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Résumé

Le génocide rwandais de 1994 ayant causé la mort de près d’un million de Tutsis a été présenté comme un conflit ethnique opposant la majorité hutue et la minorité tutsie. L’émotion suscitée par la fulgurance des massacres et l’impuissance de la communauté mondiale a depuis lors donné lieu à un important travail de mémoire manifeste aussi bien à travers la littérature et le cinéma.

Mots-clés: génocide-manipulation ethnique-réalité-distanciation.

 

Abstract

The Rwandan genocide of 1994 successors in title the death of almost a million Tutsis was presented like an ethnic conflict opposing the Hutu majority and the Tutsi minority. The emotion caused by the fulgurance of the massacres and the impotence of the world community since then gave place to an important work of memory expresses as well through the literature and the cinema.

Key-words: genocide-ethnic manupilation-reality-distanciation.

 

 

Introduction

Le génocide rwandais est d’abord un drame de l’image. En effet, d’avril à juillet 1994, les médias internationaux relayent les scènes des hordes de fanatisés se livrant à la traque de Tutsis mais également les images d’horreur de plusieurs cadavres de femmes et d’enfants jonchant les rues, livrés aux chiens errants. Dans le même temps, soucieuses de la protection de leurs différents intérêts et également pour des raisons de politique intérieures, les principales puissances occidentales préfèrent ignorer la réalité de l’exécution du génocide en prétextant la récurrence des violences ethniques en Afrique.

La fulgurance des massacres de même que la passivité de la communauté mondiale a donné lieu à de nombreuses études (essais, témoignages, rapports, documentaires, monographies, etc.) s’évertuant à constater les faits, à les analyser, à les rapprocher pour mieux comprendre ce qui a pu se passer au Rwanda. D’autre part, les autorités rwandaises à travers les différentes commémorations officielles rendent hommage aux victimes tutsies préservant ainsi une histoire officielle du génocide.

Le projet Fest’Afrika ayant réuni en 1998 au Rwanda, plusieurs écrivains africains dont Véronique Tadjo[2] et un cinéaste marque une étape importante d’un travail de mémoire aussi bien littéraire que cinématographique. Il s’agit de témoignage des rescapés rwandais tels Scholastique Mukasonga[3], d’une fiction romanesque à l’exemple de l’œuvre Flore Hazoumé[4] ou encore la réalisation d’une production hollywoodienne avec George Terry[5]. Prises entre le "réel" et l’officiel, ces œuvres artistiques présentent une version stylisée de la tragédie rwandaise. Il s’agira donc à travers cet article de montrer les différentes approches de la figuration du génocide dans la littérature et le cinéma et leurs implications.

 

I. Une ethnicité instrumentalisée

 

Le Rwanda est composé de trois groupes ethniques repartis comme suit avant le génocide de 1994. Les Hutus majoritaires à 89%, les Tutsis représentent 10% et les Twas 1%.

Pour Antoine Rutayisiré, « historiquement, ces trois groupes ethniques vivaient ensemble, parlant une même langue et ayant une même culture. Cela défie la définition scientifique d’ « ethnie » et même de tribu.[6] » La thèse de l’illusion ethnique a déjà été développée par Jean Rumiya[7] et reprise par Colette Braeckman[8]. Les différentes études s’accordent sur le fait que les catégories Hutu et Tutsi ne désignaient pas une race mais une caste ou une catégorie morale. Dans la tradition rwandaise, l’on pouvait donc selon son travail, sa bravoure « kwihutura » (étymologiquement se dépouiller de sa peau hutu) en d’autres termes passer du statut Hutu à celui de Tutsi. Et inversement. En d’autres termes catégories Hutu et Tutsi ne sont pas figées mais changeantes.  C’est d’ailleurs ce qu’atteste l’importante contribution de Semunjaga Josias à l’œuvre collective Dix ans après-réflexions sur le génocide rwandais.[9] Après avoir rappelé l’origine sociologique des groupes Hutu, Tutsi et Twa, l’universitaire souligne:

(il) existait des passerelles entre les différents groupes. Des Hutu enrichis de vaches devenaient des Tutsi et des Tutsi appauvris devenaient des Hutu. De plus ces groupes sont exogamiques. Ce qui exclue le caractère racial que certains donnent actuellement à ces catégories[10].

 

Ce sont les résultats des premières études ethnologiques conduites par les missionnaires et les l’administration coloniale allemande qui jettent les prémisses de la différenciation raciale. Ces allusions sont couronnées plus tard par le colonisateur belge qui en introduisant la notion de l’ethnie dans l’identification de la population rwandaise dans les années 1930 crée des clivages ethniques (Tutsi, Hutu, Twa) qui n’en sont pas véritablement. 

La manipulation ethnique est très perceptible dans les œuvres littéraires inspirées de la tragédie rwandaise. Dans L’ombre d’Imana, Véronique Tadjo après la visite de quelques mémoriaux, est horrifiée par des scènes au-delà de l’entendement humain. Elle interroge la tradition rwandaise dans l’espoir de retrouver des éléments de l’altérité conflictuelle entre Hutu et Tutsi. Or l’écrivain à travers les témoignages, constate que les fondements culturels d’une telle altérité sont loin d’être établies. Elle souligne en revanche des traits de l’identité culturelle rwandaise avant l’abolition de la royauté par le pouvoir colonial:

La même foi en un Dieu suprême, Imana. Un roi unique, le mwami, mi-homme, mi dieu. Les mêmes coutumes. La même langue, le kinyarwanda. Les éléments fondamentaux: Dieu, la femme, la vache. Et aussi, la nature et les guerriers. Puissance de la reine mère[11]

 

Le récit de Véronique Tadjo insiste sur une communauté de langue et de pratiques culturelles, caractéristiques admises par les anthropologues dans la définition de l’ethnie[12] afin de démontrer la vacuité dans la représentation des groupes Hutu et Tutsi. Un argument qu’on retrouve également dans le roman de sa compatriote Flore Hazoumé.

Dans Le crépuscule de l’homme, le narrateur décrit des scènes d’une violence extrême, des viols et des massacres entre les communautés entre Tsatu (Tutsi) et Sutu (Hutu), les deux principales ethnies de la République de Bunjalaba. Dans les premières pages du texte, il fait pourtant la précision suivante: 

Les deux ethnies qui composaient la population du pays étaient aussi différentes et identiques que deux frères. Même langue, même religion, mêmes croyances. Physiquement, il était évident qu’elles sortaient du même moule: taille haute, membres longs, articulation fine[13]

 

Tout comme le récit de voyage de Véronique Tadjo, le roman de Flore Hazoumé accentue les similitudes entre Hutu et Tutsi afin de mieux ressortir le paradoxe quant à la pertinence de la notion sociologique dans la caractérisation entre Hutu et Tutsi.

Dans cette logique, c’est le film de Terry George Hôtel Rwanda[14] inspiré de la vie de Paul Rusesabagina[15], Hutu, gérant d’hôtel à Kigali qui aurait réussi au péril de sa vie à sauver plusieurs centaines de réfugiés hutus et Tutsis lors du génocide de 1994, qui est le plus révélateur. En choisissant de diffuser en préambule, la voix d’un speaker de la radio hutue RTLM appelant aux meurtres des Tutsis, complices selon les extrémistes Hutu, de la rébellion du FPR, le réalisateur restitue la propagande préalable à l’extermination de la minorité tutsie.

Pourtant le décor s’ouvre sur l’image de la convivialité entre le personnage de Paul Rusesabagina, d’origine hutue et de son collaborateur Dube, qui lui est Tutsi. C’est que dans le film, la différenciation ethnique est bien plus une réalité politique que sociale. Rien dans les pratiques culturelles et la vie quotidienne ne permet de distinguer les deux communautés. Une situation qui suscite la confusion chez l’un des correspondants de la presse occidentale arrivé au Rwanda. Ce dernier s’informe alors auprès d’un journaliste rwandais sur la différence entre Hutu et Tutsi. Pour Bénédicte, spécialiste rwandais, cette différence supposée ne repose pas sur des données culturelles spécifiques mais sur des stéréotypes, diffusés par le colonisateur belge et fondés sur des traits naturels comme la physionomie:

Selon les Belges qui nous ont colonisés, les Tutsis sont les plus grands et plus élégants. Ce sont les Belges qui ont créé la division entre nous, en faisant de la sélection en choisissant ceux qui avaient un teint clair, un nez fin, ils mesuraient même le nez. 

 

Un argument peu scientifique qui ne semble pas convaincre le journaliste qui décide sur-le-champ d’en vérifier la pertinence auprès de deux clientes rwandaises attablées au bar de l’hôtel Mille Collines. La première jeune dame lui révèle son origine tutsie. Le journaliste demande naturellement à la seconde si elle est également Tutsi, vue la proximité et les traits de ressemblance entre les deux dames. Cette dernière lui avoue pourtant sans enthousiasme son appartenance au groupe hutu. Une révélation qui en rajoute à la confusion de l’infortuné qui d’un air perplexe s’en remet à son collègue rwandais: « ce sont les mêmes! »

Hôtel Rwanda établit l’inexistence de fondements sociologiques de l’altérité ethnique des groupes hutu et tutsi. Dans le film de Terry George, cette différence ne repose que sur la production de stéréotypes. Elle se fonde sur ce que Daniel-Henri Pageaux a appelé « la confusion entre l’attribut et l’essentiel [16]». La communication stéréotypée rend en effet possible l’extrapolation du particulier au général, du singulier au collectif. C’est ainsi que les premiers ethnologues ayant observé la stature des chefs tutsis (grade taille, nez allongé, teint clair, cheveux bouclés) en déduisent les caractéristiques de l’archétype du groupe ethnique tutsi. Les Hutus sont alors ceux qui présentent ces traits opposés (teint noir, petite taille). La standardisation du stéréotype de la distinction par la physionomie est une mesure politique du pouvoir colonial dont le but est de diviser la population rwandaise pour mieux asseoir sa domination politique et économique. Pour ce faire l’administration coloniale s’appuie sur la minorité tutsie, perçue alors dans l’imaginaire collectif hutu comme la responsable de l’exploitation coloniale. 

Plutôt que d’une véritable opposition ethnique, le film met en lumière l’exploitation du ressentiment du passif colonial par le pouvoir hutu issu de l’élection de 1961.

   

II. La minorité tutsie sous le pouvoir hutu : une altérité déshumanisée

 

La victoire du mouvement pour l’émancipation hutue (Parmehutu) en 1961 et l’indépendance du pays une année plus tard sont marquées par une flambée de violence contre la minorité tutsie chassée du pouvoir et contrainte à l’exil. Soucieuse de laver l’affront subi pendant la domination coloniale, la majorité hutue confine les Tutsis dans un statut de citoyen de seconde zone. 

C’est le témoignage de Scholastique Mukasonga qui restitue le mieux la représentation de la minorité tutsie telle que véhiculée par l’idéologie raciste du pouvoir hutu. «Sa prise d’écriture»[17] met d’abord en lumière une page occultée de l’histoire rwandaise: la déportation en 1960 d’une partie de la population à Gitwe dans le Bugesera, une zone réputée inhospitalière en raison d’une végétation infestée de fauves. C’est le début d’un processus de dépersonnalisation, d’animalisation de la minorité Tutsi, « un des signes avant-coureurs de la tragédie rwandaise[18]».  Les déplacés qualifiés d’inyenzi, de cafards, d’êtres indésirables sont de fait devenues des intouchables, des parias. Ils sont confinés à une existence antédiluvienne, habitant des huttes infestées de punaises et de fourmis et confrontés à la famine et à l’absence d’eau. Une marginalisation qui selon l’écrivain loin de plonger les exilés de l’intérieur dans le défaitisme, « fut le ciment d’une solidarité bien plus forte que n’en avait jamais établie une prétendue conscience ethnique[19]. » Les réfugiés pallient ainsi l’absence de l’Etat par une organisation interne et la réalisation d’une école primaire avec l’aide de l’église. Une entreprise de restitution d’une dignité bafouée à laquelle le pouvoir hutu réagit par la militarisation des territoires d’accueil des réfugiés tutsis.

