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Introduction

          Cette  étude s’inscrit dans le cadre de la relation entre langue et style en sociolinguistique  et vise à démontrer comment on peut arriver à rendre la réalité sociale par des moyens techniques de la langue, prenant en compte beaucoup de facteurs pour atteindre son objectif, cause de la variation linguistique.

   Elle est basée sur The Beautyful Ones Are Not Yet Born (1968), de l’écrivain Ghanéen Ayi Kwei Armah. La réalité dont il est question est l’Afrique symbolisée par le Ghana à un certain moment de son histoire, qui représente la société Africaine.

   Le choix d’un tel thème s’explique par le fait que nous soyons concernés par le vécu quotidien de notre société qui a subi beaucoup de soubresauts qui se manifestent de plusieurs façons et sur tous les plans.

      Quant à l’écrivain Ayi kwei Armah, il fait partie des plus grands auteurs africains par son talent, ses œuvres et par ses idées prônées. Il s’est employé, dans plusieurs de ses écrits, à montrer du doigt les grands maux de la Société Africaine.

      La technique utilisée dans la relation des faits de la société fait son originalité. Pour ce qui est de l’œuvre, le choix résulte du fait qu’elle ne peut laisser le lecteur indifférent par le langage utilisé.

      Notre objectif est de démontrer comment il est parvenu, par le langage utilisé, à rendre son œuvre réelle.

      Pour ce faire, nous allons dans un premier temps, donner une approche des termes «style» et «registre» par rapport au concept langage, ensuite, nous allons placer l’œuvre dans le contexte de la réalité, avant de présenter le locuteur (l’auteur) et son interlocuteur (celui à qui il s’adresse) tout en nous focalisant sur le vocabulaire employé pour se faire comprendre.

 

 

I-Langue et style

Comme pour la linguistique, les théoriciens ne s’accordent pas sur la définition du style et du registre, ce qui en fait un domaine controversé.  Chaque linguiste en a sa conception, William Labov[1] le définit ainsi:

Par style, nous entendons d'inclure l'une des [………..] formes linguistiques utilisées par le locuteur, qui peut être associée à un  ensemble de sujets, de participants, de contexte social

 

 

Pour d’autres comme Wolfram & Schilling-Estes[2]  c’est  « la Variation dans le discours des orateurs  individuels ». Quant à Allan Bell,[3] c’est « la plage de variation dans le discours d'un locuteur individuel».

 

 

I.1 Le Style

Le style est souvent défini comme la façon de marcher, de s’habiller, de parler, d’écrire, bref, de se comporter propre à un individu ou à un groupe. En sociolinguistique, puisque c’est de ce type d’étude qu’il s’agit, il se rapporte à la façon dont l’individu use de la langue dans sa diversité pour faire passer son message ; la façon dont l’individu montre son identité et tisse des relations à travers le choix de son langage.

C’est une large gamme de stratégies utilisées par le locuteur pour affirmer son identité et ses réalités sociales.

Le style intervient dans trois domaines principalement: choix du vocabulaire, de la structure grammaticale et la prononciation. Il peut englober le registre, mais contrairement à ce que les moins avertis croient, il est différent de ce dernier.

 

 

I.2 Le Registre

Le registre se rapporte au type de langage employé dans un discours, et est défini par rapport au contexte, au locuteur à un groupe partageant  beaucoup de choses en comment, comme le lieu de travail, les mêmes idéaux, les mêmes origines, etc.

C’est ainsi que les linguistes le définissent comme « la variante d’une langue utilisée pour un objectif ou un contexte social bien particulier ». A l’image des autres types de variations linguistiques, il existe un large éventail de registres, prenant en compte les réalités sociales, les préoccupations, les objectifs de tout un chacun.[4]

Bien que le registre impose quelques fois le choix de la structure grammaticale à employer, il est différent du style car affectant principalement le lexique.

 

 

II-L’œuvre dans le contexte de la réalité

II.1 L’œuvre

Le roman que nous allons analyser reflète un aspect de l’évolution de la société africaine symbolisée par le Ghana, fief de l’auteur ; roman dont le thème entre dans le cadre de l’Afrique durant la période post coloniale. Il est inspiré de la situation de l’Afrique (en général) après le départ des Blancs.

Cette situation est caractérisée par le cynisme, la désillusion, bref beaucoup de vices. Dans le roman, on raconte l’histoire d’une société où la corruption est tellement de mise qu’elle représente une condition sine qua non pour la survie. Elle est l’apanage de tous, des autorités comme des subalternes et rythme la vie quotidienne des individus.

L’histoire est racontée à travers la vie du héros surnommé « Monsieur » qui est un simple employé des chemins de fer ; il lutte pour résister contre les tentations faciles, ce qui le démarque des autres par son attitude, il est incompris et est victime de toutes sortes d’attaques. « Monsieur » évite tant bien que mal la corruption et se contente du peu qu’il gagne contrairement à beaucoup d’autres y compris son ancien camarade de classe Koomson devenu ministre, et qui ne vivent que de la corruption.

Le héros, animé par le souci de résister, est finalement rejeté par ses proches en l’occurrence son épouse et sa belle mère.

Le roman est fondé autour de la psychologie de ce personnage-héros qui refuse de prêter le flanc, par sa vigilance, son intelligence, son entêtement. Il est conditionné par des valeurs internes qui lui sont propres. En refusant de compromettre les principes établis, il représente l’être clairvoyant du groupe, groupe aveuglé par la cupidité et le matérialisme.

 

 

II.2 Le choix du registre d’Armah

Ayi Kwei Armah fait partie des plus grands auteurs africains par son talent, ses œuvres et par ses idées prônées. Il fait partie de la seconde génération d’écrivains après feu Léopold S. Senghor, Aimé Césaire entre autres, et s’est employé dans la plupart de ses écrits à montrer du doigt les grands maux de la Société Africaine.

Le roman reflète l’idéologie de l’auteur qui se cache derrière le héros « Monsieur » représentant ainsi le locuteur, s’adressant au lecteur, faisant fonction d’interlocuteur ; mais, dans quel but ? Celui d’attirer son attention sur les problèmes liés au vécu quotidien de la société.

Armah n’est pas le seul à avoir débattu d’un thème pareil, à côté de lui, il y a’ entre autres auteurs, Chinua Achebe, Wole Soyinka…. Cependant, il ya quelque chose qui fait son originalité, c’est la technique utilisée dans la relation des faits traduisant son langage lié à sa personne, son destinataire et son intention. Nous allons donc démontrer comment ce langage fait de son œuvre un prototype de la réalité.

 

 

-The Beautyful Ones Are Not Yet Born (L’Âge D’or N’est Pas Pour Demain)

Littéralement, « les magnifiques ne sont pas encore nés ». Commençons par le titre, avec le « y » de « Beautyful », et le choix du terme (magnifique) qui est ironique, l’idée que rien ne va est renforcée. « Ones » également est symbolique car il implique autrui, un peuple bien défini, mais est significatif car le mot « people » (peuple) aurait pu être choisi. Avec le titre, le lecteur curieux ferait tout pour savoir ce qui se cache derrière la couverture, pour savoir ce que Armah veut dire ou a l’intention de montrer en choisissant « y » au lieu de « i » qui est l’orthographe correcte ; et en omettant à dessein le mot « people » en guise de mépris, voire de dégoût                                                                  

L’histoire est racontée à travers le héros du nom de « Monsieur ». Si Armah décide de le laisser anonyme, ce n’est pas par hasard, c’est pour montrer son attitude par rapport au groupe et pourtant, c’est un homme comme tous les autres, représentant le commun des mortels, un simple employé des chemins de fer. Ce qui le différencie du groupe, c’est uniquement son comportement honnête dans un environnement où la vie est rythmée par la corruption. Cela montre une fois de plus le manque de considération, le mépris porté à l’égard de cet homme à qui l’on pourrait attribuer un nom propre.

Par le biais de cet homme, on vit les scènes, ce qui nous met en plein dans les évènements. Rien n’est plus réel qu’une telle description. Cette description est renforcée par l’utilisation des mots qui traduisent l’état des lieux comme: « vague, confused, indistinct ». Aussi, la relation de la scène de l’autobus nous permet de deviner l’état de la société: « The light from the bus moved uncertainly down the road until finally the two vague circles caught some indistinct object on the side of the road where it curved out in front ».[5][«La lumière émanant du bus balaya la route d’une manière incertaine faisant deux cercles vagues sur un objet incertain pour former une courbe au bord de la route ».]

Le caractère vague, confus, indistinct… se reflète même sur les objets, cela signifie que rien ne va dans ce pays, c’est un symbole. Il ya aussi celui des allumettes qui refusent de prendre: « The driver…took a crumpled packet of tuskers, lit a match, the head refused to catch however »[6]. Les termes employés sont significatifs et rendent bien l’idée de l’auteur, « chiffonné, refuser de prendre »

[« Le conducteur…sortit un paquet de cigarettes chiffonné, alluma un brin d’allumettes qui refusa de prendre ».]

En introduisant ces symboles, Armah veut insister sur le caractère sombre, indécis de l’avenir. Le brin d’allumette sent la situation désastreuse dont elle est victime, même les objets sont à l’image de leur utilisateur.

L’effet du dégoût participe également à la description avec l’image du mucus (secreté par le conducteur d’un bus) collé aux roues de l’autobus: « The driver …cleared his throat and spat out a generous gob of mucus against the tyre (…) [7]».

[« Le conducteur de l’autobus se racla la gorge et secréta un généreux crachat de mucus contre la roue ».]

Tout cela participe de la volonté de l’auteur de montrer combien l’environnement est si pollué qu’il ne peut y avoir de vie saine, ce qui explique l’attitude d groupe qu’il décrie.

Les scènes sont décrites au détail, en plus de cela, il y’a la couleur locale avec le choix des mots dans cette description détaillée de la vie quotidienne relatant une maman qui suce les narines de son enfant enrhumé pour les décongestionner: « Under a dying lamp, a child is disturbed by a long cough…at the end of it, his mother, calmly puts her mouth to the wet congested nostrils and sucks them free ».[8]

[« Sous une lampe mourante, un enfant est secoué par une toux longue…à la fin, sa maman posa calmement sa bouche contre les narines bouchées humides, les suça pour les décongestionner ».]

Les mots « suck, free » reflètent la réalité à merveille ; car l’auteur pouvait user d’autres termes du genre « bouche à bouche » ; mais cette attitude banale est fréquente chez les femmes africaines.

On a un autre exemple de la dépiction de la réalité sociale, dans la scène où l’on nous parle des voyageurs attendant l’arrivée du bus ; « The waiting people slide toward it, but the conductor walks away and down the road. In a few moments, the waiters can hear the sound of his urine hitting the-clean-your-city can».[9]

[« Les gens qui attendaient s’y hissèrent, mais le conducteur s’éloigna en descendant la rue. Un peu plus tard, ils pouvaient entendre le bruit de ses urines fouetter le bac à ordures ».]

Une attitude bien de mise en Afrique, qui consiste à agir contrairement aux principes établis. Ici, le conducteur, contrairement à ce qui est inscrit sur le panneau, agit à sa guise. Encore une fois, le choix des termes est explicite, « clean-your-city can », (poubelle pour maintenir votre ville propre) pouvait être rendu par  simplement « rubbish/dust bin » (poubelle).

« the sound hitting », (bruit fouetter) est bien significatif, imaginons un peu la scène, un bruit (d’urines) aussi fort qu’il fouette un objet, et cet objet c’est quoi, là où l’on doit mettre ce qui salit.

Non seulement les termes jouent bien leur rôle, mais aussi, il ya l’effet de contradiction entre l’existence de la poubelle et le fait d’uriner à côté, qui cause l’insalubrité et de la poubelle et de l’environnement, un des caractères de notre société décrié par l’auteur.

Beaucoup d’exemples traduisent la réalité: la description du coup d’état militaire colle bien à la situation du Ghana en 1966, marquant la fin du régime de Kwame Nkumah. Il est ainsi décrit: « They say they have seized the power ». « Army and policemen (…) oh, I see, I thought they always had power. Together with Nkrumah and his fat men».[10] Le passage est un commentaire du coup d’état par « Monsieur » et un collègue.

Encore, les mots ne sont pas fortuits, car « the fat men » (les gros hommes) reflète le caractère cupide de ces gens du pouvoir cupidité, qui se manifeste jusqu’à leur constitution physique et que l’auteur pointe du doigt à travers « Monsieur » à qui il s’identifie.

Les mots utilisés sont particuliers et trahissent l’idée, l’intention de l’auteur qui n’hésite pas à user de gros mots si nécessaire: « Moron of a frog, rotten cunt, ire »[11], qui sont des insultes adressées au personnage de « Monsieur » par le taximan. Ce sont des expressions typiques propres au milieu. Le but de cette peinture, avec l’utilisation d’un tel vocable, est de dégoûter le lecteur non pas pour le plaisir de le faire, mais pour lui montrer comment la corruption, rythmait la vie de tous les jours au point de polluer l’atmosphère.

C’est ce qui explique l’utilisation de ces images dans la description du bloc des chemins de fer où travaille « Monsieur »:

Apart from the wood itself, there were, of course, people themselves, just as many hands and fingers bringing help to the wood in its course toward putrefaction ».«Left hand fingers in the careless journey from a hasty anus sliding all the way up the banister as their owners made the return trip from the lavatory downstairs to the offices above. [12]

 

 

On note une condamnation du peuple par Armah. Selon lui, ce peuple est presque inexistant puisque n’usant plus de la morale. A travers le dialogue, il nous montre les acteurs de ce jeu qu’est la corruption, par l’intermédiaire de « Monsieur » qui ne se retrouve pas dans cet univers: « Outside, the night was a dark tunnel so long that out in front and above there never could be any end to it ». Le héros est si troublé car, par son attitude, son intégrité, il est victime de toutes sortes d’attaques.

L’utilisation de l’expression «dark tunnel so……it»  (tunnel illimité)  n’est pas gratuite car elle renvoie aux problèmes  auxquels « Monsieur » est confronté dans sa lutte pour la préservation des principes établis tels que le travail, l’honnêteté, qu’il est le seul à respecter.

A travers le dialogue entre « Monsieur » et un client d’une part et son épouse et sa belle-mère, de l’autre, on note qu’il est dégoûté par la nausée physique transparente, alors que les deux femmes sont des cupides, des corrompues: « Somebody offered me a bribe today » [quelqu’un m’a offert un pot de vins] (c’est « Monsieur » qui parle) et son épouse lui répond: « And like an onwardChristian soldier you refused ?».Elle ne peut concevoir le refus de son mari devant la corruption.

« Onward christian soldier » (soldat chrétien carré), rend bien la déception de la part de la dame qui ne peut concevoir le recul devant une telle opportunité. La belle-mère aussi, s’adressant à son beau-fils lui dit: « My poor husband, (…) you have no shoes to wear, (…) you must know you have nobody, you are an orphan, a complete orphan (…). You mustn’t run around like people who have men behind them to buy shoes… »[13].

[« Mon pauvre mari, (…) tu n’as pas de chaussures, (…) sache que tu n’as personne, tu es comme un orphelin, (…). Tu ne dois pas te comporter comme ce qui courent après les autres pour avoir de quoi acheter des chaussures ».]

Encore, les mots «orphan, shoes » (orphelin, chaussures) sont importants ; la belle-mère qui compare « Monsieur » à un orphelin qui n’a personne pour lui acheter des chaussures. Un prétexte pour montrer combien vivre sans la corruption était impensable.

La différence entre le héros et son ami Teacher et les autres est montrée par l’utilisation d’un vocabulaire spécifique, par exemple quand « Monsieur » rentrait de chez son ami, p3… il était capable de retrouver son chemin malgré malgré l’obscurité, cela explique sa conscience, son esprit d’éveil par rapport au groupe.

Tous les corrompus sont convaincus de la nécessité de la cooruption ; l’exemple le plus frappant est celui du ministre Koomson, avec la fin qui lui a été réservée. Après le coup d’état militaire, il est venu chercher refuge auprès de son ami « Monsieur », il est ainsi décrit:

His mouth has the rich stench of rotten menstrual blood.  The man held his breath until the new smell has gone down in the mixture with the liquid atmosphere party man’s farts fitting the room.[14]

[Sa bouche sentait la puanteur de menstrues pourries. L’homme retint sa respiration jusqu’à ce que l’odeur mélangée au pet, se mélangea avec l’air]

 

 

Koomson a tellement usé de la corruption qu’il en dégage même, il en est repu. « …stench of rotten menstrual blood ». ( puanteur de menstrues pourries), et là encore, « pourries » pouvait être évité à la place de « décomposées », qui sonne moins dur. La bouche de Teacher est comparée à l’odeur du sang menstruel par l’odeur qu’elle dégage, odeur symbolisant la corruption.

L’autre exemple concerne Estella Koomson, la femme de « Monsieur » et sa maman qui croient fermement au matériel et pensent que pour survivre, il faut user nécessairement de la corruption. Faisant allusion à Estella, Oyo, la femme à « Monsieur » dit:

and why not ? Why not shake Estella Koomson’s hand, was not the perfume that stayed on yours a pleasing thing? May be you like this crawling we do, but I’m tired of it, I would like to have someone drive me where I want to go.[15]

[Pourquoi pas? Pourquoi ne pas serrer la main à Estella Koomson, n’etait-ce pas un plaisir d’avoir son parfum à tes mains? Tu aimes peut-être la situation lamentable  dans laquelle nous sommes, j’en ai marre, j’aimerais avoir quelqu’un qui me donne une situation meilleure.]

 

 

Tout ce qu’elle admire chez Estella, c’est le bien matériel, la prospérité et elle influence son mari à user du goût de l’argent facile pour avoir le même statut. L’ironie dans l’utilisation du « y » dans le titre revient à la fin du roman. On a un contraste esthétique, l’image d’une fleur solitaire étrange et très belle au milieu de cette atmosphère polluée, cette nausée.

Le contraste revient, comme au début du roman ; l’homme averti est représenté par la fleur et le reste qui l’est moins, par le « y » qui vient gâcher l’orthographe correcte de « Beautiful ».

Et la pierre où est marquée: « The Beautyful Ones Are Not Yet Born »[16] est explicite. En voilà une ironie de la part d’Armah.

