planteamiento del tema del sueño amoroso en Aventurarse perdiendo nos ha llevado a la conclusión de que esta novela es particularmente atípica. La integración de la inconsciencia onírica como materia prima en la acuñación de ese relato demuestra todo el ingenio novelístico de María de Zayas que parece ir por delante de su época. El tema del amor fundamentado en lo irracional onírico que condiciona el comportamiento humano no tiene antecedentes en el llamado género cortesano.

En Aventurarse perdiendo, María de Zayas ha recreado el tema con más trascendencia arropándolo con materiales extraídos del mundo de la subconsciencia. La mujer deja de ser, en el estado onírico, la pasiva procuradora de placer al hombre; ahora es ella la soñadora que goza del varón. El atisbo psicológico en el que está envuelto el enfoque del tema del sueño amoroso es pues una novedad zayesca. Esperamos pues que nuestro trabajo contribuya a desplegar ese otro aspecto poco estudiado en la novelística de María de Zayas y Sotomayor.    

 

 

Bibliografía

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-BECCARIA LAGO, María Dolores. “Cinco poemas inéditos de Castillejo” en Boletín de la Real Academia Española. vol. 67 (1987), p. 70-71.

-CARREIRA, Antonio. Nuevos poemas atribuidos a Góngora. Barcelona: Sirmio, 1994.

-FREUD, Sigmund. Introduction à la psychanalyse. Saint-Amand-Montrond: Editions Payot, 1991. Traducción francesa de S. Jankélévitch.

-GOYTISOLO, Juan. “El mundo erótico de María de Zayas”, en Disidencias, Barcelona: Editorial Seix Barral, S. A., 1978.

-MENÉNDEZ  PIDAL, Ramón. Los Españoles en la Literatura. Madrid: Espasa-Calpe, Segunda edición, 1971.

-ROMEY, Georges. Dictionnaire de la symbolique des rêves. Paris : Albin Michel, 2005.

-ZAYAS Y SOTOMAYOR, María de. Novelas amorosas y ejemplares. Madrid: Aldus, S. A., 1948, Ed. De Agustín Gónzalez de Amezúa. 

 

 

Webografía

-OVIDIO. Amores. Edición electrónica de Ebooks descargada en PDF el 14 de enero de 2012.

-MANRIQUE, Jorge. Obras amatorias. Versión electrónica consultada  el 15 de octubre de 2012 en www.biblioteca-antologica.org.


* Section d’Espagnol, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal.

[1] Cabe mencionar aquí que nuestro estudio se centra exclusivamente en el sueño amoroso y erótico. Así que no se trata aquí del sueño de tipo calderoniano o unamuniano. 

[2] El poemita es reproducido por Antonio Alatorre en El sueño erótico en la poesía española de los siglos de oro. Mexico: Fondo de Cultura Económica, 2003, p.15.

[3]Jorge Manrique. Obras amatorias, versión electrónica consultada  el 15 de octubre de 2012 en www.biblioteca-antologica.org.

[4]Este poema es reproducido por Antonio Alatorre en op. cit., p.29.

[5] Antonio Alatorre. El sueño erótico en la poesía española de los Siglos de Oro. Mexico: Fondo de Cultura Económica, 2003, p.31.

[6] Dicho poema es reproducido por Antonio Alatorre en op. cit., p.100.

[7]Poesía de Góngora, versión electrónica de EBOOKS descargada el 22 de abril de 2010.

[8]Poesía de Sannazaro. Versión electrónica de EBOOKS descargada el 11 de octubre de 2012.

[9] Antonio Alatorre. op. cit., p. 102-103.

[10]Alonso Dámaso. Obras completas de Góngora, Madrid: Gredos, 1982, p.368.

[11] Antonio Carreira. Nuevos poemas atribuidos a Góngora. Barcelona: Sirmio, 1994, pp.302-303.

[12] María de ZAYAS Y SOTOMAYOR.   Novelas amorosas y ejemplares. Madrid: Aldus, S. A., 1948, ed. De Agustín Gónzalez de Amezúa, pp. 44-45. 

[13] Georges ROMEY. Dictionnaire de la symbolique des rêves. Paris: Albin Michel, 2005, p.287. NB: Las negritas son suyas.

[14]María de ZAYAS Y SOTOMAYOR.  Op. cit., pp.48-49.

[15] María de ZAYAS Y SOTOMAYOR.  de. Op. cit. P.46.

[16] María de ZAYAS Y SOTOMAYOR.  de. op. cit. P.45.

[17]  Juan GOYTISOLO. “El mundo erótico de María de Zayas”, en Disidencias. Barcelona: Editorial Seix Barral, S. A., 1978, p.97.

[18] En su acercamiento al mundo erótico de María de Zayas, Goytisolo establece: “algo más notable aún: la cruzada feminista de María de Zayas no descuida, como pudiera creerse, la exigencia sexual. Las heroínas zayescas no tienen sin duda la franqueza y osadía de la Lozana cuando, encomiando los buenos servicios de su amante Rampín, afirma que ella tenía apetito desde que nació; pero, como Aldonza, no se contentan con ser objeto pasivo del placer del hombre: es decir, no sólo son deseadas sino que desean, y, si son objeto erótico del varón, éste puede ser igualmente objeto erótico suyo. Como es obvio, las normas sociales y morales de la época andaban a mil leguas de las de la Roma que conoció Delicado, y el código que la autora y sus heroínas acatan imponía todo género de cautelas.” GOYTISOLO, Juan, “El mundo erótico de María de Zayas” en Disidencias. Barcelona: Editorial Seix Barral, S. A., 1978, pp.96-97.

[19]María de ZAYAS Y SOTOMAYOR.  de. op. cit. P.67.

[20]Ibidem, P.68.

[21]MENÉNDEZ PIDAL, Ramón.  Los Españoles en la Literatura. Madrid: Espasa-Calpe, Segunda edición, 1971, p. 99.

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Résumé

L’apposition, en tant que tournure emphatique, consiste essentiellement en une répétition jugée plus éloquente, plus expressive. Par l’anaphore lexicale ou pronominale qu’elle instaure, elle procède d’une intensification et d’une insistance dont le but est de mettre en exergue un élément de l’énoncé. Pour cela, elle fonctionne comme une tournure stylistique visant à attirer l’attention de l’allocutaire sur un élément du discours que le locuteur ne voudrait pas laisser passer de manière neutre. Elle n’est pas alors une simple construction syntaxique, mais plutôt une tournure stylistique qui vise à agir sur le destinataire du message.

Mots clés : anaphore, emphase, cadrage, disjonction, intensification, antéposition, postposition, informatif.

 

Abstract 

          Apposition as an emphatic form mainly consists of a repetition considered more eloquent and more expressive. Instituting a lexical or reflexive anaphora, it proceeds both from an intensification and an insistence whose goal is to emphasize one element of the wording. Hence, it works as a stylistic form used by the speaker to put the stress on one element of the speech he would like the addressee to notice. Thus, it’s rather a stylistic device than a mere syntactic structure, and its purpose is to impact on the person addressed.

Key words: anaphora, emphasis, framing, disjunction, intensification, anteposition, postposition, informative

     

 

Introduction

 

Un retour sur le mécanisme et le principe de l’apposition ainsi que sur ses effets stylistiques nous amène à penser qu’elle constituerait une forme de mise en relief, disons plus précisément une construction emphatique, par opposition à la phrase neutre.

Cependant, nous consacrerons essentiellement cette étude à l’apposition nominale et à l’apposition pronominale. Cela ne veut pas dire que nous refusons à l’adjectif qualificatif la fonction appositive, même si celle-ci fait l’objet d’une querelle d’écoles[1] . Certains, comme George Galichet,[2]  ne lui reconnaissent que les fonctions « épithète » et « attribut ». Il le dit évidemment contre Albert Dauzat[3]  qui affirme que : « l’épithète peut être détachée entre virgules, en apposition ». Le détachement qui est son seul mode de construction appositive l’expose plus que les autres termes, en le mettant en exergue. Mais cet adjectif n’a de valeur que par rapport à un terme qu’il détermine et qui lui donne ainsi un sens. Par conséquent, l’adjectif apposé, quoi qu’il est détaché, ne met pas en relief un quelconque élément ; sa position ne fait que l’exposer lui-même et sa fonction expressive se limite à caractériser un nom. Donc son sémantisme ne lui appartient pas, et l’interprétation le ramènerait à celle de l’adjectif attribut où à des constructions similaires.

« Abdoulaye Diop « daguit », comprenez le ministre des finances, fâché, semblait pris au piège de Maître Babou qui lui demandait de fournir des preuves à l’appui »

= « Abdoulaye Diop « daguit », comprenez le ministre des finances, qui était fâché,

D’ailleurs, ce sont des contraintes syntaxiques qui ont exigé le détachement. L’adjectif étant séparé du « déterminé » par un syntagme verbal, seule la virgule ou l’usage du pronom relatif peuvent permettre de rétablir la solidarité avec le déterminé. La virgule permet le réalignement, c'est-à-dire le parallélisme ; le pronom relatif permet une anaphore. Ainsi la mise en apposition de l’adjectif serait un cas particulier de la syntaxe de la phrase.

Quant aux autres cas d’apposition, nous distinguons après la nature (apposition nominale ; apposition pronominale), l’apposition immédiate (juxtaposée) et l’apposition éloignée (avec disjonction). Selon la construction, on a recensé six cas dont les quatre sont évoqués par Andréas Blinkenberg[4]. Il a pris essentiellement comme critères différenciateurs : la pause, l’article et l’ordre des mots, ce qui lui a permis  de construire  les  schémas suivants :

  1. Le professeur X = (déterminant + déterminé)
  2. X, le professeur = (déterminé + déterminant)
  3. X professeur = (déterminé + déterminant)
  4. Professeur, X = (déterminant + déterminé).

Nous nous rendons compte, alors, que Blinkenberg définit l’apposition entre autres comme ayant une fonction déterminative.

 

I. L’apposition nominale

Ce ne sont pas toutes les formes d’appositions qui produisent nécessairement une emphase ou une mise en relief et on aura à le voir au cours du développement.

Selon les structures, on trouve l’apposition postposée et l’apposition antéposée.

 

I.1. L’apposition postposée.

Toute position étant relative à celle d’un autre élément, parler de l’apposition postposée implique un devoir de préciser ou de nommer le ou les éléments auxquels elle est postposée. La manière la plus simple serait alors de dire ce qu’est l’apposition et comment elle fonctionne.

C’est un procédé qui consiste à mettre en rapport deux mots ou deux groupes de mots, un mot et un groupe de mots désignant et représentant exactement le même référent.

          C’est pourquoi G. Galichet[5] parle de mise en équation, autrement dit est un rapport d’égalité ou de caractérisation mutuelle comme une mise en équation. S’il n’y a pas disjonction, elle se présente sous la forme d’un couple de mots ou de groupes de mots dont l’une des parties est appelée le recteur ou le support, selon J G Tamine ,[6]et « déterminé », selon Blinkenberg[7].

Alors la postposition et / ou l’antéposition dont nous parlons se définissent en rapport avec le recteur, c'est-à-dire le terme principal.

Chacun de ces auteurs a caractérisé l’apposition (le terme mis en apposition) d’une manière singulière. J G Tamine la conçoit entre autres par le caractère de l’information qu’elle est censée apporter par rapport au support qui constitue la première information.

Blinkenberg, en toute cohésion avec le nom de déterminé qu’il donne au terme support, parle de déterminant. Galichet, lui, va donner une caractérisation d’une manière beaucoup plus prudente en parlant de fonction mixte qui vacille entre la caractérisation et la détermination. Pour mieux cerner alors tous ces points de vue, nous étudierons le fonctionnement à travers des exemples.

1 « Alpha Sall, le secrétaire général du synpic s’est dit surpris par la tournure prise par les événements alors que Wade avait lui-même assuré de surseoir à toutes poursuites de journaliste en attendant cette rencontre qui était sur le point d’être tenue »

( Le matin du mercredi 14 juillet 2004,  p.3)

2 « Les élèves ont eux aussi des préjugés. Ils estiment que le latin est difficile. Or beaucoup d’entre eux, les meilleurs élèves, ont étudié les lettres classiques, indique Mame Marie Ndiaye Seck, professeur de lettres classiques au lycée Lamine Guèye de Dakar. »

(Le soleil du jeudi 22 mai 2003, p.11)

 

L’interprétation et l’analyse de ces énoncés suppose qu’on circonscrive le type d’allocutaire. Deux types d’allocutaires peuvent être concernés par ces énoncés : quelqu’un qui connaît ou qui est supposé connaître les termes supports (thèmes) que sont « Alpha Sall » et « Mame Marie Ndiaye » ; un autre interlocuteur qui ignore ou qui est supposé méconnaître ceux-ci.

Le fonctionnement de l’emphase ne serait pas le même suivant tel ou tel cas de figure. Ainsi, pour celui qui connaît bien « Alpha Sall » ou « Mame Marie Ndiaye », l’apposition ne lui aurait apporté aucune information nouvelle, donc le contenu prédicatif est vide et apparemment sans effet sur lui. Il ne l’aide aucunement à éclairer le thème ou le recteur. D’ailleurs, l’allocutaire peut en savoir plus que son interlocuteur. C’est comparable aux formules « Monsieur X », « Madame Y » ou « Serigne[8] X » … qu’on rencontre couramment et qui finissent par former une sorte de nom global et unique. Dans ces cas de figure, l’apposition ne sert pas à mettre en relief.

Dans le cadre d’un interlocuteur qui ignore le terme sur lequel porte l’apposition (le thème dont on parle) ou que le locuteur suppose être dans un tel cas, l’apposition sert beaucoup à éclairer, donc à mettre en relief le support de l’apposition.