Les militaires du camp Gako étaient là pour nous rappeler constamment qui nous étions: des serpents, des inyenzi, ces cancrelats qui n’avaient rien d’humain avec lesquels il faudrait bien en finir un jour. En attendant la terreur était systématiquement organisée[20]

 

C’est ainsi que les militaires hutus sous le prétexte d’entrainement patrouillent sans cesse afin de plonger la population dans la psychose. La brutalité n’épargne pas non plus les rustiques habitations bâties par les Tutsis. Parfois les habitants sont retenus dans leurs maisons sans motifs précis et leurs enfants privés d’école.

Scholastique Mukasonga livre sous ce chapitre ses souvenirs d’élève apeurée par le trajet menant à l’école de Nyamata. Un traumatisme causé par la hantise des viols et surtout des grenades lancées par les militaires hutus en direction des élèves se réfugiant dans la brousse à la vue des camions militaires. Et de conclure: « Sur la route de Nyamata, les militaires ne commettaient jamais de bavures puisqu’elle n’était empruntée que par des Tutsi[21]. »

Dans le témoignage de Scholastique Mukasonga, le pouvoir hutu se manifeste par un processus de négation de la dignité humaine de la minorité tutsie. Une animalisation symbolisée par la légitimation, voire la banalisation de la violence à l’égard du Tutsi. Dans Inyenzi ou les cafards, la violence des premières années du pouvoir hutu est un prélude aux massacres de 1994.

 

III. Un crime minutieusement planifié

 

Les massacres d’avril 1994 sont loin d’être spontanés. Mais les combats ayant opposé l’armée rwandaise au FPR en octobre 1990 ont fortement ébranlé le pouvoir hutu et conduit à une exacerbation de la tension marquée par la recrudescence des assassinats politiques et les massacres contre la minorité tutsie entre 1990 et 1993. A ce propos, Colette Braeckman et Josias Semunjanga notent entre autres indices du caractère programmé des événements qui se dérouleront quelques mois plus tard, la création en 1993 de la RTLM, la radio des extrémistes hutus, la formation des milices hutues, l’importation massive d’armes de guerre et d’armes blanches (machettes), la constitution à partir des registres de l’administration de listes des « ennemis » à abattre, etc.

Autant de faits qu’on retrouve dans les œuvres artistiques inspirées du génocide. Dans le film de George Terry, le récit du speaker de la RTLM est sans équivoque:

 Quand on me demande chers auditeurs pourquoi je hais les Tutsis, je réponds: lisez notre histoire. Quand les Belges nous colonisaient, les Tutsis étaient de leur côté, ils nous ont volé nos terres, ils nous ont humilié. Aujourd’hui ces rebelles tutsis sont de retour. Ce sont des cafards, ce sont des meurtriers. Le Rwanda est un territoire hutu. Nous sommes majoritaires. Les Tutsis sont une minorité de traites et d’envahisseurs. Nous écraserons ces parasites qui veulent nous envahir. On réglera son compte au FPR. Vous êtes à l’écoute de la RTLM. Soyez vigilants, surveillez vos voisins. 

 

Le journaliste hutu attise la haine contre la minorité tutsie par la manipulation. D’abord il exhume le ressentiment du passif colonial à travers le cliché de l’exploiteur tutsi complice du colon belge et rappelle ainsi à la majorité hutue qui l’aurait sans doute oublié la nécessité d’infliger une punition collective aux Tutsis. L’identification voire la réduction de la minorité tutsie à la rébellion du FPR entraine de fait une assimilation de l’ensemble des Tutsis au FPR. D’où la vulgarisation du stéréotype du tutsi meurtrier contre qui doit se défendre le Hutu. L’appel au meurtre s’inscrit alors dans une logique de légitime défense. Pire en assimilant les Tutsis aux cafards, le message de la RTLM véhicule l’image de l’animalisation du Tutsi et insidieusement l’idée de l’impunité. La mort d’un cafard, d’un Tutsi s’avérant utile, nécessaire pour le bien de la communauté hutue. En appelant à surveiller les voisins, le journaliste prépare déjà les esprits à une proximité dans les assassinats.

 Dans Le jour le plus long[22], l’on entend le signal radio de la résistance française alors que l’écran est encore noir. Un choix de la réalisation qui témoigne de l’importance de la résistance dans le processus de libération de la France occupée. Une approche scénaristique également utilisée dans Hotel Rwanda. La voix du journaliste de RTLM se fait entendre quand l’écran est encore noir pour situer d’emblée la responsabilité de la RTLM dans la tragédie rwandaise. Un outil de propagande d’une extrême importance pour le pouvoir hutu de l’époque à en croire Jean-Pierre Chrétien:

Le lien de la RTLM avec le pouvoir n’est pas qu’idéologique et financier. Il fonctionne également sur le plan technique par des liaisons entre la chaine dite libre et l’office Radio Rwanda. Le réseau d’émission de cette dernière permet à la RTLM d’étendre son aire de diffusion sur tout le pays (…) Par ailleurs, les studios situés juste en face du palais présidentiel possèdent une ligne électrique directe leur permettant de pouvoir bénéficier des générateurs présidentiels en cas de délestage, et même, selon toute vraisemblance, d’utiliser le réseau électrique sans bourse déliée[23].

 

Avec l’épisode de la RTLM, le réalisateur restitue le fondement de la propagande hutue: les Hutus et les Tutsis sont deux races en guerre. La survie de la majorité hutue étant nécessairement liée à l’extermination de la minorité tutsie. Dans cette restitution de l’atmosphère précédant l’assassinat du président Habyarimana et donc le déclenchement des massacres, le film rappelle deux signes avant-coureurs du génocide. D’abord l’importation massive d’armes notamment des machettes. A ce sujet, le réalisateur use du pouvoir de suggestion du cinéma. En effet, c’est seulement à cause de la maladresse d’un employé du personnage de George Rutaganda incarné par Hakeem Kae-Kazim, qui renverse le contenu d’une caisse interdite d’usage que Paul Rusesabagina et son collaborateur découvrent l’ampleur d’un véritable trafic de machettes. L’entreprise de distribution de denrées alimentaires et d’alcool de George Rutaganda se présente dans Hotel Rwanda comme une société écran utilisée par l’élite hutue et le pouvoir politique dans le trafic d’armes destinées à l’exécution du génocide. 

A ce sujet, le gros plan fait par le réalisateur sur le bureau du patron est loin d’être innocent. La photo encadrée de George Rutaganda aux côtés du président Juvénal Habyarimana traduit la proximité entre l’exécutif rwandais et les milices interhamwe. C’est également le sens de certains choix effectués par le réalisateur comme les parades importantes, sorte de démonstration de force des milices en début du film. En illustrant avec force détails le défilé des milices interhamwe brandissant des armes, dressant des barrages à l’intérieur de la ville de Kigali, procédant à des contrôles au faciès, George Terry choisit de mettre en évidence la faillite des institutions républicaines rwandaises noyautées par des forces extrémistes.

L’autre indice de la préparation du génocide révélé par Thomas le beau-frère de Paul Rusesabagina est l’établissement de listes et l’existence d’un code du déclenchement du génocide par les milices interhamwe. « Coupez les grands arbres ».

La nuit même de l’assassinat du président rwandais, dans une ville de Kigali plongée dans le noir suite à une interruption générale d’électricité, les convois militaires appellent les populations à rester chez elles. Et le lendemain alors que l’électricité n’est pas encore rétablie, la RTLM diffuse le message suivant:

Ecoutez moi braves peuples du Rwanda: une nouvelle, terrible nouvelle: notre président a été assassiné par ces cafards immondes de Tutsis. Ils l’ont manipulé pour qu’il signe cet accord de paix ridicule. Ensuite ils ont abattu son avion. Il est temps de faire le ménage chez vous Hutus du Rwanda. Nous devons couper les grands arbres. Coupez les grands arbres maintenant! Il est temps de faire notre devoir de braves Hutus. Dressez des barrages routiers, trouvez ces traitres, déployez-vous pour que ces cafards ne nous échappent plus. 

 

Les événements se mettent en place selon une synchronisation très bien élaborée et dont Thomas avait été informé par son collaborateur également interhamwe. Au-delà de la substance du message de la RTLM prônant l’extermination de la minorité tutsie accusée d’être à l’origine de l’attentat ayant coûté la vie au président hutu Juvénal Habyarimana, c’est l’instant choisi par le réalisateur d’Hotel Rwanda qui est bien plus révélateur. Le film se focalise sur l’interruption de l’électricité dans la ville de Kigali. Sur le trajet de retour Paul peut déjà observer l’épaisseur de la nuit ponctuée de scènes apocalyptiques d’habitations en flamme.

La tentative sans résultat du personnage principal de mettre en marche l’interrupteur de sa résidence qui permet de réitérer l’image de la coupure du courant à Kigali procède aussi d’un choix scénique fort judicieux lorsqu’elle est mise en relation avec la diffusion du message de la RTLM. En effet, c’est au moyen d’un petit transistor à piles que Paul et les réfugiés tutsis parviennent à capter le message la radio hutue qui continue d’émettre malgré l’interruption de l’électricité pour ainsi corroborer la thèse de Jean-Pierre Chrétien. Aussi avec la multiplication des scènes d’écoute du transistor à piles (chez Paul, dans la cuisine de l’hôtel Mille collines, sur les barrages tenus par les miliciens, etc.) George Terry rappelle une pratique culturelle rwandaise: celle de suivre les informations, l’oreille collés à un petit transistor. Le film suggère ainsi l’importance de la RTLM dans la tragédie rwandaise et rappelle une étape très peu évoquée des préparatifs du génocide: l’importation massive de Chine de piles et de transistors bon marché et leur distribution aux miliciens afin de servir de relais avec la RTLM.

Dans la représentation de la planification du génocide qui couvre les 20 premières minutes du film, le téléspectateur découvre la dimension euphémique du scénario. Le réalisateur opte délibérément pour l’art de la suggestion et évite de heurter. Un choix qui, contrairement à l’analyse d’Olivier Barlet[24], n’altère en aucune façon la signification politique du film qui récuse la thèse ethnique et met en avant la prédétermination des massacres.

Une orientation esthétique qu’on retrouve également dans L’ombre d’Imana de Véronique Tadjo. Même si le texte n’abonde pas de témoignages sur la préparation des massacres, l’auteur prend le soin dans les ultimes pages de son texte de citer le « Hutu power: les dix commandements des Bahutus[25] » et fait à ses lecteurs cette précision non moins importante: « Publié dans le journal des extrémistes pro-Hutus Kangura, le 10 décembre 1990[26]. » C’est en effet, le journal Kangura qui diffuse l’idéologie raciste conditionnant les esprits au meurtre avant que la RTLM ne prenne le relais en 1993. Le message de L’ombre d’Imana est sans équivoque: le génocide de 1994 est une entreprise préparée de longue date. C’est d’ailleurs ce qu’affirme l’écrivain à l’issue de ses deux séjours au Rwanda:

Les gens pensent que le génocide a commencé en 1993 ou 1994. Ils ignorent que celui-ci a été préparé. L’histoire récente du Rwanda est jalonnée de massacres qui ont poussé beaucoup de Tutsis à l’étranger. (…) Tous ces pogroms impunis ont encouragé les "génocidaires en herbe" à mettre à exécution la "solution finale", des massacres généralisés à grande échelle après l’attaque de l’avion du président Habyarimana.[27] 

 

Le caractère pudique voire la dissimulation du film de George Terry qui tranche avec le souci de la reconstitution des faits, les scènes de cruauté de la plupart des feuilletons[28] inspirés du génocide, ainsi que la prudence observée dans le roman de Véronique Tadjo illustrent toute la complexité de la représentation d’une tragédie d’une ampleur inégalée comme le génocide de 1994.