 

 

Conclusion

Après l’étude du roman, on se rend compte qu’Armah a usé de toutes sortes de motifs pour faire passer son message ; parti d’un point de vue sur la situation générale de l’Afrique à l’image de son pays, il a écrit avec fougue ce qui se note dans son expression.

A partir de la psychologie du personnage-clé qu’est « Monsieur », il présente la réalité qui marque la vie de tous les jours avec une description détaillée des faits. Ce personnage représente la minorité consciente, innovatrice, guidée par la droiture et la sainteté d’esprit.

Son message s’adresse au groupe moins averti, guidé par la tentation facile ; qu’il a voulu sensibiliser et éduquer sur le devenir de son pays ; ce qui fait l’originalité de son style imagé. Parti de la déception, du dégoût, il use d’un vocabulaire typique de la situation qu’il fait vivre en même temps au lecteur.

Le registre également colle parfaitement au contexte et le destinataire, c’est-à-dire que les termes employés reflètent et son sentiment sur la situation et son sentiment à l’égard de son interlocuteur qu’il culpabilise et sensibilise en même temps.

Cela explique le choix des mots où l’on note plus que le dégoût, la vulgarité. Ce qui se comprend car, comme on le dit en sociolinguistique, l’individu use de son répertoire pour faire passer son message, et le choix de ses mots est dicté par ce qu’il tient à véhiculer, d’une part, et par le type de personne à qui il est destiné de l’autre.

Armah a bien su profiter de l’occasion pour faire partager son sentiment à son interlocuteur qui n’est personne d’autre que le politicien de l’époque, assoiffé de pouvoir qui est prêt à toutes les bassesses du monde pour atteindre son objectif qui n’est rien d’autre que d’accéder au pouvoir, de s’accaparer de toutes les richesses, et de vivre dans l’opulence au grand dam de la masse représentée par le reste de la population.

Celui-là, qu’il qualifie de cupide, de corrupteur, bref de tous les vices ; l’indexant du doigt comme étant le principal responsable de la situation catastrophique de leur pays. Son objectif, Armah l’a bien réussi pour avoir trouvé le mot juste à l’intention de son « auditoire »

 

 

BIBLIOGRAPHIE

ARMAH, Ayi Kwei. The Beautyful Ones Are Not Yet Born. London: Heinnman. 1988. P30

-    BELL, Allan. "Language style as audience design." In Nikolas Coupland and Adam Jaworski, Eds.  Sociolinguistics: A reader, 240-50. St. Martin’s Press. 1997.

-    LABOV, William. "Field Methods of the Project in Linguistic Change and Variation." Language in Use, Prentice-Hall:  In John Baugh and Joel Sherzer, eds., 1984. 28-53.

-    WOLFRAM, Walt, and Natalie Schilling-Estes. American English, Chap. 8: "Dialects and style". Oxford: Blackwell. 1998

-    www.esoeonline.org/.../stylevsregister

 

 

APPENDIX

Voici la liste des principaux termes employés par Armah. Avec leurs synonymes moins poignants. Les mots sont en gras et leurs synonymes en caractère normal. Ils sont donnés selon leur ordre d’apparition dans le texte.

-The man / mister x

-Beautyful / good

-Ones / people

-Vague / distant

- confused / deafening

- indistinct object / something.

-Crumpled / old

-Refuse to catch (a match) / couldn’t be lit.

- Generous (gob of mucus) / big

- Dying (lamp) / faint

- Suck free (nostrils) / clear

- Hit (sound of his urine) / touch

-City can / dust-bin

- Fat men / rich men

- Seized (the power) / took

- Moron of a frog- rotten cunt / idiot

- Dark and so long that there never could be an end to it (tunnel) / dark and long

- Onward Christian soldier / droit

- Rich stench / stench

- Rotten (menstrual blood / strong smell

- Pleasing thing / good thing.

-Putrefaction (wood) / decay

- Return trip from (lavatory ) / coming from

- Man’s farts (filling the room) / smelling farts

- Hasty anus / stool



[1] William LABOV. "Field Methods of the Project in Linguistic Change and Variation." Language in Use, Prentice-Hall:  In John Baugh and Joel Sherzer, eds., 1984. 28-53.

[2] Walt WOLFRAM and Natalie Schilling-Estes. American English, Chap. 8: "Dialects and style". Oxford: Blackwell. 1998

[3] Allan BELL. "Language style as audience design." In Nikolas Coupland and Adam Jaworski, eds., Sociolinguistics: A reader, 240-50. St. Martin’s Press. 1997.

[4]www.esoeonline.org/.../stylevsregister                                                      

[5]Ayi Kwei ARMAH. The Beautyful Ones Are Not Yet Born..London: Heinnman. 1988. P30 [Nous mettons la traduction française entre corchets droits]

[6] Ibid. p1

[7] Ibidem

[8] ARMAH. Ibid. P35

[9] ARMAH. Ibid.p30

[10] Ibid. p157

[11] Ibid. p9

[12] ARMAH. Ibid. P12

[13] Ibid . p123

[14] ARMAH. Ibid. P163

[15] Ibidem. P 44

[16] Ibid.. p.183

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Résumé

          La corrélation se présente comme une suite signifiante de signes linguistiques entre deux interruptions manifestes de la communication. Il existe des signes discontinus, en français moderne, comme les temps composés ou les négations (a…mangé – ne…pas), et aussi des signes suprasegmentaux comme l’intonation. La corrélation établit une relation existant entre deux notions dont l'une ne peut être pensée sans l'autre, entre deux faits liés par une dépendance nécessaire, entre deux choses dont l’une implique l’autre et réciproquement. L’expression corrélative du temps s’exprime par la conjonction cum (en français moderne quand) précédée ou suivie de l’adverbe tum: tum…cum « au moment où »: vix (vixdum)…cum « à peine…quand (que) » ; jam…cum « déjà…quand ». C’est à partir de l’ancien français que la corrélation temporelle avec quant et que commence à être employée de façon plus régulière au point de supplanter le système latin, avec les combinaisons quant…si ; quant…lors ; quant…dunc ; cum…dunc lorsque la subordonnée est placée avant la principale introduite par l’adverbe. La subordination inverse se présente avec les combinaisons si…quant ; lors…quant ; lors…que.

Mots clés: corrélation – latin – ancien français – français moderne – si – quant – que – puis – lors  – cum – dunc.

 

Abstract

          Correlation is considered as a strain of meaningful linguistic signs between two noticeable interruptions of communication. There are discontinuous signs in modern French, such as compound tenses or negations (have...eaten -...not), and also supra-segmental signs like intonation. Correlation establishes a relationship between two concepts, one of which cannot be taken without the other, between two events related by a necessary dependence, or between two things that imply each other. Cum (when, in modern French) is the conjunction that expresses tense preceded or followed by the adverb tum: tum ... cum "when": vix (vixdum) ... cum "just ... when (as)"; jam cum ... « Even when». The temporal correlation with quant and que started to be used in old French so regularly that it ended up supplanting the Latin system, with the following combinations quant...si, quant ...lors; quant...dunc; cum...dunc when the subordinate clause is placed before the main introduced by the adverb. The reverse subordination occurs with combinations as ... si…quant ; lors…quant ; lors…que..

Key words: correlation – Latin – ancient French  –  modern French – si – quant – que – puis – lors  – cum – dunc.

 

Introduction

          Attesté depuis le XVe siècle, le mot corrélation est emprunté au latin correlatio, correlationis qui signifie « relation mutuelle ». C’est un terme morphologiquement composé du préfixe latin co de cum (avec) et du radical relatio (relation), que nous pouvons traduire en français par « interdépendance, réciprocité ». La corrélation établit une relation existant entre deux notions dont l'une ne peut être pensée sans l'autre, entre deux faits liés par une dépendance nécessaire, entre deux choses dont l’une implique l’autre et réciproquement.  La corrélation établit aussi un rapport de dépendance dû à un lien de cause à effet ou un lien créé par une cause commune, déterminée ou non.

          Lorsque nous abordons la question des systèmes temporels, nous choisissons de partir du concept de temporalité qui met en évidence les rapports temporels entre deux procès. Ces rapports « peuvent être exprimés par différents moyens allant de l’agrégation, par juxtaposition paratactique de propositions, accompagnés ou non de struments temporels, à l’intégration maximum par la subordination. » (Buridant, 2000).

          L’objet de ce travail est l’étude diachronique de la grammaticalisation des systèmes temporels corrélatifs, à la lumière du principe fondamental de la situation de communication  que dégage Emile Benveniste:

La langue constitue un système dont toutes les parties sont unies par un rapport de solidarité et de dépendance. Ce système organise des unités, qui sont les signes articulés, se différenciant et se limitant mutuellement. La doctrine structuraliste enseigne la prédominance du système sur les éléments, vise à dégager la structure du système à travers les relations des éléments, aussi bien dans la chaîne parlée que dans les paradigmes formels, et montre le caractère organique des changements auxquels la langue est soumise. (1976)

 

Cette vision de Benveniste fait penser à la définition que Weinrich (1973) donne du texte, comme une suite signifiante de signes linguistiques entre deux interruptions manifestes de la communication. Il existe des signes discontinus, en français moderne, comme les temps composés ou les négations (a…mangé – ne…pas), et aussi des signes suprasegmentaux comme l’intonation. On admettra qu’un texte se compose exclusivement de signes ordonnés en une suite linéaire, transmise du locuteur à l’allocutaire dans une consécution chronologique. Pour notre étude, un modèle hypothétique mérite d’être avancé: au début du texte ou message, l’allocutaire dispose d’une quantité d’information égale à zéro, cela signifie que toutes les possibilités sont encore ouvertes. A la fin du texte, l’allocutaire ayant perçu et compris la totalité de l’information, aucune des possibilités qui concernent l’objet de la communication ne reste disponible.

Le concept de « corrélation » permet d’établir le passage d’un signe à l’autre au cours du déroulement linéaire du texte, dans une relation de complémentarité. La théorie des temps ne pouvant pas, dans le cadre de cette étude, être intégrée à une théorie générale de la grammaire, notre démarche écartera de ses analyses sur les syntagmes corrélatifs tous les subjonctifs, infinitifs, impératifs, participes et gérondifs. Elle s’intéresse plutôt à la façon dont les processus de grammaticalisation affectent le sens et la structure syntaxique de certains termes pour les introduire dans les systèmes temporels. Elle sera basée sur un des axes importants des systèmes temporels: la corrélation.

 

  1. Fonctionnement des syntagmes corrélatifs

          Dans les grammaires latines, l’expression du temps permet d’indiquer un simple rapport entre deux faits réels. Les systèmes corrélatifs se présentent comme des couples de mots, de même nature et de formation parallèle, l’un, de forme et de sens adverbiaux, se trouve dans la principale ; l’autre, de forme et de sens temporels, introduit la subordonnée. L’expression corrélative du temps en latin s’exprime par la conjonction cum (en français moderne quand). Mais étymologiquement quand vient du latin quando, à la fois conjonction et adverbe dont les emplois présents ont commencé dès l’ancien français:

Quando [kwando]

VIIe siècle        [kwando]  >  [kwande̥]  >  [kwand]  Amuïssement et chute de la voyelle finale.

VIIIe siècle         [kwand]  >  [kwant]  La consonne sonore d en finale absolue s’assourdit après l’amuïssement de la voyelle finale o: d  >  t.

Début XIe siècle  [kwant]  >  [kwa͂nt]    La voyelle a, suivie de la consonne nasale n, se nasalise: an  >  a͂n.

XIe siècle              [kwa͂nt]  >  [ka͂nt]  La consonne w en position forte se simplifie: kw  >  k.

XIIIe siècle         [ka͂nt]  >  [ka͂n]   t final s’amuït, mais subsiste dans la graphie jusqu’au XVIIe siècle où d revient mais prononcé t dans les liaisons.

XVIIe siècle          [ka͂n]  >  [ka͂]     La consonne nasale n implosive se dénasalise et la nasale se maintient: a͂n  >  a͂: quand

Quand: La graphie du français moderne nous revoie à l’étymologie du mot.

La conjonction cum peut être précédée ou suivie de l’adverbe tum: tum…cum « au moment où »:

Tum multi pavent cum noctua cécinit

« Beaucoup ont peur au moment où une chouette crie »

La subordination inverse donne un sémantisme exprimant une consécution cum…tum « quand…alors »:

Haec cum dixit, tum abiit

« Quand il eut dit cela, alors il partit »

La conjonction cum peut être précédée des adverbes:

-              vix (vixdum): vix (vixdum)…cum « à peine…quand (que) »:

Haec vixdum dixit cum abiit. 

« A peine eut-il dit cela qu’il partit » ;

-             jam: jam…cum « déjà…quand » exprimant une sorte de simultanéité:

Jam omnes silébant, cum exire voluit.

« Déjà tous se taisaient quand il voulut sortir »

En ancien français, l’adverbe de temps quant est un nominalisateur de phrase. Adverbe, il fonctionne aussi comme conjonction et introduit une proposition circonstancielle de temps ou de cause, ou des deux ensembles:

Quant l’ot Rollant, si cumençat a rire (Roland, 302)

« Quand Roland l’entend, il se prend à rire »

Qant vos en avez tant juré,

tout m’en avez aseüré (Reanart, 187-88)

« Quand vous vous êtes tant justifiée, tous vos serments m’ont pleinement rassuré »

 Il sert à introduire la subordonnée en relation avec un terme antécédent de sémantèse temporelle ou de sémantèse voisine (Moignet, 1976):

Prez sui que je li face soudre

lors qant Renart sera venuz

et li jugemenz iert tenuz (Renart, 120 – 22)

« Je suis prêt à lui faire payer la cause quand il aura comparu et que la sentence aura été rendue. »

Que, conjonction, attesté depuis le IXe siècle, est issu de la conjonction latine quĭa qui exprime en latin classique la cause (parce que) et qui s’est peu à peu imposée au détriment de quod.

Quĭa [kwĭa]

1er s. av. J.-C.          [kwĭa]  >  [kwya]         ĭ bref en hiatus se ferme en semi-consonne y.

IIe s.               [kwya]   >   [kwa]      Le y ne pouvant palataliser la semi-consonne w,           s’amuït, ne faisant entendre aucun y de transition.

VIIe s.                  [kwa]     >   [kwe̥]            Amuïssement et maintien de la voyelle finale:

a  >  e̥.

XIe s.                    [kwe̥]  >  [ke̥]                      La consonne w en position forte se simplifie:

kw  >  k.

XVe s.                [ke̥]    >   [kœ]              Ce central (articulé au milieu de la cavité buccale) se labialise, c’est-à-dire qu’il est prononcé avec les lèvres projetées en avant, et ainsi il passe à œ sourd (articulé entre ouvert et fermé). Ce œ s’amuït complétement au XVIIe s.. ll devient ǝ, voyelle d’appui après un groupe consonantique et devant un mot commençant par une consonne.

Que: cette graphie, retenue en français moderne, rappelle l’appartenance étymologique du mot.              

Que est un adverbe relatif de temps quand il est en rapport avec un substantif antécédent de sémantèse temporelle ; il est beaucoup plus courant que quant (Moignet, 1976):

Deus, meie culpe vers les tues vertuz

De mes pecchez, des granz et des menuz,

Que jo ai fait dés l’ure que nez fui

Tresqu’a cest jur que ci sui consoüt (Roland, 2369-72)

«Dieu, par ta grâce, mea culpa, pour mes péchés, les grands et les menus, que j’ai faits depuis l’heure où ja naquis jusqu’à ce jour où me voici abattu ! »

Ces tournures corrélatives sont d’autant plus agréables à employer en latin qu’en ancien français et encore plus qu’en français moderne.Nous nous intéresserons particulièrement, dans cette étude, à deux systèmes corrélatifs bien connus en ancien français:

-             le premier est le système Quant + V1…adverbe + V2 ou  système Subordonnée + Principal.

-             le second est le système adverbe …Quant ou Que ou Principal + Subordonnée où l’adverbe introduit l’énoncé premier.

Dans l’un comme dans l’autre système, l’obligation d’apporter un complément au procès désigné est réelle: un complément qui est un adverbe dans le premier système et une conjonction Quant ou Que dans le second. Dans la subordination inverse, l’adjonction des deux éléments dans les systèmes Lors…Que et Puis…Que a permis d’obtenir en français moderne de simples conjonctions: Lorsque introduisant une subordonnée temporelle et Puisque une subordonnée causale. Cette adjonction, surtout celle de puis…que en puisque exprimant la cause, intervenue à partir du XVIIe siècle, n’a fait que conforter l’allocutaire dans la position d’incompréhension ou mésinterprétation des messages reçus. Puis vient du latin vulgaire postius qui est une réfection de post et de postea au sens de « après, ensuite » qui n’établit aucun lien avec la cause:

Póstius [póstĭus]

Latin   [póstĭus]

1er s. av. J.-C.      [póstĭus]  >   [póstyus]         ĭ bref en position de hiatus se ferme en semi-consonne y.

IIe s.                 [póstyus]   >   [pó̜styus]         Changement vocalique: ŏ bref devient ouvert: ŏ  >  ǫ.

                       [pó̜styus]   >      [pó̜st̮us]          Palatalisation: t  +  y  >  t̮.

                       [pó̜st̮us]   >    [pó̜st̮s̮us]             Assibilation en sifflante: t̮  >  t̮s̮.

                      [pó̜st̮s̮us]     >  [pó̜s̮t̮s̮us]             Palatalisation du s antécédent: st̮s̮  >  s̮t̮s̮.

                     [pó̜s̮t̮s̮us]  > [pó̜s̮s̮s̮us]  >  [pó̜s̮s̮us]   Assimilation de t médian puis simplification: s̮t̮s̮   >   s̮s̮s̮  >   s̮s̮.

                     [pó̜s̮s̮us]  >   [pó̜ys̮s̮us]     Apparition d’un y de transition entre la voyelle précédente et la géminée palatalisée:   s̮s̮ >  ys̮s̮.

IVe s.         [pó̜ys̮s̮us]    >   [pó̜ǫys̮s̮us]  >  [púǫys̮s̮us]  Diphtongaison conditionnée de ǫ́ soumis à l’influence du y: ǫ́ + y > ǫ́ǫ > úǫ.