Ainsi à chaque fois qu’un interlocuteur perçoit un tel cas d’apposition, il fait une relecture du thème, car il a d’autres éléments qui lui permettent de le déterminer ou de l’apprécier. Et, contrairement au premier cas expliqué, l’apposition ne passe pas inaperçue ; elle est plutôt nécessaire à la compréhension par l’éclairage qu’elle apporte au thème, lequel éclairage relève d’une volonté de mise en relief, sinon on n’aurait pas besoin du double emploi.

Cette apposition postposée se fait le plus souvent par des groupes nominaux comme le montrent les exemples précédents. Ces groupes de mots apposés ne peuvent pas être disjoints de leurs supports en ce sens que toute disjonction participerait à amplifier un des membres du couple de l’apposition. Nous parlons de couple tout en sachant que  l’apposition peut être récursive, comme on peut le  mettre en évidence dans les exemples suivants :

1- «  Mame Marie N’diaye Seck professeur de lettres classiques au lycée Lamine Guèye de   Dakar »

1 a Mame Marie Ndiaye Seck, premier professeur de lettres classiques     

1 b Mame Marie Ndiaye Seck du Sudes[9], professeur de lettres   classiques

2- Alpha Sall secrétaire général du Synpic

2 a Alpha Sall,actuel secrétaire général du synpic

2 b Alpha Sall du « Soleil »[10], secrétaire général du synpic  

 

Dans les exemples « 1 a »  et « 2 a », ce qui pourrait être considéré comme disjonction (premier, actuel) s’est intégré aux membres qui constituent l’apposition ; tandis que dans « 1 b » et « 2 b », les éléments intercalés  deviennent partie intégrante du support. Ces manipulations prouvent que la disjonction est impossible car ce qui est intercalé ne fait qu’amplifier un des membres de l’apposition. Il n’a pas une autonomie par rapport aux groupes déjà existants.

 

I.2. L’apposition antéposée

On entend par apposition antéposée, l’apposition qui précède le recteur. Autrement dit, il s’agit d’une prédication anticipée comme dans les exemples suivants :

1 «Le président du gouvernement espagnol José Maria de Aznar a lui aussi fait part de sa détermination à Bush qui lui a téléphoné pour lui présenter ses condoléances, de poursuivre sa lutte contre le terrorisme. »

(Le soleil lundi 1er décembre 2003 P 18)

2 « Le leader des forces nouvelles, Guillaume Soro avait lui-même effectué des visites dans ces deux pays et des leaders politiques ivoiriens ont été également reçus ces derniers jours à Accra ».

(Sud Quotidien du lundi 03 novembre 2003, p.9)

3 « Le fils de Oussaï, Moustapha,  abattu dans la ville de Mossoul tout comme son père et Oudaï, a lui aussi été inhumé dans ce cimetière.

(Sud quotidien du 4 août 2003, p.9)

4 «  Le représentant américain au commerce Robert Zoellick a, lui aussi, constaté des points de convergence. Mais il reste beaucoup de travail à faire a-t-il admis devant les journalistes ».

(Le matin du mercredi 14 juillet 2004, p.4)

 

La position des groupes de  mots mis en apposition en tête de phrase nous pousse à reprendre la pertinente question de J G Tamine [11] : « l’ordre des mots ou l’ordre de la pensée ? ». Cette question est d’autant plus intéressante que ces groupes de mots antéposés ont des caractéristiques prédicatives. La question, qui date de longtemps, a été diversement résolue à travers les siècles et les langues concernées.

En traitant de la question, J-G Tamine s’appuie sur la Grammaire de Port Royal dont les auteurs affirment qu’il existe un ordre mental approximativement reflété par les différentes langues. La langue serait alors conçue pour exprimer la pensée d’une manière plus ou moins fidèle.

Pour eux alors, l’ordre des mots correspond à l’ordre des idées. Ces auteurs peuvent aussi être confortés par Albert Dauzat [12] qui justifie l’ordre des mots par plusieurs facteurs parmi lesquels il cite la logique et la psychologie. Il est catégorique : « l’ordre des mots c’est l’ordre des idées » ou encore « la phrase française est une suite d’explications dont chacune se classe avant que la suite ne soit amorcée ».

Alors, seules des motivations rhétoriques pourraient justifier la modification de cet ordre qu’il  présente selon le model : « sujet logique + prédicat ». Les grammairiens du XVIIIe siècle seront contre cette conception classique. J G Tamine citera Condillac  qui a inversé le principe. Ce n’est pas alors la pensé qui conditionne le langage mais le langage qui organise les idées. Le débat sur la question est complexe et notre propos n’est pas de le restituer, ni de faire l’arbitre. Il demeure avéré cependant que, selon les besoins de communication ou d’expressivité, le locuteur peut mettre en tête de phrase ce qu’il a jugé plus important, plus frappant et plus attractif pour l’allocutaire.

Ainsi, quelle que soit la position de telle ou telle école sur l’ordre des mots, cet ordre peut obéir à des facteurs rhétoriques et pragmatiques ; donc il peut relever de l’emphase et de la mise en relief.

Ainsi, l’antéposition du prédicat, quand il correspond à l’apposition, serait une anticipation sur la conscience de l’allocutaire, qu’il enferme dans un cadre bien limité. C’est ce que nous avons dans les exemples ( 1) et ( 2 )

1 « le président du gouvernement espagnol = José Mario Aznar »

2 « le leader des Forces Nouvelles = Guillaume Soro. »

 

C’est parce que l’information apportée par le groupe de mots mis en apposition, comme on l’a déjà dit, peut être nouvelle pour l’allocutaire, mais sa nature concrète (référence) ne peut pas être plurielle. On a un « président » et un « leader » et le support de l’apposition ne sert pas alors à la délimiter, car l’information est de nature délimitée et univoque. Il ne fait qu’apporter une précision  en sélectionnant un référent parmi plusieurs possibilités.

Mais, dans d’autres cas, quand le groupe nominal mis en apposition peut prêter à équivoque, le principe est inversé comme dans les exemples (3) et (4) du « I- 2 ».

3 – « le fils de Oussaï, Moustapha…. »

4-« le représentant américain au commerce Robert Zoellick »

 

Le prédicat apposé apporte certes une nouvelle information, mais elle demeure ambiguë au point que le support intervient pour la délimiter et la préciser. De manière plus concrète, les groupes de mots « fils de Oussaï » que nous avons dans l’exemple (3),  « le représentant américain au commerce » dans l’exemple (4), ne sont pas les seuls, du point référentiel et extralinguistique,  susceptibles d’être respectivement « fils » et « représentant ».

Sans le support de l’apposition qui cristallise l’information, elle serait floue par son caractère trop général. Il permet de délimiter et de circonscrire le prédicat. Le phénomène de mise en relief est lié à ce processus de sélection du référent qui se fait par l’action du support sur le prédicat.

Dans le premier cas où le prédicat est univoque, nous avons un cadrage ; la présentation du thème (du référent) sous une certaine forme (probablement la forme choisie et jugée adéquate pour séduire l’allocutaire) avant de placer l’objet (le terme support) dans un tel décor. Car, le décor et le cadre déjà fixés influencent forcément l’interlocuteur pour ne pas dire l’observateur. Dans le deuxième cas où le prédicat est imprécis, la mise en relief provient de la détermination et de la précision qui permettent d’identifier et, partant, de mettre en exergue le thème.Dans tous les cas, nous avons une orientation précise et définitive du prédicat (de l’information qui n’est pas obligatoirement nouvelle) sur un thème qui devient ainsi le centre focal de l’énoncé.

On a dit que l’information n’est pas toujours nouvelle  et un tel état de fait rend parfois ambigu le rapport entre les termes constitutifs de la mise en apposition à tel enseigne qu’il devient difficile de savoir le terme support ou lequel des deux met l’autre en relief.

Andreas Blinkenberg,[13] lui,  a fait appel à des critères suprasegmentaux telles que l’unité d’accentuation, l’absence de pause, pour faire apparaître le caractère « effacé » de l’apposition lié à la neutralité de l’information qu’elle apporte. Nous avons une apposition caduque qui va parfois jusqu’à créer une expression figée dans la communication, qu’on emploie spontanément sans besoin réel d’expressivité.

Ce type d’emploi se rencontre  avec les titres de dignité et de rangs socioprofessionnels dont on fait usage dans des situations où le locuteur n’est pas toujours plus informé que l’allocutaire.  D’ailleurs, il peut ignorer le sens des éléments mis en apposition.

1 «Rappelons que Serigne Modou Mbacké fils aîné Khalife de Serigne Abdou Khadre Mbacké fut lui-même rappelé à Dieu en 1990, après un an de khalifat sur la confrérie mouride »

( Sud quotidien du mardi 5 août 2003, p.6)

2 « Le président Senghor, professeur de lettres classiques, s’impliquait lui-même pour encourager l’enseignement du latin et du grec »

( Le soleil du jeudi 22 mars 2003, p.9)

 

Dans ces deux exemples, les termes « serigne » et « président » désignent certes les référents des noms qu’ils précédent, mais laissent indifférents les interlocuteurs non avertis et parfois même le locuteur. La preuve est que le terme apposé du deuxième exemple s’est complètement substitué au prénom du « président » : Léopold Sédar. Ces formes fonctionnent plutôt comme des épithètes à ces mots et non comme des termes parallèles et apposés.

La suite le confirme d’ailleurs car on a fait suivre cette apposition antéposée d’une autre qui est, elle, postposée et nettement caractérisante. La première qui correspond à l’antéposition dont nous parlons est stérile du point de vue de l’expressivité car elle s’est confondue avec le recteur.

Néanmoins, nous retiendrons, après les deux positions possibles (postposition et antéposition), que l’apposition peut être redondante et qu’elle peut encadrer le support. Tout dépend de l’intention du locuteur de peindre le maximum celui ou ce dont il parle pour le mettre en relief.

 « Le général Vincent Brooks, porte-parole du commandement américain au Qatar rappelle que si Washington envisageait d’administrer lui-même l’Irak dans un premier temps, il n’y resterait pas plus de temps qu’il n’est nécessaire »

(Sud quotidien du samedi 19 avril 2003, p.11)

 

Dans cet exemple, la double apposition a son importance dans la mise en relief du support (Vincent Brooks). La première le caractérise par sa hiérarchie dans le corps, ce qui fait qu’a priori l’allocutaire sait le grade de celui dont on lui parle.

La seconde caractérise par un rôle secondaire mais justificateur, et en toute cohésion, de l’information rapportée. Elle participe à la crédibilisation de l’information par l’usage de ce qu’on appelle, dans les normes du discours les éléments du protocole.

La ponctuation ne peut être occultée  à ce niveau car elle participe à la mise en relief, même si elle est parfois facultative comme l’ont révélé les exemples déjà étudiés. Mais nous en analyserons des cas spécifiques.

1 : « Devant un dossier sur lequel l’Etat n’a jamais joué clair, ni assumé ses responsabilités, le khalife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké, a tranché. Il a renoncé à l’exploitation du ranch de Dolli dont une partie lui a été attribuée ».
(Walfadjri du lundi 8 décembre 2003, p.4)

 

La virgule peut être facultative quand l’une des parties constitutives de l’apposition est constituée d’un mot unique ou d’un groupe de mots fonctionnant comme un mot unique tels que les noms propres qui ne fonctionnent pas avec un article.  Ainsi dans l’exemple (1), l’apposition instaure un rapport de qualification entre les deux termes au lieu d’un strict rapport d’égalité.

Elle serait pourtant obligatoire si le groupe de mots mis en apposition n’était pas déterminé par un article :

« …Ø khalife général des mourides, Serigne Saliou  Mbacké a tranché…. »

Sans l’article, on sous-entend une sorte de circonstance :

«  Etant khalife général des mourides, Serigne Saliou  Mbacké a tranché…. »

Elle permet alors d’isoler autant le terme support que le membre caractérisant pour une mise en relief claire et nette.

 

Quand nous avons deux mots ou groupes de mots qui forment une première apposition, toute autre apposition nécessite une virgule qui permet de l’aligner au même niveau que les autres. Dans ce cas de figure, la virgule est d’autant plus nécessaire que parfois le mot ou le groupe de mots apposé n’a pas de déterminant, ce qui rend impossible son intégration dans l’expansion de la première :

2 « Nous avons conçu une grande mission pour que les interlocuteurs puissent avoir une idée eux-mêmes, explique le Docteur Bristov, directeur exécutif de Rangold Ressources »

(Le soleil du jeudi 22 mai 2003, p.5)

 

Sans la virgule, l’enchaînement serait impossible car elle ne permettrait pas de rendre compte des unités fonctionnelles de la phrase. Seule la pause symbolisée par la virgule permet la délimitation et en même temps la mise en valeur de certains mots.

Il en est de même dans ce troisième exemple où la disjonction est causée par le complément du nom qui est une expansion de l’apposition : « Weder Brême » empêche la juxtaposition des membres de l’apposition.

3 « Le milieu de terrain turc du Weder Brême, Umit Davala, se conforme lui aussi aux préceptes de sa religion »

(Sud quotidien du lundi 3 novembre 200,3 p.7)

 

Dans cet exemple, autant les deux virgules isolent le nom « Umit Davala » en le mettant du coup en relief, autant elles permettent de le réaligner sur le même axe que le sujet du verbe dont il constitue l’apposition.

Enfin, les virgules, quand elles encadrent le syntagme mis en apposition, permettent d’éviter la confusion avec la mise en apostrophe quand le support de l’apposition est un nom propre.

Ainsi, dans ce quatrième exemple, c’est la deuxième virgule qui crée la mise en apposition.

4 « Abdoul Malal, le ministre de l’élevage, est un peul. Ses parents peuls ont voulu s’adresser à lui dans cette langue. En guise de réaction, un député Diola a choisi lui aussi sa langue maternelle. »

(Le populaire du vendredi 5 décembre 2003, p.2)

 

Si cette deuxième virgule était omise, on aurait une mise en apostrophe et l’expressivité recherchée à travers la mise en apposition serait manquée :

« Abdoul Malal, le ministre de l’élevage est un peul ».