 

IV. La mise en scène du génocide

1. L’art et l’histoire officielle : convergences et ruptures

 

Dans un article consacré à la commémoration du génocide rwandais, Claudine Vidal écrit:

La commémoration figure le désastre en construisant l’histoire officielle qui tend à interdire, supplanter, refouler selon les situations une connaissance libre et plurielle de ce qui s’est passé. C’est pourquoi la mémorisation ritualisée par la commémoration publique est sélective. Elle ne retient que certaines victimes, ou les hiérarchise, ce qui revient à symboliquement exercer une violence supplémentaire à l’égard des victimes exclues ou marginalisées.[29]

 

Et les cérémonies organisées au Rwanda ne semblent pas déroger à la règle d’un traitement partial de l’histoire. Selon la sociologue, loin de s’inscrire dans une logique de compréhension du drame afin d’en tirer les conséquences et favoriser la réconciliation, les cérémonies officielles telles les exhumations forcées des corps et les enterrements collectifs ravivent la douleur des survivants. De plus le discours ne laisse place à aucune compassion pour les victimes hutues, favorisant ainsi la confusion entre Hutu et interhamwe. Claudine Vidal rappelle à ce propos le massacre le 22 avril 1995 par l’armée patriotique rwandaise de plusieurs milliers de personnes en majorité des femmes et des enfants dans un camp de refugiés à Kibehio au sud-ouest du Rwanda. Puis d’indiquer qu’à l’occasion de la commémoration du génocide quelques mois plus tard à Kibehio:

Le président (Kagamé) n’eut qu’un mot sur leur sort: il s’agissait de tueurs et non de victimes innocentes comme l’avait prétendu la communauté internationale. C’était refuser le statut de victime à tout Hutu, quand bien même il n’aurait aucunement participé au génocide. La logique ethniste restait vivace au cœur du discours officiel: tout Hutu est suspect puisque son ethnie s’est rendue coupable du génocide.[30] 

 

La plupart des œuvres artistiques (en particulier les films et les œuvres littéraires) sur le génocide se trouvent face à un dilemme: La réitération de la brutalité du pogrom tutsi, la « représentation spectaculaire[31] » du génocide dans la logique des cérémonies officielles ou encore une lecture plurielle du drame, une mise à distance soucieuse d’éviter de raviver les douleurs encore trop vives.

Shooting Dogs[32] s’inscrit dans cette convergence entre l’art et l’idéologie officielle. Dans ce film, la scène se déroule à Kigali en avril 1994. Le mandat des forces de l’ONU ne leur permet pas de défendre la minorité tutsie contre les massacres des milices hutues. Les casques bleus tirent en revanche sur les chiens dévorant les cadavres qui gisent dans les trottoirs. Le film est basé sur un fait réel: le massacre de plusieurs centaines de Tutsis à l’école polytechnique de Kigali, une ancienne base de l’ONU. Le scénario a été tourné à Kigali sur les lieux des massacres avec la participation des survivants dans un souci de reconstitution historique. Un choix cinématographique salué par les victimes du génocide ainsi que le pouvoir politique rwandais.[33]

Contrairement au film de Michel Caton-Jones, L’ombre d’Imana de Véronique Tadjo subvertit la mémorisation officielle du génocide rwandais. L’écrivain a été pourtant particulièrement marqué par les images d’horreurs du génocide diffusées par les médias si bien qu’un chapitre de son roman Champs de bataille et d’amour[34] écrit avant la résidence d’écriture de 1998 est consacré au Rwanda. Dans L’ombre d’Imana rédigé à l’issue de deux séjours au Rwanda, l’écrivain rend compte succinctement de l’horreur du génocide, recueille le témoignage des survivants du drame. Mais son récit est pudique.

C’est le 15 avril 1994 de 7h30 du matin à 14 heures que le massacre s’est déroulé à Nyamata. Plusieurs milliers de personnes avaient trouvé refuge dans l’église et ses annexes. Des gens occupaient aussi le bureau du prêtre et les locaux administratifs. Beaucoup dormaient à la belle étoile dans la cour, serrés les uns contre les autres. Non loin de la, certains s’installèrent dans une maternité parmi les femmes enceintes et les nouveau-nés. Les autorités avaient demandé à la population de se regrouper: "Rassembler dans les églises et dans les lieux publics, on va vous protéger"[35]

 

Véronique Tadjo évoque ici le drame de Nyamata où plusieurs dizaines de milliers de Tutsis ont été massacrés, "piégés" par les autorités rwandaises, puis livrés à la folie des milices hutues. Les scènes de cruauté sont sommairement évoquées pour respecter la douleur des victimes et mettre l’accent sur le combat des survivants du génocide.

Le mémorial de Nyamata dans lequel les autorités rwandaises ont exposé les ossements des victimes est qualifié de « la mort mise à nu, exposée à l’état brut ». Par l’usage du mythe traditionnel africain, l’écrivain décrit la colère d’un mort privé de sépulture, et à l’instar du devin de son œuvre, s’insurge contre la récupération politicienne du génocide par les autorités rwandaises:

 Il faut à présent enterrer les morts selon les rites, enterrer leurs corps séchés, leurs ossements qui vieillissent à l’air libre, pour ne garder d’eux que la mémoire rehaussée de respect

  

Par ailleurs, l’auteur au cours de son second voyage a pris le soin de visiter les prisons surpeuplées et d’assister au jugement de Hutus accusés de génocide. Elle a ainsi pu recueillir la confession de Froduard, un jeune paysan devenu meurtrier. Un témoignage très circonstancié du drame rwandais et une tentative d’explication de la fulgurance des massacres: la manipulation des populations hutues pressées de tuer tous les Tutsis et les opposants politiques accusés de complicité avec le FPR.

Dans les meetings, les conseillers disaient: ou bien vous les tuer ou bien c’est vous qui serez tués. (…) A la radio on entendait que la tombe n’était pas remplie et qu’il fallait aider à la remplir. Ils nous disaient: si tu n’es pas sur que c’est un Tutsi, tu n’as qu’à regarder la taille de la personne, sa physionomie, tu n’as qu’à regarder son petit nez fin et le casser. Pour finir prenez vos machettes, prenez vos lances, faites-vous épauler par vos soldats. Les agents du FPR, exterminez-les parce qu’ils sont maudits… [37] 

 

Outre le rappel des stéréotypes de la propagande du pouvoir hutu, Véronique Tadjo explore la psychologie d’un exécutant du génocide qui apparaît dans le texte, dans une certaine proportion, comme une victime des commanditaires du génocide. En effet l’élite hutue et les principaux responsables des milices interhamwe parviendront à fuir le pays en ruine avant même la prise du pouvoir du FPR, laissant les exécutants et les populations hutues à leur sort. Preuve de cette tension entre le FPR et les Hutus globalement suspectés de génocide, le massacre des refugiés hutus dans le camp de déplacés de Kibehio au sud-ouest du Rwanda.

Quand l’attaque prit fin, les observateurs qui arrivèrent plus tard dénombrèrent entre cinq mille et huit mille morts et des centaines blessés. (…) Après le carnage de Kibehio, dans la région quelque deux cent mille Hutus furent forcés de rentrer chez eux. L’Histoire faisait marche arrière. Les bourreaux devenaient les victimes, les victimes bourreaux[38]

 

La narration de Véronique Tadjo sans nier la réalité du génocide Tutsi, atteste de l’existence de victimes hutus ramant ainsi à contre-courant de l’histoire officielle marquée par la réduction des Hutus aux génocidaires. Un moment fort de l’écriture car comme en convient Véronique Bonnet, « délicat est le discours sur la partie du peuple rwandais parfois considérée comme globalement coupable: les Hutus[39]. »

L’émotion du génocide n’entraine donc pas chez véronique Tadjo la production d’un discours compassionnel, militant de la cause tutsie. Son œuvre se veut pédagogique: comprendre les  mécanismes du génocide afin de conjurer de tels drames.

Une motivation plus problématique dans le cadre de la production cinématographique.

 

2. Réalité, distanciation et logique mercantile

 

Pour Paul Rusesabagina, la personnalité rwandaise ayant inspiré Hotel Rwanda, Le film retrace « à 90 % la réalité de ce qui s’est passé. » D’où la suspicion ayant entouré la production accusée de tronquer la réalité du génocide. C’est que dans la description du déroulement du génocide, les techniques de distanciation prennent le pas sur la réalité pour à priori éviter d’exposer la cruauté du génocide que Claudine Vidal qualifie de « voyeurisme de cadavres ». Le scénario de George se fonde ainsi sur trois procédés dramatiques et scéniques de contournement des obstacles de la mise en scène de la guerre: l’évitement, la fragmentation et la réfraction[40]

Le procédé d’évitement le plus frappant est le récit. Plutôt que de présenter des scènes pouvant heurter la sensibilité du spectateur, le scénariste fait le choix d’un récit qui n’est pas extérieur à l’action mais qui se substitue à l’action en mots. C’est ainsi qu’au lieu de montrer des scènes d’extermination d’enfants tutsis, innocentes victimes d’un conflit qu’ils subissent du fait de leur prétendue appartenance ethnique, le réalisateur choisit le récit différé. Pat Artcher, employée de la croix rouge de Kigali, ayant réussit à sauver quelques enfants tutsis raconte à Paul et son épouse le massacre de plusieurs dizaines d’autres enfants par les milices interhamwe. Un récit d’une intensité dramatique. Le réalisateur restitue l’émotion de l’humanitaire contrainte par les miliciens hutus à assister aux massacres des enfants tutsis. Bien que familier des situations extrêmes, le personnage ne peut retenir ses larmes devant la cruauté des bourreaux et l’incroyable objectif poursuivi par les miliciens hutus: « Ils sont en train de tuer tous les enfants tutsis Paul. Ils font ça pour que la race s’éteigne. »

La saisie de l’exhaustivité des massacres étant impossible dans le cadre du cinéma et surtout particulièrement douloureuse pour les survivants du drame, le réalisateur a recours à la fragmentation. Ces fragments du déroulement du génocide se présentent sous formes de séquences furtives (les images du caméraman Vakdich, les habitations en feu, des corps gisant au bord des routes, les femmes nues terrorisées regroupées dans le magasin de George Rutaganda, le même entrepôt remplis d’appareils électroménagers, etc.)

Cette représentation disséminée, discrète, n’affecte pas moins le message du film de George Terry: la spoliation des Tutsis, les incendies de leurs habitations, le recours aux viols collectifs, les massacres aveugles indiquent que le génocide de 1994, relève d’une « cruauté délibérée »[41]. En témoigne l’image de miliciens exultant aux barrages devant l’agonie des suppliciés.

La réfraction est le troisième procédé utilisé par le réalisateur d’Hotel Rwanda. C’est un ensemble de techniques visant à suggérer indirectement une réalité absente de la scène ou à lui substituer un équivalent d’un autre ordre. C’est une technique habilement utilisée par George Terry pour évoquer l’attitude de la communauté internationale et particulièrement des Occidentaux pendant le génocide.

Les Nations Unies et le Conseil de Sécurité n’ont jamais su évaluer à sa juste proportion l’ampleur du drame qui se nouait au Rwanda, si bien que le commandant des casques bleus de l’époque ne parvint jamais à réunir les troupes et le matériel nécessaires à la réussite de sa mission. Mais c’est l’assassinat le 7 avril 1994 du premier ministre du Rwanda et des dix casques bleus belges affectés à sa sécurité, qui marque un tournant dans l’action des Nations Unies pendant le génocide: le retrait du contingent belge et la réduction drastique des soldats de la paix laissant ainsi libre cours aux tueurs hutus. Une situation symbolisée dans le film de George Terry par la scène d’interhamwe jetant au colonel Oliver, le commandant des forces de l’ONU, un casque bleu taché de sang tandis que les miliciens à bord d’un véhicule exhibent dans un geste de défiance d’autres casques appartenant aux soldats de l’ONU.