VIIe s.          [púǫys̮s̮us] > [púǫys̮s̮e̥s]  > [púǫys̮s̮s]  Amuïssement et chute de la voyelle finale u.

                    [púǫys̮s̮s] >  [púǫys̮s̮] > [púǫys̮]   Absorption du s final par la géminée et simplification de la géminée.

                    [púǫys̮]  >  [púǫys]          Dépalatalisation de s̮  > s.

                    [púǫys]  >  [púǫis]     Vocalisation du y de transition en i qui forme une triphtongue par coalescence avec la diphtongue úǫ qui précéde.

Xe s.             [púǫis]    >  [púęis]        Différenciation: ǫ  >  ę.   

                     [púęis]   >  [púiis]    >   [púis]   Assimilation de ę en position médiane et la triphtongue se réduit à une diphtongue:                       úęi > úii > úi.

                   [púis]   >  [pǘis]      Palatalisation de ú en ǘ sous l’influence de i diphtongal.

XIIIe s.       [pǘis]  >  [püís]      Normalisation: déplacement de l’accent du premier élément de la diphtongue au second.

                    [püís]  >  [pẅís]      Consonnification du premier élément devenu atone: ü > ẅ

                    [pẅís]  >  [pẅí(s)]  Amuïssement de s final qui subsiste sous forme sonore z en cas de liaison: Puis     

L’adjonction a d’abord donné à puisque le sens disparu au XIVe siècle de « depuis que ».

On montre alors en quoi l’évolution diachronique, s’inscrivant dans un mouvement de grammaticalisation, permette de renforcer le sens prototypique de la locution conjonctive, en relation avec la persistance sémantique de son constituant de base, à la jonction des valeurs sémantiques et discursives.

 

Les systèmes Quant + V1…Adverbe + V2

          L’adverbe SI est une des particules les plus caractéristiques de l’ancienne langue dans le système corrélatif. Cette particule, très régulièrement employé dans les textes, signifie ainsi, mais adapte facilement son sens aux besoins de la phrase, au point qu’il est souvent difficile de lui accorder la nuance exacte. (Foulet, 1998). C’est un adverbe qui joue un rôle important dans l’expression de la corrélation parce qu’il sert à introduire le deuxième procès de l’énonciation:

Quant il fu endormiz, si li fu avis que devant lui venoit uns hons toz avironez d’estoilles (Queste del Saint Graal, p. 130, 29)

« Quand il fut endormi, alors (ainsi) on l’avertit qu’un homme tout entouré d’étoiles venait devant lui. »

Quant l’ot li reis, fierement le reguardet,

Si li ad dit: « Vos estes vifs diables » (Roland, 745-746)

« Quand le roi l’entend, le regarde durement, alors il lui dit: vous êtes un démon »

Quant il eurent coroné, si l’assisent en une haute caiiere (Conqueste C, XCVII, 1)

« Quand ils l’eurent couronné, ils l’installèrent sur un trône élevé »

Et quant il ot grant piece alé,

Si retrova mort le destrier (Charrette, 304 – 305)

« Après avoir fait bien du chemin, (alors, ainsi) il retrouva mort le cheval »

Et quant li vavasors l’entant,

            Si s’an mervoille duremant (Charrette, 2083 6 2084)

« Quand l’arrière vassal l’entend, il est saisi d’une étrange inquiétude »

Quant cil le vit vers lui venir,

            Si s’en commença a foïr (Erec et Enide, 2885 – 2886)

« Quand ce dernier (le troisième brigand) le vit venir vers lui, il se mit à prendre la fuite. »

A la place de si, nous pouvons rencontrer lors: attesté depuis le XIe siècle, il est issu du latin tardif illa hora « à cette heure » issu du phénomène proclitique lahora après l’aphérèse de illa  donnant la. Il est supplanté à partir du XVIIe siècle par alors qui, attesté depuis le XIIe siècle, est resté rare jusqu’au XVe siècle et est issu du renforcement de lors par la préposition à. Lors ne subsiste guère que dans des locutions conjonctives lors même que, dès lors que. 

Lors permet de marquer fondamentalement une référence dans le passé à distance du moment de l’énonciation, fonctionnant comme thème, ce qui lui a valu la dénomination de « lorcentrique », chef de file d’un ensemble d’adverbes connecteurs marquant les articulations d’un récit au passé (Buridant, 2000).  

A la veille de la Pentecoste, quant li compaignon de la Table Reonde furent venu a Kamaalot et il orent oï le servise et len vouloit metre les tables a hore de none, lors entra en la sale a cheval une molt bele damoisele (Queste del Saint Graal,1,1-5)

 

« La veille de la Pentecôte, quand les compagnons de la Table Ronde furent venus (étaient venus) à Camaaloth et comme ils allaient se mettre à table après avoir entendu la messe, une demoiselle d’une très grande beauté entra à cheval dans la salle. »

Et quant ce vint que Abraham fut au mengier, Melchisedech benoist Dieu sur la table …Lors luy donna Abraham le disme de tous les biens de son pays (Oisiveté, JA. I, XX, 27)

« Et quand Abraham se trouva au repas, Melchisedech bénit Dieu à table…Alors Abraham lui donna le dixième de tous les biens de son pays. » 

L’adverbe dunc se rencontre comme deuxième élément corrélatif à la place de si et de lors. Il se présente plus comme exprimant une causalité descendante permettant de connaître les effets d’un fait connu:

Quant ço veit Guenes qu’ore s’en rit Rollant,

Dunc ad tel doel pur poi d’ire ne fent (Rolant, 303 – 304)

« Quand Ganelon voit que Roland s’en rit, il en a si grand deuil qu’il pense qu’il éclate de courrouxé »

Li arcevesques, quant vit pasmer Rollant,

            Dunc out tel doel unkes mais n’out si grant.

            Tendit sa main, si ad pris l’olifan (Rolant, 2222-24)

« Quand l’archevêque vit Roland s’évanouir, il en éprouva tant de douleur qu’il n’en eu jamais de plus grande. Il tendit sa main, a pris l’olifant. »

Com(e), adverbe de manière, peut être aussi conjonction et introduire une subordonnée temporelle de la concomitance. Com et quant sont concurrentiels pour exprimer la concomitance simultanée.

Com, dont la parenté avec le latin est remarquable, semble plus fréquent dans les traductions et les ouvrages savants (Buridant, 2000). Traduit par comme, il exprime à la fois le temps, la cause et la comparaison:

Cum vit le lit, esguardat la pulcela

Dunc li remembret de sun seinor celeste (Alexis, 56-57)

« Quand il vit le lit, de la jeune fille qui s’offre à ses regards, il lui souvient de son seigneur celeste »

Il y a dans la relation corrélative entre quant et dunc un effet de causalité exprimé dans la subordonnée temporelle. Une causalité qui peut être qualifiée de descendante ou deductive où à partir d’un fait (ou phénomène) connu, on en détermine les effets (ou les conséquences).

On trouve de même si com:

Si comme ils furent la venu, si leur dist li dux (Conqueste C, XII, 23-24)

« Quand ils furent arrivés là, le duc leur dit… »

          Ce système où quant est dans la première partie de l’énoncé quant…adverbe, appelle aussi bien la temporalité que la causalité. Son emploi est plus fréquent avec l’adverbe si qu’avec les autres.

 

Les systèmes Adverbe…Quant ou Que

Ce système dans lequel la subordonnée se trouve dans la deuxième partie de la phrase, pour des raisons d’ordre expressif ou affectif, s’oppose à l’ordre de reprise thématique que nous avons étudié plus haut. Dans ce système, l’adverbe indique différents rapports entre la principale et la subordonnée:

-             la cause:

Se li devons grant enor feire,

            Qant por nos fors de prison treire

            A tant perilleus leus passez

            Et passera ancor assez, (Charrette, 2417 – 20)

« Nous devons l’honorer (Logres) de notre mieux quand (parce que), pour nous tirer de prison, il a passé et devra encore passer par tant de lieux si dangereux. »         

-             un état d’esprit:

Mout se despoire et desconforte,

Quant son seignor dire ne l’ose (Erec et Enide, 3718 – 3719)

« Elle est au comble du désespoir et du désarroi, quand (puisque) elle n’ose avertir son seigneur »

Lors commença li duelx si forz,

            Quant Enide cheoir le vit. (Erec et Enide, 4602 – 03)

« Quel profond désespoir s’empara alors d’Enide, quand elle le vit s’effondrer! »

Lors fu mes sire Gauvains liez,

Que li pié remestrent pandu

Par les ongles a son escu ; (Perceval, 7866-68)

« Monseigneur Gauvain exulte de voir que les pattes demeurent suspendues à son bouclier par les griffes. »

Nous nous trouvons dans ces exemples devant une causalité ascendante ou explicative où l’on part d’un fait (ou d’un phénomène) pour en déterminer la cause (l’origine).

Nous rencontrons des cas où quant peut exprimer aussi bien le temps (quand) que la cause (parce que), surtout dans les cas de subordination inverse:

Chascuns [des pans] de sa chemise,

     Trencha bandes longues et lees,

S’ont lor plaies entrebendees,

Quant l’un (s) ot l’autre bendé (Erec et Enide, 3920 – 23)

« Chacun coupa dans les pans de sa chemise des bandes longues et larges et ainsi ils se sont mutuellement bandé leurs plaies, après s’être l’un l’autre soignés (parce qu’ils se sont soignés l’un l’autre).» 

Deux procès presque simultanés, mais le second précède le premier.

Les conjonctions composées ou corrélatives ont connu le processus de soudure syntaxique (Hopper & Traugott, 1993) présentant les unes comme des mots indivisibles voire insécables et les autres comme des unités syntaxiques ayant des restrictions quant aux éléments pouvant s’insérer entre ceux qui constituent la conjonction.

 

Conclusion

          Dans la corrélation, l’ordre de reprise thématique où la subordonnée précéde la principale, présente plus la conséquence d’un fait que sa temporalité. L’ordre de la subordonnée inverse exprime mieux la cause que le temps. Cela permet de faire remarquer que la corrélation ne fait établir aucune relation connue incontestée. La difficulté est démultipliée quand il s’agit de déterminer dans une phrase la cause et la conséquence. 

 

Oeuvres citées

TROYES (de) CH. (1994),  Le chevalier au lion (Yvain),

Abréviation: Yvain.      éd. et trad. D. F. Hult, Lettres Gothiques, (écrit en 1177).

TROYES (de) CH. (1991), Le chevalier de la charrette,

Abréviation: La charrette. Flammarion, Paris, (écrit en 1177).

La chanson de Roland, éd. MOIGNET G. (, 1969),  Bordas, Paris, (écrit vers 1100)

Auteur anonyme (1936, rééd. 1956, 1996), La Mort le roi Artu, éd. FRAPPIER (J.), Droz, Génève. Abréviation: Artu.  (écrit vers 1230)              Auteur anonyme (1978, 1983), , Lancelot, 9 vol., éd. MICHA A., Droz,Genève, Roman du XIIIe siècle, 2 vol., T. I, 10 / 18.        

Auteur anonyme (1984 et 1999), La Queste del Saint Graal, éd. PAUPHILET A., Champion, Paris, Abréviation: La Queste.

 

Bibliographie

  • BAUMGARTNER, E. ; MENARD, P. (1996), Dictionnaire étymologique et historique de la langue française. Librairie Générale Française. Paris.
  • BENVENISTE, E. (1966), Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, (2 vol.):
  •  BURIDANT, C. (2000), Grammaire nouvelle de l’ancien français, Éditions Sedes.
  • IMBS, P.( 1956), Les propositions temporelles en ancien français: la détermination du Moment, Les Belles Lettres, Paris.
  • JOLY, G., (1998), Précis d’ancien français (morphologie nominale et verbale et syntaxe) A. Colin, Paris.
  • MARCHELLO-NIZIA, Ch. (2006), Grammaticalisation et changement linguistique, De Boeck & Larcier, Bruxelles.
  • MARCHELLO-NIZIA, Ch. (2001), Grammaticalisation et évolution des systèmes grammaticaux in Langue Française 130.
  • MARCHELLO-NIZIA, Ch. (1979), Histoire de la langue française aux XIVe et XVe siècles, Bordas, Paris.
  • MEILLET, A. (1982), Linguistique historique et linguistique générale,  Slatkine.
  • MENARD, P. (1973),  Syntaxe de l’ancien français, SOBODI, Bordeaux.
  • MOIGNET, G, (1988, 2e éd. revue),      Grammaire de l’ancien français. Morphologie, syntaxe, Klincksieck, Paris.
  • RAYNAUD DE LAGE, C. (19641964), Manuel pratique d’ancien français, Picard, Paris,
  • RAYNAUD DE LAGE, G. (1993),  Introduction à l’ancien français, 2e éd., G. Hasenohr éd., SEDES,
  • WARTBURG,  W.V. (1946), Evolution et structure de la langue française, A. F. Tübingen et Basel éds,
  • WEINRICH, H. (1973),  Le Temps, Le Seuil, Paris.       

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Résumé

     Devenue objet de marketing, oscillant entre leurre, alibi et repoussoir, la médiation (inter)culturelle dit symptomatologiquement la déhiscence d’un sentiment du mal-vivre-ensemble qui caractérise nos sociétés modernes et contemporaines. Mais elle est indissociable aussi du dynamisme des communautés culturelles en présence comme terreau des peurs et des angoisses alimentant le questionnement frileux des acteurs comme leurs espoirs diffus. Des écrivains, des artistes, des intellectuels se sont autoproclamés ainsi, à côté des professionnels de terrain, médiateurs (inter)culturels ou plus prosaïquement « passeurs de cultures ».

          Dans cette contribution je questionnerai le concept de médiation et la figure du médiateur (inter)culturel qui en découle en tant que sujet doté de compétences particulières pour problématiser enfin la dé-liaison des usages. Je travaillerai ainsi l’hypothèse suivant laquelle la postulation de la (re)construction du lien social par la médiation en tant que passage de cultures achoppe sur la figure du sujet (individuel et/ou collectif) de la médiation même et sur l’auto-centration des cultures, au moins. Plus qu’un sujet d’énonciation, le sujet de la médiation est ce que j’appellerai un sujet d’interlocution habité d’emblée par des langages divers et divergents qui instaurent au cœur même de l’acte de médiation une discontinuité des singularités. Penser la médiation c’est d’abord penser cette discontinuité comme relation d’hétérogène à hétérogène, radicalement. 

Mots-clés: Médiation interculturelle, Sujet de culture, Pratiques sémiotiques, Hétérogène, Lien social, Résolution des conflits,

Identité, Altérité.

 

Introduction

         Interroger la médiation comme « pratiques » et singulièrement comme « pratiques sémiotiques », c’est questionner les modèles et modalités d’action en cours. Le pluriel dans pratiques est d’importance parce qu’il indique à la fois l’éclatement des formes de médiation et la pluralité dans le faire médiateur. Cet éclatement des formes est symptomatique de la déhiscence de la question des identités et d’une certaine façon de l’exhérence de l’altérité, c’est-à-dire, au plan éthique, d’un désancrage actantiel de la responsabilité, d’une distension entre le sujet et son acte. La médiation alors, et plus particulièrement la médiation interculturelle, nous confronte continuellement à son paradoxe. La médiation est en elle-même d’abord constat d’une dé-liaison dans le communautaire et ensuite stratégies d’intervention sur cette déstructuration du lien. Cette déstructuration du lien est indissociablement liée à la crise du langage, elle-même figuration de la crise du sens qui s’est emparée des vécus, de sorte que le vivre ensemble est devenu le questionnement essentiel de notre contemporain.

        Mais en même temps, la médiation interculturelle comme ensemble de pratiques sémiotiques présuppose des conditions d’activation ou de réactivation de monde de références partagées qui institue et légitime les pratiques elles-mêmes, la déontologie qui les gouverne et les rôles assumés par les acteurs en interaction. Il faut alors que ces acteurs se déterminent à la fois comme produits de la culture et coproducteurs de cultures. Le sujet de culture ne peut ignorer aujourd’hui la précarité des lieux et des liens surtout lorsque l’hybride et l’hétérogène deviennent foncièrement les marqueurs fondamentaux des collectifs et du communautaire pour bousculer définitivement les idées reçues sur la culture, sur les cultures contemporaines, devrais-je dire.

       Cette contribution est un questionnement sur l’hétérogénéité des pratiques de médiation d’abord en tant qu’elles surgissent des crises multiformes qui dessinent de nouvelles insécurités à notre vivre ensemble et fragilisent les ontologies ordinaires. Ce qui permettra dans un deuxième temps de corréler ces pratiques avec l’éclatement consécutif de la figure du médiateur aux prises avec la facticité du quotidien. Enfin nous nous interrogerons sur le paradoxe de la médiation comme projet de reconstruction du lien inhérent dans un monde en déshérence, en tout cas sans références immédiatement partageables et partagées. La médiation interculturelle est-elle alors une façon de ré-enchanter le monde, de le re-sémantiser?

 

I- Variation sur une hétérogénéité « intempestive»

[1]

        La médiation est devenue, au fil des années et suivant l’ampleur des crises et des bifurcations, une problématique au long cours. Elle interpelle les différents secteurs de la société parce qu’elle est d’emblée une interrogation sur le faire sens, individuel et collectif. Nos sociétés contemporaines sont profondément désarticulées avec des communautés disjointes qui vivent en parallèle dans des espaces de plus en plus improbables, inattendus et précaires. Aussi, l’émergence de la médiation, comme « actualité intempestive », pour reprendre le mot de Nietzsche, coïncide-t-elle avec la déhiscence de l’hétérogène comme fondement du rapport à l’autre et aux autres, du clivage du sujet de la culture en lui-même. De ce point de vue, Caune a raison de remarquer avec insistance:

         La médiation culturelle passe d’abord par la relation du sujet à autrui par le biais d’une « parole » qui l’engage, parce qu’elle se rend sensible dans un monde de références partagées. Le sens n’est plus alors conçu comme un énoncé programmatique, élaboré en dehors de l’expérience commune, mais comme le résultat de la relation intersubjective, c’est-à- dire d’une relation qui se manifeste dans la confrontation et l’échange entre des subjectivités. Le sens, auquel notre époque serait, dit-on, particulièrement attentive, n’est pas définition d’un but, d’une cause ou d’une idée. Sa quête ne saurait s’identifier à la recherche d’un principe prédéterminé: elle est de l’ordre d’une construction modeste et exigeante des conditions d’un vivre ensemble[2].    