 

Dans cette phrase on voit que « Abdoul Malal » est l’interlocuteur alors qu’en réalité il est le thème, celui dont on parle. Il n’a plus le même référent que « le ministre de l’élevage ».

Néanmoins nous notons une interdépendance des virgules pour une syntaxe correcte de la phrase de sorte que l’omission de la première virgule et la présence de la deuxième rendraient l’énoncé agrammatical. Car la virgule provoquerait non plus un alignement du verbe au sujet mais une rupture de la solidarité sujet-verbe, elle sert aussi à restreindre le sens.

5 « Les Turcs devront se passer de plusieurs stars blessées. L’attaquant Hakan Sukur a lui aussi été laissé au repos »

(Sud Quotidien du jeudi 22 mai 2003, p.5)

 

La juxtaposition des deux termes apposés permet de spécifier le terme apposé dans une pluralité. En effet, si on oppose les deux phrases suivantes, on voit nettement la différence.

  1. L’attaquant, Hakan Sukur, a été au repos.
  2. L’attaquant Hakan Sukur a été au repos

 

La phrase (a), à cause de la virgule, restreint le sens du support au seul « Hakan Sukur » ; quant à la phrase (b), elle laisse entendre qu’il y’en a plusieurs.

Nous retiendrons néanmoins que la virgule, même si elle est parfois facultative dans l’apposition demeure incontournable. Et on l’a vu, elle est parfois obligatoire pour donner une précision, lever une ambiguïté, distribuer les groupes fonctionnels et rétablir la solidarité entre certains d’entre eux. Par son caractère isolateur, il détache certains termes dont il fait un foyer qui est éclairé par le reste de la phrase, d’où son effet de mise en relief.

 

II. L’apposition pronominale

Elle peut, comme l’apposition nominale, être postposée ou antéposée

 

II.1.L’apposition pronominale postposée

L’apposition pronominale postposée peut être immédiate, c'est-à-dire juxtaposée au support, tout comme elle peut être disjointe et parfois accompagnée de l’adverbe « aussi ».

 

II.1.1.L’apposition immédiate

Nous parlons d’apposition immédiate là où A. Blinkenberg[14] parle de cohésion par opposition à la disjonction. Nous entendons alors par apposition immédiate apposition par juxtaposition des termes. 

1 « Je ne pourrai jamais oublier la trahison dont j’ai été l’objet (…) ces jeunes filles, elles, ne croient en rien sinon à l’argent »

(Le Matin du jeudi 9 octobre 2003)

2 « Le président Abdoulaye Wade, lui, avait signé l’autorisation d’extrader vers la Mauritanie, le commandant Didi Ould M’hamed, lui aussi, accusé d’avoir participé au putsch manqué contre le régime de Ould Taya »

(Walfadjri du jeudi 31 juillet 2003, p.4)

 

De part et d’autre de ces exemples, nous avons une apposition pronominale (communément appelée emphase) immédiate et par conséquent brutale. La nature pronominale fait qu’elle n’est ni explicative ni informative. Elle est référentielle et intensificatrice car elle n’a pas le temps de rappeler quoi que ce soit à cause de la juxtaposition.

Tous ces facteurs font que l’apposition pronominale immédiate est une véritable mise en relief, une intensification relevant en toute logique de l’emphase. Car du moment qu’elle n’est ni qualifiante ni caractérisante, son seul rôle reste d’apporter un renfort à un terme déjà existant et ayant le même référent que lui.

 

II.1.2. L’apposition disjointe

Nous l’opposons à l’apposition immédiate à cause de son éloignement du terme support lequel éloignement n’entrave pas la coréférence.

1 « D’autres productions sont issues, elles, de faits qui se sont passés en Suède, en Angleterre et en mer adriatique »

(Walfadjri du vendredi 8 août 2003, p.9)

2 « Les lionceaux » ont pris la première place du groupe en direction des éliminatoires des jeux olympiques d’Athènes. Les « Flying Eagles » invaincus jusque-là enregistrent, eux, leur première défaite.

(L’info 7 du lundi 5 janvier 2003, p.8)

La structure appositive est disjointe par un syntagme verbal ou un syntagme adjectival (parfois par un syntagme prépositionnel). Contrairement à l’apposition immédiate, le pronom a ici un effet de rappel et d’actualisation. Il permet de mettre en relief un élément déjà énoncé en ce sens qu’il le rappelle au moment où on va lui attribuer une prédication. Ainsi dans les deux exemples que nous avons choisis, les pronoms apposés sont placés entre les verbes et leurs compléments.

Autrement dit, l’apposition met en relief le sujet qui apparaît sous la forme pronominale au moment même où on va énoncer l’objet ou la cause. Nous avons alors une doublure de sujets dont le second n’a pratiquement pas de fonction grammaticale, il a une fonction expressive et emphatique.

Parfois, elle permet d’éviter la scission de la proposition principale par la subordonnée relative en servant d’antécédent immédiat au pronom relatif ; elle opère en quelque sorte un classement des propositions de la phrase.

 « La connaissance du latin permet de s’ouvrir au monde et aux autres civilisations. Les Américains ne s’y sont pas trompés, eux qui, au lendemain du 11 septembre 2000 se sont rués dans les facultés et instituts où la langue du Coran est enseignée pour mieux comprendre la religion et la pensée musulmane »

(Le soleil du jeudi 22 mai 2003, p.9)

 

Sans le pronom « eux », ou s’il était placé en fin de phrase, tous les syntagmes ou groupes fonctionnels de la proposition principale ne pourraient pas être regroupés dans une seule suite ; il y aurait une scission de la principale et la phrase pourrait prendre la forme suivante :

…Les américains qui au lendemain du 11 septembre 2000 se sont rués dans les facultés et instituts où la langue du Coran est enseignée (…) ne s’y sont pas trompés (eux).

 

Ainsi le pronom personnel peut non seulement réactualiser le sujet en se plaçant devant le pronom relatif, mais il peut faire partie de la subordonnée quand il est précédé d’une pause. Ceci participe à la mise en relief car on a l’impression que le thème principal s’est dédoublé et s’est présenté dans le prédicat. On pourrait alors découper la phrase comme suit :

« Les Américains ne s’y sont pas trompés » : proposition principale.

« eux qui (…) se sont rués dans les facultés » : proposition subordonnée relative.

Le pronom « eux » qui est une anaphore du thème accompagne ainsi le pronom relatif, ce qui le rend plus apparent.

 

II.I.3.L’apposition disjointe renforcée par « aussi »

L’adverbe « aussi » confère quelques spécificités à l’apposition quand il vient renforcer le pronom. Quand le pronom apposé disjoint le complément de son verbe en se plaçant immédiatement après la préposition « pour », l’adverbe « aussi » devient une béquille nécessaire à l’apparition du pronom dans une telle position, un peu comme l’adverbe « même ». Mais contrairement aux autres formes d’emploi que nous verrons dans la suite, l’adverbe « aussi » ne peut pas servir de palliatif à la pause ; l’exemple suivant peut illustrer une telle analyse.

 Il va falloir attendre près de trois heures à l’aéroport avant d’avoir un vol à destination de Perpignan. D’autres confrères foulaient au même moment le sol de Perpignan pour, eux aussi, voir les moteurs de l’avion présidentiel.

(Sud quotidien du mardi 5 août 2003, p.2)

 

En fait l’enchaînement (sans pause), en même temps qu’il occulte la valeur d’insistance de l’anaphorique qui reprend un élément du segment co-textuel antérieur, rendrait floue la délimitation des groupes et des termes fonctionnels de la phrase :

D’autres confrères foulaient (…) le sol de Perpignan pour eux aussi voir les moteurs de l’avion présidentiel.

Par ailleurs, le pronom mis en apposition et accompagné de l’adverbe « aussi » permet de disjoindre le verbe de son auxiliaire, ou toute autre périphrase ayant la même distribution. Mais, à la différence des cas où le pronom est isolé ou précédé d’une préposition - ce  qui fait alors appel à une pause -  l’adverbe « aussi » peut constituer dans ce cas précis, au besoin, un palliatif à cette pause.

1 «  Les partis politiques signataires, à l’exception du front populaire ivoirien du président Gbagbo ont eux aussi dénoncé ces blocages. »

(L’actuel du jeudi 13 novembre 2003, p.5)

* Les partis politiques (…) ont eux Ø   dénoncé ces blocages

2 « Même les partis de la mouvance présidentielle ne peuvent y déroger,  appelés eux aussi à faire valoir la liberté d’opinion consacrée par la constitution de notre pays. »

(Xibaar 12 - 19 septembre 2003, p.4)

* « …Les partis de la mouvance présidentielle ne peuvent y déroger, appelés eux Ø à faire valoir la liberté d’opinion… »

 

A travers ces deux exemples, on voit nettement l’effet de l’adverbe par rapport à la virgule. Dans chacun de ces cas, nous n’avons pas besoin de pause (virgule) ; ni avant le pronom ni avant l’adverbe, ce qui serait inacceptable sans la présence de ce dernier. Néanmoins, on peut trouver des cas d’emplois où, malgré l’adverbe « aussi », le pronom s’emploie comme dans les cas ordinaires. Autrement dit, il ne provoque pas de disjonction entre l’auxiliaire et le verbe. Il aide à mettre en relief le pronom et surtout son référent par le parallélisme et la répétition implicite qu’il provoque.

 Plus au Sud, des soldats du 3e régiment blindé basés dans les villes de Falloudja et Ramadi en plein triangle sunnite ont lancé eux aussi une série d’opérations qui ont permis    de capturer 20 fidèles de Saddam Hussein

(Sud quotidien du lundi 04 août 2003, p.9)

 

On voit bien que, dans un tel exemple, la solidarité entre l’auxiliaire et le participe passé est restée intacte ; seul le complément est séparé du verbe.

 

II.2.l’apposition pronominale antéposée

Nous parlons d’apposition pronominale antéposée quand le pronom précède le nom auquel il est apposé.

1 « Les confrères font passer des éléments sonores que « Der la science » avait complètement oubliés. Histoire de lui rappeler qu’au fait d’inexactitudes décelées dans le livre de Latif Coulibaly, lui Der est victime d’amnésie »

(Le populaire du samedi 16 août 2003, p.2)

2 « La télévision sénégalaise a passé le film d’une « audience présidentielle » accordée au président du MFDC pendant laquelle le secrétaire général du mouvement des forces démocratiques de la Casamance « en otage » a lu un discours dont le contenu et l’idée ne sont ni de lui Diamacoune ni du MFDC proprement dit»

(Sud quotidien du vendredi 30 mai 2003)

 

Avant de traiter la question, il convient d’expliciter et de lever quelques ambiguïtés que peuvent comporter ces deux exemples. L’ambiguïté est que la notion d’antéposition pourrait être discutable si on ne fait pas une lecture fine,  car le terme référentiel au pronom est représenté deux fois dans l’énoncé : avant et après. La question demeure alors de savoir quel est le terme directement représenté par le pronom.

L’ambiguïté est moins grande dans le premier exemple où le premier nom se trouve dans une autre phrase alors que dans le second nous avons une seule et unique phrase. Pour expliciter un tel état de fait et démontrer en même temps l’effet d’emphase, nous chercherons les rapports entre le pronom et le terme qu’il précède.

Dans le premier exemple : « lui Der est victime d’amnésie », le pronom ne peut pas être sujet dans cette forme et dans cette position ; c’est le nom « Der » qui est le sujet du verbe « est ». Le pronom en est une première apparition qui permet une insistance et partant une mise en relief car nous avons une doublure de sujets dont le suivant explicite et éclaircit le premier. Il en est de même du deuxième exemple où nous avons une superposition de compléments :

Un discours dont le contenu et l’idée ne sont ni de lui Diamacoune ni du MFDC

A la différence du sujet, le pronom peut se présenter lui seul comme complément. Ainsi l’apparition du nom « Diamacoune » est liée à des effets de style et non à des besoins syntaxiques. Il permet de déplier et de révéler ce que représente le pronom en le mettant en même temps en relief. Ainsi les appositions que nous avons de part et d’autres de ces deux exemples sont : « lui Der » ; « lui Diamacoune ». Nous avons une détermination du pronom par le nom,  et cette juxtaposition qui est un cas de répétition concourt à une véritable emphase.

 

Conclusion

Au terme de notre analyse, nous nous rendons compte, au-delà de ses structures syntaxiques  diverses, que l’apposition se révèle incontestablement comme un moyen de mise en valeur de certains éléments du discours. A travers le rappel lexical ou pronominal dont elle   procède, elle participe d’une intensification et d’une insistance qui ne sauraient laisser indifférent le lecteur (ou l’auditeur). Un tel état de fait expliquerait qu’elle soit récurrente dans nos communications et dans nos discours quotidiens. 

 

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-MOUNIN Georges. Dictionnaire de la linguistique. Paris : Quadrige / PUF 2006, 4e édition

-NEVEU, Franck.  « L’apposition : Concepts, niveaux, domaines, présentation ». in Langue française, n°1, 2000, pp  3-17.

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-RIEGEL Martin et alii. Grammaire méthodique du français. Paris : Quadrige / PUF 2008, 5e édition

-TAMINE, Joëlle G.   La construction du texte : de la grammaire au style.  Paris : Armand colin, 1998   

-WILMET, Marc. Grammaire critique du français. Bruxelles : De Boeck & Larcier, 2007, 4e édition


* Section de Français, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal.