Autre scène aussi représentée par la réfraction, la tentative d’évacuation des réfugiés de l’hôtel Mille collines par l’armée rwandaise et l’appel à l’aide de Paul Rusesabagina à Tilens, responsable de la compagnie Sabena et propriétaire de l’hôtel. La conversation entre l’opérateur économique belge (Jean Reno) et Paul Rusesabagina est sans équivoque: « "Mais comment voulez-vous que je vous aide? On a épuisé tous les recours". (Tilens) "Téléphonez aux Français, ce sont eux qui fournissent l’armée hutue" (Paul) ». Quelques instants après le départ des militaires rwandais, le Belge révèle à son interlocuteur resté en ligne et surpris de la célérité du retrait: « J’ai contacté le bureau du président (français). »

Le recours à la suggestion réfractive dans les deux cas permet à George Terry d’éviter le pathos du génocide et d’interroger la responsabilité des Belges et des Français dans la tragédie rwandaise. Les responsables belges ont reconnu leurs erreurs au cours du génocide de 1994 et présenté leurs excuses, contrairement aux autorités françaises. Les différents gouvernements français nient toute relation avec les génocidaires de l’époque et refusent de présenter des excuses publiques, estimant au contraire, avoir sauvé des vies lors de l’opération Turquoise. D’où l’importance de cette scène qui suggère les rapports étroits entre la présidence française et l’armée rwandaise[42]. Un fait par ailleurs historiquement attesté. Ce sont en réalité les autorités politiques françaises qui ordonneront à l’armée rwandaise de protéger l’hôtel Mille collines non pas pour faire cesser les massacres mais restaurer dans l’opinion publique française et l’internationale l’image du gouvernement intérimaire rwandais notoirement soutenu par Paris et en passe d’être accusé de crimes contre l’humanité:

A Paris, on se déclare impuissant face aux tueries en cours. Mais on ne conteste pas que le patron de la cellule africaine de l’Elysée, Bruno Delaye, ait réussit à… faire intervenir personnellement le chef d’Etat-major des forces armées rwandaises pour qu’il empêche les miliciens hutu de massacrer les personnalités réfugiés à l’hôtel des milles collines[43]

 

George Terry relance donc la problématique de la responsabilité des autorités françaises qui auraient pu arrêter les tueries en cours si elles en avaient la volonté politique. Une critique qui n’épargne pas non plus la plupart des puissances occidentales. Pour preuve l’image surréaliste de l’évacuation des Occidentaux par les forces étrangères, et les Tutsis livrés à la folie des miliciens hutus qui rappelle l’exfiltration des Occidentaux par plusieurs centaines de militaires d’élite français, belges, italiens et américains. Une décision aux conséquences désastreuses car comme le relève Colette Braeckman, « Si elles avaient joint leurs efforts à ceux de la Minuar, ces troupes occidentales auraient sans doute pu enrayer les massacres à Kigali, faire taire la radio extrémiste, imposer le cessez-le-feu[44]. »

En dépit des procédés de distanciation, le scénario qui se veut une peinture exacte des faits du génocide établit deux réalités du drame rwandais: la responsabilité des milices hutues et des militaires dans l’exécution du génocide ainsi que l’échec de la communauté internationale, pour mieux faire ressortir le courage de Paul Rusesabagina qui réussira à préserver la vie des réfugiés tutsis de l’hôtel. Une attitude chevaleresque sujette à caution:

Le plus grand mensonge du film et de loin, consiste à dépeindre le gardien de l’hôtel comme un héros. (…) l’homme n’incarne nullement l’héroïsme aux yeux des survivants de l’hôtel ni des rwandais en général[45].

 

Selon Ndahuro et Rutazibwa, la plupart des personnes refugiées à l’hôtel Mille collines n’ont eu de vie sauve que grâce à la présence des troupes des Nations Unies et non la ruse du gérant de l’hôtel et les différents présents offerts à ses protecteurs. Des militaires de la MINUAR, des journalistes et certains humanitaires remettent également en cause la véracité du scénario de George Terry[46].

Le choix de la production de caricaturer par des acteurs éponymes des personnalités rwandaises déjà condamnées pour génocide, donc dans l’impossibilité de contredire le traitement des faits, comme le général Bizimungu ou encore George Rutanganda, et de faire interpréter le rôle du général Roméo Dallaire le commandant des casques bleus, par le personnage du colonel Oliver, alcoolique, procèdent d’une volonté de travestissement des événements de référence afin d’accentuer l’héroïsme du personnage principal et de faire finalement de l’histoire des réfugiés de l’hôtel Mille Collines le scénario d’un film biographique. C’est ainsi que les scènes de la générosité de Paul Rusesabagina se délestant de toutes ses économies pour payer les militaires hutus afin de sauver la vie de ses voisins tutsis, bien que relevant de la fiction sont volontairement présentés comme des situations réelles afin d’idéaliser la figure du héros: « Quand le monde a fermé ses yeux il a ouvert ses bras[47]. »

Cette confusion entre réalité et fiction procède d’une volonté délibérée de la production de faire d’un sujet aussi sensible que celui du génocide un succès hollywoodien. C’est ainsi qu’un visage connu du cinéma américain, l’acteur Don Cheadle, interprète l’histoire vraie d’un gérant d’hôtel ayant au péril de sa vie sauvé 1268 refugiés tutsis lors du génocide rwandais de 1994. Un scénario calqué sur La liste de Schindler de Steven Spielberg. Le film est inspiré de l’histoire vraie d’un industriel allemand, Oskar Schnindler, membre du parti nazi qui réussira à sauver 1100 Juifs de la mort dans les camps de concentration en décidant de les acheter pour qu’ils servent de main d’œuvre dans une nouvelle usine d’armement. Le succès[48] de la production de Spielberg semble avoir motivé le projet de George Terry ainsi que la décision de Paul Rusesabagina, qui s’est en définitive servi du cinéma pour vendre "son histoire" à travers le monde[49].  

 

Conclusion

 

Le génocide de 1994 marqué par le massacre de près d’un million de tutsis en cent jours a ému l’humanité entière. Ce génocide ne pouvait passer inaperçu au niveau du champ littéraire africain parce qu’étant sans commune mesure avec les tragédies ayant marqué l’histoire du continent noir. C’est ainsi qu’en dehors du témoignage des rescapés rwandais, plusieurs publications spontanées ou suscités comme celles du projet Fest’Afrika ont vu le jour. Ces écrivains à l’exemple de Véronique Tadjo, Flore Hazoumé et Scholastique Muksasonga rejettent la catégorisation ethnique entre Hutu et Tutsi, insistent sur la prédétermination des événements, rappellent la responsabilité du pouvoir hutu, l’action des milices interhamwe et l’échec de la communauté internationale dans la tragédie rwandaise. En insistant dans leurs œuvres sur la subversion de la thèse du conflit ethnique, ces écrivains espèrent ainsi changer dans l’imaginaire social les stéréotypes d’un drame longtemps analysé par les médias occidentaux sous le prisme des multiples conflits ethniques en Afrique.

De ces différents récits partagés entre la solidarité avec les Tutsis ou le désir de rendre compte de la globalité des faits, se dégage une ambition pédagogique: nonobstant "l’aveuglement international," le génocide rwandais pose d’abord un problème de gouvernance car il résulte de la manipulation ethnique par la classe politique hutue dans le but de conserver le pouvoir. Une pratique symptomatique de la politique en Afrique si bien que l’écriture africaine du génocide s’inscrit également dans une logique de veille afin qu’une telle tragédie ne se reproduise.

Les différents films produits ces dernières années constituent également un excellent moyen de sensibilisation sur le génocide car la réception cinématographique est bien plus efficiente que celle de la plupart des textes littéraires. Pour preuve l’immense succès[50] et la polémique suscitée par la sortie du Film Hotel Rwanda. Même si l’intention didactique et le message politique du film s’inscrivent dans la logique des œuvres littéraires précédemment citées, se pose ici la question du rapport du scénario à la réalité et globalement celle de l’éthique.

Pour assurer le succès de Hotel Rwanda, la production a choisi de faire entrer le personnage de Paul Rusesabagina dans l’histoire au prix de certaines falsifications dans un scénario écrit pourtant « d’après histoire vraie[51] ». Cette confusion entre réalité et fiction est la principale faiblesse du film de George Terry. C’est pourquoi comme le note Linda Melvern:

Il est important que les cinéastes qui souhaitent utiliser le génocide rwandais comme toile de fond spécifient clairement qu’il s’agit d’une fiction ou d’une réalité. C’est le mélange des deux qui est dangereux. Prétendre que la fiction est la réalité ne rend pas service à l’histoire et ne permet pas de comprendre comment les violations massives des droits de l’homme sont commises[52]

 

Ainsi le cinéma qui nécessite un lourd investissement et qui est loin d’être une activité philanthropique, pourrait concilier action pédagogique et logique commerciale.  

  

Bibliographie

Corpus

  • Hazoumé, Flore. Le crépuscule de l’homme. Abidjan: CEDA, 2002, 199 p.
  • Mukasonga, Scholastique. Inyenzi ou les cafards. Paris: Gallimard, 165 p.
  • Tadjo, Véronique. L’ombre d’Imana. Arles: Actes Sud, 2000, 137 p.

 

Filmographie

  • Caton-Jones, Michael. Shooting Dogs. Royaume-Uni: BBC Films, UK Film Council, 2005.
  • Glucksman, Raphael et al. Tuez-les tous. France: Michel Hazanavicius, Arnaud Borges, 2004.
  • Spielberg, Steven. La liste de Schindler. Etats-Unis, Steven Spielberg et al., 1993.
  • Terry, George. Hotel Rwanda. Etats-Unis, Royaume Uni, Italie, Afrique de Sud: Lions Gate Entertainement, United Artists, 2004.

 

Références critiques

  • Anselle, Jean-Loup, Elikia M’bokolo. Au cœur de l’ethnie, Ethnie tribalisme et Etat en Afrique: La Découverte, 2005, 252 p.
  • Barlet, Olivier.  "Hotel Rwanda de George Terry", Africultures du 04 avril 2005.
  • Bonnet, Véronique. "La « prise d’écriture » de Rwandaises rescapées du génocide", in Notre Librairie n° 157 janvier-mars 2005, p 76-81.
  • Braeckman, Colette. Rwanda, histoire d’un génocide. Paris: Fayard, 1994, 341 p.
  • Chrétien, Jean-Pierre. Rwanda les médias du génocide. Paris: Karthala, 1995, 397 p.
  • Dini, Florence. “Véronique Tadjo: La vie est plus forte que la mort", in Amina, n° 367, novembre 2000, p 62-63.
  • Ndahuro, Alfred, Rutazibwa Privat. Hotel Rwanda ou le génocide des Tutsis vu par Hollywood. Paris: L’Harmattan, 2008, 112 p.
  • Pinnel, Fabienne. "Shooting dogs, un autre film pour dire l’horreur du génocide rwandais", in afrik.com du jeudi 6 avril 2006.
  • Rangira, Béatrice Gallimore, Chantal Kalisa, Dix ans après- réflexions sur le génocide rwandais. Paris: L’Harmattan, 2005, 288 p.
  • Rumiya, Jean. Le Rwanda sous mandat belge. Paris: L’Harmattan, 1992, 249 p.
  • Rusesabagina, Paul. Un homme ordinaire. Buchet-Chastel, 2007, 180 p.
  • Rutayisiré, Antoine. "Rwanda: église et génocide", in Antoine Rutayisiré, Emmanuel Ndikumana, Abel Ndjeraréou, Le tribalisme en Afrique et si on en parlait?, sous la direction de Daniel Bourdanné. Abidjan: Presses Bibliques Africaines, p7-46.
  • Semujanga, Josias. "Rwanda. Des récits coloniaux aux mots du génocide", Dix ans après- réflexions sur le génocide rwandais. Paris: L’Harmattan, 2005, p. 31-59.
  • Thiroin, Marie-Odile. "La guerre et sa représentation", in Bulletin de littérature générale et comparée, n°27, automne 2001, p. 9-29.
  • Vidal, Claudine.  “La commémoration du génocide au Rwanda", in Cahiers d'études africaines, 175 - 2004, [En ligne], mis en ligne le 30 septembre 2007.
  • URL: http://etudesafricaines.revues.org/index4737.html. Consulté le 24 août 2009.
  • Vidal, Claudine. "Le génocide des Rwandais tutsi: cruauté délibérée et logique de haine" in De la violence, sous la direction de François Héritier, tome 1, Paris: Odile Jacob, 1996, pp.325-366.

[1] Université de Bouaké, Côte d’Ivoire

[2] Véronique Tadjo. L’ombre d’Imana. Arles: Actes Sud, 2000, 137 p.

[3] Scholastique Mukasonga. Inyenzi ou les cafards. Paris: Gallimard, 2006, 165 p. 

[4] Flore Hazoumé. Le crépuscule de l’homme. Abidjan: CEDA, 2002, 199 p.

[5] Hotel Rwanda, sortie en salle 30 mars 2005.

[6] Antoine Rutayisuré, "Rwanda : église et génocide", in Antoine Rutayisiré, Emmanuel Ndikumana, Abel Ndjeraréou, Le tribalisme en Afrique et si on en parlait ?, sous la direction de Daniel Bourdanné, Abidjan: Presses Bibliques Africaines, p 11.