 

De ce point de vue donc, la médiation est liée à la communication en tant que celle-ci est relation, tension, échange et mise en commun. Et sous ce rapport elle implique l’altérité comme possibilité de détermination d’un passage, ouverture d’un chemin d’accès, mais surtout désignation d’une irréductibilité. La médiation présuppose alors au moins une distorsion de l’espace-temps en commun avec l’autre,  une crise des lieux d’appropriation et de partage, leur rétraction en tout cas, de sorte que l’acte de médiation est d’abord un acte de remédiation. La mondialisation et la globalisation ont rendu poreuses les frontières ethniques et nationales, pendant que les TIC tentent chaque jour de les abolir, quand bien même les Etats développés, par le fait des idéologies, se barricadent un peu plus. Il se développe ainsi, à l’intérieur des Etats-nations, une forme hétéroclite d’occupation de l’espace-temps commun qui est en elle-même une façon de redistribution des parts, de (re)partage du sensible, pour paraphraser le beau titre de l’opuscule de Jacques Rancière. Les sujets, sur un même espace territorialisé comme les banlieues, vivent dans des temporalités disjointes qui ravivent les déchirures et les exclusions jusqu’à l’obsession.

         C’est pourquoi la médiation s’en trouve éclatée suivant des pratiques concurrentielles, voire contradictoires: médiation sociale, médiation culturelle, médiation familiale, médiation scolaire, médiation pédagogique, médiation juridique, médiation institutionnelle, etc. Toutes ces formes de médiation prennent racine sur le constat d’une distorsion du consensuel, d’une distension entre les actes et les sujets actants, d’une fêlure du commun dans le communautaire d’une part et d’autre part sur une tentative de prendre en charge ce dissensus, cette dysphorie, de surmonter ce distors d’abord par la parole, par le langage, en prenant pied résolument dans la symbolicité. Toute médiation est alors par définition une tentative de résolution de conflits entre sujets (conflits intersubjectifs) et/ou entre le sujet et le monde en tant qu’univers de références du collectif, en tant que monde de références partagées et/ou partageables. En Afrique de l’Ouest, dans des pays comme le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, la république de Guinée, le Burkina Faso, le Niger et le Cameroun, la parenté à plaisanterie constitue souvent une pratique stratégique dans la médiation sociale et institutionnelle parce qu’elle est essentiellement une pratique occasionnelle et locale de retissage endogène du lien social[3]. Il s’agit alors de rapiécer le tissu social, de tricoter pour recréer du lien, d’innerver l’espace-temps communautaire par et dans le langage. Et le langage donne du sens parce qu’il, entre autre, nous fait accéder à des significations diverses et variées. C’est pourquoi le pouvoir symbolique du langage en tant qu’essentiellement un pouvoir conventionnel, à la fois instituant et institué, interroge l’ambiguïté de l’acte de médiation qui travaille entre cultures, dans les inter-cultures, c’est-à-dire dans les interstices entre les cultures, entre différends et différences. Envisager la médiation interculturelle comme travail interstitiel c’est la comprendre à la fois comme frontalité et comme tension entre un dedans et un dehors, un ici et un ailleurs. La différence culturelle peut aussi bien provenir de la diversité des cultures qui cohabitent que des niveaux de culture à l’intérieur d’une supposée même culture. Des communautés africaines, asiatiques, occidentales vivent en parallèle dans des temporalités disjonctives, presque divergentes. A l’intérieur de chacune de ces cultures dites nationales aussi se déploient des oppositions entre culture première et culture seconde, entre culture communautaire et culture individuelle, entre culture populaire et culture savante, et donc des agencements culturels irréductibles. Lorsqu’on parle alors de l’interculturel, par exemple, il est légitime de se demander de quel interculturel il s’agit. Sur quel niveau de désarticulation travaille la médiation sociale par exemple ? Qu’est-ce qui, dans l’interculturel, permet de raccommoder le social et de refaire du lien?

        Le questionnement est d’importance d’autant plus que la réalité sociale ou socioculturelle vient aux sujets par et dans le langage. L’acte de médiation lui-même est pris dans cette indécision, cette indécidabilité foncière qui interroge sa propre légitimité dans l’espace-temps des sujets en dissension. En envisageant la question suivant l’opposition entre le Même de la communauté et l’Autre du dehors d’une part et d’autre part son corollaire entre le non-Même et le non-Autre, on peut tracer un carré sémiotique qui mettrait en évidence le jeu des contraintes subsumées par la médiation culturelle en tant que pratique sémiotique stratégique. C’est parce que l’acte de médiation est d’abord une tentative de production de sens ou de recréation du sens qu’il est en lui-même une sémiosis continue, c’est-à-dire une procédure de réinvention des rapports entre plan de l’expression et plan de contenu, donc de symbolisation. La représentation en carré sémiotique fait voir les axes de confrontation des sujets actants d’abord à leur propre altérité puis à l’Autre comme lieu transitif du Moi/Soi, radicalement. Mais elle ouvre aussi une faille entre les lieux d’instauration des sujets actants d’une part et d’autre part entre les sujets actants et le positionnement du sujet observateur.

         Un parcours rapide et schématique sur le carré sémiotique, sur les termes et les méta-termes, permet de voir à la fois le positionnement des sujets actants et le rôle de la médiation. La médiation travaille en priorité dans les zones à risque où les basculements affleurent à chaque interaction sociale, elle interroge de ce fait même la dimension éthique de l’agir des sujets interactants. Ainsi, 

-l’axe Identité--------Altérité construit des singularités homogènes en elles-mêmes mais dépendantes foncièrement dans l’hétérogénéité de leur rapport: il indique à la fois le rapport avec le Moi et avec l’Autre en tant que condition de construction du sujet. Tandis que leur interaction ou leur conjonction produit de l’hybridité qu’il faut comprendre comme un processus de créolisation chez des sujets de culture ;

-l’axe Non-Altérité---------Non-Identité (les subcontraires) construit un processus de désidentification et leur interaction aboutit à l’aliénation du sujet de culture, c’est-à-dire à une « désappartenance » manifestant une exhérence, d’une certaine façon. L’axe ni…ni (ni altérité ni identité, neutre donc) dessaisit le sujet de marqueurs de subjectivité en raison du mode de saturation de l’espace/temps que celui-ci tente d’occuper par son agir ;

-tandis que l’axe Identité-------- Non-Altérité produit le Semblable, l’axe Altérité---------Non-Identité produit le Différent. Il faut comprendre le Semblable comme le plus petit degré dans l’échelle de la différence: le semblable est différent du même mais ce qui l’en rapproche est supérieur à ce qui l’en sépare. Ce qui peut être envisagé en termes d’intensité d’ailleurs: depuis l’air de famille jusqu’à l’étrangeté de l’étranger, on peut disposer des figures de différence sur une échelle de valeurs. On peut se demander alors à partir de quelle valeur la différence bascule-t-elle dans l’inquiétude pour inspirer l’insécurité et la répulsion / exclusion parce que l’altérité rime désormais avec altération.  

          Il y a cependant au cœur de l’acte de médiation, institutionnelle, culturelle ou sociale, le règlement non juridique d’un état qui est au fond figuration d’un tort lié à l’assignation des places, des statuts et des positionnements. 

          J’appelle partage du sensible, dit Jacques Rancière, ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives. Un partage du sensible fixe donc en même temps un commun partagé et des parts exclusives. Cette répartition des parts et des places se fonde sur un partage des espaces, des temps et des formes d’activité qui détermine la manière même dont un commun se prête à participation et dont les uns et les autres ont part à ce partage[4].

        

Cette définition du partage du sensible est importante dans l’indexation des conflits et des déchirements comme des formes de tentatives de conjonction, parce qu’elle montre la façon dont des catégories de personnes, des entités en tant que sujets peuvent se trouver confrontées au surgissement d’un tort, de ce qui fait figure d’une distorsion ou d’une altérité sinon d’une altération. Les communautés étrangères minoritaires qui s’agrègent dans les banlieues des grandes villes des pays développés, en dépit de leur hétérogénéité, vivent souvent cette minorité comme une marginalité et prennent une posture identitaire fondamentalement conflictuelle parce que de survie. Des communautés autochtones aussi comme les nomades ou les gens du voyage vivent la même confrontation irrécusable, aux allures de survie, avec l’altérité. Et l’altérité pour ces catégories prend d’abord la figure de l’espace-temps à laquelle elles sont confrontées dans leur être, dans leur chair. La tâche et la figure du médiateur n’en deviennent que plus problématiques, plus hétérogènes en tout cas. 

 

II- L’introuvable figure du médiateur

       

            Cette situation d’indécidabilité de l’acte de médiation a fait du médiateur et singulièrement du médiateur (inter)culturel une figure éclatée, presque dispersée, précontrainte par l’hétérogénéité des cas et des interventions. Devant la multiplicité des demandes nées de l’exaspération des crises ouvertes et/ou larvées, le médiateur est devenu poly-compétent, l’actant à tout faire, si j’ose dire. Mais le plus important, on l’oublie souvent en laissant croire que le médiateur est en apnée par rapport au contexte de crise multiforme, de désenchantement ambiant, c’est que la médiation fait surgir des actants qui dans leur faire, manifestent foncièrement un clivage du sujet, y compris le médiateur en tant que sujet tiers. Et c’est là où les paradoxes se radicalisent!

          Dans le cadre de la médiation patrimoniale, par exemple, on entend souvent reprocher aux médiateurs de n’être que des amateurs face aux vrais artistes qui sont producteurs des œuvres exposées dans les musées. Sous entendu que le meilleur médiateur est sans doute l’artiste lui-même devant son œuvre, et d’ailleurs qui plus que l’artiste peut parler de l’art, de son art. Mais la question que posent les artistes en réalité est celle de la légitimité du médiateur comme sujet tiers, entre l’œuvre et le public. Et le médiateur en sa qualité de passeur de cultures reste-t-il vraiment un simple intermédiaire ou un recréateur d’œuvre ? Le code éthique de la médiation sociale ou institutionnelle exige du médiateur qu’il soit le tiers, à équidistance des parties engagées dans une interaction. Le médiateur doit prendre conscience qu’il est dans une partie intersubjective à trois, au moins. Qu’il soit un passeur de cultures ou qu’il se mêle de gérer des conflits sociaux, pédagogiques ou institutionnels, il lui est demandé de ne pas prendre partie, de garder une transparence qui empêche son empreinte de se faire voir dans le lien qu’il reconstruit. L’enseignant de langue/culture étrangères est confronté comme les autres médiateurs, à ce que j’appelle le défi de la corde raide: le funambule qui danse sur la corde est sans cesse aux prises avec le vertige du vide qu’il surmonte à chaque geste par l’appropriation de la corde et la déprise de soi. La figure du médiateur est de ce fait protéiforme et foncièrement inquiète en dépit de ce qu’elle se donne comme noblesse sacerdotale.

         Les conflictualités africaines en général et les processus démocratiques en particulier ont fait émerger en Afrique des figures de médiateur diverses et variées. Entre les acteurs  politiques traditionnels du jeu démocratique, la société civile est devenue une figure incontournable tout autant que les leaders d’opinion comme les guides religieux ou les chefs coutumiers. Mais de plus en plus aussi les associations de femmes s’impliquent dans la médiation en Afrique pour l’instauration ou la restauration de la paix sociale, de la paix civile, de la paix institutionnelle. Cependant, la déhiscence de la conflictualité, le processus démocratique avec son lot de contestations et de révoltes, l’actualité des droits de l’homme ont, en plus des questions sociales proprement dites, accentué la confusion entre médiation, conciliation, négociation, résolution de conflit. Toutes ces pratiques ont de plus en plus tendance à se confondre sur la scène publique parce qu’elles partagent la différence et le différend comme objets. Dans la perspective de donner aux citoyens la possibilité de demander réparation de préjudice face à la puissance de l’Etat, les pays se sont dotés d’institutions tierces, indépendantes, appelées « médiatures », comme du reste et de plus en plus dans les entreprises, les universités et même les médias de masse, entre autres.

         Tout cet éclatement des pratiques fait que la figure du médiateur reste très fuyante, instable voire labile. Le médiateur n’est pas un traducteur encore moins un interprète, il doit établir une relation entre des univers parallèles, souvent même dissonants, entre des symbolicités hétérogènes, des sémioticités diverses, des postures divergentes. Et cela pose aussi la question de la formation du médiateur et donc des compétences à faire valoir dans la rencontre avec l’autre ou plus exactement dans l’aide à ce qu’une rencontre se produise, qu’un lien se recrée. Walter Benjamin, dans un petit texte étonnant de lucidité, La tâche du traducteur, montre que "traduire ce n’est jamais redire une langue étrangère dans la sienne ou inversement, mais plutôt rendre compte du langage originaire et mythique dans celui que l’on parle quotidiennement, j’allais dire presque naturellement[5]."

Il y a alors dans la médiation comme une sorte d’ouverture du sens ontologique à l’aventure intersubjective. Cette médiation exige une série de compétences générales et spécifiques: compétences culturelles, compétences communicationnelles, compétences sociales, compétences techniques liées aux domaines particuliers, compétences éthiques liées aux axiologies en œuvre, etc. Il s’agit donc de doter des acteurs sociaux de compétences diverses mais ciblées leur permettant d’assumer un rôle d’intercesseur du sens. L’institution d’un actant sujet doté de compétences exige au préalable un actant institutionnel/institutionnalisé destinateur qui garantirait la légitimité du sujet et évaluerait du même coup son agir transformateur. Le médiateur interculturel n’est même pas en réalité un passeur de cultures, parce qu’il n’y a jamais de cultures qui passent d’un endroit à un autre ou d’un sujet à un autre, mais celui qui peut aider à ce que du sens survienne, advienne littéralement. Et c’est pour cela que c’est un rôle difficile et très problématique.

          Si la construction du sens par un sujet est liée préalablement à des dispositions et des schématisations, on peut supposer que les cultures, dans leur diversité, ne produisent pas les mêmes grilles d’interprétation ni les mêmes protocoles de signification. Les assauts répétés des artistes et écrivains africains francophones contre la langue française comme univers symbolique, comme symbolicité autre, pourraient alors s’entendre suivant le dédoublement des consciences et le redoublement du monde dans le geste poïétique qui ouvre au sens, qui ouvre à la perception aussi. L’objet culturel est dans ces doublures – « rupture des solidarités quotidiennes de la conscience et du monde », dirait le philosophe et sociologue québécois Fernand Dumont[6]-- qui défamiliarisent et que le sujet de la culture traverse dans un apprentissage continu, dans un processus d’inculturation (socialisation par et dans la culture, que j’oppose à l’acculturation comme plaquage d’une culture autre sur un sujet de la culture déjà inculturé). 

 

III- Médiation, Médiateur et Sujet de culture 

       

          Il faut interroger ce triptyque dans la conscience des contradictions et des impasses de la culture et de notre modernité, plus exactement notre contemporanéité. Fondamentalement, le constat de la crise du langage doit induire l’examen de la crise de la culture et donc de la désintégration de ce que j’appelle la parole communautaire, cette totalité flamboyante. Il y a de fait au cœur du vivre ensemble que sollicite toute médiation la perspective de monde de références partagées qui fonde et légitime les modalités volitives des acteurs. Cependant, le projet de médiation en lui-même est figuration d’une communauté défaite, déstructurée, en tous les cas introuvable. L’éclatement du comme-un dans le communautaire répète invariablement la dissolution du lien et une sorte de « désappartenance », si j’ose dire, de l’individu à la collectivité dans l’espace-temps de la communauté, dans l’espace-temps de la cité[7]. De ce point de vue, la médiation est fondamentalement une pratique sémiotique paradoxale parce que pari sur sa propre incertitude, sa précarité. Elle doit (re)créer du lien qui lui-même se fonde sur une communauté de références, sur l’activation d’univers symboliques partagés, d’intersémioticités. Il y a médiation justement parce qu’il n’y a plus rien ou si peu en commun. Mais alors sur quoi s’appuie le médiateur pour retisser du lien qui vaut pour tous et pour chacun des acteurs ? Quelles axiologies motivent et légitiment son action ?

         Mais il faut revenir sur la notion de « pratiques sémiotiques » pour saisir les implications de cette redescription de la médiation (inter)culturelle. La théorie bourdieusienne de la « pratique » interroge fondamentalement celle de l’action sociale et de ses implications dans la sphère politique[8]. Et les pratiques sont alors à envisager en tant que suites stratégiques qui structurent syntagmatiquement un cours d’action. Même si par ailleurs, l’habitus (avec l’hexis comme inscription corporelle de l’habitus), noyau de la théorie de la pratique,  restreint considérablement l’espace de liberté et l’autonomie des agents sociaux pour une improvisation effective, en dépit des justifications du grand sociologue. On pourrait dire que chez Bourdieu, l’habitus figure un dispositif instructionnel d’agir pour tout sujet social. Le degré de naturalisation de ce dispositif conduit le sujet à agir plus ou moins en conformité avec ces instructions de façon inconsciente, presque naturellement. En conséquence, la liberté d’un sujet de culture, pour Bourdieu, n’est qu’un leurre qui découle de cette naturalisation des dispositifs d’action et d’interprétation. C’est pourquoi, la notion de pratique et plus exactement de « pratique sémiotique » sera comprise ici seulement comme, en elle-même, procédures de production de sens. En parfait accord avec ce que dit Jacques Fontanille dans son ouvrage intitulé à juste titre Pratiques sémiotiques:

          En effet, le sémioticien ne s’intéresse pas aux pratiques en général, mais aux pratiques en tant qu’elles produisent du sens, et à la manière dont elles produisent leur propre sens. Et cela peut se comprendre au moins de deux manières: (i) d’un côté, les pratiques peuvent être dites « sémiotiques » dans la mesure où elles sont constituées d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu, et (ii) de l’autre, elles produisent du sens dans l’exacte mesure où le cours même de la pratique est un agencement d’actions qui construit, dans son mouvement même, la signification (sic) d’une situation et de sa transformation. Le cours d’action transforme en somme le sens visé par une pratique en signification (sic) de cette pratique[9].