[1]  « Les nomenclatures officielles des pays francophones ne sont pas d’accord sur ce point. La nomenclature française de 1910 n’admettait comme emplois possibles de l’adjectif qualificatif que les fonctions épithète et attribut.  Pourtant celle de 1950-1960 y ajoute l’apposition. Le  code belge de terminologie grammaticale (1957) ne parle pas d’apposition, mais d’épithète détachée. Le code canadien, lui, considère que l’apposition est unevéritable fonction de l’adjectif». George Galichet (Le Français dans le monde no  3 – 1957)

[2] George Galichet Grammaire structurale du Français moderne Paris-limoges : édition Charles la-Vauzelle, 1967, pp 133-134.

[3] Albert Dauzat (Grammaire raisonnée pp 111) cité par Georges Galichet dans « Le Français dans le monde »  no  3 – 1957 pp 39 - 40

[4] Andreas Blinkenberg L’ordre des mots en Français moderne Levin  & MUNKSGAARD 1933  pp 5-11

[5] G. Galichet op cit p133.

2 J-G Tamine et A Pelliza , La Construction du texte :de la grammaire au style. Paris : Armand Collin, 1998 pp 49.

3 Andreas Blinkenberg op cit p 5.

[8] Titre socio-religieux au Sénégal

[9]  Nom d’un syndicat d’enseignants

[10]  Un journal

[11], 13 J-G Tamine et A Pelliza, op cit.  pp 44 -45.

[12]  Albert Dauzat,  Le génie de la langue française.  Paris : Payot,  1943, pp 230 - 231

[13] Andreas Blinkenberg op cit  P 5

[14] A. Blinkenberg op cit p 5 - 8

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Résumé

Le rationalisme des Lumières semble avoir intégré la prévoyance parmi les valeurs du siècle, surtout dans la mesure où, exploitée à bon escient, elle favorise une issue heureuse ou prémunit le sujet, éventuellement, contre les suites malheureuses de ses faits et gestes. Dans cet article nous entendons démontrer comment la maîtrise de soi est en jeu dans la pensée philosophique de Prévost, Voltaire, Laclos et Rousseau. Alors que les deux premiers s’accordent sur le rôle d’une sagesse pratique dans la prévoyance, aboutissant à une vie réglée, les deux derniers estiment qu’une réflexion et un raisonnement profonds sont les ingrédients de cette prévoyance quand on cherche à mener une vie sans désordres et sans remords. A ces stratégies de prévoyance propices à la droiture et au bonheur de l’individu s’ajoute, chez Prévost, la vertu comme arme à déployer en situation, en cas d’échec en amont d’une sagesse accablée par les flammes de la passion. Le rôle des forces de l’esprit, à travers le raisonnement contre les faiblesses de la chair, revient chez Rousseau, pour qui la prévoyance consiste à pousser davantage la pensée jusqu’à se résoudre et d’agir de façon à garantir la sérénité de l’être humain dans son intégralité, même devant la mort.

 

1. Introduction

La vaticination ou la prédiction, qui se fait par voie de conjecture, de raisonnement ou d’intuition, entre autres, et qui prétend affirmer la réalisation d’une probabilité, est une pratique plus ou moins ésotérique distincte de la simple prévoyance ; quoique les deux soient étroitement liées. La première est une déclaration, alors que la deuxième est une attitude adoptée à la suite d’une telle déclaration, ou suite à la reconnaissance de la réalité incontournable ou hautement probable d’un fait ou d’un événement. La prévoyance en question ici n’est pas non plus cette « manie » condamnée par Rousseau (1969, 307) dans l’Émile; une manie qui porte l’homme à « négliger le présent dont il est sûr », à « se refuser le nécessaire ». Prévoyance négative, voire choquante et malheureuse pour Rousseau: « La prévoyance ! la prévoyance qui nous porte sans cesse au-delà de nous, et souvent nous place où nous n’arriverons point, voilà la véritable source de nos malheurs » (ibid.)

La prévoyance et la prédiction sont donc de tous les temps et de tous les pays. Du temple de Delphes, ville située sur le versant sud du Mont Parnasse, et par la bouche de Pythéas sortaient la volonté des dieux ou des prophéties énigmatiques, interprétées par les prêtres, sur le devenir des individus et même des villes. Par conséquent, « l’oracle a beaucoup influencé la religion, l’économie et la politique grecques » (The World book encyclopedia Vol 5, p. 118). Il prédit, et son client, dans la mesure où il croit à la prédiction, prévoit le résultat de la consultation et grâce à cette prévoyance, prend les dispositions et les précautions qui s’imposent.

Ainsi, aveugle et ignorant par rapport à l’avenir, l’homme recourt parfois à diverses puissances ou pratiques plus ou moins occultes et atroces pour y voir clair et agir en conséquence. Au XVIIIe siècle l’aveuglement, l’ignorance et la curiosité pesaient toujours sur l’esprit de l’homme, à telle enseigne que « l’auto-da-fé », une pratique issue de cet état d’esprit, fut condamné par Voltaire (1960, 149) de façon virulente.

Pour illustrer notre propos, nous nous proposons de nous référer à la littérature africaine du XXe siècle où les mêmes préoccupations se manifestent. C’est ainsi que « Togobala, capitale de tout le Horodougou, entretenait deux oracles : une hyène et un serpent boa » (Kourouma, 1970, 161) : des oracles au même titres que Pythéas qui se prononçait inexorablement sur l’avenir de ses clients, ou les sages de l’université de Coïmbre, présentés par Voltaire, dans Candide, comme l’incarnation des aberrations de l’esprit humain.

Dans cette étude nous entendons aborder le thème de la prévoyance dans la littérature des Lumières surtout dans Manon Lescaut de Prévost, Memnon ou la Sagesse Humaine de Voltaire, Les Liaisons dangereuses de Laclos et Julie ou la Nouvelle Héloïse de Rousseau. Il s’agit d’étudier dans quelle mesure ces auteurs ont écarté toute notion de prédiction non-scientifique et prôné une attitude basée sur trois éléments constitutif du mécanisme d’une prévoyance positive: la sagesse, la réflexion et le raisonnement ; et ce pour le bien-être émotionnel, moral, social, mental et spirituel de l’homme.

Nous démontrons également que ces trois éléments sont respectivement ou ensemble interpellés dans les circonstances d’une passion bouleversante comme chez Des Grieux, de liaisons sociales douteuses entre la perfide Mme La Merteuil et l’innocente Cécile de Volange ou, enfin, de préparation, à la manière de Julie, à cet appel ultime qu’est la mort. Nous ne saurions trop souligner que notre étude aura réuni, à partir de divers ouvrages des Lumières, différentes pièces justificatives de primauté la Prévoyance, à laquelle est associée celle de la Raison, valeur essentielle du siècle des Lumières.

Nous estimons que la nature et la culture, ensemble, font l’homme. Ainsi la force, la faiblesse ou l’équilibre communément qualifiée d’« égalité d’âme» chez un individu, dépend aussi bien de la nature que de la culture. Une nature barbare peut se cultiver et un être cultivé s’abrutir. Cependant, puisque la nature précède la culture, celle-ci existe pour modifier et à la limite déloger un destin indésirable inscrit dans la nature de l’être. Pourtant on estime que la culture est insuffisante dans ce rôle, d’où le recours à des prédictions pour savoir de quel avenir la nature va accoucher. Compte tenu de cette curiosité chez l’homme, par rapport à son avenir, à son destin, Kourouma (1970, 161) écrit : « Les Malinké du Horodougou […] pratiquaient la divination, […] le fétiche prédisait plus loin que le Coran […] le koma dansait dans la place publique pour dévoiler l’avenir»

Cependant, prédiction n’est pas prévoyance. Les outils et les méthodes de l’une et de l’autre sont en contradiction flagrante. Alors que la première recourt à la divination et exploite des moyens superstitieux et occultes, comme le constate Kourouma, la seconde consiste à se fonder sur un constat rationnel de la situation où l’on se trouve, d’en reconnaitre les contours et les indicateurs de base et par conséquent, prévoir, c’est-à-dire, prendre les dispositions les plus avantageuses qui s’imposent.

Même si le poids des circonstances dépasse la force, la vertu et la sagesse déployées par le sujet, celui-ci aura évité le ridicule d’une dance publique pour dévoiler l’avenir et aurait profité plus ou moins des dons de la nature et des fruits de la culture intellectuelle et morale que sont, comme le précise Prévost, la sagesse et la vertu. Confronté par ce qu’il constate comme son destin sous forme d’une passion plus forte que lui, Des Grieux, dans Manon Lescaut, a la lucidité de présenter à son ami Tiberge le bilan de sa misère :

je lui parlai de ma passion avec toute la force qu’elle m’inspirait. Je la lui représentai comme un des coups particuliers du destin qui s’attache à la ruine d’un misérable, et dont il est aussi impossible à la vertu de se défendre qu’il l’a été à la sagesse de les prévoir (Laclos, 1961, 71)

 

 

Le destin est ainsi présenté comme implacable et son acharnement sur son élu, entièrement possédé, semble dépasser l’exorcisme ou le combat que lui livrent d’abord la sagesse et ensuite la vertu, d’après Des Grieux ; ce qui rappelle les propos, dans Les Confessions, d’un Rousseau (1959, 219) habité par un destin-passion : « mes passions m’ont fait vivre et mes passions m’ont tué ».

Chez Des Grieux, la passion est donc l’une des diverses manifestations du destin : elle est donc destin, elle est ontologique, enracinée dans l’être. Mais en tant que destin-passion, cette manifestation de la sensibilité, parfois contraire à l’épanouissement et au succès de l’individu dans la vie, préside à la misère de celui-ci et à son malheur. Dans le cas de Des Grieux, ce destin-passion s’appelle amour et plus précisément amour-passion. La rencontre fortuite de Des Grieux avec Manon est un destin issu d’une rencontre du premier avec la passion. Cependant, cette passion, elle aussi, est issue de la présence du sujet (Des Grieux) dans un lieu donné et à un moment particulier : une concordance entre sujet, temps et lieu qui provoque des flammes d’amour-passion. La rencontre Des Grieux-Manon est une alchimie explosive, d’autant plus que Manon est d’une beauté exceptionnelle et Des Grieux un jeune de nature à être enflammé par une telle beauté :

Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport (39)

 

 

Ainsi, ce n’est pas faute de sagesse que Des Grieux s’est trouvé enflammé. Chez lui, la sagesse, don naturel positive à cultiver (Yennah 2008) et fruit d’une culture familiale ou sociale, s’incline devant le destin-passion. Pour Prévost, la sagesse ne répond pas toujours présente quand on en a le plus besoin, ou bien elle n’est pas toujours capable de prévoir les incidents fâcheux et les malheurs.

Et pourtant, son rôle est de prévoir : prévoir le bien et le mal que comportent l’avenir et surtout nos actions et inactions, nos paroles et silences. Elle est la première arme dans l’arsenal d’un individu appelé à se battre contre toutes les tentations susceptibles d’entraîner des dangers. Au moment où Des Grieux racontait son histoire, il reconnaissait déjà l’échec en amont de sa sagesse, première arme contre le destin ; un destin « dont il est aussi impossible à la vertu de se défendre qu’il l’a été à la sagesse de les prévoir ».

Au moment de l’événement, si la sagesse n’en avait pas prévu les suites fâcheuses pour les éviter, si elle n’a pas su éviter l’événement lui-même, il est toujours trop tard. Des Grieux, dans ces circonstances se rend compte que malgré sa sagesse généralement reconnue et admirée, cette sagesse n’était pas proactive. La défaillance de cette première corde à son arc était une réalité en amont de l’événement. Heureusement, dans la nature des choses, l’homme dispose d’une deuxième corde à son arc de défense : la vertu. Malheureusement, Des Grieux reconnait également que cette deuxième corde qui, au moment de l’événement, aurait pu transformer son arc de défense en arc de triomphe, ne pouvait pas triompher de son destin. Le principe selon lequel la sagesse prévoit les suites avant l’événement, alors que la vertu défend le sujet durant l’événement, a été défaillant chez Des Grieux.

Après l’événement, le discours habituel se réduit toujours à une litanie de si … si … et si …, d’une résonnance positive dans le cas de l’optimisme par système de Pangloss, chez Voltaire (1960, 221). Ce discours s’avère un signe d’échec ou du caractère tardif de toutes les interventions réelles ou possibles dans le cas de Des Grieux, qui se lamente, en se rappelant tardivement les conseils de Tiberge:

si j’eusse alors suivi ses conseils, j’aurais toujours été sage et heureux. Si j’avais, du moins, profité de ses reproches dans le précipice où mes passions m’ont entraîné, j’aurais sauvé quelque chose du naufrage de ma fortune et de ma réputation (p.39)

 

 

Les seules solutions au problème de l’amour-passion, à savoir la sagesse et la vertu, font donc défaut ; car la nature est plus forte que ces fruits de la culture. La nature, c’est en fin de compte l’appétit sexuel en faveur duquel Des Grieux fait une apologie sans réplique. Complètement déchaîné dans sa sensibilité, et perdu à la vertu, l’amant de Manon s’adresse ainsi au clergé de tous pays et de tous les temps:

Prédicateurs, voulez-vous me ramener à la vertu, dites-moi qu’elle est indispensablement nécessaire, mais ne me déguisez pas qu’elle est sévère et pénible. Établissez bien que les délices de l’amour sont passagères, qu’elles sont défendues, […] que, plus elles sont douces et charmantes, plus le Ciel sera magnifique à récompenser un tel sacrifice, mais confessez qu’avec des cœurs tels que nous les avons, elles sont ici-bas nos plus parfaites félicités

 

 

La prémisse selon laquelle « les délices de l’amour … sont ici-bas nos plus parfaites félicités » suppose une forte tendance vers l’atteinte de cette félicité à travers un amour qui pourtant n’est pas toujours sans ennuis ou chagrins. Pour Des Grieux, cependant, le jeu en vaut la chandelle, et il reste à cheval sur lien de cause à effet entre amour et bonheur, contrairement au point de vue de Memnon, pour qui ce même lien se trouve plutôt entre sagesse et bonheur, jusqu’à preuve du contraire.