[7] Le Rwanda sous mandat belge. Paris: L’Harmattan, 1992, 249 p.

[8] Rwanda, histoire d’un génocide. Paris: Fayard, 1994, 341 p.

[9] Rangira Béatrice Gallimore, Chantal Kalisa. Dix ans après-réflexions sur le génocide rwandais, Paris: L’Harmattan, 2005, 288 p.

[10] Josias Semujanga, Rwanda. "Des récits coloniaux aux mots du génocide", Dix ans après- réflexions sur le génocide rwandais, Paris: L’Harmattan, 2005, p 32.

[11] Véronique Tadjo. L’ombre d’Imana. Arles: Actes Sud, 2000, p 29.

[12] Jean-Loup Anselle, Elikia M’bokolo. Au cœur de l’ethnie, Ethnie tribalisme et Etat en Afrique. La Découverte, 2005, 252 p.

[13] Flore Hazoumé. Le crépuscule de l’homme. Abidjan: CEDA, 2002, p 16.

[14] Film réalisé par George Terry, sortie en salle en 30 mars 2005.

[15] Un homme ordinaire. Buchet-Chastel: 2007, 180 p.

[16] Daniel-Henri Pageaux. La littérature générale et comparée. Paris: Armand Colin, 1994, p 62.

[17] Véronique Bonnet, "La « prise d’écriture » de Rwandaises rescapées du génocide", Notre Librairie n° 157 janvier-mars 2005, p 76-81.

[18] Boniface Mongo Mboussa. postface de Inyenzi ou les cafards. p 162.

[19] Scholastique Mukasonga. ibid, p 23.

[20]Ibid, p 63.

[21] Ibid

[22] Le jour le plus long. Film américain sur la libération de la France sorti en 1962. Adaptation du livre de Cornelius Ryan (Le jour le plus long, 1959).

[23] Jean-Pierre Chrétien. Rwanda les médias du génocide. Paris: Karthala, 1995, p 70.

[24] Olivier Barlet, "Hotel Rwanda de George Terry", Africultures du 04  avril 2005

[25] Véronique Tadjo, op.cit, p 133-134.

[26] Ibid, p 133.

[27] "La vie est plus forte que la mort", Interview de Véronique Tadjo par Florence Dini, Amina, novembre 2000.

[28] 100 days de Nick Hughes (Grande-Bretagne), Gardien de la mémoire, Eric Kabera (Rwanda), Sometimes in april de Paul Peck (Haïti), Shooting Dogs de Michael Carton Jones (USA).

[29] Claudine Vidal, « La commémoration du génocide au Rwanda », Cahiers d'études africaines, 175 | 2004, [En ligne], mis en ligne le 30 septembre 2007.

URL: http://etudesafricaines.revues.org/index4737.html. Consulté le 24 août 2009

[30] Claudine Vidal, op.cit.

[31]  Ibid.

[32] Film britannique réalisé par Michael Caton-Jones. Sortie 2005.

[33] Dans son article, "Shooting dogs, un autre film pour dire l’horreur du génocide rwandais" publié sur afrik.com le jeudi 6 avril 2006, Fabienne Pinel écrit qu’à l’issue de la projection du film au stade Amahoro de Kigali haut lieu de massacres de milliers de Tutsis, le président Paul Kagamé déclare: « Shooting Dogs fait partie de la mémoire du génocide rwandais. »

[34] Abidjan-Paris, NEI-Présence Africaine, 1999, 175 p.

[35] Véronique Tadjo, op.cit, p 23.

[36] Véronique Tadjo, Ibid, p 57.

[37] Ibid, p. 123-124.

[38] Véronique Tadjo, Ibid, p. 135-136.

[39] Véronique Bonnet, op.cit, p. 80.

[40] Marie-Odile Thiroin, "La guerre et sa représentation", in Bulletin de littérature générale et comparée, n°27, automne 2001, p. 20.

[41] Claudine Vidal, "Le génocide des Rwandais tutsi: cruauté délibérée et logique de haine" in De la violence. sous la direction de François Héritier, tome 1, Paris: Odile Jacob, 1996, p 325-366.

[42] Le documentaire Tuez-les tous Rwanda: histoire d’un génocide "sans importance" de Raphael Glucksman, David Hazan et Pierre Mezerette (2004) est d’ailleurs très explicite sur la question.

[43] Alain Frilet, Libération du 15 mai 1994 cité par Presseafrique du 06 avril 2005.

[44] Colette Braeckman, op.cit.

[45] A. Ndahuro, P. Rutazibwa. Hotel Rwanda ou le génocide des Tutsis vu par Hollywood. Paris: L’Harmattan, 2008, p. 24.

[46] Dans l’article de Fabienne Pinel déjà cité, Mugabe Aggée, doctorant en sociologie à l’université de Kigali estime que Hotel Rwanda a été critiqué parce qu’il « dépeint Paul Rusesabagina, le personnage principal du film, comme un héros, ce qui n’a jamais été démontré ! »

[47] Commentaire à l’affiche de la version française du film.

[48] La liste de Schindler a remporté 7 oscars dès sa sortie en 1993 et plusieurs autres distinctions prestigieuses quelques années plus tard.

[49]  Le livre de Paul Rusesabagina Un homme ordinaire (2007) publié après la sortie du film est à mettre en rapport avec de La liste de Schindler (1982) de Thomas Keneally, dont est inspiré le film de Spielberg. L’écho du film de George Terry à l’issue duquel les critiques ont qualifié Paul Rusesabagina « d’Oskar Schindler africain » semble avoir servi la promotion du livre de Rusesabagina. Et les multiples conférences prononcées par l’auteur dans les pays développés sur le génocide de 1994 sont loin d’être de simples opérations caritatives.

[50] Trois nominations aux Oscars.

[51] Commentaire à l’affiche de la version française du film

[52] Citée par A. Ndahuro, P. Rutazibwa, op.cit, p. 20.

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Résumé

Le cœur des enfants léopards de Wilfried N'Sondé participe des nouvelles productions romanesques qui répondent parfaitement aux préoccupations esthétique et éthique de la mondialisation littéraire. Ainsi, la présente étude qui est consacrée à cette voix de l'immigration et de l'identité plurielle vise à mettre en lumière le lien qui existe entre écriture migratoire et préoccupation identitaire. Se fondant sur les données nouvelles de la critique universitaire, cette réflexion montre que toute analyse textuelle de la littérature de l'immigration débouche inéluctablement sur la problématique des identités. Partisans d'un cannibalisme culturel, les personnages migrants de Wilfried N'Sondé ne souhaitent guère mourir à leurs revendications identitaires pour renaître à une civilisation négatrice de l'altérité. Ces enfants de la migritude prônent la différence en tant que cette dernière structure la mondialisation.

Mots clés: migritude, différence, identité, écriture migrante, immigration, cannibalisme culturel.

 

Abstract

Le cœur des enfants léopards by Wilfried N’Sondé presents new productions of the novel that answer properly the aesthetic and ethical concerns of literary globalization. Thus, this paper which is devoted to this voice of immigration and to plural identity aims at clarifying the bonds that exist between migratory writing and identity concern. Based on the new data of university criticism, this work shows that any textual analysis of the literature of immigration leads inescapably to the issue of identity. As advocates of a cultural cannibalism, the migrant characters of Wilfried N’Sondé hardly wish to die in their identity claims to give a rebirth to a civilization which rejects alterity. These children of migration are for difference given that it gives structure to globalization.

Key words: migration, difference, identity, writing, immigration, cultural cannibalism

 

 

Introduction

         

A l’heure de la mondialisation qui s’accompagne, paradoxalement, d’un vaste mouvement de replis identitaires, il semble impensable de vouloir passer sous silence une double problématique qui hante l’imaginaire de l’homme du troisième millénaire: celle de l’immigration et celle de l’identité plurielle. De ce point de vue, nul n’a besoin d’une relecture sartrienne de la philosophie de l’engagement littéraire pour conclure au caractère nécessaire de développer les thématiques relatives à la littérature de l’immigration qui charrie des courants identitaires, des approches différentes de ce nouveau champ littéraire dans le paysage critique francophone. Ainsi,

dans un monde où les bornes de délimitation des champs culturels sont en pleine mutation, les concepts d’identité et d’altérité suscitent une nouvelle prospection sémantique, tant ils sont confrontés à l’expérience de la globalisation et à la récurrence des discours régionalistes[2]

 

Dans cette perspective de mondialisation accélérée, les partisans d’une dynamique de la notion d’identité répugnent à regarder cette dernière comme

la possession rassurante d’un moi (individu) ou d’un nous (société ou groupe social) ; elle est le résultat d’un déploiement d’une réalité fugace qui se meut à travers l’espace et le temps[3]

 

Sous ce rapport, l’existant auquel ils font allusion ne saurait posséder une identité déterminée, définitivement établie. Forts de cette conception nouvelle de l’identité, ils conceptualisent l’identité mutante. Par le truchement de cette dernière, l’homme arrive à éviter les dérives identitaires qui résultent d’une volonté de dissoudre les singularités dans une identité universelle, laquelle gommerait les recherches et les revendications identitaires.

Il va de soi que toute tentative de cannibalisme culturel se heurte aux multiples résistances des contempteurs d’une identité dominante. Dès lors, il n’est pas jusqu’aux nouvelles voix littéraires qui ne se fondent « sur la dialectique d’une revendication identitaire, d’une affirmation d’appartenance et d’un élan d’intégration à l’histoire et au monde »[4]. Niées dans leurs particularismes et dans leur humanisme, ces victimes d’une identité nationale n’entendent aucunement mourir à leurs préoccupations identitaires. Ces enfants de la migritude qui peuplent l’univers littéraire de Wilfried N’Sondé vont en guerre contre leur identité bafouée, s’attachent à affirmer et à illustrer les valeurs qui fondent leur altérité. Issus de l’immigration, ces héros de la banlieue française luttent non seulement pour leur survie économique mais surtout pour leur intégration harmonieuse dans une société multiculturelle qui n’aide guère à une coexistence pacifique entre les différentes cultures. De là les tensions intercommunautaires, les stigmates identitaires, les souffrances quotidiennes qui résultent du difficile vivre ensemble. L’inévitable choc des identités engendre des frustrations, débouche sur le rejet des minorités identiquement marquées et déteint sur le comportement asocial des victimes. A l’exclusion et au marquage idéologique, ces dernières répondent par une recherche véhémente d’une identité existentielle. Ce dont témoignent les réflexions de Christiane Albert selon lesquelles:

[nombre] d’écrivains francophones aux identités multiples rendent compte dans leurs œuvres du brassage de populations qui caractérise notre époque. Ils mettent en scène des personnages d’exilés, des refugiés ou d’immigrés en quête d’une identité qui ne se définit plus à travers une origine précise mais qui est à recréer individuellement dans un télescopage de lieux et de temporalités et de cultures[5].

 

Il en va tout autrement chez les protagonistes de Wilfried N’Sondé qui ne souhaitent aucunement sacrifier leur identité originelle pour s’accommoder d’une situation conflictuelle. Ainsi, la place centrale qu’occupent tant les questions migratoires que les préoccupations identitaires dans Le Cœur des enfants léopards[6] justifie amplement l’entreprise critique qui sous-tend le présent article: consacrer une analyse à ce premier roman d’un écrivain issu de l’immigration économique. D’autre part, le caractère peu abondant d’une littérature critique sur cette nouvelle voix des écritures migrantes constitue un manque qu’il sied de combler par la présente étude. Forte à l’actualité des débats théoriques qui ont trait aux questions de la migritude, cette réflexion vise à démontrer que les préoccupations identitaires naissent, nécessairement, de toute production romanesque qui emprunte à la migritude.

 

I- La migritude

 

L’avènement d’une littérature de l’immigration conduit la république des critiques à revisiter leur appareil conceptuel pour mieux répondre aux exigences du monde nouveau au sein duquel évoluent, désormais, « ces bâtards internationaux nés dans un endroit et qui décident de vivre dans un autre »[7]. Naturellement, ces écrivains de l’immigration auxquels songe Waberi ne souhaitent plus développer les thématiques qui ont participé au rayonnement international du mouvement de la Négritude. Du reste, le nouveau contexte historique de leurs écritures migratoires les oblige à rester fidèles aux préoccupations thématique, esthétique et éthique d’une nouvelle génération de créateurs. D’ailleurs, ils savent que:

la littérature d’immigration ou des immigrations constitue à elle seule un champ littéraire qui comporte toute une série de caractéristiques propres : l’adoption d’une langue différente de celle qui nous est propre, la déterritorialisation (géographique et culturelle), le contact avec l’altérité, l’engagement idéologique ou la dénonciation[8].