 

La pratique en général et la pratique sémiotique en particulier est donc de l’ordre du faire des sujets sociaux dans la mesure où ce faire est porté par des modalités (savoir, pouvoir, vouloir, croire) et induit une éthique en tant que forme de responsabilité morale liée à l’acte même du sujet actant.

         Si on envisage la médiation d’un point de vue des pratiques sémiotiques donc, il y a une double perspective qui s’ouvre à l’analyse: une perspective de niveau micro-social qui postule des interactions entre sujets, donc intersubjectives d’une part et d’autre part une perspective de niveau macro-social convoquant des institutions sociales. Ce qui oblige à ressaisir la médiation en termes de parcours narratif et de cours d’action. On peut alors interroger la pratique de la médiation suivant un processus de modalisation qui met en évidence les déterminations axiologiques et volitives des actants/acteurs. Les acteurs, en mettant en œuvre ainsi les modalités du savoir, du pouvoir, du vouloir et du devoir, acquièrent des compétences nécessaires à l’accomplissement de l’action. Cependant et de façon générale, l’analyse de la médiation rapporte le cours d’action souvent au niveau intersubjectif en oubliant d’interroger le niveau contextuel, c’est-à-dire institutionnel compris comme actant destinateur (méta-régulation). Or les modèles d’organisation culturels ou plus exactement socioculturels qui font l’objet de la médiation, sont à la fois des institutions et le fait d’institutions. Il faut entendre institution au sens de système méta-régulateur qui permet d’indexer légitimement les relations intersubjectives et les relations entre le sujet et le monde. Et selon Eric Landowski,

       Par « institutions », il conviendrait alors de désigner une classe hypothétique d’instances régulatrices prenant spécifiquement pour objet, dans l’exercice de leur fonction de régulation (…), les interactions, virtuelles ou effectives, inscrites, par hypothèses, au niveau micro-social et intersubjectif[10]

     

 

Suivant la grammaire narrative, depuis La Sémantique structurale de Greimas (1966) au moins, une structure matricielle à 6 actants permet d’interroger le faire des acteurs au niveau immanent. Mais dans ce dispositif, c’est bien l’actant Destinateur qui nous intéresse en tant qu’il assure une double fonction de mandement et de sanction par rapport au sujet de la quête. En même temps que le Destinateur institue sujet une instance donnée, il est garant de la validité et de la légitimité de la quête de l’objet de valeur, et donc de la valeur de la quête elle-même. A partir de ce moment on peut le considérer comme une instance qui transcende la séquence narrative et qui est condition de sa régulation. Or dans le cadre d’une médiation (inter)culturelle en tant qu’«interactions inscrites au niveau intersubjectif», pour reprendre Eric Landowski, il faut prendre en charge la dimension contextuelle sur le fond de laquelle surgissent et l’acte de médiation et les « médiés » eux-mêmes (interactants de la médiation hors le médiateur). Cette dimension institutionnelle est productrice de règles de fonctionnement et de validation des interactions, des relations intersubjectives. Dans ce cas là, le médiateur comme les médiés, en même temps qu’ils produisent de l’interculturel sont conditionnés par l’univers symbolique qui les transcende et légitime leurs interactions. C’est pourquoi la médiation, en tant que projet de reconstruction du lien, est reconnexion à l’espace-temps de la communauté et tentative de repartage de références. Il s’agit en fait de refonder, si on peut dire, une communauté perdue en reconnectant les individus à des collectifs offerts comme certitudes rassurantes.

         Toute médiation, et à fortiori une médiation (inter)culturelle, est d’abord une procédure de socialisation, d’inculcation et d’inculturation. De ce point de vue, l’espace urbain, par exemple, peut être conçu comme une forme de médiation sociale et culturelle en ce qu’il tisse continuellement des figures de socialisation ou de resocialisation des individus et des collectifs. L’organisation spatio-temporelle, l’architecture et la configuration des bâtiments publics, la répartition des sites mémoriels, le calendrier des fêtes, le port vestimentaire, etc., tout cela participe de ce processus d’inculturation auquel sont exposés quotidiennement les sujets de la culture. Jusqu’à quel point alors un médiateur individué pourra-t-il construire ou reconstruire des liens aussi complexes ou un sujet réussir un transfert de compétences ? La médiation interculturelle n’est pas seulement le fait d’acteurs anthropomorphes individués, elle est surtout aussi l’œuvre d’instances collectives qui transcendent les individus et les légitiment dans leurs pratiques quotidiennes. C’est pourquoi Fernand Dumont à raison de faire remarquer avec pertinence au sujet de la culture:

         Sans la culture, l’homme serait immergé dans l’actualité monotone de ses actes, il ne prendrait pas cette distance qui lui permet de se donner un passé et un futur. Il lui faut un monde déjà revêtu du sens, une dramatique où la conscience retrouve l’analogue ou la contrepartie de ses jeux: la culture est ce dans quoi l’homme est un être historique et ce par quoi son histoire tâche d’avoir un sens[11].

        

 

Mais, en dépit des prétentions explicites des sujets, l’auto-centration des cultures est une faille qui fait voir une des limites de la pratique de la médiation en tant que faire actanciel qui transfère des compétences, des objets symboliques de valeur. Dans une large mesure, les cultures sont, pour elles-mêmes, leur propre horizon indépassable.

 

         

Conclusion 

         

   Dans l’ensemble donc la question de la médiation, de la médiation interculturelle plus particulièrement, nous oblige à entreprendre un tour d’horizon de quelques-uns des points  sur lesquels achoppe notre bonne conscience de médiateur, de formateur ou d’amateur de la médiation. Si la médiation est d’abord un projet de refaire du lien, de transférer des compétences sociales et culturelles, alors il est légitime de s’interroger sur les fondements et les présupposés de la médiation comme pratiques sociales et comme pratiques sémiotiques tout court. L’acte de médiation présuppose un univers de références partageables et partagées, stables et identifiables, sur lequel viennent s’accrocher les individus et les collectifs en rupture. Un monde de références partagées est un univers symbolique validé (au sens où Dominique Maingueneau parle de « scène validée », constitutive de la scène d’énonciation et antérieure à la prise de parole du sujet énonciateur[12]). De ce point de vue, la culture est d’abord un noyau irréfragable de valeurs irrécusables sur le fond duquel se détache l’unité de l’homme et du monde, en tout cas leurs solidarités vives. Les sociétés traditionnelles manifestaient à leur façon cette solidarité par une liaison foncière entre le rôle, le statut et la personne, laquelle liaison fondait le contrat fiduciaire entre sujets (intersubjectif) d’une part et entre l’homme et le monde d’autre part.

   Mais le désenchantement du monde, pour reprendre Hannah Arendt, et les multiples crises qui caractérisent notre modernité pour ne pas dire notre contemporanéité, ont fini de faire du quotidien une exposition continue de l’identitaire et une obsession presque de l’altérité comme figuration des peurs et des angoisses. Dès lors, l’enjeu de la médiation c’est aussi les stratégies de prise en charge de ces discontinuités multiformes et la figure définitivement protéiforme et inquiète du médiateur. C’est pourquoi, les pratiques diverses de la médiation, au lieu de se focaliser sur le niveau micro-social (intersubjectif) de la reconnexion, doivent s’appuyer sur les instances de méta-régulation que constituent les institutions sociales qui se situent au niveau macro-social (communautaire ou inter-collectif).

      En définitive, la médiation interculturelle se problématise par cela même qui la fait naître, « cette rupture de solidarités quotidiennes entre la conscience et le monde » dont parle Fernand Dumont et qui jette les sujets, individuels ou collectifs, dans la solitude et le désarroi d’un monde de singularités radicalement hétérogènes: dans la précarité du lieu et du lien. Quand bien même ces singularités sont condamnées à inventer chaque jour leurs formes de vivre ensemble. Et la médiation est déjà cette invention d’un vivre ensemble et la condamnation à ne jamais prendre ce vivre ensemble comme acquis encore moins comme allant de soi.

 

 

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE 

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-   SY, K. (2009). «Dendiragal Haal pulaar’en: des mots pour refaire le lien social» inEcritures Plurielles, Revue Semestrielle d’Etudes Universitaires, Dakar: Université Cheikh Anta Diop de Dakar/Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et de la Formation, n°3, Décembre.


[1] Allusion oblique au philosophe allemand Nietzsche dans ses Considértations intempestives (1873-1876 )

[2] Caune, J., (2000), « La médiation culturelle: une construction du lien social », In Revue Les Enjeux de la Communication,  Grenoble: GRESEC/Université de Grenoble, p. 1

[3] Nous avons analysé ailleurs la parenté à plaisanterie, que l’on appelle aussi Cousinage à plaisanterie, comme procédure de reconstruction du lien social en même temps qu’une forme de gestion de l’altérité. En tant que pratiques sémiotiques, elle ouvre un espace-temps des actants/acteurs qui est fait d’accommodation, d’ajustement, d’intégration pour résoudre l’hétérogénéité inhérente à toute culture comprise comme intersémioticité. Cf Kalidou SY (2009), « Dendiragal Haal pulaar’en: des mots pour refaire le lien social» in Ecritures Plurielles, Revue Semestrielle d’Etudes Universitaires, Université Cheikh Anta Diop de Dakar/Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et de la Formation, Décembre, n°3, pp 87-95. 

[4] Rancière, J., (2000), Le partage du sensible. Esthétique et Politique, Paris: Editions de la Fabrique, page de présentation.

[5] Benjamin, W. (1971). « La tâche du traducteur ». In Mythe et violence, Paris: Denoël, pp. 261-275

[6] Dumont, F (2005), Le lieu de l’homme, Québec: Bibliothèque Québécoise

[7] Hannah Arendt redit inlassablement ce désenchantement comme marquage de la condition de l’homme moderne. Il faut le réentendre aussi comme solitude des singularités qui naissent de la déstructuration du communautaire. Condition de l’homme moderne (1958), Paris: Poche, 2001.

[8]Bourdieu, P. (2000), Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris: Seuil (cf. par exemple p.273 et sq)

[9]Fontanille, J. (2008), Pratiques sémiotiques, Paris: PUF, p.3 (Avant-propos). Mais un développement plus conséquent peut se lire plus particulièrement à partir de la page 217, aux chapitres V et VI, intitulés respectivement  «Pratiques sémiotiques et déontologie » et « Pratique et éthique». 

[10] Landowski, E. (1993), « Etapes en socio-sémiotique », In L’esprit de société, sous la dir. Anne Decrosse, Liège: Mardaga, p. 111.

[11] Dumont, F. (2005), Le lieu de l’homme, Québec: Bibliothèque nationale de Québec, p.227.

[12] Maingueneau, D. (1993), Le contexte de l’œuvre littéraire. Enonciation, Ecrivain, Société. Paris: DUNOD. 

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Résumé

L’étude confronte deux traditions, l’une indienne et andines du Pérou en Amérique du Sud, l’autre pulâr (famille linguistique des Peulh,) du Nord du Sénégal en Afrique Occidentale. Les deux traditions font face à une modernité européenne, notamment espagnole d’une part, et française d’autre part.

Les deux peuples –ex colonies– posent et tentent de transcender le dilemme relatif à l’entrée ou non à l’école nouvelle, au risque bien connu de perdre une partie essentielle de leurs cultures respectives. L’intégration de l’espace scolaire connaît des résistances qui, dans l’univers péruvien de Todas las sangres de José María Aguedas, consistent en une distance ou obstacle géographique, culturel et même politico-administratif. Dans l’univers sénégalais de L’aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane, au lieu d’être un obstacle, l’espace géographique est plutôt un facteur de rapprochement entre l’école française et le pays Diallobé contraint à y envoyer ses enfants ; l’obstacle se cache dans un défi d’ordre à la fois culturel et existentiel –l’école coranique de Thierno et les valeurs qu’elle est censée défendre et perpétuer– qui mène vers le renoncement et la mort.

L’étude comporte trois chapitres: le premier pose une appréhension théorique des concepts d’école et de langue dans la promotion de la culture occidentale.  Le second présente l’essence de notre réflexion, c’est-à-dire les formes et fondements de l’antagonisme que nous relevons entre les deux peuples face à l’école. Il en résulte une tyrannie de l’école que nous essayons d’analyser dans le troisième chapitre consacré aux conséquences de la formation scolaire chez les Indiens de San Pedro et les Diallobés. 

 

Introducción

Nuestra temática toca a la relación entre tradición y modernidad, particularmente una tradición que atiende la llamada de una imprescindible modernidad a la vez provechosa y asesina. Dos tradiciones, una india y andina de América del Sur (Perú), otra negra y pulâr (familia lingüística del Peulh) [1] del África occidental (Senegal), están ante una modernidad que es europea, es decir española por una parte y francesa por otra parte. 

Los dos pueblos autóctonos, lejos del más allá occidental, se encuentran ante el dilema que les plantea la escuela. Lo que ofrece esta última, según dice Cheikh Hamidou Kane, es “aprender el arte de triunfar sin tener razón”, mientras que en José María Arguedas, una clase social impide a otra clase social el conocimiento de este “arte”, por el peligro –saber lo que supuestamente saben los otros– que puede conllevar en las relaciones futuras de ambas clases.

La integración del mundo escolar en ambas sociedades se realiza con muchas resistencias u obstáculos que varían según el significado y las bazas que cada una de ellas da y espera respectivamente de la escuela.

En el universo peruano de Todas las sangres, tenemos, además del obstáculo de la distancia geográfica, el de la distancia cultural (racial) acrecentada por una discriminación política, estos dos planteados a partir de dos focos del mundo blanco, el de dentro (los escolares) y el de fuera (la autoridad política y económica postcolonial, a través de la aristocracia feudal del poblado de San Pedro).

En el universo senegalés de L’aventure ambiguë, la geografía no es un obstáculo sino un acercamiento porque la cultura francesa y su escuela hacen incursión en el País Dialobé que no tiene alternativa. El obstáculo propiamente dicho, además de ser religioso –con respecto a la escuela coránica del maestro Thierno–, es cultural y profundamente  existencial. La ambigüedad del ineludible desafío – el de la escuela –, deja el paso a un cuestionamiento filosófico continuo que desemboca en un callejón sin salida: el renunciamiento y/o la muerte. 

Nuestro estudio va a respaldar en tres puntos principales: el primero consiste en un planteamiento teórico en torno a los conceptos de escuela y de lengua, dos medios determinantes de la promoción de la cultura occidental en el contexto postcolonial.  El segundo punto toca a la esencia de nuestro tema, es decir las formas y los fundamentos de la contraposición ante la escuela. De esta contraposición aparece el aspecto tiránico de la escuela que intentamos estudiar en el tercer y último capítulo consagrado al difícil balance de las aportaciones y privaciones de la formación escolar para los pueblos colonizados  de San Pedro y del Dialobe.

 

I. Escuela y lengua en el contexto postcolonial: los fundamentos de la contraposición entre San José y el País Dialobe.

El planteamiento de la temática de la escuela en Todas las sangres y L’aventure ambiguë es un cuestionamiento sobre la herencia colonial que constituye la lengua pero también el conjunto de los valores culturales a que remite esta lengua. Precisemos de entrada que nuestro enfoque puede sufrir unas variaciones por causa del papel de la lengua, según estemos en Senegal (África Occidental Francófona) o en Perú (Hispanoamérica). Es decir que la voluntad de dominación colonial, sobre todo desde el punto de vista cultural y según lo que presenta el contexto lingüístico postcolonial, puede ser más visible en Senegal donde la lengua francesa es considerada como la lengua del otro, en comparación con Perú donde, igual que en otros países del continente americano –particularmente el área hispanoamericana–  donde, tras un proceso de transculturación de muchos siglos, el español es considerado como la lengua de los propios hablantes.[2]

Estas dos particularidades histórico-culturales provocan la contraposición que hemos mencionado en el enfoque de nuestra problemática de la escuela y por lo cual nos hemos prestado a un juego que diríamos, en un lenguaje cinematográfico, de profundización de la perspectiva. En efecto, no hemos escogido la percepción que de la escuela tiene José María Arguedas en Los ríos profundos (1958) donde la escuela está en Abancay:

Abancay no podía crecer porque estaba rodeada por la hacienda Patibamba, y el patrón no vendía tierras a los pobres ni a los ricos… Yo estaba matriculado en el Colegio y dormía en el internado. Comprendí que mi padre se marcharía. Después de varios años de haber viajado juntos, yo debía quedarme y él se iría solo. [3]

           

 Aparece en la opinión del joven protagonista la situación nada favorable e incalificable de la escuela: “No; no podría quedarse en Abancay. Ni ciudad ni aldea. Abancay desesperaba a mi padre” (Ibid., p. 39.).

 Esta situación geográfica de la escuela es comparable con la de José Donoso en sus Cuentos (1955) donde la escuela se ubica en plena zona india junto a los mismos escolares autóctonos: “(Mike) iba a cumplir diez años en breve, y era una buena idea que comenzara sus estudios en la escuela pública de Tlacotlalpán, junto a los demás niños del pueblo.”[4] Este lugar era un pueblo muy antiguo ubicado en plena selva mexicana cerca del río Papaloapán, no muy lejos de Alvarado, otro pueblo más conocido, cerca de la famosa ciudad de Veracruz.

 Para plasmar la contraposición sociocultural entre África Occidental e Hispanoamérica, hemos preferido el destacado mundo de Todas las sangres donde la administración de San Pedro no asume una postura colonial de preservación de la escuela como herramienta para la difusión de la lengua y cultura española o hispánica sino una actitud postcolonial y contra-reformista que tiene como fines imposibilitar el acceso del indio a la escuela y mantener esta como un privilegio en manos de una clase blanca y criolla dominadora.

Entonces, la realidad a que nos lleva nuestra elección es la de dos mundos colonizados en los cuales la escuela ejerce dos reacciones distintas, por no decir opuestas. Se trata precisamente de la del joven indio Demetrio Rendón Wilka marcada por una aprobación frustrada o un deseo insatisfecho y la del joven pulâr Samba Diallo caracterizada por una desaprobación imposible, es decir la obligación de matricularse.