Dans Memnon ou la Sagesse Humaine, Memnon, ce personnage qui reprend le thème de la naïveté cher à Voltaire (Candide, l’Ingénu), estime que la solution à nos chagrins et à nos malheurs est fort simple. Pour lui, il suffit d’avoir une sagesse assortie de prévoyance, comme il se le disait lui-même, suivant ce beau principe qu’il s’était donné : « Je serai toujours sobre ; j’aurai beau être tenté par la bonne chère, par les vins délicieux, par la séduction de la société ; je n’aurai qu’à me représenter les suites des excès » (Voltaire, 1960, 81).

Ainsi, se représenter d’avance les suites fâcheuses du dérèglement et des désordres dans le comportement, est par excellence un exemple de prévoyance salutaire. Les munitions contre les désordres, au nom de la sagesse, selon Memnon, consistent à être « sans passion », « toujours sobre » avec une petite fortune et des désirs « modérés ». Excellent « petit plan de sagesse » fait par Memnon « dans sa chambre », autrement dit, dans sa tour d’ivoire, afin de dominer ses passions et suivre le droit chemin dans la vie. Il se donne ainsi l’image d’un homme prévenu et sur ses gardes, conscient de ce que « l’homme sage (dit-on), mis sur ses gardes, domine les Astres » (Geofroy Tory, cité par Millet 2010, 375).

Cependant, tant que Memnon n’a pas mis le nez dehors, le plan restait parfait. Mais dès qu’il « mit la tête à la fenêtre », ce même matin, il se trouvait « avant la nuit trompé et volé par une belle dame, s’était enivré, avait joué, avait eu une querelle, s’était fait crever un œil, et avait été à la cour, où l’on s’était moqué de lui » (Voltaire, 1960, 84). Voltaire a donc démontré, par ce conte, qu’être parfaitement sage est un « projet insensé », un « sot projet », car la perfection n’est pas de ce monde. Il nous fait comprendre surtout que la vertu dans un cloître n’en est pas vraiment une, car c’est une vertu facile, à l’abri des épreuves et sans preuves d’aucun triomphe dans les situations les plus critiques. Par contre, la véritable vertu, pour toute personne qui s’en réclame, est celle qui aura traversé les feux d’un baptême qui seul consacre ce nom de « vertu » et dont la trempe résiste à toutes ces tentations sous lesquelles Memnon s’est écroulé.

Seule une telle vertu peut mener au bonheur, ne serait-ce que le bonheur du triomphe, sans oublier celui issu des ennuis qu’on aurait évités. Ainsi, la première règle de sagesse est étroitement liée au bonheur de l’individu comme le précise Memnon : « Pour être très sage, et par conséquent parfaitement heureux, il n’y a qu’à être sans passion». L’apparente logique se trouve affaiblie par ce basculement vers les extrémités du comportement : « être très sage », être « parfaitement heureux », « être sans passion », autrement dit, « impassible comme Dieu même», comme le disait Rousseau (1959, 999) dans ses Rêveries. Car la sensibilité est liée au plaisir et le plaisir au bonheur. Comment donc rester impassible, « sans passion », et en même temps jouir d’un bonheur dont le fondement est cette sensibilité ; sensibilité dont les ramifications se trouvent au niveau du corps, de l’esprit et de l’âme? Par rapport au corps, par exemple, l’argumentaire ne tient pas et se trouve en contradiction avec la conviction de Manon, pour qui la passion d’amour et ses délices sont « ici-bas nos plus parfaites félicités ». Encore une fois la notion de perfection revient, et l’Abbé Prévost, comme Voltaire, démontre que la perfection n’est pas humaine, que ce soit en matière de félicité ou de sagesse.

En effet, l’histoire de Manon est une histoire de sensibilité et d’amour-passion à l’égard desquelles on est appelé à être prévoyant. C’est aussi une histoire de liaisons tissées à un moment où la sympathie et la pitié induisent une perte sagesse, et par conséquent, toute précaution, et précipite le pauvre Memnon dans une liaison dangereuse. Memnon ignorait ce que Rousseau avait trouvé comme une maxime entièrement vraie chez Julie, dans  La Nouvelle Héloïse, (1964, 342) à savoir qu’« il ne faut rien accorder aux sens quand on veut leur refuser quelque chose », quoique cette même maxime s’avère « fausse avec Mme D’Houdetot », maîtresse de Rousseau, d’après Les Confessions (1959, 443). Chez Laclos, Les Liaisons dangereuses semblent reprendre la malheureuse expérience de Memnon, en approfondissant cette notion du danger des liaisons dépourvues de précaution et de prévoyance, ou malgré celles-ci !

Partout dans le monde, les proverbes, qui sont le fruit de réflexions profondes viennent nourrir le fonds de sagesse des individus et de toute une société. Aussi Kourouma (1970, 159) affirme-t-il dans Les Soleils des Indépendances : « Tout ce qui se passait entre Mariam et Salimata était pourtant bien prévisible ; on ne rassemble pas des oiseaux quand on craint le bruit des ailes ». Car, comment peut-on ne pas prévoir la relation tendue entre deux femmes rassemblées sous le toit d’un même mari : l’une « moqueuse comme une mouche » et « féconde comme une souris » (158) alors que l’autre sèche de « stérilité sans remède » (56) et avait « le destin de mourir stérile » (80) ? Les dangers prévisibles d’une telle relation forcée de coépouses étaient manifestes : tentatives de faire tomber les pagnes, des injures toute la journée, une lutte dans les ténèbres, le  couteau, et la volonté de tuer (150-159).

Chez Laclos des questions semblables se posent autour des suites fâcheuses des relations humaines désastreuses, voire dangereuses, en raison des statuts (Cécile Volange et la Marquise de Merteuil) et des caractères incompatibles (Mme la Présidente de Tourvel et Valmont). Les réponses aux questions de Mme Volange sont évidentes :

Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! et quelles peines ne s’éviterait-on point en y réfléchissant davantage ! Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d’un séducteur ? Quelle mère pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu’elle parler à sa fille ? (Laclos, 1961, 395)

 

 

La prévoyance chez Laclos se décline en ces termes complémentaires : songer aux malheurs au lieu de se couvrir le visage avec un voile de naïveté, puis réfléchir davantage à l’éventualité de ces peines et malheurs qui guettent l’homme presqu’à chaque tournant de sa vie. En effet, de nos jours, a-t-on besoin de mener une enquête auprès des prisonniers, des meurtriers, des victimes du SIDA, des jeunes filles accablées d’une grossesse précoce ou des imprudents qui en sont responsables, des chauffards auteurs de boucheries sur les routes du monde entier, et j’en passe, pour établir combien beaucoup ont voulu ramener en arrière les aiguilles de la pendule, afin de se donner l’occasion d’agir autrement, avec sagesse, prévoyance et des réflexions mûres ?

C’est ainsi qu’après les questionnements ci-dessus, Mme de Volange conclut à juste titre : « Mais ces réflexions tardives n’arrivent jamais qu’après l’évènement, […] » (ibid.), à l’occasion d’un sursaut de sagesse. Elle ajoutera à l’intention de son amie Mme De Rosemonde et à nous tous: « j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà insuffisante pour prévenir nos malheurs, l’est encore davantage pour nous en consoler » (ibid.) Ainsi, tout en assignant à la raison la responsabilité de prévenir nos malheurs ou à défaut nous en consoler, Laclos souligne combien elle est souvent faible et défaillante dans les deux cas. Conscient, de cette faiblesse de la raison, l’homme ne devrait-il donc pas travailler constamment, par prévoyance, à la renforcer ?

Si Prévost a démontré qu’il est parfois impossible à la sagesse de tout prévoir, et Voltaire, qu’il est souvent impossible à la sagesse de tout prévenir, Laclos, lui, démontre que la prévoyance est une réflexion toujours tardive, compte tenu des suites fâcheuses d’un évènement avant lequel cette prévoyance faisait défaut. Plus on calcule la disproportion entre la cause et les conséquences, entre le bien dont on jouit et le mal qui s’en suit, plus la prévoyance s’impose et s’avère salutaire. La disproportion est délibérément soulignée par Laclos qui évoque les « malheurs » et les « peines », tous deux au pluriel, et qui correspondent à « une seule liaison dangereuse » (395). Pour renchérir sur cette disproportion entre le seul geste et les « malheurs » conséquents auxquels on n’a pas songé, Laclos estime qu’on serait amené naturellement à frémir, à trembler, ou à fuir (395) en y songeant davantage en amont, et en exerçant une réflexion qui ne saurait être précoce. Cette première vérité mérite d’être ainsi mise en exergue.

Une deuxième vérité sera dégagée à la manière de Rousseau (1964b, III, 33) qui estime, dans la préface du Discours sur l’Origine de l’Inégalité, que « la plus  utile et la moins avancée de toutes les connaissances humaine [lui] paraît être celle de l’homme ». Pour Laclos (1961, 395) « l’une des plus importantes vérités, comme aussi peut-être des plus généralement reconnues, [mais qui] reste étouffée, et sans usage dans le tourbillon de nos mœurs inconséquentes » est que les « réflexions tardives n’arrivent jamais qu’après l’événement ». Malgré la tautologie apparente entre « tardivement » et « après l’événement », ou grâce à elle, on comprend toute la portée de ce manque de prévoyance qui constitue une imprudence aux conséquences mortelles pour Mme la Présidente Tourvel, une dame avec :

Tant de vertus, de qualités louables et d’agréments ; un caractère si doux et si facile ; un mari qu’elle aimait, et dont elle était adorée, une société où elle se plaisait, et dont elle faisait les délices ; de la figure, de la jeunesse, de la fortune ; tant d’avantages réunis ont été perdu par une seule imprudence ! (Laclos 1961, 376)

 

 

On peut soutenir que Mme la Présidente Tourvel est en effet une femme représentative de toutes celles de son sexe et dans la réalité qui sont victimes de l’imprudence du geste, faute de prévoyance des conséquences. Kourama (1970, 20) lui, s’inquiète aussi bien de l’imprudence du geste que de la parole, toujours faute de prévoyance lorsqu’il écrit : « à vouloir tout mener au galop, on enterre les vivants, et la rapidité de la langue nous jette dans de mauvais pas d’où l’agilité des pieds ne peut nous tirer ». Cette sagesse africaine rejoint la sagesse du sang froid de Memnon et le constat de Mme de Volange par rapport à l’impossibilité de revenir en arrière, quelle que soit la vitesse de la course contre le temps. Le tout se trouve consacré chez Descartes (1966, 44) pour qui le jugement hâtif aboutit à l’égarement, à l’aberration, tout comme le manque de réflexion et de prévoyance conduit, selon Rousseau, à la perte de tous les profits qu’elles comportent.

En supposant que la vie soit un voyage partant de la naissance jusqu’à la mort, une certaine préparation s’impose afin d’écarter éventuellement des ennuis et arriver à bon port.  C’est ainsi que Kourouma (151) écrivait à juste titre: « Un voyage s’étudie : on consulte le sorcier ; le marabout ; on cherche le sort du voyage qui se dégage favorable ou maléfique ». Même si cette pratique semble relever de la superstition, même si elle n’est pas tout-à-fait courante, elle correspond à cette nécessité pour l’être humain d’étudier le chemin de sa vie et se résoudre sur la manière de le suivre. Chez Julie, héroïne de La Nouvelle Héloïse, cette étude n’est ni inutile ni superstitieuse : elle est rationnelle. Car, pour elle, il ne convient pas que le chemin de la vie vers la mort soit tracé et marqué uniquement par la sensibilité et l’instinct, mais surtout par un rationalisme pratique et rigoureux. Mourante, elle nous l’affirme à travers ces propos rapportés par son mari, M. De Wolmar :

Oui, me dit-elle tout bas, je parle trop pour une malade, mais non pas pour une mourante, bientôt je ne dirais plus rien. A l’égard des raisonnements, je n’en fais plus, mais j’en ai fait. Je savais en santé qu’il fallait mourir, j’ai souvent réfléchi sur ma dernière maladie ; je profite aujourd’hui de ma prévoyance. Je ne suis plus en état de penser ni de résoudre ; je ne fais que dire ce que j’avais pensé, et pratiquer ce que j’avais résolu (Rousseau, 1964a, 719)

 

 

Alors que Julie nous donne mauvaise conscience par rapport à nos résolutions prises plus ou moins à la légère à l’occasion du nouvel an, sa rigueur morale et son triomphe conséquent nous rappelle ce que Rousseau (1964b, 351) a tenté de faire dans le Contrat Social où il cherchait à savoir si au niveau de la société, ou « l’ordre civil, il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre » permettant de concilier « ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit afin que la justice et l’utilité ne se trouvent point divisées ». De même, Rousseau démontre chez Julie comment, au niveau du particulier, il convient de concilier le geste ou la pratique à la parole ou résolution prise (c’est-à-dire tenir parole), et la parole à la pensée, afin que la personnalité ne soit point divisée. 