 

Dès lors, toute entreprise littéraire qui ne vise guère à donner ses lettres de noblesse à ce nouveau courant esthétique semble vouée à l’insuccès éditorial. Au surplus l’horizon d’attente du lecteur invite l’écrivain de l’immigration à inscrire sa démarche dans les préoccupations de la migritude. Cependant, il est significatif que Jacques Chevrier ait jeté un éclairage saisissant sur ce concept nouveau qui ressortit à la terminologie de la critique francophone:

Ce néologisme renvoie à la thématique de l’immigration, qui se trouve au cœur des récits africains contemporains, mais aussi au statut d’expatriés de la plupart de leurs productions qui ont délaissé Dakar et Douala au profit de Paris, Caen ou Pantin. Loin d’être source d’ambiguïtés, ce statut semble avoir désinhibé les écrivains par rapport aux questions d’appartenance. Ni Nègre, ni immigré à intégrer. Inscrivant leur démarche dans un nouvel espace identitaire (Afrique(s)-sur-Seine) à équidistance entre africanité et la francité, ils puisent leur inspiration dans leur hybridité et leur décentrement qui sont devenus des éléments caractéristiques de la « World literature » à la française[9].

 

Bien qu’elle soit destinée à prouver le caractère omniprésent de ce motif de la migritude au cœur des productions africaines francophones, il n’en demeure pas moins vrai que cette réflexion pourrait s’appliquer au Cœur des enfants léopards de Wilfried N’Sondé. Au vrai, tant le créateur que ses personnages romanesques répondent aux critères dégagés par Jacques Chevrier et qui fondent la thématique de la migritude. De ce point de vue, le récit à la première personne qui participe de l’esthétique de la littérature de la migritude constitue une constance dans la grammaire narrative de Wilfried N’Sondé. Issu de l’immigration économique, son narrateur homodiégétique s’affirme comme le porte-parole de la population immigrée qui vit très mal l’absence d’une politique d’intégration harmonieuse. Profondément déçu par sa société d’accueil, il se réfugie dans la déconstruction du mythe d’une France paradisiaque qui aurait vocation à résoudre les problèmes de la misère humaine. Consubstantielle à la littérature de l’immigration, cette critique de la terre d’élection permet aux victimes de l’exclusion sociale de ne pas dénigrer leur espace d’origine. Au reste, leur premier contact avec le lieu de leurs rêves conduit au désenchantement. A ce sujet, la joie narrative, avec laquelle l’ambassadeur de leurs identités bafouées décrit le séjour parisien n’a d’égal que l’immense espoir que la population immigrée avait placé dans les mirages de Paris[10] :

Je me remémore alors mes premiers pas en terre de France, émerveillé, c’est janvier qui m’accueillit. Ce premier, ce tout petit bond d’enfant au sortir de l’avion, la déception de constater que dans ce monde tant rêvé il pleuvait aussi, intempéries froides, grises, ponctuées d’inquiétants bruits mécaniques. J’imaginais, sous un soleil clément, un pays des merveilles, couvert d’une immense coupole de verre, en dessous de laquelle la vie des Blancs coulait dans l’harmonie. J’étais convaincu qu’ils avaient réussi à créer un monde d’une haute humanité, dans lequel ils pouvaient se soulager d’un certain nombre de contingences matérielles. Très vite c’est la rigueur du froid qui, la première, me souhaita la bienvenue. Elle s’agrippa au visage, figea les doigts d’une sensation pointue, hautement désagréable, la mauvaise surprise après avoir ouvert les bagages. Il ne resta alors qu’une plainte d’enfant choqué, j’ai perdu le chemin pour rentrer chez moi. Lentement, je m’installai dans les geôles de la différence. (C.E.L. pp.81-82).

 

Le regard désabusé, critique et distant que ce personnage focalisateur jette sur l’espace parisien renseigne sur l’immense désillusion qui est la sienne. Il n’est pas jusqu’aux éléments d’une nature courroucée qui ne contribuent à créer une atmosphère romanesque déshumanisante. L’hostilité de cette terre prétendument hospitalière finit par convaincre cette voix narrative de renoncer à un quelconque humanisme de ses habitants. Dès lors, on comprend pourquoi le projet littéraire de Wilfried N’Sondé consiste à mettre un peu d’humanité sur l’actualité, à donner un visage, un cœur, des sentiments à une population, à savoir la population immigrée pauvre à laquelle appartiennent la plupart des protagonistes romanesques qui peuplent l’univers migratoire de N’Sondé. Parqués dans des quartiers difficiles et impuissants à construire un avenir qui réponde à leurs aspirations les plus légitimes, ces exclus de la société de consommation s’essoufflent dans des revendications identitaires. Prisonniers de celle-ci, ces damnés de la terre continuent, paradoxalement, à s’agripper aux rêves de lendemains qui chantent dans leur terre d’accueil. C’est dire que seuls l’espoir et le souvenir du pays d’origine aident à supporter les affres de l’immigration. Sous ce rapport, « le séjour en France, loin d’émousser la référence à l’espace culturel d’origine, stimule au contraire l’élan patriotique, conférant ainsi à la littérature des migrants une facture civique à l’image de l’écriture des résidents »[11]. Ainsi les souffrances inhumaines qui s’originent dans l’immigration mal maîtrisée engendrent la nostalgie et l’évocation incantatoire du pays d’origine.

Quoi qu’il en soit de cette référence intempestive aux origines qui ressortit à l’échec de la politique d’immigration française, il reste que la population immigrée n’a de cesse qu’elle n’ait ravalé sa dignité et travaillé à faire face aux humiliations quotidiennes. Le fait d’appartenir à une minorité visible l’expose aux pires conditions d’existence. Il s’ensuit que:

l’immigré africain se retrouve engagé dans une double aventure : d’une part l’humiliation quotidienne générée par le racisme quotidien et la suffisance de peuples qui ont profondément intériorisé le sentiment d’être en position de maîtrise ; d’autre part, la quête d’une dignité, d’une gloire légendaire associée au retour d’Europe[12].

 

Cette situation dégradante de l’immigré africain traverse incontestablement Le Cœur des enfants léopards de Wilfried N’Sondé. Dès lors, il n’est pas surprenant que la voix narrative qui domine ce récit pathétique et sombre se fasse l’écho sonore des sentiments d’exclusion que vit la population immigrée dans les «cités». Profondément attaché à cette humanité qui porte «sur la gueule la misère du monde» (C.E.L. p.28), le narrateur fait corps avec ce peuple et épouse ses querelles. On s’explique ce personnage christique, qui en dépit de sa passion animale pour Mireille, répugne à se désolidariser d’avec ses camarades victimes de la condescendance et du mépris de la majorité identique. Ainsi, tout enfant qu’il fut au moment de cette scène humiliante, le narrateur a du mal à chasser de sa mémoire adulte les souvenirs de jeunes immigrés humiliés et dénigrés:

Enfants, Drissa et moi allions régulièrement à la boulangerie du quartier, la vendeuse souriait, ils sont mignons avec leurs frisettes caresses sur la joue et les cheveux crépus, une sucrerie en cadeau, merci madame la boulangère. J’étais fasciné par sa grosse poitrine sous la blouse blanche, madame, je t’aimerai toujours d’amour. C’est plus tard, vers treize quatorze ans que nous sommes devenus étrangers, délinquants «l’intégration» «l’immigration», clandestins, seuil de tolérance dans les programmes politiques. […] Alors la même boulangère nous épie, regards méfiants. Elle doit connaître le capitaine, ils ont dû fréquenter la même école, celle où l’on apprend avant tout à fermer sa porte. Elle nous analyse, nous identifie de prime abord comme un problème, un danger. Pourquoi venez-vous ici, qu’est-ce que vous voulez? Si la boulangère n’avait pas changé avec les années, à tous les coups Drissa n’aurait pas pété les plombs. Il aurait continué à sourire, mais aujourd’hui son regard fixe toujours quelque chose intensément, au hasard, et dès qu’il peut, il s’allonge n’importe où pour se réfugier dans son sommeil (C.E.L. pp.27-28).

 

L’euphémisme par lequel se termine cette séquence narrative dissimule mal les signes cliniques qui attestent de la folie de Drissa. Le «sommeil» dans lequel il plonge, momentanément, n’est rien de moins que l’espace au sein duquel sa raison, affaiblie et agressée par l’attitude raciste de la boulangère, trouve refuge. Fort de son « monologue remémoratif »[13], le narrateur interroge sa mémoire vengeresse et rend la boulangère responsable du déséquilibre mental auquel est parvenu Drissa. La fragilité psychologique de ce dernier est fonction du racisme dégradant auquel il demeure, quotidiennement, soumise. A la tendresse et à la gentillesse bien française de l’enfant immigré, succèdent désormais une parole violente, un cri et un acte extrême qui fonctionnent comme la seule arme de dissuasion pour échapper à l’enfer banlieusard. Sous ce rapport, le crime passionnel du narrateur qui le condamne à croupir dans les prisons françaises s’explique, en partie, par la lourdeur de l’atmosphère créée par l’immigration. Qui plus est, celle-ci engendre des thèmes tels que « la différence, l’altérité, l’étrangeté, le métissage racial et culturel, l’Orient et l’Occident, l’exotisme, la carcéralité, la délinquance »[14] qui installent le personnage migrant dans une situation des plus difficiles. Considéré comme un danger permanent pour la cohésion nationale et victime d’une animalisation aux accents césairiens, l’immigré perd ses chères illusions sur une probable intégration qui l’aiderait à sortir de l’impasse dans laquelle son identité le plonge, durablement.

On le voit, Le Cœur des enfants léopards de Wilfried N’Sondé répond parfaitement à la définition de la notion de migritude et s’inscrit dans la littérature de l’immigration en tant que cette dernière « dénonce le mythe de la France comme terre d’accueil et lieu de réussite facile »[15]. En faisant sienne la déconstruction d’un espace prétendument paradisiaque, l’auteur a réussi à construire un roman de l’immigration. Qui par le biais du décentrage de son écriture et de la focalisation sur des protagonistes migrants, tend un miroir objectif aux candidats de l’immigration économique pour que ces derniers ne concluent guère à une survalorisation de ce phénomène. D’ailleurs, la quête du bonheur qui sous-tend la conduite da l’existant constitue un leurre pour la plupart des personnages immigrés qui peuplent l’univers littéraire de Wilfried N’Sondé. De là, le caractère sombre de ce roman de l’immigration dont la tonalité tragique n’a d’égale que la désespérance qui naît de rêves avortés d’une communauté d’immigrés. Victimes du discours dominant qui charrie une idéologie et des attitudes racistes, les figures de l’immigration littéraire sombrent dans le désespoir tant métaphysique qu’idéologique. Sommées de décliner leur identité et de renoncer à leurs particularismes pour mériter de la culture de la classe dominante et de ses retombées économiques, elles optent pour un ancrage dans leurs coutumes. Ainsi, « cette adhésion à la culture mère se manifeste dans l’exil par un attachement exagéré aux coutumes considérées comme originelles »[16]. De ce point de vue, les cérémonies religieuses, les fêtes, les traditions culinaires sont vécues comme des moments forts où la population immigrée revendique l’originalité de sa culture et le caractère de son identité qui se rit de l’immigration. C’est dire que ni les mirages de cette dernière, ni l’impérialisme culturel de la terre d’accueil, ni le racisme et la souffrance de l’exil n’ont réussi à freiner les préoccupations identitaires des migrants.