La contraposición se lleva a cabo a partir de unos vehículos o agentes culturales que asumen, por una parte, la función de acaparamiento y confiscación de la lengua y de la cultura en el espacio andino del Perú y, por otra parte, la función contraria de transmisión y preservación de la lengua y de la cultura en el País Dialobe del Futa senegalés. En una y otra parte los vehículos lingüístico-culturales se manifiestan entre la escuela, la administración postcolonial o colonial[5] y el mismo pueblo autóctono. Desde luego, los mismos vehículos ejercen unas acciones que varían e incluso se oponen, como justificante de la contraposición.

En José María Arguedas, igual que en Cheikh  Hamidou Kane, el maestro de escuela es un agente principal, detentor y transmisor de lengua y cultura. Pero, en el primero, el mismo agente es colaborador de la burguesía postcolonial opuesta a la escolarización del indio mientras que en el segundo desaparecen extrañamente –en pleno periodo colonial– los prejuicios al servicio de una imprescindible misión escolarizadora. En el primero la función de maestro no puede ser asumida por quien no fuera agente y colaborador del sistema poscolonial:

La palabra de Aragón de Peralta se cumplía en el distrito.

Por eso, el director de la escuela de San Pedro fue a consultar con el viejo señor si debía matricular al ya mozo Demetrio Rendón Wilka, en la sección “Preparatoria”. [6]

 

El segundo maestro, como era de esperar, desempeña el doble papel de profesor y agente, por decirlo así, del orden postcolonial de dominación y discriminación racial, aunque asume más el papel docente que discriminatorio.

En Cheikh Hamidou Kane, el maestro está al servicio exclusivo de la formación escolar. A todos los alumnos, en su clase compuesta de una mayoría de “negritos”[7] y de dos blanquitos, el señor Ndiaye (maestro) los considera como sus hijos: “Voyons mes enfants, insistait M. Ndiaye, Pau se trouve  dans un département dont il est le chef-lieu. Quel est ce département? Que vous rappelle Pau?”[8]

La manera como él organiza su clase es reveladora de su rectitud y de la pasión que tiene por el saber, dos virtudes que quiere transmitir a sus pequeños alumnos. Prueba de ello, el comportamiento de estos y sobre todo de Samba Diallo quien pide la palabra para contestar a la pregunta ya hecha:

M. Ndiaye se tourna vers lui… Jean perçut comme une relaxation musculaire chez l’autre. Il sourit et eut l’air confus ; puis il se leva. Le département dont le chef lieu est Pau est celui des Basses Pyrénées. Pau est la ville où naquit Henri IV

Sa voix était nette et son langage correct… Quand il eut fini de parler, il se rassit sur un signe de M. Ndiaye. (Kane, L’aventure ambiguë, pp. 64, 65.)[9]

 

La misma pasión por el conocimiento escolar, particularmente por el pensamiento filosófico, aparece en el personaje que encarna la administración colonial, es decir el señor Paul Lacroix, una pasión descrita en un riquísimo diálogo  entre él y el padre de Samba Diallo, llamado le Chevalier, también funcionario de la administración colonial (pp. 86-94), quien busca, según dice, en la escuela y en la formación de su hijo la salvación del mundo europeo y africano: «– J’ai mis mon fils à votre école et j’ai prié Dieu de nous sauver tous, vous et nous. »[10]

 

II. La manifestación de la contraposición o la tiranía de la escuela

La tiranía se manifiesta por la imposibilidad en cada una de las referidas sociedades – india y pulâr–  de asumir la elección de un destino preferido. En otras palabras, se plantea un dilema que se presenta como lo siguiente: cuando es deseada la formación escolar, su realización es imposible, y cuando no es deseada, su realización se transforma en una imprescindible obligación.

 

II.1. El dilema de la escuela: de la imposibilidad de acceder a la obligación de acceder

En Todas las sangres, la imposibilidad de acceder a la escuela se opone a la voluntad muy firme de acceder, una voluntad expresada a un nivel personal por el padre de Rendón Wilka y del mismo, antes de ser la voluntad del grupo social que constituyen los comuneros de Lahuaymarca. La primera voluntad es comprobada en una decisión muy clara: « Cuando Rendón Wilka ya era un mozo, un wayna, su padre había decidido enviarlo a la escuela pública de San Pedro. Fue el primer indio en matricularse en la escuela de los vecinos. »  (Arguedas, Todas las sangres, p. 65)  En cuanto al grupo social de los indios,  su voluntad se expresa con igual claridad à través de los muchos esfuerzos hechos por ellos en la construcción de su propia escuela: « un local risueño, con ventanas grandes y un jardín en el que sembraron geranios y rosas blancas, únicas plantas de los señores y de la iglesia” que podían resistir el clima de altura.» (Ibid., p. 65) Entonces, lo único que piden los comuneros es que se les envíe un maestro que imparta la formación de sus hijos, una voluntad a que se oponen firmemente las autoridades políticas, particularmente los Aragón de Peralta y el vecindario blanco de San Pedro. El justificante de esta postura discriminatoria lo tenemos en las siguientes palabras del propio alcalde de la localidad:

- En eso nos diferenciamos de los indios. Si aprenden a leer, ¿qué no querrán hacer y pedir esos animales?... Los indios no deben tener escuela, sentenció el viejo señor. Y no se discutió más el asunto. La palabra de Aragón de Peralta se cumplía en el distrito. (Ibid., p. 65).

 

El círculo de los excluidos de la escuela no se reduce a Demetrio y a los otros comuneros indios entre quienes tenemos también a Filiberto quien recuerda su presencia en  « una escuela nocturna donde se burlaron de él. » (Ibid., p. 192). Se amplía a otro grupo cercano que es el de los mestizos, particularmente Gregorio quien, evocando la discriminación de la que fue víctima, lamenta la de Rendón Wilka:

Hasta tercer año hey estudiado, contra la voluntad de los vecinos. Soy mestizo. A mí no podían flagelarme como al Rendón. Perico también estudió, asustado, porque los hijos de los vecinos lo fregaban. (Ibid., p. 102)

 

Precisemos de paso que las flagelaciones de Rendón a que alude Filiberto se han hecho bajo orden del gobernador, en la escuela, como castigo contra dos acusaciones, una explícita, la de haberse defendido físicamente  contra la agresión del escolar Pancorvo, otra callada con fines de echar al niño indio fuera del espacio escolar. Aquí tenemos la escena:

-        Varayok’ –ordenó el gobernador-, carga a ese antecristo, al indio Demetrio.

El varayok’ obedeció. Se persignó antes. “Eres de Lahaymarca”, le dijo en voz baja al mozo. Y se lo echó a la espalda.

-        Martínez: quince azotes bien dados, no sólo en las nalgas; dale tres en la cabeza, aunque le caiga algo al varayok’. Se ha atrevido a golpear a dos niños. ( Ibid., p. 70)

 

La segunda razón, discriminatoria, se confirma cuando el mismo escolar supuestamente agredido por Demetrio no puede más ante la crueldad de la sentencia que presencia y revela el secreto del montaje contra el compañero indio: « ¡Martínez, ya no, Ustedes, Ustedes me dijeron que lo ofendiera, que lo fregara todos los días! Ustedes, pues, papá.» (Ibid., p. 70) El maestro tampoco puede resistir la injusticia porque culpa a todos los actores del castigo y les recuerda su responsabilidad ante Dios, una actitud que provoca su traslado a otra escuela de otro pueblo. (Ibid., p. 70) Varios años después, y en el transcurso de toda la novela, queda viva la escena del injusto castigo en la pobre mente de Rendón Wilka. 

Al contrario de Todas las sangres, en L’aventure ambiguë, el País de los Dialobe  sufre la imposibilidad de oponerse al acceso de sus hijos a la escuela occidental. Esta aparece como una obligación que cumplir, una obligación que reconoce incluso el director de la escuela:

Je n’ai mis mon fils à l’école que parce que je ne pouvais faire autrement. Nous n’y sommes allés nous-mêmes que sous l’effet de la contrainte. Donc, notre refus est certain… Cependant, la question est troublante. Nous refusions l’école pour demeurer nous-mêmes et pour conserver à Dieu sa place dans nos cœurs. Mais avons-nous encore suffisamment de force pour résister à l’école et de substance pour demeurer nous-mêmes? (Kane, L’aventure ambiguë, p. 20)[11]

 

El lamento principal de los Dialobe radica en la imposibilidad de elegir, en la imposibilidad de decir no a la escuela occidental,  en tener que someterse a una obligación de cuyas consecuencias negativas están muy conscientes en la formación de sus élites, en la preservación de lo que ellos consideran como la esencia de su existencia, es decir su identidad cultural y religiosa:

Si je leur dis d’aller à l’école nouvelle, ils iront en masse. Ils y apprendront toutes les façons de lier le bois au bois que nous ne savons pas. Mais apprenant, ils oublieront aussi. Ce qu’ils apprendront vaut-il ce qu’ils oublieront ?  (Ibid., p. 44)[12]

 

Ante esta situación, Thierno, el maestro de la escuela coránica, no quiere asumir la responsabilidad histórica de indicar a su pueblo –que viene a requerir su consejo a través del jefe de los Dialobe– el camino de la escuela occidental, aunque tiene la convicción del carácter irremediable de esta orientación cuyo objetivo es dar a los Dialobe y a su juventud la fuerza que les hace falta para existir, una fuerza que él llama “peso”, igual que el lastre imprescindible para no dejarse llevar por los vientos de la modernidad. El silencio de Thierno traduce la fuerza de su fe, su entrega total a su Creador y el reconocimiento del predominio de este ante cualquier necesidad existencial de supervivencia. En cambio, es la Grande Royale, hermana mayor del jefe de los Dialobe, quien asume la responsabilidad de convocar una asamblea de todo el pueblo, hombres y mujeres (en contra de las costumbres), para plantear la situación difícil e indicar el camino que nadie quiere indicar: el que lleva a la escuela occidental, el que ella presenta como resultante de la derrota brutal y rápida de los antepasados Dialobe contra los invasores blancos:

Il faut aller apprendre chez eux l’art de vaincre sans avoir raison. Au surplus, le combat n’a pas cessé encore. L’école étrangère est la forme nouvelle de la guerre que nous font ceux qui sont venus, et il faut y envoyer notre élite, en attendant d’y pousser tout le pays. (Ibid., p. 47)[13]

 

La delicadeza de la decisión que así se toma está en la permanencia del desafío que la escuela constituye en sí y en la pobre gente a que se destina y que, como lo afirma la Grande Royale, son los mejores hijos de la nación recién colonizada y, por lo tanto, los pilares de su futuro.

 

 II.2. En torno a la elección

En Todas las sangres, en lo tocante al personaje de Rendón Wilka, tenemos una lectura inversa de las consecuencias de la escuela en comparación con Samba Diallo. Es decir que  existen en el joven indio unas capacidades de resistencia por la preservación de su lengua y cultura, como lo confiesa Coello a Carhuamayo, hablando de nuestro personaje:

A ese Rendón le sale como candela del corazón, cuando habla. En todo acierta con su quechua… No he visto ni he oído a otro cholo que sepa tanto, y en quechua. (Arguedas, Todas las sangres, p. 123) 

 

Quizá por haberse mantenido tan cerca de lo indio, Rendón suscita la misma admiración en lo tocante al carácter ejemplar de su comportamiento ante su prójimo. Le dice Justo Pariona « -Nadie en el mundo es más respetuoso que tú, Demetrio. »  (Ibid., p. 190) Él goza de una destreza y habilidad en el hacer que le valen durante mucho tiempo la colaboración de Don Fermín y don Bruno Aragón de Peralta pese a la rivalidad constante de los dos hermanos, sin olvidar la gran fama que tiene entre muchos indios (Ibid., p. 188). Por supuesto, hay otra vertiente menos alabadora, particularmente el manejo del castellano que es de lo más torpe, lo que él mismo reconoce dirigiéndose a Matilde, esposa de don Fermín:   « No entiendo bien castellano, patrona grande. Si tú sabiendo quechua, alma de comunero te cantaría bonito. Eres flor achank’aray.» (Ibid., p. 189).

El peligro de la formación escolar[14] se comprueba sobre todo en otro indio, leído, llamado Cisneros, quien se jacta de saber más que los blancos como don Bruno: « Yo sé más que usted de negocios y costumbres. » (Ibid., p. 210) Además de ser leído, es rico y propietario de hacienda, lo que le incita a rechazar su identidad india: “Qué indio ni qué indio… tengo capital para comprar “La Providencia” y hasta “La Esperanza de su hermano». (Ibid., p. 210) Como lo notamos, la ascensión social que posibilita la formación escolar, igual que el dinero aquí, abre el camino del poder y aleja a los recién promocionados de la gente de su grupo social. Al respecto, todos los nuevos líderes indios, sea Cisneros o Rendón, se encuentran en una situación nueva de renegados y a veces de verdugos ante los suyos. Son aquellos a quienes don Fermín llama “ex indios”:

Los ex indios son vendidos al diablo. No pretenden otra cosa que arribar; tener mando, especialmente sobre los antiguos miembros de su manada. Tener mando y vengarse; son furiosos y obran contra indios y caballeros con la misma saña, si pueden.  (Ibid., p. 87)

 

En L’aventure ambiguë, la formación escolar  iniciada en África y prolongada en Francia, donde se licencia Samba Diallo en Filosofía,[15] acaba por alejar a este de las oraciones diarias que le exige la religión musulmana, como si no hubiera sido uno de los mejores talibé o discípulos de Thierno, y como si no hubieran sido de él aquellos cantos a la vez seductores y temibles que despertaban a todo el pueblo para sacarles la limosna que solían ser los restos de la comida del día anterior. Esta profunda metamorfosis existencial provoca al final su asesinato por El Loco (Le fou):

“Tu ne saurais m’oublier comme cela. Je n’accepterai pas, seul de nous deux, de pâtir de Ton éloignement. Je n’accepterai pas. Non…

Le fou était devant lui.

-        Promets-moi que tu prieras demain.

-        Non… Je n’accepte pas…

Sans y prendre garde, il avait prononcé ces mots à haute voix.  C’est alors que le fou brandit son arme, et soudain, tout devint obscur autour de Samba Diallo. (Kane, L’aventure ambiguë, p. 187)[16]

 

Este triste final de muerte vuelve a plantear el carácter emblemático y suicida de la escuela en la élite intelectual postcolonial, de allí la necesidad de intentar esbozar un balance que parece ya muy revelador de un destino irremediable.

  

III. El balance de la escuela o sus consecuencias

En el País Dialobe igual que en Perú, el balance de la escuela se hace con respecto a las expectativas que dimanan de las políticas y estrategias coloniales y neocoloniales en materia de cultura y educación. Al respecto, en África Occidental, el sistema colonial francés, en comparación con el británico por ejemplo, era más centralizador y con fines de hacer de los colonizados agentes muy fieles de la cultura francesa[17]. En ello, la escuela ha desempeñado un papel importantísimo cuyas consecuencias destacamos en la obra de Cheikh Hamidou Kane, particularmente en el protagonista Samba Diallo quien no puede resistir el influjo del mundo y del racionalismo occidental. El resultado es la interiorización definitiva en el joven Dialobe de un cuestionamiento perpetuo (la duda cartesiana) en torno a su nueva identidad mestiza:

L’Occident s’était immiscé en lui, insidieusement, avec les pensées dont il s’était nourri chaque jour, depuis le premier matin où, à L., il avait été à l’école étrangère. La résistance du pays des Diallobe l’avait averti des risques de l’aventure occidentale. (Kane, L’aventure ambiguë, p. 170) [18]

 

 Él mismo se percata de su metamorfosis:

… Ils s’interposèrent et entreprirent de me transformer à leur image. Progressivement, ils me firent émerger du cœur des choses et m’habituèrent à prendre mes distances du monde. (Kane, L’aventure ambiguë, p. 173)[19]

 

Otro resultado del contacto con el mundo occidental, aunque no es exactamente mediante la escuela, es la enajenación del personaje llamado El loco. Cheikh Hamidou Kane hace de este personaje el asesino de Samba Diallo, dando así más trascendencia a la locura que ya no es sólo la del Loco sino también de todas las víctimas de la escuela occidental (de los que creo formar parte a través de mi mestizaje cultural y sobre todo lingüístico, una identidad muy frecuente en Senegal y África).

[20]

El sistema colonial español en América no dista mucho del francés, sobre todo en lo tocante a la estrategia de transculturación. Pero se ha proyectado más lejos, más allá de un compañerismo cultural y lingüístico, como en el área francófona donde se estila hoy el concepto de “Francofonía”, hacia una sustitución de las lenguas autóctonas por el castellano que se ha vuelto la lengua madre de muchos latinoamericanos, aunque  sigue planteándose la pertinencia del concepto de latinidad para muchos pueblos donde el castellano u otra lengua románica no es la lengua predominante como es el caso, por ejemplo, de Guatemala y de las sierras ecuatorianas, entre otras zonas donde predomina el uso de lenguas indígenas :

Cette étiquette (Latine) largement acceptée aujourd’hui, que recouvre-t-elle? D’où vient-elle? Les évidences du sens commun s’évanouissent vite au regard des faits sociaux et culturels. Sont-elles latines, ces Amériques noires décrites par Roger Bastide ? Latines, la société du Guatemala où 50% de la population descend des Mayas et parle des langues indigènes, et celle des sierras équatoriennes où domine le quéchua ? Latin, le Paraguay guarani, la Patagonie des fermiers gallois, le Santa Catarina brésilien peuplé d’Allemands tout comme le Sud chilien ? En fait on se réfère à la culture des conquérants et des colonisateurs espagnols et portugais pour désigner des formations sociales aux composantes multiples.  (Rouquié, Alain, Amérique  Latine…, p.17)

 

 

Este mestizaje cultural, a menudo sinónimo de transculturación, constituye un problema de identidad para Latinoamérica, un subcontinente que no llega a encontrar por ejemplo una denominación justa y exacta que traduzca su muy rica idiosincrasia. Prueba de ello, la diversidad de apelaciones que abarcan la hispanidad, la latinidad, sin olvidar el indoamericanismo:

Les intellectuels des années trente, notamment dans les pays andins, qui découvraient l’indigène oublié, inconnu, l’ont cru (la latinité officielle des gouvernants). Haya de la Torre, puissante personnalité politique péruvienne, proposa même une nouvelle dénomination régionale : l’ « Indo-Amérique ». Elle aura moins de succès que l’indigénisme littéraire dans lequel elle s’inscrit ou le parti politique à vocation continentale auquel Haya donna naissance.(Ibid., p. 18)

 

 

Por lo demás, en Todas las sangres: la marginación del indio y su imposible acceso a la escuela, una situación que comparte con muchos indios de Lahaymarca y otras comunidades, traduce una visión muy reducida de Perú y de la modernidad según la cual sólo la raza blanca merece la instrucción escolar. Esto se manifiesta a través del asombro que suscita la presencia de Rendón Wilka en el aula escolar:

-     ¿Qué miran? –preguntó indignado el maestro. Él era de una provincia lejana.  