Cartésienne convaincue, Julie semble aussi reprendre et vivre la seconde maxime de Descartes (1966, 52) selon laquelle la vérité ou la certitude d’un savoir mérite d’être suivie par une attitude conséquente de fermeté et de résolution dans les actions. D’ailleurs, la prise de position intellectuelle de Julie nous rappelle ce que Barrovecchio (2010, 524) appelle la « gestion raisonnée des affaires de l’âme » surtout à la suite d’une reconnaissance de la certitude ou de l’imminence de la mort. En effet, Julie nous apprend que le savoir ne vaut que s’il est suivi d’action, une action de réflexion et de résolutions pendant qu’il en est temps. Car en cas de maladie, conçue comme une défaillance du corps devenu incapable de supporter ou de retenir une vie qui lui échappe, la force de réflexion et de résolution s’affaiblit et du coup on est peu outillé physiquement et intellectuellement pour faire face aux exigences de la situation. C’est ainsi que Julie conçoit le principe de prévoyance comme la constitution d’un savoir suivi par une action de réflexion qui permet de se résoudre et d’agir en conséquence et à son profit. Car, comme le précise Seck (2012, 75), éminent chercheur africain, « Il y a des moments dans un processus de réflexion, où la convocation de la logique est requise. Enchaînements nécessaires d’énoncés aussi univoques que clairs, la logique impose des évidences»

Pour Julie, cette réflexion, cette logique ou ce raisonnement, correspond à une préparation du voyage de la vie : au autre type de viatique indispensable qui rappelle celui, plus rituel et mystique, qu’évoque Diop (1977, 144-145) contre « les méchants, les hommes au cœur noir » et « les envieux » dans le Monde et dans la Vie. Chez Julie, le raisonnement sur la conduite de la vie et même devant la certitude de la mort vaut une prévoyance ; une prévoyance qui permet de réunir tous les besoins du voyage ; des besoins dont elle profite avec joie tout au long du chemin, et surtout au bout du voyage où, épuisée aux niveaux physique et mental, elle se contente de réaliser ce qu’elle avait prévu en ces circonstances.

Enfin, la prévoyance, chez Julie rappelle le principe qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, qu’il faut prendre les dispositions les plus rationnelles pendant qu’on est disposé à les prendre, face à l’inévitable. Le rationalisme ou le raisonnement de Julie consiste à concevoir l’existence dans ses différentes étapes : naissance, santé, maladie et mort. Cette logique rigoureuse constitue un savoir fondamental permettant d’adopter une conduite intellectuelle et sage au cours de la vie, et de jouir d’une sérénité d’âme au moment de la mort. Se situant à la phase de santé, Julie avait prévu les étapes suivantes de sa vie : la maladie et la mort. Elle avait donc profité de toutes les facultés que cet état de santé lui offrait pour bien y réfléchir. Non seulement elle profite de la vie et de la santé, mais aussi de la maladie même pour prévoir la mort et s’y préparer comme une fin certaine. Cette prévoyance lui est bénéfique, profitable à bien des égards et elle l’affirme avec un ton de grande satisfaction : « je profite de ma prévoyance ». Il s’agit de sa propre initiative dont elle récolte les fruits avec fierté. Car la différence lui semble énorme, entre les conséquences de la prévoyance et celles de la non-prévoyance.

Les mots « regret », « remords », ne reviennent-ils, pas souvent dans le cœur et l’esprit de toute personne coupable, auteur de crime ou de délits, qui auraient un tant soit peu la capacité de réflexion sur le passé et sur ses actes ? Les mêmes mots résonnent éventuellement dans la tête des victimes de certaines maladies transmissibles, contractées parfois faute de prévision et de prévoyance. Toute personne emportée et aveuglée par un excès de zèle ou de passion dans le domaine des actes criminels/blâmables ou de la sexualité, court toujours le risque de ne point anticiper les conséquences déplorables de ses gestes.

A tous ces malheureux, l’Abbé Prévost propose une certaine sagesse pour prévoir les suites, et de la vertu pour s’en défendre sur place. Car l’amour et la sexualité étant des penchants naturels, instinctifs et puissants mais dont les délices sont passagères et parfois troubles, il convient éventuellement de les sacrifier au profit d’une plus grande récompense : une sérénité durable qui, elle aussi, est une félicité. A tous ces malheureux, Voltaire aussi propose la sagesse, mais autrement nuancée : celle moins théorique et plus pratique et donc capable de répondre de façon utile et décisive au défis de la réalité ; celle surtout relative aux tentations de la chaire et des autres appétits naturels que les amusements sociaux favorisent.

A tous ces malheureux, Laclos propose la nécessité de pousser davantage la réflexion et le raisonnement avant de nouer des relations quelconque, et par conséquent de songer aux malheurs éventuels pour mieux les prévenir. A tous ces malheureux, Rousseau propose l’utilité de réfléchir, de se résoudre et d’agir de façon pratique, surtout face à la mort, afin de gérer de manière optimale les affaires du corps et de l’âme. La concordance des voix au 18e siècle en matière de prévoyance constitue, à notre sens, un appel universel et intemporel dans l’intérêt de l’éthique et de la conscience humaine. Enfin, à la lumière de cette philosophie de prévoyance, on se demande dans quelle mesure l’Afrique se prémunit et prévoit son développement humain et économique. Dans ce champ de réflexion suscité la pensée des Lumières, peut-être a-t-elle des enseignements à tirer aussi bien au niveau individuel que collectif.

 

 

Bibliographie

-BARROVECCHIO, Anne-Sophie (2010) « Réfléchir aux champs : Quand les enfants deviennent grands, de La Belle et la Bête à Bélisaire » in Série et Variations. Études littéraires offertes à Sylvain Menant. Presses de l’Universitaire de Paris-Sorbonne.

-DESCARTES, René (1966). Discours de la Méthode. Paris : Garnier Flammarion.

-DIOP, Birago (1977) « Viatique » dans Senghor L.S. Anthologie de la Nouvelle Poésie Nègre et Malgache. Paris : PUF, 4e édition.

-KOUROUMA, Amadou (1970) Le Soleil des Indépendances. Éditions du Seuil.

-LACLOS, Cholderlos de. (1961) Les Liaisons Dangereuses. Paris : Edition Garnier, Garnier Frères.

-MILLET, Olivier. (2010) « La loi burlesque de la mort en série dans les Epitaphia de Amorum Aliquot Passionibus » in Série et Variations. Études littéraires offertes à Sylvain Menant. Presses de l’Universitaire de Paris-Sorbonne.

-PREVOST, l’Abbé. (Ed. 1967) Manon Lescaut. Garnier Flammarion, Paris.

-ROUSSEAU, Jean-Jacques. (1959) Les Confessions in Œuvres Complètes Vol I, Edition Gallimard, Pléiade.

-ROUSSEAU, Jean-Jacques. (1964a) La Nouvelle Héloïse in Œuvres Complètes Vol II, Edition Gallimard, Pléiade.

-ROUSSEAU, Jean-Jacques. (1964b) Du Contrat Social in Œuvres Complètes Vol III, Edition Gallimard, Pléiade.

-ROUSSEAU, Jean-Jacques. (1969) Émile in Œuvres Complètes Vol IV, Edition Gallimard, Pléiade.

-SECK, Papa Abdoulaye (2012). Éloge de la recherche. Dakar : Panafrika, Silex – Nouvelles du Sud.

-VOLTAIRE, Marie Arouet (1960) Romans et Contes, Paris : Garnier Frères.

-YENNAH, R. (2008). « Nature, Nurture and the Mathematics of Culture in the Light of Selected Works of Voltaire and Rousseau », In Legon Journal of Humanities. Vol. XIX, 2008, pp. 77- 107


* University of Ghana, Legon

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Abstract

Owing the absence of Africa in her novelistic fiction, Marie Ndiaye poses a problem of classification. That choice of the writer is perceived by the critics as a refusal to belong to the African community, although her father is Senegalese. By analyzing Trois femmes puissantes (2009), we want to show that a reasoning of that nature has been ineffective since the publication of that novel which sounds like a reply to the critics’objections. Indeed, that work, through its geocultural anchorage and the discursive lines which underlie it, roots Marie Ndiaye in the afro-french family of novelists Abdourahman A. Waberi calls “The children of the post colony.”

Key words: Africa-root-identity-reference-soil

 

Résumé

          En raison de l’absence de l’Afrique dans sa fiction romanesque, Marie Ndiaye pose un problème de classement. Ce choix de l’écrivaine est perçu par la critique comme un refus d’appartenir à la communauté africaine bien que son père soit sénégalais. Nous voulons, en analysant Trois femmes puissantes (2009), montrer qu’un raisonnement de cette nature est inopérant depuis la parution de ce roman qui sonne comme une réponse aux objections des critiques. En effet, cet ouvrage, par son ancrage géoculturel et les axes discursifs qui le sous-tendent, enracine Marie Ndiaye dans la famille des romanciers franco-africains que Abdourahman A. Waberi appelle les « enfants de la postcolonie ».

Mots-clés : Afrique-enracine-identité-référence-terroir

 

Introduction

         

Marie Ndiaye est née en 1967 à Pithiviers, d’un père sénégalais et d’une mère française. Toutefois, son identité littéraire soulève une avalanche de questions de la part des commentateurs. Bernard Mouralis avance que « Marie Ndiaye gêne –ou, franchement, irrite– parce qu’aucun de ses romans ne se réfère explicitement à l’Afrique et à l’origine de l’auteur »[1]. La référence à l’Afrique ou à l’origine de l’auteur est donc saisie comme un critère d’identification. C’est pourquoi il n’est pas aisé de classer cet écrivain dans le champ de la littérature africaine. Cette difficulté qui agace Mouralis n’épargne pas Odile Cazenave qui observe que Marie Ndiaye dérange à cause de son absence d’étiquette[2]. C’est dire que l’identité, parce qu’elle est énigmatique chez cette romancière, relève d’une équation qu’il n’est pas facile de résoudre. A ce propos, Danielle Deltel indique une piste de réflexion intéressante. En effet, elle écrit :

L’arrivée sur la scène d’une jeune romancière franco-sénégalaise dont les référents et les références sont extérieurs à l’Afrique pose un problème de classement : où situer Marie Ndiaye dans le champ des littératures ? La réponse est à chercher dans l’espace du texte[3]

 

 

C’est dire que l’identité d’un écrivain se décline à partir de son écriture. Eugène Tavares  l’a compris, qui pense que « la définition de la nationalité littéraire d’un écrivain doit se faire à partir de son œuvre »[4]. De ce point de vue, Trois femmes puissantes place Marie Ndiaye dans la galaxie des écrivains francophones qui revendiquent moins une identité africaine qu’ils se définissent comme des écrivains universels. Parmi ces indices, nous voulons étudier l’ancrage géoculturel de la fiction et les axes discursifs qui la sous-tendent.

 

1. L’ancrage géoculturel

Avant la parution de Trois femmes puissantes, l’Afrique était absente dans la trajectoire romanesque de Marie Ndiaye. Danielle Deltel défend que « l’espace géographique dans lequel se déroulent ses romans comme l’espace mental des personnages n’a rien d’africain »[5]. Comme pour répondre à des critiques de cette nature, Marie Ndiaye publie Trois femmes puissantes chez Gallimard. Dans cet ouvrage, le Sénégal est en grande partie le théâtre des opérations discursives. Cet espace charrie avec lui le vécu du peuple sénégalais et sa culture. Ce cadre spatial constitue un repère identitaire. C’est dans cette perspective que Cheikh Mouhamadou S. Diop soutient que la dimension spatio-temporelle fait « partie des composantes identitaires » c’est-à-dire « les éléments de la fiction […] qui justifient le rattachement d’un auteur à un espace socioculturel donné »[6] .Une lecture attentive de l’œuvre laisse voir qu’elle est centrée sur la textualisation de plusieurs quartiers de  la capitale sénégalaise.

La fictionnalisation du Sénégal passe par une peinture de certains  quartiers populaires de la ville de Dakar. L’évocation itérative de Colobane lui confère une valeur symbolique. C’est là qu’est née une des femmes puissantes, Fanta, qui deviendra l’épouse de Rudy Descas. Colobane est symptomatique de la malédiction, la misère qui frappe Fanta. Elle reproche à son mari de ne l’avoir  pas aidée « à parachever le malheur d’être née à Colobane » (Marie Ndiaye, p.17). Ce lieu de naissance est vécu comme une condamnation à la misère et à la pauvreté contre lesquelles se bat le personnage. Mais ce destin des natifs de Colobane n’est pas une fatalité. Fanta l’a compris, qui admet que seul le travail est un trésor. Professeur de littérature française, elle a épousé un de ses collègues Rudy Descas, agrégé de lettres classiques. Depuis, « l’ambitieuse Fanta aux chevilles ailées ne volait plus au-dessus de la boue rougeâtre des rues de Colobane » (Marie Ndiaye, p.119). La romancière donne de cette localité une description fragmentaire et refuse le schéma balzacien de tout livrer en bloc. Il promène ainsi son lecteur dans les ruelles de Dakar qui connotent le misérabilisme des populations. A cause de la « boue rougeâtre » caractéristique de ses rues, Colobane est en marge de la modernité. Il respire la saleté et le manque d’hygiène auxquels s’ajoute la promiscuité. C’est dans ce milieu que Rudy a fait la connaissance de Fanta : « Il l’avait vue balayer, longuement et patiemment les deux pièces de l’appartement vétuste, aux murs vert d’eau, qu’elle partageait à Colobane avec un oncle, une tante et plusieurs cousins » (Marie Ndiaye, 2009,  p.121). Le cadre de vie reflète les modestes conditions des habitants qui s’entassent dans un appartement de fortune réservé à une famille infortunée. Cette situation nullement enviable est commune aux quartiers populaires de la capitale sénégalaise, en proie à une forte densité cependant qu’ils sont dépourvus de moyens de survie. C’est pourquoi Fanta était dans l’obligation d’entretenir « un petit étal de cacahuètes en sachets qu’elle dressait chaque jour, fillette, dans une rue de Colobane » (Marie Ndiaye, 2009,  p.123). Colobane est porteur de la demande sociale des populations déshéritées des villes du Sénégal. Des conditions d’hygiène insupportables jusqu’au petit commerce auquel se livre Fanta, à la promiscuité liée à la pauvreté, et donc au chômage des jeunes, tout relève d’une peinture réaliste comme si la romancière faisait un reportage sociologique. La peinture du cadre est l’expression métaphorique des désastreuses conditions de vie des habitants.