 

II- Les questions identitaires

 

Roman des questionnements identitaires, Le Cœur des enfants léopards de Wilfried N’Sondé l’est en tant que ses protagonistes sont sommés de choisir leur identité. D’ailleurs, le recours à l’écriture migrante leur donne de remettre « en question l’unicité des référents culturels et identitaires »[17]. Au plan thématique, elle se caractérise par « sa coïncidence avec le métissage, l’hybridation, le pluriel et le déracinement »[18] . Au regard de l’esthétique, elle se signale par le retour du narratif, des références autobiographiques et de la représentation. Il va de soi que le récit de N’Sondé n’échappe pas aux caractéristiques de l’écriture migrante qui charrie, immanquablement, des préoccupations identitaires. De là l’incipit du roman de N’Sondé qui l’ancre définitivement dans la catégorie romanesque des nouvelles voix de l’identité plurielle:

Des questions, toujours des questions, il ne s’arrêtera donc jamais! J’ai énormément de mal à comprendre où je suis. Le capitaine hurle ses questions dans ma tête qui ne peut pas tout saisir correctement, il est tard et j’ai trop bu, trop fumé, qu’il s’arrête ! Peut-être ne se rend-il pas compte que je ne suis pas en mesure de lui répondre. Ouvrez au moins une fenêtre, s’il vous plait ! Non, il s’entête, et que je la ferme bordel, je suis en garde à vue ! Je peine. Dans mon brouillard la silhouette de l’ancêtre, hors de lui ! C’est pas pour ça que tu es venu en France mon fils ! J’ai peur des interrogations, des années de questions qui encombrent mon cerveau. T’es qui ? Tu viens d’où ? T’as bien travaillé à l’école? C’est comment ton pays ? (C.E.L. p.13)

 

Les premières pages de ce roman des identités installent le lecteur dans une atmosphère aussi dantesque que lourde de conséquences tragiques pour le héros : le crime sans nom qu’il a commis le met à la merci de la maltraitance d’une police qui vit de la chosification et de l’animalisation de l’immigré africain. Cette figure du policier raciste peuple la fiction littéraire de N’Sondé applaudit à l’arrestation et à la condamnation du délinquant noir dans la mesure où son incarcération plaide en faveur de l’hypothèse selon laquelle l’immigration est consubstantielle au banditisme. Assimilable au mal par excellence, c’est à y mettre un terme que les grandes démocraties doivent travailler si elles sont soucieuses d’une vie communautaire exempte de violence et de crimes. Mais l’on peut douter que la criminalité soit fille de l’immigration économique. Il s’en faut de beaucoup que ces germes naissent de la présence de ces pauvres immigrés dont la répugnance à commettre le mal n’a d’égale que leur aspiration légitime à vivre dans une société qui accepte les différences culturelles et la pluralité identitaire. Or, celle au sein de laquelle ils évoluent

est une société traversée de part en part par l’altérité, une société que l’histoire à dépossédée de son identité et qui continue aujourd’hui d’être habitée par l’autre [19]

 

La présence de cette autre identité dominante rend difficile le vivre dans un « entre-deux-identitaire »[20]. Cette cohabitation belliqueuse des identités et de ces cultures mosaïques n’invite guère à une intégration harmonieuse, laquelle serait synonyme d’acceptation de la différence. Ces adeptes d’une identité aussi monolithique que supérieure semblent d’autant plus impardonnables qu’ils oublient que la vraie identité n’est pas une donnée rigide et immuable. Au vrai, elle est fluide et s’apparente à un « processus toujours en devenir, par lequel on s’éloigne continuellement de ses origines, comme le fils quitte la maison de ses parents et on y retourne par la pensée et le sentiment »[21]. Loin d’être un cadeau céleste qui se signale par son caractère durable, cette identité changeante n’est rien de moins qu’une « chose qui se perd et qui se renouvelle, dans un mouvement incessant de dépaysement et de retour »[22]. De ce point de vue, il en va de la nature comme de l’identité: toutes deux ne peuvent se posséder, éternellement.

D’autre part, seule une lecture myope des philosophies du sujet qui sous-tendent la notion d’identité a pu pousser les personnages blancs dans la fiction littéraire de N’Sondé à s’arc-bouter sur l’approche différentialiste des cultures. Sous ce rapport

en faisant éclater l’unité du genre humain, ce qui revient à décliner l’humanité au pluriel et à s’en faire une conception quasi zoologique, comme si les différents groupes humains étaient des espèces animales différentes[23],

 

cette nouvelle perspective voit en l’Autre la figure du Barbare en tant que sa culture le particularise. Désireux de construire sa philosophie des identités sur les ruines de cette approche négative des contempteurs de l’immigration économique et de l’influence réciproque des cultures, le narrateur dénonce le refus de la différence qui, paradoxalement, structure les nouvelles identités:  

Nous sommes quelque part sur un pont, des jeunes nous accostent, nous buvons avec eux. Hilares, ils nous racontent, surexcités, qu’ils viennent de rosser des petits enculés de bourgeois d’étudiants. J’ai vraiment pas la gueule de l’emploi. Celui qui raconte est noir, avec un visage à effrayer des CRS, il est assis, les coudes sur les genoux, dans une main un joint et la bouteille de rhum, il crache en continu, dans l’autre un poing américain. Je connais très bien le mauvais de ce regard, il suinte la violence gratuite, l’envie presque sexuelle de faire mal et d’en jouir. Je sens Ludovic paniqué. Je tente de jouer le jeu. Ma famille et moi si fiers de mon baccalauréat, je suis presque quelqu’un, carte d’étudiant, tout ça pour me cacher dans cette nuit juste un peu au-dessus des eaux de la Seine. Je commence à être vraiment épuisé, de ne jamais ressembler à ce que je pense être. Qu’est-ce que tu fais ? T’es qui toi ? T’es un rasta ou quoi ? (C.E.L., pp.122-123).

 

Les nombreuses questions identitaires par lesquelles se termine cette séquence narrative qui se signale par l’alternance de voix renseignent sur l’attitude négative de ceux qui refusent les identités minoritaires. Ces interrogations qui parsèment le récit du narrateur autodiégétique sont vécues comme des formes de tortures morales. L’entreprise d’avilissement à laquelle les migrants noirs sont soumis rend le climat social des moins tenables. Victimes du délit de faciès, condamnés à inscrire leur projet existentiel dans une quête identitaire aussi douloureuse que funeste et intimidés par le système identitaire dominant, ces enfants de la migritude se voient dans l’obligation de la morale révolutionnaire de recourir à la philosophie de la violence aux seules fins de recouvrer leurs identités bafouées, niées et insultées. Mais ces partisans du cosmopolitisme identitaire doivent savoir que la violence n’aide nullement à la résolution de leur crise d’identité. Le monde de l’information au sein duquel ils ont vocation à vivre se caractérise par un télescopage des identités. De ce point de vue, plus les hommes sont proches « les uns des autres plus les différences sont visibles, plus il faut garantir certaines distances pour supporter les dissemblances et réussir à cohabiter »[24]. Or, les personnages blancs chez N’Sondé répugnent à accéder à cette conception nouvelle des identités. Volontairement, ils ont oublié que

 l’identité a cessé d’être une notion simple, et que la complexité qui la caractérise réside dans le fait que le sujet est traversé par des identifications multiples et contradictoires[25]

 

Hostiles à la conception d’une identité changeante et ennemis du « sujet postmoderne »[26] en tant que ce dernier se caractérise par sa capacité à traverser les frontières culturelles, ces nostalgiques d’une identité désuète refusent l’altérité et travaillent à pérenniser leur « identité idem »[27]. Ce faisant, ils s’inscrivent en faux contre les données nouvelles de l’identité qui lient le devenir de celle-ci à l’ouverture. Car,

la question de l’identité culturelle de l’Europe ne peut pas se poser de façon indépendante. Elle est indissociablement liée à celle du rapport de l’Europe aux autres civilisations antérieures et/ou extérieures à elle[28]

 

De la négation de ces dernières naît un climat de tension permanente qui dresse des barrières entre les différentes communautés vivant dans un espace identitaire des plus conflictuels.

Ennemis de « l’identité permanence »[29] en tant qu’elle aboutit à des crispations identitaires et à la haine de l’autre, les personnages issus de l’immigration dans le roman de N’Sondé trouvent dans la différence une marque de leur philosophie de la vie communautaire. Cependant, victimes de l’exclusion et de la précarité sociale, ils « sont souvent guettés par le piège ethniciste, consistant à réduire une identité narrative singulière à un certain nombre de stéréotypes qui construisent un immigré type qui s’oppose à l’expression d’une parole singulière et d’une altérité authentique »[30]. Cette caricature de la figure de l’immigré africain à qui on refuse une certaine identité s’origine dans une culture qui entend imposer son système identitaire au reste de la planète. Or, même l’esprit de la mondialisation contrecarre ce projet idéologique en tant qu’il veut s’opposer à la marche du monde. Au vrai,

la loi universelle du cannibalisme culturel et le vent de la mondialisation font d’ailleurs que la possibilité pour une civilisation […] de se replier sur elle-même n’existe pratiquement plus et semble relever d’une myopie intellectuelle et politique[31]

 

On s’explique que la figure de la boulangère et celle du policier raciste ne puissent accéder à cette hauteur de vue de façon à transcender les barrières culturelles qui les séparent d’avec les autres minorités visibles. Leur ignorance les pousse à s’enfermer dans leur suffisance et à nier l’interdépendance interculturelle. Dans cette perspective, on peut comprendre qu’ils puissent déconsidérer les règles qui sous-tendent toute anthropologie culturelle. D’autant que ces dernières stipulent que « toute culture se nourrit de celles qui l’ont précédée »[32]. Forts de cette loi du cannibalisme culturel, les personnages immigrés de N’Sondé répugnent à oublier leur identité culturelle.

          Bien que le narrateur soit sans une identité particularisante, il n’en demeure pas moins vrai qu’il est soumis à une quête identitaire des plus douloureuses. Certes, la déception amoureuse l’a conduit à commettre un crime abominable ; et ce fait criminel surdétermine son cas. A la violence policière, à l’animalisation de sa société d’accueil va s’ajouter un interrogatoire excessif qui entend le pousser à avouer son forfait et à payer sa dette envers le groupe sociétal à l’intérieur duquel il avait vocation à s’intégrer, harmonieusement. Mais ce crime passionnel qui apparente cette fiction narrative à un roman policier[33] va conduire la société à sévir contre cet ennemi de l’ordre établi. De là l’avènement de la figure de l’enquêteur qui d’induction en déduction, cherchera à résoudre « les affaires en apparence les plus compliquées »[34]. Dans cette recherche criminelle, l’enquêteur poursuit une mission vengeresse : celle de donner un châtiment exemplaire à ce fils d’immigré dont l’ingratitude insulte les lois de l’hospitalité. Cependant, la présence de ces éléments qui participent au roman policier ne doit pas nous faire oublier que Le Cœur des enfants léopards est aussi une écriture de l’identité culturelle.

          En souscrivant à cette thématique d’époque qui a contribué au rayonnement du mouvement de la Négritude, N’Sondé reste fidèle aux préoccupations idéologiques des Africains. Il semble d’autant plus inspiré à y consacrer des pages que la littérature de l’immigration lui fait obligation de mentionner les questions identitaires auxquelles sont confrontés les Noirs. D’ailleurs, « on peut deviner aisément que l’émergence de cette littérature ne peut qu’être liée consubstantiellement à des revendications collectives »[35]. Toutefois, la présence de ces dernières ne réussit nullement à épuiser la veine revendicative qui traverse ces écritures des nouvelles identités. De ce point de vue, la disparition du narrateur omniscient et omniprésent du récit classique permet l’émergence d’un « personnage qui ne se contente plus d’être un simple miroir à la réalité, mais désormais l’interprète à travers sa propre sensibilité »[36]. Fort de cette dernière, le narrateur entend mettre un terme aux tiraillements identitaires entre lesquels se partagent la plupart des immigrés africains et revendique hautement son identité nègre ainsi que son statut d’assassin :

Voilà mon capitaine, je suis un criminel, tu peux rentrer chez toi, surtout ferme bien ta porte, verrouille bien tes serrures. C’est vrai messieurs les juges, j’ai pissé sur l’agent mes frustrations de pauvre, ma peur de demain, l’amour qui m’a quitté, le Congo dévasté, la détresse des amis, le pétrole couleur de sang, le béton dans mes veines, la rage dans mon regard et l’invisible que je n’entends plus. Ouvre grandes tes oreilles, que tes tympans tremblent devant mon cri pour répondre présent à l’appel. C’est cette urine de fauve que nous seuls distillons. J’ai pissé sur l’agent et j’ai cogné très fort. A toutes ces questions insensées qui torturent ma vie, j’ai répondu par des coups de rage calme. T’es quoi en fait, français ou africain ? J’ai frappé de toutes mes forces là où ça fait mal, encore et encore ! (C.E.L. p.130).