-     Es un indio –dijo Pancorvo, alumno de último año.

-     ¿Nunca habías visto otro? –le preguntó el maestro?

-     En la escuela no. Va a apestar. (Arguedas, Todas las sangres, p 66).

 

Bajo este ángulo, el balance de la escuela se hace con respecto a las consecuencias de la inaccesibilidad de esta por una gran parte de la población peruana autóctona. De este ostracismo resulta una exacerbación de las diferencias hasta alcanzar dos extremos – entre la servidumbre de las masas indias y la “bárbara señoría” de los amos–  que muy bien resume don Fermín cuando habla de « siervos que besan los pies de bárbaros señores que creen en Dios y en las brujerías » (Ibid., p. 122, tomo 2). Frente a esta situación, el mismo señor de Peralta propone como remedio la formación escolar: «Les pondremos escuelas » (Ibid., p. 122). A través de estas palabras, la aristocracia dirigente parece pues, por fin, tomar conciencia, al estilo de los Dialobe, del papel imprescindible de la escuela en un Perú que quiere ser moderno y que se da cuenta a posteriori de que la marginación de los indios no ha obstaculizado la voluntad de estos de asumir su destino en las tierras andinas que son de todos.  

 

 

Conclusión

El planteamiento de las visiones contrapuestas de la escuela y de la cultura nos lleva hacia una actualización de nuestra temática. Por una parte, se prolongan las herencias culturales coloniales que desde luego siguen vivas en ambas zonas, respectivamente el País Dialobe/Senegal y San Pedro/Perú donde persisten el francés y el español como lenguas oficiales. Pero, para Hispanoamérica y el África francófona que son las dos áreas a que remiten nuestros dos mundos ficcionales, es necesaria una doble ruptura. Una primera, progresiva,  de las distancias entre el foco de lo que se llamaba la metrópoli político-cultural y el foco escolar, es decir entre Francia y el País Dialobe, por una parte y, por otra parte, de manera indirecta, entre Madrid, Perú y San Pedro. Desde luego, esta ruptura no puede ser definitiva antes de una emancipación política clara e irreversible de los pueblos ayer dominados. Mientras tanto, las nuevas políticas escolares, después de elaborarse conforme a los intereses coloniales y postcoloniales, deben seguir abriéndose más cauces conformes a preocupaciones nacionales. La segunda ruptura debe ser una ruptura de los esquemas político-culturales heredados de la famosa Conferencia de Berlín de 1885 –por lo que toca a África, según los cuales a cada metrópoli colonial correspondían una lengua y un área política especifica. Esta segunda ruptura[21] debe abrir camino hacia una diversificación de las lenguas y al mismo tiempo una reconsideración de la exclusiva trascendencia reservada a unas llamadas lenguas internacionales y otras nacionales o locales. Así el quechua de Rendón Wilka y el pulâr de Samba Diallo, al lado de otras lenguas como el guaraní, el nahualt, el swahili, etc. desempeñarían su verdadero papel de médium lingüístico de millones de gentes marginadas por siglos de dominación extranjera.

 

 

Bibliografía 

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-Kane, Cheikh Hamidou. L’aventure ambiguë. Paris: Julliard, 1961.                  

-Arguedas, José María. Los ríos profundos. Buenos Aires: Editorial Losada, S.A. Séptima edición, 1976 (1ª Edición 1958).

-Donoso,  José. Cuentos. Santiago de Chile: C. Barcells, 1955.

-Fanon, Frantz. Peau noire. Masques blancs. Paris: Éditions du Seuil, 1952.

-Forgues, Roland. José María Arguedas : de la pensée dialectique à la pensée tragique (Histoire d’une utopie). Toulouse : Presses de l’Université du Mirail, 2004.

Getrey, Jean. Comprendre "L'Aventure ambiguë" de Cheikh Hamidou Kane.  Issy-les-Moulineaux : Les Classiques Africains, 1982.

-Kane, Hamidou ; Kane, Cheikh Hamidou; Mercier Roger ; Battestini, Monique. Cheikh Hamidou Kane, écrivain sénégalais. Paris : Nathan, 1965.

Moriceau, Annie ; Rouch Alain. "L'Aventure ambiguë" de Cheikh Hamidou Kane. Étude critique. Paris : Nathan, 1983.

-Pierrette, Herzberger-Fofana. Écrivains africains et identités culturelles : entretiens. Stauffenburg, Tübingen, 1989.

-Rouquié, Alain. Amérique latine, (Introduction à l’Extrême-Occident). Paris : Seuil, 1987.

- Vargas Llosa, Mario. L’Utopie archaïque : José María Arguedas et les fictions de l’indigénisme. Paris : Gallimard, 1999.


[1] El País Dialobe forma parte de la región de Futa Toro, en el valle del río Senegal, precisamente entre Dagana y Dembankane.

[2]El francés Alain Rouquié ha hecho un planteamiento muy interesante sobre la identidad de América latina y particularmente sobre el uso muy inexacto del concepto de latinidad que veremos más tarde, en Amérique latine, (Introduction à l’Extrême-Occident). Paris: Seuil, 1987.

[3]Arguedas, José María, Los ríos profundos. Buenos Aires: Editorial Losada, S.A. Séptima edición, 1976 (1ª Edición 1958), p. 38

[4]Donoso,  José, Cuentos, Santiago de Chile: C. Barcells, 1955, p. 32.

[5] Getrey, Jean, Comprendre "L'Aventure ambiguë" de Cheikh Hamidou Kane, Issy-les-Moulineaux : Les Classiques Africains, 1982, p. 4.

[6] Arguedas, José María. Todas las sangres. Buenos Aires: Editorial Losada, S.A., 1970, p. 65.

[7] « … Une salle de classe remplie de négrillons/Un aula llena de negritos », en  Kane, Cheikh Hamidou. L’aventure ambiguë. Paris: Julliard, 1961, p. 61.

[8] A ver, hijos míos, insistía el Sr. Ndiaye, Pau está en una provincia de la que es la capital. ¿Cuál es esta provincia? ¿Qué os recuerda Pau?, ibid., p. 63.

[9] El señor Ndiaye se volvió hacia él. Juan sintió una como relajación muscular en el otro. Sonrió y pareció perplejo; luego se levantó. La provincia cuya capital es Pau es la de Basses Pyrénées. Pau es la ciudad donde nació Henri IV.

Su voz era clara y su lenguaje correcto… Cuando terminó de hablar, volvió a sentarse tras una señal del señor Ndiaye.

[10] « He llevado mi hijo a la escuela y he rogado a Dios que nos salve a todos, a ustedes y a nosotros. », ibid., p. 91.

[11] Sólo he enviado a mi hijo a la escuela porque no tenía otra posibilidad.  Nosotros solo fuimos por obligación. Pues, nuestra desaprobación es cierta… Sin embargo el asunto es molesto. Negábamos la escuela para conservar nuestra identidad y para conservar a Dios en nuestros corazones. Pero ¿teníamos bastantes fuerzas para resistir la escuela y bastante sustancia para quedar los mismos?

[12] Si les digo que vayan a la escuela nueva, se irán todos. Aprenderán todas las técnicas de juntar la madera con la madera, lo que no sabemos hacer. Pero al aprender, olvidarán también. Lo que aprenderán ¿valdrá tanto como lo que olviden?

[13] Hay que ir a aprender en su escuela el arte de triunfar sin tener razón. Además, no ha terminado todavía el combate. La escuela extranjera es la forma nueva de la guerra que nos hacen aquellos que vinieron un día, y tenemos que enviar a nuestra élite, esperando enviar a todo el país.

[14]Vargas Llosa, Mario, L’Utopie archaïque : José María Arguedas et les fictions de l’indigénisme, Gallimard, Paris 1999.

[15] Herzberger-Fofana, Pierrette, Écrivains africains et identités culturelles : entretiens, Stauffenburg, Tübingen, 1989, p. 77.

[16]“No deberías olvidarme así. No aceptaré,  solo contigo, sufrir tu descuido. No lo aceptaré. No.”

El loco estaba delante de él.

-          Prométeme que rezarás  mañana.

-          No… No lo acepto…

Sin darse cuenta, había pronunciado estas palabras en voz alta. Fue entonces cuando el loco blandió su arma, y de repente, todo se volvió oscuro alrededor de Samba Diallo.

[17] Se les tachaba de « assimilés », es decir gente que ha renunciado a su cultura por otra. Véase a Frantz Fanon, Peau noire. Masques blancs. Paris: Les Éditions du Seuil, 1952.

[18] Occidente lo había invadido asechosamente con los pensamientos que había ido adquiriendo cada día, desde aquella primera mañana cuando, en L., había estado el la escuelaextranjera. La resistencia del País de los Dialobe le había advertido de los riesgos de la aventura occidental.

[19] Ellos se interpusieron y decidieron transformarme a su imagen. Progresivamente me inspiraron nuevos sentimientos y me acostumbraron a alejarme del mundo.

[20] En Senegal, como en muchos países africanos, los intelectuales hablamos o aprendemos por lo menos tres lenguas extranjeras y una lengua local que es la materna. Es frecuente que el dominio de una lengua extranjera sea más importante que el de la lengua local, por lo menos en el terreno de la conceptualización.

[21]Esta segunda ruptura, la quisiera buscar en mí, por supuesto más próximo al personaje de Samba Diallo que a Demetrio Rendón Wilka, por ser un senegalés y producto de un doble mestizaje interior y exterior. Interior, de dos etnias y lenguas materna y paterna –el wolof y el pular–, exterior, de dos o varias lenguas internacionales, el francés, mi lengua oficial y el español, mi lengua de especialidad profesional y universitaria, entre otras como el inglés y el portugués.

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Abstract

This article is a contribution to the scholarly woks on the origins and evolution of African and African-American literatures. It revisits the contentious debate over literary traditions and canons that are seemingly believed to be rooted and developed in western cultures and literatures. Accordingly, some scholars argue that the African and African-American literary traditions are inheritent to those occidental literary traditions and canons as they have influenced their writers’ literary backgrounds.

From a critical and comparative approach, this paper transcends the above-mentioned controversies. It brings to conclusions according to which both African and African American literatures have their own traditions whatsoever the influence of western traditions have upon them. It highlights that the question of genre raised upon the novel is a matter of heritage and political cultural hegemony that turns into dependence.

Keywords: literary tradition - African novel - African-American novel -    heritage- influence- dependence

 

Résumé

            Cet article est une contribution aux travaux menés sur les origines et  l'évolution des littératures africaine et afro-américaine. Il examine en grande partie le débat contentieux sur les traditions et canons littéraires que l'on croit apparemment être enracinés et développés dans les cultures et littératures occidentales. En conséquence, certains chercheurs défendent que les  traditions littéraires africaines et afro-américaines sont inhérentes à celles de l’Occident car elles ont influencé leurs écrivains.

            À partir d'une approche critique et comparative, cet article  transcende lesdites controverses. Il mène à des conclusions selon lesquelles les littératures africaines et afro-américaines ont leurs propres traditions quelle que  soit l'influence  que les traditions occidentales ont eue sur elles. Ainsi, la question de genre  romanesque soulevée sur la forme des romans africains et africain-américains  qui, ne semble pas obéir aux standards européens, relève d’un héritage culturel et d’une hégémonie culturelle politique qui se transforment en dépendance.

Mots clés: tradition littéraire- roman africain – roman africain-américain- héritage- influence- dépendance

 

 

INTRODUCTION

               Après un siècle d’existence (pour la littérature africaine écrite) et plus de deux siècles d’existence (pour la littérature africaine-américaine), celles-ci ne sont que miettes pour certains érudits littéraires par rapport aux littératures occidentales et asiatiques qui existent depuis une dizaine de siècles maintenant. Cependant, les littératures africaines et africaine-américaines ne restent pas moins révolutionnaires et significatives sur le plan artistique, culturel et littéraire. Aussi, ne cessent-elles pas de susciter, des questions de traditions et de genres littéraires qui sont des points focaux dans cette étude.

          A travers une analyse critique et par une approche comparative qui mettent en lumière des questions de genèse, d’influence et d’interdépendance culturelle ayant marqué l’histoire des littératures africaine et africaine-américaine, cette étude se propose de revisiter l’histoire des traditions littéraires des romans africain et africain-américain. Dans cette analyse, nous aborderons la question fondamentale de l’héritage culturel menant à des controverses sur les traditions et genres littéraires. Nous soulignerons également le problème des langues d’expression menant à des difficultés d’harmonisation du discours pour parler d’une seule littérature africaine par rapport à la littérature africaine-américaine qui est sa descendante de facto.

 

I-De l’héritage culturel

            Sur la base de certaines théories et critiques[1] du genre romanesque de par ses origines lointaines et ses formes multiples qui ont traversé les cultures et traditions asiatique d’une part et européenne d’autre part depuis l’Antiquité, nous constatons que  les romans africain et afro-américain ont bel et bien leurs propres traditions bien que celles-ci soient récentes ou influencées par leurs prédécesseurs. S. Amanor Dseagu défend cette thèse:

There is also evidence that the novel form had been known long before it became established in England and Europe. The classic Chinese novel spans a long period of European literary history stretching from the late Middle Ages to the nineteenth century. Even judging by its finest titles, it differs from the modern Western novel not only because it shows no comparable concern with form but because it represents a different composition of fiction.

History tells us that the novel did not originate in England or in Europe. The novel was already well known in the Far East before A.D. 1000. The first Japanese novel is said to have been written by Japanese, traditionally identified by name as Murasaki Shihitu, who lived during the Heian Age, which dates from about 795 to about 1185. Both in style and in plot structure, that novel has been said to be very different from the usual Western novel (DSEAGU 1992: 586)

 

Il faut noter dans cette perspective que beaucoup de siècles se sont écoulés entre les traditions occidentale et asiatique et celles de l’Afrique ou de « l’Amérique noire » [2] du Nord, car les peuples de la Diaspora noire ont eu contact avec l’écriture il n’y pas très longtemps c’est-à-dire il y a moins de six siècles (vers le XVIIe siècle). Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’existait pas de littérature chez ces peuples de la même origine et du même héritage culturel. Il y avait une littérature qui reposait sur une tradition purement orale dont la richesse est caractérisée par le folklore qui est un ensemble d’éléments culturels: mythes, légendes, contes, proverbes etc.

            Cette culture ou plutôt tradition orale se transmettait de génération en génération. Pour la préservation des ses valeurs cardinales, ce sont les griots[3] qui étaient les plus grands conservateurs ou consultants traditionnels qui se voulaient à la fois messagers et mémoires de leurs sociétés. Cette époque de l’histoire des peuples noirs qui reposait sur une littérature spéciale et orale date pourtant du Moyen Age même si elle ne possédait pas de sources écrites permettant de valider cette prédominance ou préexistence culturelle.

            Dès lors, si toute littérature est fille d’une culture particulière, pourquoi les romans afro-américain et africain ne sont apparus respectivement qu’au début des XVIIIe et XXe siècles ?  Cette question peut être d’emblée répondue en précisant que l’Europe n’avait pas le monopole du savoir devant l’Afrique mais plutôt celui de l’écriture. Car – rappelons ou reconnaissons le – n’eût été les deux grands évènements historiques (l’esclavage et la colonisation) qui ont certes bouleversé les peuples africains et atteint leur dignité et intégrité morale, ces peuples-là auraient difficilement eu accès à l’écriture. Cette thèse est discutable, mais certains chercheurs comme Janheinz Jahn l’ont défendue:

Africa’s traditional literature is oral. But since Africans began coming into contact with Arabic and western cultures, they have produced written literary works; at first only a few did so, but afterwards a great many. Former slaves in Europe who somehow ended up in Europe or America were writing in European languages as early as the sixteen and eighteen centuries. With the establishment of mission schools in Africa, written literary works have been produced there too in both European and African literary languages, since the beginning of this century. (JAHN 1968: 21)

 

En termes de publication de roman, ce sont, sans doute, les afro-américains qui ont précédé leurs homologues africains. Ceci s’explique par deux raisons. D’abord, ils ont été les premiers noirs à avoir accès à l’écriture grâce à la déportation qui ne leur a permis cette activité qu’au XVIIIe siècle. Ensuite, cette expérience difficile a très tôt fait naître chez eux une révolte du cœur et a suscité une curiosité d’écriture. Cependant, il faut reconnaître, en contrepartie, que tout le background culturel qui a influencé leurs écrits, à savoir le caractère autobiographique et oral du « slave narrative», vient d’une grande partie de l’expérience de la souffrance engendrée par l’esclavage. D’autre part, ils voulaient se réconcilier avec leur passé nostalgique en écrivant des mémoires. Rowe & Killam élaborent ce point:

Though the African presence in North America predates trans-Atlantic slave trade, African American literature begins with the oral performances with which African slaves relieved, when possible, the physical and psychological horrors of their lives. Written literature did not emerge until the eighteenth century, principally because slaves were forbidden by statute to acquire literacy or any intellectual equipment that might engender a rebellious consciousness of self-worth (ROWE & KILLAM 2000: 6).

 

En revanche, pour parler de la littérature orale en général qui est la source des deux traditions littéraires que nous comparons, c’est nettement la littérature africaine qui a précédé pendant plus de neuf siècles, car l’Afrique est non seulement le berceau de l’Humanité mais aussi la terre mère des écrivains afro-américains. Aussi, depuis longtemps, il existait une littérature orale traduite en Arabe et publiée sous forme de récits ou chroniques historiques appelés tareh  comme le Tareh Es Soudan de Ibn Kaldum publié depuis le XIe siècle[4]. Cependant, en termes de publication, le roman afro-américain est apparu en premier lieu, grâce à la déportation occasionnée par la traite négrière qui a légué aux Afro-américains une seconde culture qui féconde celle d’origine. Alors, cette partie du peuple noire déportée aura, vite, traduit sa culture sur le plan littéraire comme un couteau à double tranchant qui est une métaphore d’un double héritage culturel. Janheiz Jahn décrit, dans ces lignes, l’histoire de celui qui a occasionné cette forme de « littérature d’exil » à travers les écrits d’Olauda Equiano qui est le précurseur du roman dans la tradition littéraire afro-américaine: « Equiano told the story of his very varied life, and he is the first report we have by an African on his country of origin.  It is well-known and easily accessible. » (JAHN 1968: 40).