La  textualisation de la Médina  où habitent  Khady Demba et son époux ne contredit pas une telle description. Comme Fanta à ses débuts, eux aussi vivent de leur petit commerce pour lutter contre le manque d’emploi et son corollaire, la misère. Marie Ndiaye évoque «la buvette qu’ils tenaient dans une ruelle de la Médina » (Marie Ndiaye, 2009,  p.250). Ce lieu n’est pas décrit, mais il est présenté à travers les activités des personnages. La description cède le pas à la fonction du cadre. L’écrivaine aborde la question de l’emploi à Dakar comme dans les villes africaines en général. Elle montre en même temps les solutions de fortune auxquelles s’accrochent les jeunes sans emploi pour atténuer l’effet dévastateur de la pauvreté. Toutefois, la Médina fait penser à la ville sainte de Médine en Arabie Saoudite. Le prophète Mohamed s’y était réfugié en 622. Aujourd’hui elle est un lieu de pèlerinage. L’évocation de ce quartier renvoie, par une passerelle métonymique, à la forte islamisation du Sénégal.

Un autre quartier populaire de Dakar, Grand Yoff, est intégré dans la fiction de Marie Ndiaye. Le père de Norah soutient que celle-ci y avait vécu (p.77) alors que cette dernière récuse ce propos : «  Allons, gronda-t-elle, je n’ai jamais vécu à Grand Yoff ni nulle part dans ce pays » (Marie Ndiaye, 2009,  p.78). Le propos de Norah fait penser à la situation de Marie Ndiaye qui a effectué son premier voyage au Sénégal à l’âge de vingt-deux ans. Le quartier de Grand Yoff contribue à l’enracinement de la fiction dans la géographicité du Sénégal. Cet enracinement dans le terroir africain trouve aussi sa justification dans l’esthétisation des quartiers résidentiels dakarois. Quand Khady Demba a épousé Rudy Descas, le couple quitte Colobane, quartier des pauvres, pour résider au Plateau. L’occupation du cadre spatial reflète le statut socio-économique des habitants. Si Colobane connote la pauvreté et la misère, le Plateau, à l’inverse, incarne l’aisance et le bien-être des populations. Le narrateur rappelle cette « période radieuse [de la vie de Rudy] où il quittait chaque matin, le cœur innocent, son petit appartement moderne du Plateau » (Marie Ndiaye, 2009,  p.143) pour se rendre au lycée de Mermoz. L’occupation du cadre géographique fait apparaître les disparités sociales, les contrastes de niveaux de vie. Ainsi, « l’appartement moderne du Plateau » qu’occupent Rudy et son épouse est à l’opposé des « deux pièces de l’appartement vétuste, aux murs vert d’eau, que Fanta partageait à Colobane avec un oncle, une tante et plusieurs cousins » (Marie Ndiaye, 2009,  p.121). Au quartier populaire (Colobane) s’est substitué un quartier moderne (Le Plateau), à la famille élastique, une famille nucléaire.

En plus du Plateau, un autre quartier résidentiel, le Point E est évoqué. A ses heures de gloire, le père de Norah y disposait d’une propriété. Mais sa fille n’en « connaissait que l’adresse approximative, le nom du quartier, Point E » (Marie Ndiaye, 2009,  p.73). Si les démunis ont élu domicile dans des quartiers insalubres, les riches choisissent des cadres de vie luxueux comme les Almadies : « La villa de Manille […] est très semblable […] à celles que se faisaient construire dans le quartier des Almadies les riches entrepreneurs » (Marie Ndiaye, 2009,  p.167). Dans la fictionnalisation des cadres résidentiels, la romancière se réfère au quartier  Mermoz. Une des femmes puissantes, Fanta, partie de rien, « s’était hissée jusqu’au lycée Mermoz où elle enseignait la littérature française à des enfants d’entrepreneurs prospères, à des enfants de diplomates ou de militaires gradés » (Marie Ndiaye, 2009,  p.130). Le lycée de Mermoz est un établissement d’élite réservé aux enfants des familles prospères. Il se trouve dans le quartier qui porte le même nom. A travers le quartier Mermoz et le lycée du même nom, le Sénégal et la France rendent hommage à un homme qui s’est illustré par son courage. En effet, Jean Mermoz est

un aviateur français. Pilote de l’aéropostale, il s’illustre en établissant la ligne Buenos Aires-Rio de Janeiro(1928) et en franchissant la Cordillière des Andes(1929), puis il réussit sa première traversée de l’Atlantique sud sans escale, de Saint-Louis du Sénégal à Natal […] Il disparut en mer au large de Dakar, à bord de l’hydravion Croix du Sud [7].

 

Au-delà des quartiers résidentiels de Dakar, Marie Ndiaye intègre dans son œuvre un site touristique, Somone, situé dans la Petite Côte sénégalaise. Ce cadre touristique est le repaire des hommes prospères en mal de distraction. Rudy refuse que Fanta le confonde avec ces fêtards mondains et indignes de confiance : « Il aurait voulu tomber aux pieds de Fanta, lui jurer qu’il n’était pas celui qu’il avait l’air d’être, ce genre de types bronzés et sûrs d’eux qui s’en allaient, le week end, dans leur villa de la Somone » (Marie Ndiaye, 2009,  p.132).

Dans son « atelier d’écriture »[8], Marie Ndiaye s’intéresse aussi à l’univers carcéral. La prison est le lieu réservé aux marginaux. Les détenus, Sony et Abel Descas, sont incarcérés à la prison centrale de Rebeuss pour des motifs identiques. Au premier, on reproche d’avoir étranglé la femme de son père jusqu’à ce que mort s’en suive, au second d’avoir assassiné Salif, son associé africain. Les deux vont en prison pour homicide volontaire. Quand Norah rend visite à son frère en détention, elle découvre que la prison dénature le détenu :

 Elle s’approcha au plus près des mailles poussiéreuses, souillées, afin de voir distinctement cet homme de trente-cinq ans qui était son jeune frère et dont elle reconnaissait derrière la peau abîmée marquée d’eczéma, le beau visage allongé et le regard doux  (Marie Ndiaye, 2009,  p.63).

 

La romancière s’en prend aux mauvaises conditions de détention en Afrique illustrées par « les mailles poussiéreuses », « la peau abîmée marquée d’eczéma ». Le milieu carcéral ensauvage le prisonnier dont le comportement relève de l’anormalité : « [Sony] grattait sauvagement ses trempes, son front blanchi par l’eczéma » (Marie Ndiaye, 2009,  p.64). Horrifiée devant ce spectacle, blessée par la déchéance de son frère, Norah perd ses sens. Pendant que les gardiens ramenaient les prisonniers, elle « agitait la main vers Sony [qui] s’éloignait en traînant les pieds, long, famélique, vêtu d’un pantalon coupé aux genoux et d’un tee shirt sale » (Marie Ndiaye, 2009,  p.65). Ce portrait fragmentaire du prisonnier est révélateur de sa souffrance. La prison est un espace de privation qui déshumanise au lieu de mieux socialiser le prisonnier pour faciliter sa réintégration dans le corps social. En dénonçant les conditions de détention, l’écrivaine invite à revisiter le chapitre des droits de l’homme. Avocate de son frère, Norah s’est rendue à Rebeuss pour avoir sa version des charges qui pèsent sur lui. Sony révèle à sa sœur qu’il n’est pas coupable du meurtre de sa belle-mère. Il accuse à son tour son père d’être responsable du crime.

Comme en atteste la prison de Rebeuss, dans Trois femmes puissantes, l’espace fictionnel renvoie à un espace référentiel, le Sénégal. La représentation du cadre spatial rend transparente la fiction romanesque et enracine l’auteure dans le terroir de son père. Une telle idée est renforcée par l’onomastique. De ce point de vue, le nom de l’écrivaine est édifiant. Odile Cazenave écrit :

L’œuvre de Marie Ndiaye tranche […] avec l’absence de référents à l’Afrique, par une sorte d’anonymat de l’écriture assurée par la couverture des éditions de Minuit, où seul le nom de Marie Ndiaye pourrait être une indication pour l’auteur. Mais une indication de quoi…puisque l’inscription d’une identité africaine ou d’une identification à l’Afrique ne suit pas[9].

 

Trois femmes puissantes brise la pertinence d’un tel propos. Par le truchement de sa fiction, apparaît l’identité sénégalaise de l’auteur. Le patronyme Ndiaye, comme semble l’occulter Odile Cazenave, est bien un critère d’identification, car il rattache Marie Ndiaye à sa famille sénégalaise et à son ancêtre mythique Ndiadiane Ndiaye, fondateur de l’empire du Djolof. Au Sénégal comme en Afrique en général,  le nom décline l’identité et définit l’appartenance à une famille, une ethnie, un mythe fondateur. Danielle Deltel a bien compris que « si le prénom [Marie] vient de l’Occident chrétien, [il est cependant moins] significatif que le patronyme [Ndiaye qui] pèse de tout son poids africain dans l’attelage »[10]. Marie Ndiaye est très consciente que le nom est « une composante identitaire » irrécusable. Au sujet de son origine africaine, elle souligne qu’on la « sait à cause de [son] nom et de la couleur de [sa] peau »[11] . Les noms de ses personnages confortent cette thèse. C’est le cas des trois femmes puissantes Norah, Fanta et khady Demba.

Norah, à l’image de Marie Ndiaye, est la métisse née d’un père sénégalais et d’une mère française. Elle est convoquée au Sénégal pour un motif qu’elle ignore lorsqu’elle quitte la France. Elle est donc celle qui vient du nord (la France) pour se rendre au sud (le Sénégal). Quant à Khady Demba, ce nom résulte d’une construction asyndétique, Khady Demba pouvant signifier Khady, fille de Demba. Ces composantes patronymiques sont très récurrentes au Sénégal.  Les noms des autres personnages Masseck, chauffeur chez le père de Norah, Djibril, l’enfant de Fanta, assimilable à l’ange Djibril, Lamine qui finit par sacrifier Khady Demba sous l’autel de l’émigration, Bintou Thiam, ont une forte résonnance sénégalaise. Ils apparentent le roman de Marie Ndiaye à « une représentation identitaire »[12]. Cette coloration locale apparaît aussi à travers l’évocation du journal Le Soleil. Le  Soleil est, au Sénégal, le titre métaphorique de l’organe d’Etat censé apporter la lumière sur les événements.

   Il se dégage alors, au regard des réalités géoculturelles telles qu’elles figurent dans Trois femmes puissantes, que Marie Ndiaye a « retrouvé le chemin du baobab »[13] majestueux, l’Afrique. Le choix du cadre géoculturel, des personnages qui meublent  cet espace, peut  être compris comme une volonté de l’auteure de reconnaître la part africaine de son identité. Il en est de même des axes discursifs de son roman.

 

2. Les axes discursifs

Le thème de l’immigration est au cœur des récits de « la nouvelle génération de romanciers africains à Paris » dont « les œuvres découvrent un intérêt pour ce qui est déplacement, migration »[14]. En cela, ils renouvellent le discours littéraire africain tout en posant la question de leur identité, expatriés qu’ils sont en France dont « ils possèdent le passeport »[15]. Sans renoncer à leur origine africaine, « ces enfants de la postcolonie »[16] revendiquent leur appartenance à la nation et à la culture françaises. Selon Abdourahman Waberi, le chef de file de ce groupe, on pourrait les appeler « franco quelque chose »[17]. Marie Ndiaye se retrouvant dans cette intersection entre le Sénégal et la France est alors une romancière franco-sénégalaise. La problématique identitaire que soulève son œuvre la rapproche davantage  de cette génération. Comme Fatou Diome (Le ventre de l’atlantique, Celles qui attendent), Abdourahman A. Waberi (Aux Etats-Unis d’Afrique), Alain Mabanckou (Bleu-Blanc-Rouge), Marie Ndiaye analyse la question de l’immigration en mettant l’accent sur les causes. Pour Lamine et Fanta, l’immigration est subordonnée à la recherche du travail en Europe qu’il faut rejoindre à tout prix : « Il lui était indifférent de mourir s’il fallait même envisager de payer de ce prix la poursuite d’un tel but, mais vivre comme il avait vécu jusqu’à présent, il ne le voulait plus » (Marie Ndiaye, 2009,  p.289). Le cas de Lamine n’est pas atypique. Il est représentatif de toute une génération de jeunes Sénégalais dont seul le départ est la solution au manque d’emploi. Les raisons économiques sont le fondement de cette attraction que l’Europe exerce sur les Africains. Leur devise « Barcelone ou Barsakh » se lit dans Celles qui attendent de Fatou Diome : « Les kamikaze qui affrontaient la pauvreté clamaient fermement Barcelone ou Barsakh, Barcelone ou la mort »[18]. Lamine n’a pas rendu l’âme, mais il a frôlé la mort. Marie Ndiaye insiste sur les péripéties du chemin de croix caractéristique de l’émigration. Arrivés à un poste de contrôle, les immigrants subissent les tortures des militaires. Ce fut le tour de Lamine :

L’homme avait pris les billets du bout des doigts, avec mépris il les avait jetés à terre, il avait lancé un ordre et un soldat avait frappé Lamine dans le ventre. Plié en deux, le garçon était tombé à genoux, sans un mot, sans un geignement. Le soldat avait sorti un couteau, soulevé l’un des pieds de Lamine et d’un coup avait fendu la semelle du garçon (Marie Ndiaye, 2009,  p.298).

 

Pourtant, en dépit de cet épisode insupportable, Lamine et Khady Demba, chacun boitant à sa manière, continuent leur voyage risqué. « Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu’ils étaient échoués dans cette ville du désert, non pas celle où le soldat avait entaillé la plante des pieds de Lamine mais une autre, plus  éloignée de leur point de départ » (Marie Ndiaye, 2009,  p.299). Dans cette ville les candidats à l’immigration plongent dans l’errance et la privation. Sans abri, ils sont recueillis dans une gargote où une proxénète oblige Khady à se prostituer en attendant que soit possible la traversée des grillages séparant l’Afrique de l’Europe. Dans un effort de Sisyphe, ils tentent quotidiennement de surmonter cette épreuve. Le narrateur évoque d’autres migrants qui «  essayaient depuis des années de passer en Europe où l’homme avait réussi à vivre quelque temps autrefois avant d’être expulsé » (Marie Ndiaye, 2009,  p.312). La romancière analyse la question de l’expulsion des sans-papiers. Leur refoulement s’explique officiellement par leur statut de clandestins. A la différence de ces infortunés, Lamine a réussi à arriver en France où il a trouvé du travail :

Chaque fois qu’on donnait de l’argent à Lamine en échange de son travail, que ce fut dans l’arrière cuisine du restaurant Au Bec Fin où il lavait la vaisselle le soir, dans l’entrepôt où il déballait les marchandises d’un super marché, sur un chantier, dans le métro, partout où il allait pour louer ses bras, chaque fois il pensait à la fille, il l’implorait muettement de lui pardonner et de ne pas le poursuivre d’exécration ou de songes empoisonnés (Marie Ndiaye, 2009, pp.316-317).

 

En effet, Lamine avait volé les économies de Khady pour se rendre en Europe. Son  emploi du temps signale que son travail n’est pas de tout repos. Marie Ndiaye lève un coin du voile de la vie cachée des immigrés africains en Europe. Toute besogne susceptible de rapporter quelques euros est acceptée. Pire, leur condition d’hébergement témoigne de leur misère. L’espace de travail comme l’espace social de l’immigré n’est en rien enviable. Lamine « partage sa [chambre] avec d’autres » (Marie Ndiaye, 2009, p.317).

Ce témoignage de Marie Ndiaye sur l’immigration africaine en France, en plus de la confondre avec les romanciers africains des années 90, la place dans la famille des enfants de la postcolonie dont elle est très proche aussi par son âge. D’ailleurs la famille est un thème itératif dans la trajectoire romanesque de Marie Ndiaye. Son troisième roman En famille (1991) aborde « la question de son identité. Le récit décrit les difficultés et le vain effort de l’héroïne de se faire accepter par sa famille, alors qu’elle est rejetée de par les circonstances autour de sa naissance »[19]. Ce schéma discursif revient dans Trois femmes puissantes où « Marie Ndiaye transpose sa propre situation biographique »[20]. Après la mort de son mari, Khady Demba est abandonnée à elle-même. Sa belle-famille lui inflige quotidiennement les affres de l’humiliation. Elle souffre de  « leur parole sarcastique sur la nullité, l’absurdité de son existence de veuve sans biens ni enfants » (Marie Ndiaye, 2009,  p.252). Stoïquement, Khady essaie de supporter sa souffrance jusqu’au jour où sera prise la décision de l’expulser. Elle est condamnée à l’errance : « Quand ses [beaux-parents] annoncèrent à Khady qu’elle allait partir, ils n’attendaient d’elle aucune réponse puisque ce n’était pas une question qu’ils lui posaient mais un ordre qu’ils lui donnaient » (Marie Ndiaye, 2009,  p.256). Chez Marie Ndiaye, la situation familiale est toujours conflictuelle. On assiste à une entreprise de déconstruction du modèle familial. Les liens entre les membres d’une même famille relèvent d’un rapport de force. Les relations père / fils, époux/ épouse, reposent sur une problématique définitionnelle. Sony avoue qu’il « était d’une certaine manière irrévocable, marié à la femme de son père et les enfants de [son] père étaient les [siens] » (Marie Ndiaye, 2009,  p.90). La cellule familiale est minée par les rivalités entre les pères et leurs fils. Sony, en se « mariant » avec la femme de son père dont il aura des jumelles rappelle l’histoire d’Œdipe qui a tué son père puis a épousé sa mère dont il aura quatre enfants. La figure du père chez Marie Ndiaye n’est pas sublimée. Le père est un monstre redoutable qui mérite d’être tué par son fils. Cette voie n’est pas nouvelle dans le roman africain. Le père colonial comme le père de la nation ont souvent fait l’objet d’une représentation caricaturale.

Marie Ndiaye fait du père biologique un tyran haï par sa famille. Le père de Sony était « implacable, terrible » (Marie Ndiaye, 2009,  p.50), celui de Djibril avait des « intentions meurtrières nettement et fanatiquement établies en son cœur » (Marie Ndiaye, 2009,  p.213). On comprend alors que les pères suscitent l’animosité. Norah éprouve pour son père « une onde de rage très violente » (Marie Ndiaye, 2009,  p.65), Djibril, le fils de Rudy non plus n’est pas tendre avec son père : «  Il ne l’aimait pas, même si en son jeune cœur, il l’ignorait et il n’aimait pas sa maison, la maison de son père » (Marie Ndiaye, 2009,  p.126). Plusieurs griefs sont retenus contre les pères. Norah se demande quand son père « allait se calmer et devenir un père de famille correct » (p.95). Ce père de famille incorrect est considéré par ses enfants comme un obsédé sexuel. Norah le place au banc des accusés :

Leur père n’était-il pas coupable, qui avait l’habitude de remplacer une femme par une autre, de faire vivre près de son corps vieillissant, de son âme altérée, une épouse trop jeune, et d’une certaine manière ou d’une autre, achetée (Marie Ndiaye, 2009,  p.71)

 

Norah ne comprend pas qu’il se soit remarié après avoir abandonné lâchement leur mère. Au fond, chez Marie Ndiaye, le mariage est vécu comme un piège. Les couples échouent toujours à cause de la mauvaise foi des hommes. Le père de Norah trahit sa mère, et, est accusé par son fils d’avoir assassiné sa dernière épouse. Rudy Descas chassé du lycée Mermoz entraine l’échec de Fanta qu’il emporte en France. Quant à la nature de la relation entre Norah et Jakob, elle est difficile à cerner. Tantôt le narrateur parle de « l’homme avec lequel elle vivait » (Marie Ndiaye, 2009,  p.30), tantôt il évoque « un homme que rien ne l’avait obligé à introduire chez elle » (Marie Ndiaye, 2009,  p.31), tantôt il qualifie la relation d’une « cohabitation » (Marie Ndiaye, 2009,  p.40). Par  contre, il est sûr que Jakob est un parasite social qui perturbe la quiétude familiale et renverse les valeurs que Norah avait inculquées à sa fille Lucie : « L’idée l’oppressait que les valeurs de discipline, de frugalité, d’altière morale qu’il lui semblait avoir réunies dans son petit appartement […] soient dévastées [par Jakob] » (Marie Ndiaye, 2009,  p.31). La romancière confirme le propos de Martine Segalen qui soutient que

le discours sur la famille [est assimilable] à un discours sur la crise de la famille […] Il s’organise autour de deux pôles : tantôt la société est malade de sa famille qu’il convient d’aider à se réformer, tantôt la crise est interne à la famille et menace ses membres[21]

 

Jakob représente une véritable menace contre la famille de Norah. A cause de lui, « elle n’avait plus l’espoir d’une vie de famille ordonnée, sobre, harmonieuse » (Marie Ndiaye, 2009,  p.31). Le regard pointu de Marie Ndiaye sur la crise de la famille dans les sociétés modernes confère à son roman des accents sociologiques. Elle reprend d’ailleurs le lexique des sociologues comme « famille harmonieusement composée » (Marie Ndiaye, 2009, p.55), « nombreuse parentèle » (Marie Ndiaye, 2009p.53). Les réflexions sociologiques impactent sur l’œuvre et l’éclairent de leur lumière. C’est dans ce cadre que la romancière questionne d’ailleurs la sexualité en tant qu’elle « constitue aujourd’hui, [en littérature africaine], l’un des thèmes dominants de la plupart des textes majeurs de ces dernières années »[22]. La sexualité est vécue surtout comme une parade contre la pauvreté. La mère de Norah recourt à la prostitution pour assurer sa survie et celle de ses enfants abandonnés par un père qui est rentré au Sénégal.

Elle quitta le salon où elle peinait depuis une vingtaine d’années et se mit à sortir le soir et bien qu’alors ni Norah ni sa sœur n’en eussent jamais le soupçon elles comprirent des années plus tard que leur mère avait dû travailler comme prostituée (Marie Ndiaye, 2009,  p.54).

 

En somme, en se focalisant sur la lancinante question de l’immigration et le lot de souffrances des immigrés et des candidats à l’immigration, en revisitant les conditions exécrables de détention au Sénégal, en analysant la déconstruction du modèle familial et la sexualité, Marie Ndiaye aborde des thèmes certes africains, mais aussi de dimension universelle. Si l’absence de références et de référents africains est, pour la critique, un critère d’exclusion  de Marie Ndiaye du champ de la littérature africaine, l’inscription de l’Afrique dans Trois femmes puissantes serait une façon de témoigner de l’identité sénégalaise de l’écrivaine. En vérité, au-delà de  son origine africaine, Marie Ndiaye revendique sa véritable identité d’écrivain, celle qu’Henri Lopes appelle mon « identité internationale »[23] qui lie la romancière à la famille des écrivains universels. C’est en cela qu’elle rejoint ceux que Waberi baptise « les enfants de la postcolonie »[24] , une génération d’écrivains liés à l’Afrique par leur origine, mais dont la vocation est moins de vanter leur identité africaine que de se définir comme des romanciers universels.

 

Conclusion

          En définitive, Trois femmes Puissantes de Marie Ndiaye est une réponse idéologique aux déclarations fracassantes des critiques quant à l’identité africaine de l’auteure. En effet, pour l’essentiel, leur argumentaire est bâti sur l’absence de références à l’Afrique dont la conséquence serait le rejet de l’identité africaine par Marie Ndiaye. Une telle hypothèse voudrait se justifier par le choix des Editions de Minuit qui ne publient pas les œuvres littéraires africaines. Marie Ndiaye a choisi, avec Trois femmes Puissantes, de rendre un tel raisonnement inopérant et impertinent. Pour ce faire, elle inscrit son roman dans la géographicité du Sénégal. La désignation et la présentation  des lieux, les noms et les activités des personnages, les rêves et les aspirations des hommes, enracinent la fiction de Marie Ndiaye dans le terroir de son père. Or, ce terroir est à la fois un cadre physique, humain et culturel qui ancre le roman dans le champ de la littérature africaine et place son auteure dans la génération des enfants de la postcolonie. D’ailleurs, la problématique identitaire qu’elle soulève, la place importante de l’immigration et son cortège de souffrances, de même que son âge, la rapprochent de la génération des écrivains de la « migritude ». Comme ces auteurs, Marie Ndiaye, par-delà l’appartenance à la littérature africaine, intègre la république mondiale des lettres et entre de plains-pieds dans la littérature universelle. Le Prix Goncourt (2009) qu’elle a remporté avec Trois femmes puissantes est une belle illustration de sa consécration et de son audience internationale. Elle se préoccupe, comme la bande à Waberi, à conquérir le monde et à dépasser le classement identitaire de l’exégèse.  

   

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[1]Bernard Mouralis. « Marie Ndiaye ou la recherche de l’essentiel ». Paris : Notre Librairie, n°118, 1994, p.108.

[2] Odile Cazenave. Afrique sur Seine : une nouvelle génération de romanciers africains à Paris : Paris : L’Harmattan, 2003, p.224.

[3] Danielle Deltel. «Marie Ndiaye : l’ambition de l’universel ». Paris : Notre Librairie, n°118, 1994, p.110. 

[4] Eugène Tavares. Littérature Lusophone des Archipels Atlantiques. Paris : L’Harmattan, 2009, p.110.

[5] Danielle Deltel, op. cit. ., p..111.

[6]Cheikh Mouhamadou S. Diop. Fondements identitaires et représentations. Paris : L’Harmattan, 2009, p.114.

[7]Dictionnaire Le Petit Larousse. Paris : VUEF, 2001, p.156.

[8] Alioune B. Diané. « Préface ». Henri Lopes et Sony Labou Tansi, immersion culturelle et écriture romanesque. Paris : L’Harmattan, 2011, p.12.

[9] Odile Cazenave, op. cit.  p.224.

[10] Danielle Deltel, op. cit., p.111.

[11]http://fr.wikipedia.org/wiki Marie Ndiaye(page consultée le 18-04-2011).

[12] Cheikh M.S.Diop. «  La donne anthropo-historique dans Peuls de Tierno Monénembo ». French Studies in Southern  Africa, n°42, 2012, p.4.

[13] Ibid.

[14] Odile Cazenave, op. cit., p.8.

[15]Jacques Chevrier. « Afrique(s)-sur-Seine : autour de la notion de migritude ». Paris : Notre Librairie, n°155-156, 2004, p.97.

[16]Abdourahman Waberi. « Les enfants de la postcolonie :Esquisse pour une nouvelle génération d’écrivains francophones d’Afrique noire ». Paris : Notre Librairie, n°135, 1998, p.8.

[17]Ibid., p.12.

[18]Fatou Diome. Celles qui attendent .Paris : Flammarion, 2010,  p.117.

[19] Odile Cazenave, op. cit., p.75.

[20] Danielle Deltel, op. cit., p.112.

[21] Martine Segalen. Sociologie de la famille. Paris : Armand Colin, 1981.

[22] Jacques Chevrier. « Pouvoir, sexualité et subversion dans les littératures du Sud ». Paris : Notre Librairie, n°155, 2003, p.88.

[23] Henri Lopes. Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois. Paris : Gallimard, 2003, p.15.

[24]  Abdourahman A.Waberi. « Les enfants de la postcolonie : Esquisse pour une nouvelle génération d’écrivains d’Afrique noire ». Paris : Notre Librairie, n°135, 1998, p.8.

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