           En effet, Equiano est le premier esclave exporté de l’Afrique de l’Ouest. Le pays d’origine auquel Jahn fait allusion est celui du Nigéria qui est aussi la terre natale de Chinua Achebe, une célèbre figure littéraire et l’un des pionniers de la littérature africaine anglophone. Voici un scénario historique qui démontre le rattachement culturel des écrivains afro-américains à l’Afrique. Richard Barksdale & Keneth Kinnamon relatent les faits:

Few men in the eighteenth century lived a life more varied and adventurous than that of Olauda Equiano (or Ekwuano), known in later life as Gustava Vassa (or Vassa). An Ibo, Equiano was born east of the Niger in what is now the first south-central of Nigeria. His account of Ibo life and culture in the first chapter of his autobiography, The Interesting Narrative of the Life of Olauda Equiano, or Gustava Vassa, the African (1789), is invaluable as one of the first descriptions of an African society by an African. Many of the customs and beliefs recorded by Equiano still prevail among the Ibo people (BARKSDALE & KINNAMON 1972: 5).

 

 II- De l’influence et de la dépendance des cultures occidentales

En étudiant les traditions littéraires africaine et afro-américaine, il faut d’abord noter qu’elles ont été toutes assujetties à une domination culturelle réalisée à travers un système colonial très solide et impératif, car l’objectif majeur du colon était d’abord de dominer les autochtones en leur imposant sa langue et sa culture ; ce qui a été bien acquis dès le début de la conquête. La preuve de cette réalité est la présence en Afrique d’une littérature écrite dans des langues d’expression différentes: l’anglais le français, l’allemand, le portugais, l’espagnol, et l’arabe alors qu’en Amérique du nord il n’y a qu’une seule langue d’expression purement anglaise. 

             Dès lors, une grande différence s’impose, car si la littérature africaine, en terme de tradition, ne connaît que deux grands ancêtres, à savoir la tradition orale africaine sur le plan culturel et l’Europe sur le plan linguistique à travers la langue d’expression, la littérature afro-américaine, quant à elle, en a trois par devoir de mémoire. Cette dernière trouve premièrement ses origines en Afrique, son ancêtre (le grand-père) sur le plan culturel. Deuxièmement, la littérature américaine en général qui est sa mère naturelle car elle n’est qu’une branche de celle-ci. Et troisièmement l’Europe (le père) dont la langue d’expression et la tradition littéraire sont implantées en Amérique par le biais du colonisateur anglais. Pierre Lagayette montre dans la citation suivante que cet impérialisme culturel et littéraire s’est opéré sous forme de «condition romanesque » chez les écrivains américains en général:

Les premiers romanciers américains, il est vrai, ont été victimes d’une conjoncture plutôt défavorable: primauté de la culture politique, succès de la littérature « utilitaire » […] et vogue des auteurs anglais. […] la mode est aux récits de captivité, aux aventures rocambolesques; à la pénombre et au frisson du genre gothique, et les romanciers américains de la première heure vont suivre le goût des lecteurs. Ils adaptent les modèles anglais mais avec beaucoup de prudence (LAGAYETTE 2001: 27).

 

Pour mieux étayer ce que Lagayette a argumenté, il serait mieux de faire comprendre que les écrivains de la littérature américaine en général qui est à la fois la mère de la littérature africaine-américaine, ont été confrontés à un problème de tradition car ils voulaient dès le début de leur indépendance politique enclencher une forme d’écriture qui rime avec indépendance totale sur tous les plans. Ils voulaient ainsi adopter une nouvelle forme d’écriture puisque continuer à utiliser la tradition occidentale qu’ils reconnaissent comme leur ancêtre sans contestation n’était pas idéal pour certains. Peter B. High explique ce phénomène en clarifiant que les écrivains américains voulaient créer une « littérature nationale » avec leur propre version:

In the early years of the new republic, there was disagreement about how American literature should grow. There were three different points of view. One group was worried that American literature still lacked national feeling. They wanted books which expressed the special character of the nation, not books which were based on European culture. Another group felt that American literature was too young to declare its independence from the British literary tradition. They believed the United States should see itself as a new branch of English culture. The third group also felt that the call for a national literature was a mistake. To them, good literature was universal, always rising above the time and place where it was written. The argument continued for almost a hundred years without any clear decision. As American literature grew and flowered, the greatest writers found a way to combine the best qualities of the literature of the Old and New Worlds. They also gave their works the universality of great literature (HIGH 1986: 27).

 

Parallèle à l’idée d’indépendance politique d’abord acquise en 1776 qui fut d’ailleurs un grand succès des Pères fondateurs des USA appréciés par tout le peuple américain, une indépendance culturelle aussi s’annonça avec la naissance d’une « littérature nationale et originale » dont le premier roman apparut en 1789. Ce qui constitue encore une grande victoire, car la naissance du premier roman américain, The Power of Sympathy de William Hill Brown coïncide avec l’année de la ratification et de l’entrée en vigueur de la Constitution des USA (1789). Pierre Lagayette décrit cette histoire qu’il considère comme les « prémices de la littérature américaine »:

Si l’on mesure une littérature nationale par les  œuvres d’imagination en prose que l’on a coutume d’appeler « roman », alors la littérature américaine n’existe pas avant 1789 avant The Power of Sympathy, de William Hill Brown, que la critique moderne s’est plu à considérer comme le « premier roman américain ». Les balbutiements d’un genre littéraire naissant offrent rarement des exemples  de franche réussite, et celui qui s’attache surtout à la valeur artistique d’un texte fera bien d’oublier prestement les œuvres de cette pro-fiction américaine. Mais les plus attentifs y décèleront des vertus et des indices témoignant de la lente gestation qui va mener, vingt ans  plus tard, à l’éclosion de talents surs comme Irving et Cooper (LAGAYETTE 2001: 27). 

 

Pour autant, les premiers romans qui se désignent typiquement et respectivement comme romans américain et afro-américain ont tous vu le jour la même année en 1789. Il s’agit de The Power of Sympathy de William Hill Brown et The Interesting Narrative of the Life of Olauda Equiano, or  Gustava Vassa, the African, Written by Himself d’Olauda Equiano. Cependant, des critiques on été formulées à l’endroit d’Equiano dont le roman a été jugé moins conventionnel et qualifié comme «slave narrative» (récit oral d’esclave) plutôt qu’un roman au sens propre. C’est d’ailleurs la même critique qu’avaient reçue les deux premiers romans de la littérature anglophone de l’Afrique de l’Ouest à savoir People of the City de Cyprian Ekwensi (1952) et The Palm-Wine Drinkard d’Amos Tutuola (1952).

            Au regard de ce qui s’est passé, ceux qui voulaient attaquer l’œuvre d’Equiano auraient donc déduit que l’on ne peut pas naître avant son ancêtre si toutefois les écrits d’Equiano se veulent héritiers de la tradition littéraire américaine. En revanche, cet auteur n’attendait qu’un accès effectif et formel à l’écriture pour matérialiser sa culture et tradition et aussi faire revivre son expérience.

             A la différence des écrivains afro-américains,  cette occasion ne s’est présentée chez leurs confrères africains et nigérians en particulier qu’au début de la deuxième moitié du vingtième siècle (en 1952). N’empêche, les précurseurs du roman nigérian aussi ont été rangés au même banc qu’Equiano. Bernth Lindfords qui fait partie de ceux que nous appelons « critiques de l’extérieur » rétorque ceci aux défenseurs du roman africain:

Ekwensi’s novels are still failures. They combine some of the worst features of Western popular literatures with some of the least subtle techniques of African oral narrative art.  It seems that when Ekwensi is not trying to get by with cheap effects borrowed from shoddy sources, he is labouring to make an obvious point. Thus, like his heroes, he vacillates between complete Westernisation and reversions to his African heritage (LINDFORDS cited by DUROSIMI 1975: 185).

 

Ce que nous venons de développer montre que le roman afro-américain, de par son triple héritage, a soit devancé ou est resté sur la même longueur d’ondes que ses ancêtres sur le plan culturel. En réalité, sur le plan littéraire et artistique, le roman afro-américain est paradoxalement le vrai ancêtre du roman africain anglophone du Nigéria puisque Equiano qui est le premier romancier afro-américain est aussi d’origine nigériane. Donc, cela va sans dire qu’il va influencer les futures générations d’écrivains nigérians. C’est ce que Rowe et Killam ont démontré dans A Companion to African Literature:

In 1958, Chinua Achebe published the first standard West African novel in English, Things Fall Apart. Since that time hundreds of other titles have appeared: more than five hundred from Nigeria and some fifty from Ghana, Sierra Leone, and Gambia. Some critics regard The Interesting Narrative of the Life of Olauda Equiano, or  Gustava Vassa, the African, Written by Himself (  1789), which appeared in two abridgements in 1967 and 1968 and a facsimile reprint in 1969 (all edited by Paul Edwards) ,as the ancestor of the West African novel in English. Others think that the story should begin with Cyprian Ekwensi’s People of the City (1952) (ROWE & KILLAM 2000: 185).

 

Cette assertion de Killam et Rowe est très édifiante sur  la question de la genèse du roman africain même si elle ne prend en charge que le roman nigérian en particulier. Cependant, il n’est pas moins important dans l’étude de l’évolution de la littérature africaine. Parler du roman nigérian seul peut suffire, car le plus grand nombre de publication de romans vient de cette zone de l’Afrique.

           Eu égard à ce que nous avons développé, il n’est pas facile de tracer l’histoire de la littérature africaine, voire ses traditions. En d’autres termes, il est difficile de parler de littérature africaine d’une manière homogène comme celle d’Amérique ou d’Europe. Le problème majeur qui se pose est que l’Afrique est une unité géographique qui se distingue aussi par une pluralité culturelle alors que l’Amérique peut être définie comme une seule unité, voire entité géographique et culturelle car la littérature américaine (mère) de même que sa branche (afro-américaine) ont toutes la même langue d’expression. Ce qui n’est pas le cas en Afrique et qui fait que chaque zone se retrouve avec une langue d’expression différente selon l’expérience coloniale. Par conséquent, on se retrouve avec plus de quatre langues d’expression d’origine européenne que sont: Anglais, Français, Espagnol, Portugais, entre autres.  Janheinz Jahn fait cette remarque:

Africa is geographical, not a cultural term. There are two different  cultural  areas, with  different  histories and traditions: on the one hand North Africa,  and on the  other what is variously called  ‘Negro Africa’, ‘Black Africa’, ‘non-Islamic  Africa’ and ‘Africa south of Sahara’. The peoples in these two areas have all sorts of relations with each other over thousands of years, yet the difference between them have remained (JAHN 1968: 19).

 

Jahn nous aide à observer à quel point il est difficile d’harmoniser ou de donner la date d’apparition du roman africain d’autant plus que c’est une aire géographique caractérisée par une diversité linguistique et dont la littérature aussi se subdivise en sous branches et évolue à des ères et aires différentes.  Il y en a qui ont existé depuis l’Egypte ancienne comme le cas de la littérature africaine berbère. D’autres sont récentes et n’ont émergé considérablement qu’après l’ère coloniale. C’est là que beaucoup de critiques éprouvent des difficultés à dire d’une manière uniforme où se situe le roman africain.  Néanmoins,  il n’est pas impossible de suivre les différentes branches de littératures qui prédominent pour tracer l’origine du roman et sa date d’apparition.

           Bien que le roman soit apparu en Europe depuis le Moyen Age et en Amérique à  la fin du XVIIIe siècle,  en littérature africaine en général il n’a vu le jour qu’au début du XXe siècle. De ce fait, il faudrait préciser que si dans la littérature africaine francophone, le premier roman est Force bonté de Bakary Diallo publié en 1921, il n’en demeure pas moins qu’il existait des romans dans la littérature africaine anglophone bien avant celui-ci.

              Toutefois, si nous nous fondons sur l’historique de la littérature africaine, l’on conviendrait que le premier roman africain est pourtant  apparu en Afrique du Sud avec Thomas Mofolo qui a publié en 1906, dans sa langue, Sesuto, traduit en Anglais sous le titre, The Traveller of the East suivi de Pitseng en 1910 et Chaka en 1925. Ces œuvres sont des références qui montrent que le roman africain anglophone a précédé celui des francophones. Ainsi, ce que ces romans de langues d’expression différentes ont de commun sur le plan culturel est le fait qu’ils ont  tous puisé leurs sources dans la tradition orale.

            Cependant, bon nombre de critiques qui s’intéressent à la littérature africaine d’expression anglaise considèrent le roman nigérian, Things Fall Apart, (1958)   comme le plus célèbre voire celui qui marque le début de la littérature de l’Afrique de l’Ouest anglophone. En principe, dans cette aire, c’est les romans d’Amos Tutuola et de Cypian Ekwensi, respectivement The Palm-Wine Drinkard et People of the City publiés en 1952 et ayant comme source la mythologie yorouba qui sont les précurseurs. Killam et Rowe analysent:

The first francophone Africa, novels appeared in the 1920s. Force Bonte (1921), by Bakary Diallo and L’Esclave (1926), by Felix Couchoro had supported the colonial system while asking for full assimilation. Not until the 1960s was the body of work large enough to declare its independence from the French novel while sharing common aesthetic concerns (ROWE & KILLAM 2000: 181)

 

Quant au roman afro-américain, il est plus ancien que le roman africain mais beaucoup plus récent que celui de l’Europe.  Il a vu le jour en 1789 avec Olauda Equiano qui a inspiré ses successeurs qui, à leur tour, ont perpétué la tradition comme dans Letter From an American Farmer (1884)[5] de Saint Jean de Crèvecœur et Narrative Life of Frederick Douglass, An American Slave (1845)[6]. Equiano a influencé ces générations et d’autres en Afrique. Ainsi, on assiste à une scène de transmission de génération en génération, de l’Amérique en Afrique comme cela se faisait au temps de la tradition orale.

             Par le triple héritage de l’expérience afro-américaine et le double héritage africain, se sont forgées deux traditions littéraires artistiquement et culturellement liées. Leurs modes d’écriture situées entre le folklore de la littérature orale et la langue d’expression de l’ancien colonisateur, ont traversé des aires et ères de l’Afrique à l’Amérique en passant par les mouvements littéraires du « Harlem Renaissance » des années 1920, la Négritude implantée entre l’Afrique et les Caraïbes depuis les années 1930 et le « Black Art Movement » des années 1960.[7] Houston  A. Baker Jr montre comment cette tradition a été perpétuée au fil des années à travers des générations différentes.

 

 

CONCLUSION

En définitive, c’est sans doute les transformations et transmissions à travers l’oralité de génération en génération qui ont inspiré les écrivains contemporains des deux camps. Samba Diop explique d’où vient le caractère hybride du roman africain:

L’oralité est l’élément de support premier du projet narratif moderne en langues européennes. Cependant, il est aussi devenu banal de dire  que le roman est d’origine européenne. Au-delà de ses origines, il importe de savoir  comment ce genre s’est adapté à l’Afrique et donc, comment l’écrivain postcolonial l’utilise en partie pour y inscrire des concepts tels que  la nation, l’ethnicité et la  conscience de groupe (DIOP 2003: 47)

 

 Eu égard à ce que Samba Diop a affirmé, cela va sans dire que c’est l’appropriation voire la démystification du genre romanesque par les écrivains africains en le transposant en roman ethnique qui  justifie la forte présence de mythes, contes, légendes et proverbes dans les romans africain et afro-américain. Bref, voici ce qu’il faut appréhender pour élucider la controverse « originelle et conceptuelle.» Il faut comprendre que peut-être c’est le genre seulement qui a été emprunté (à la limite), mais la tradition est purement africaine ou afro-américaine car les écrivains de ces peuples l’ont réadapté à leur façon pour montrer de nouvelles traditions dans la littérature en général. Chinua Achebe souligne et confirme cet aspect quand il dit:

African people did not hear of culture for the first time from Europeans. Their societies were not mindless but they had a philosophy of great depth and value and beauty; they had poetry and above all, they had dignity. (ACHEBE 1975: 8)

  

BIBLIOGRAPHIE

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  • LAGAYETTE, Pierre.Histoire de la littérature américaine(nouvelle édition). Paris: Hachette, 2001.
  • UNESCO. (sous la direction de Ahmadou Moctar Mbow),Histoire générale de l’Afrique I:méthodologie et préhistoire africaine. Paris: P. A / Edicef / Unesco, 1979.

[1] Pour plus de détails sur cette question voir les théories de Peter B. High,  Pierre Lagayette, Richard Barksdale et al.,  Samba Diop,  Douglass Killam et al. dont les références complètes figurent dans notre bibliographie.

[2] Terme que nous utilisons pour  les Afro-américains bien qu’il  soit chargé selon certains ethnologues qui font la différence entre « Africain-Américain » et « Afro-Américain ». Néanmoins, dans ce travail nous comprenons par son  usage la génération d’écrivains afro-américains.

[3] Il y a des sociétés où il n’existe pas de griot certes, mais il y a toujours des personnes ressources qui peuvent jouer ce rôle de transmetteur de savoir.

[4] Cf., Joseph Ki-Zerbo, (sous la direction de), Histoire générale de l’Afrique I:méthodologie et préhistoire africaine (Paris: P. A / Edicef/ Unesco, 1979).

[5] Cf., Saint Jean de Crevecoeur, Letter From an American Framer (London Mac Millan,1884).

[6]Cf., Frederick Douglass, Narrative Life of Frederick Douglass, An American Slave (London: Mac Millan, 1845).

[7] Cf. Houston A. Baker Jr, Blues, Ideology and Afro-American Literature: A Vernacular Theory (Chicago:  The University of Chicago Press, 1984).

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