 

Le fait de lier la grande criminalité à l’immigration économique qui constituerait une menace permanente pour la sécurité nationale pousse le représentant des exclus de la société de consommation à revendiquer tous les crimes imputables à la population immigrée africaine. Certes est l’assertion selon laquelle l’abandon de Mireille l’a plongé dans une folie meurtrière qui a débouché sur son arrestation légitime. Mais il est sans exemple qu’il ait commis les forfaits imaginaires qui peuplent l’esprit tortionnaire du policier raciste. Du reste, à la volonté de ce dernier de le chosifier, et de l’animaliser, le narrateur oppose un tutoiement systématique, une violence aussi verbale que physique et une revendication identitaire des plus hautaines. La tonalité revancharde qui traverse cette réplique du narrateur traduit imparfaitement les frustrations quotidiennes qui naissent de la négation de son identité. De même, il vitupère contre ceux qui veulent lui fabriquer une identité qui réponde à leurs préjugés raciaux. En effet, les partisans de la criminalité zéro poussent leur entreprise de mythification jusqu’à criminaliser l’immigration. De là le durcissement des lois sur cette dernière et la péjoration de l’image de l’immigré africain qui serait à l’origine du malaise des banlieues françaises. Ainsi, cette situation du migrant africain favorise une quête douloureuse de son identité noire. Nié dans son essence humaine et obligé de se réinventer pour sortir de ce déni de sa personnalité, il puise dans « la remémoration du passé et de la terre maternelle »[37] une foi qui lui donne de narguer le système identitaire occidental. A l’inverse des victimes de ce dernier qui revendiquent le concept « d’a-identité »[38], les protagonistes de N’Sondé, eux, n’entendent guère se soumettre à l’idéologie dominante. A ce sujet, ils sont d’autant plus enclins à résister à cette invasion culturelle qu’ils demeurent conscients que l’identité n’est rien de moins qu’une « expression de la différence, mais d’une différence qui, loin de sombrer dans un nationalisme appauvrissant, n’exclut ni le dialogue, ni la complémentarité »[39]. Partisans d’une philosophie de l’identité qui se fonde sur celle-ci, les personnages immigrés, dans la fiction littéraire de N’Sondé, s’affirment comme des enfants de la mondialisation dans l’exacte mesure où leur aspiration légitime à une identité nègre ne débouche aucunement sur le déni des autres identités alternatives. L’affirmation de ces dernières témoigne du cannibalisme culturel auquel N’Sondé adhère. De même, elles permettent de mettre en exergue la poétique de N’Sondé qui inscrit son projet littéraire dans une esthétique de la différence.

        Ainsi, de tout ce qui précède, il suit que les questions identitaires traversent Le cœur des enfants léopards et transforment ce roman de la migritude en une fiction littéraire qui fonctionne comme un hymne à l’identité plurielle.  L’affirmation de cette dernière chez les personnages issus de l’immigration économique répond aux nouvelles philosophies qui sous-tendent l’identité. Le cannibalisme culturel auquel ils adhèrent massivement les amène à transcender les tiraillements identitaires à se méfier des identités tant fabriquées qu’imposées et à regarder la question des identités comme une possibilité de restaurer l’hybridité. Partisans de la complémentarité au regard de la guerre des identités, les personnages migrants de N’Sondé souhaitent évoluer dans un espace multiculturel qui ne se fonde nullement sur la négation de l’autre.

 

Conclusion

         

Au terme de cette réflexion critique qui a ambitionné de prouver le lien probant qui existe entre toute littérature de l’immigration et la problématique des identités, il appert  que cette hypothèse liminaire a trouvé une vérification textuelle à travers Le cœur des enfants léopards de Wilfried N’Sondé. La présente analyse a montré que sa fiction littéraire se signale par son écartèlement entre la thématique de la migritude et les préoccupations identitaires qui hantent l’imaginaire de ses protagonistes issus de l’immigration économique. Au regard de cette dernière, l’examen du roman de N’Sondé a permis de conclure à l’échec de la politique française en matière d’intégration harmonieuse des minorités identitaires.  Au reste, cette nouvelle voix de la littérature de l’immigration a réussi à mettre en exergue la situation dramatique des immigrés africains qui piétinent dans leur marche vers des lendemains enchanteurs. Mais l’évocation de cette impasse économique devant laquelle se placent, inéluctablement, les personnages de N’Sondé ne doit nullement conduire la critique universitaire, à ranger cette œuvre dans la catégorie de fictions qui ressortissent au courant du désenchantement. Non que cette veine soit absente dans ce roman de l’affirmation de l’identité noire; cependant, l’esthétique de l’ouverture à laquelle l’écriture migrante adhère rend nécessaire le classement de cette œuvre au sein du champ littéraire de la migritude. D’ailleurs, le fait qu’elle ait développé tous les complexes thématiques de cette dernière et qu’elle ait correspondu aux critères poétiques de ces nouvelles écritures identitaires oblige la critique à l’inscrire définitivement dans la littérature de l’immigration. Fille de cette dernière et partisane du décentrage de l’écriture, cette nouvelle poétique de l’identité plurielle s’affirme comme un hymne à la mondialisation en tant que celle-ci se recommande par sa foi en la différence salvatrice.

 

 

Références bibliographiques

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II. Œuvres d’imagination

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III. Etudes générales

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  • Fondamèche, Daniel. Paralittérature. Paris : Vuibert, 2005.
  • Lipovetsky, Gilles. L’ère du vide : essai sur l’individualisme contemporain. Paris : Gallimard, 1983
  • Magris, Claudio. Utopie et désenchantement. Traduction de Jean et Marie-Noèlle Pastureau. Paris : Gallimard, 2001.
  • Narcejac, Thomas. Une machine à lire : le roman policier, une littérature problème. Paris : Gonthier, 1975.
  • Wolton, Dominique. Internet Et après ? Une théorie critique des nouveaux médias. Paris : Flammarion, 1999.

 

IV. Etudes critiques

  • Amieiro, Margarita Alfaro. « Littérature de l’immigration ou littérature nationale le sens plurivoque de la migration chez Adrien Pasquali »
  • http://www.apeforg.pt/actas 2006/MA122006.pdf, pp.110-126 (pages consultées le 24/02/2010 à 18h30).
  • Chartier, Daniel. « Les origines de l’écriture migrante. L’immigration littéraire au Québec au cours des deux derniers siècles ». Voix et images, vol 27, n°2, 2002, pp
  • Chevrier, Jacques. « Afrique(s)-sur-Seine : autour de la notion de migritude » Notre librairie, n° 155-156, 2004, pp.96-100.
  • -----------------------  « Les métamorphoses du roman africain ». Lettres et cultures de langue française, n°17, 1er semestre 1992, pp.79-85.
  • Diop, Papa Samba. « Le pays d’origine comme espace de création littéraire » Notre Librairie, n° 155-156, 2004, pp56-61.
  • Garnier, Xavier. «  L’exil lettré de Fatou Diome ». Notre Librairie, n°155-156, 2004, pp.30-35.
  • Hounsounon-Tolin, Paulin. « Orphée noir et la Négritude comme oubli de la loi du cannibalisme culturel, et ignorance de l’identité culturelle comme rapport à l’autre » http://éthiopiques.refer.sn/spip.php?article1653, pp.1-18 (pages consultées le 21/02/2010 à 19h06).
  • Laronde, Michel. « Les littératures des immigrations en France. Questions de nomenclature et directions de recherche ». Le Maghreb littéraire, vol 1, n°2, 1997, pp.17-30.
  • Mambenga-Ylagou, Frédéric. « Autochtonie, altérité et intranquilité esthétique dans la littérature africaine ». Ethiopiques, n°75, 2ème semestre 2005, pp.1-18.
  • Mboungou, Vitraule., Wilfried N’Sondé livre « Le cœur des enfants léopards ». whttp://www.afrik.com/article 11755.html, pp.1-3 (pages consultées le21/02/2010 à 18h29mn).
  • Nadjo, Léon. « Langue française et identité culturelle en Afrique noire francophone. Le cas de quelques écrivains ». Ethiopiques, n°1-2, 1er trimetsre 1985, pp.94-105.
  • Zekri, Khalid. « Ecrivains issus de l’immigration maghrébine ou écrivains beurs » ? Notre Librairie, n°155-156, juillet 2004 pp.62-67.
  • Albert, Christiane. L’immigration dans le roman francophone. Paris : Karthala, 2005.
  • Cazenave, Odile. Afrique dur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris. Paris : L’Harmattan, 2003.
  • Chalaye, Sylvie (sous la direction de). Nouvelles dramaturgies d’Afriques noire francophone. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2004.
  • Nesveu, Pierre. L’écologie du réel. Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine. Montréal : Boreal, 1988.

[1]Enseignant / Chercheur, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

[2] Fréderic Mambenga-Y Lagou. Autochtonie, altérité et intranquilité esthétique et éthique dans la littérature africaine. Ethiopiques, n°75, 2ème semestre 2005, p.1.

[3] Saliou Ndour. Identités culturelles et cinéma : quelle image de l’Afrique à l’heure de la mondialisation ? Safara, n°1, janvier 2002, p.189.

[4] André Patient Bokiba. Ecriture et identité dans la littérature africaine. Paris: L’Harmattan, 1998, p.89.

[5] Christiane Albert. L’immigration dans le roman francophone contemporain. Paris: Karthala, 2005, p.82.

[6] Wilfried N’Sondé.  Le Cœur des enfants léopards. Paris: Actes Sud, 2007. [Désormais nous allons user les acronymes suivants pour désigner l’œuvre de base : C.E.L.]

[7] Abdourahman Waberi. Transit. Paris: Gallimard, 2003, p.40.

[8] Margarita Alfaro Amieiro. « Littérature de l’immigration ou littérature nationale. Le sens plurivoque de la migration chez Adrien Pasquali ». http://www.apef.org.pt/actas2006/MA122006.paf  (page consultée le 24/02/2010), p.110.

[9] Jacques Chevrier. Afrique(s)-Sur-Seine : autour de la notion de « migritude »Notre Librairie, n°155-156 juillet 2004, p.96.

[10] Titre d’un roman d’Ousmane Socé. Mirages de Paris. Paris: Nouvelles Editions Latines, 1937.

[11] Papa Samba Diop. « Le Pays d’origine comme espace de création littéraire ». Notre Librairie, n°155-156, juillet 2004, p.59.

[12] Xavier Garnier. « L’exil lettré de Fatou Diome »Notre Librairie, n°155-156, juillet 2004, p.34.

[13] Dorrit Cohn. La transparence intérieure. Paris: Seuil, 1980, p.208.

[14] Odile Cazenave. Afrique sur Seine. Une nouvelle génération de romanciers africains à Paris. Paris: L’Harmattan, 2003, p.15.

[15] Idem,p.138.

[16]Mar Fall. Des Africains noirs en France, des tirailleurs sénégalais aux…Blacks. Paris: L’Harmattan, 1986, p.38.

[17] Daniel Chartier. « Les origines de l’écriture migrante. L’immigration littéraire au Québec au cours des deux derniers siècles ». Voix et images, vol 27, n°2, 2002, p.304.

[18] .Pierre Nesveu. L’écologie du réel. Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine. Montréal : Boreal, 1988, p.215.

[19] .Sylvie Chalaye (sous la direction de). Nouvelles dramaturgies d’Afrique noire francophone .Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2004, p.23.

[20] Idem, p.16.

[21] Claudio Magris. Utopie et désenchantement. Traduction de Jean et Marie-Noëlle Pastureau. Paris: Gallimard, 2001, p.92.

[22] Idem, p.92.

[23] Bado Ndoye. « Cultures, traditions et identités : le différentialisme à l’épreuve de la mondialisation ». Ethiopiques, no71, 2èmesemestre 2003, p.155.

[24] Dominique Wolton. Internet, et après ? Une théorie critique des nouveaux médias. Paris: Flammarion, 1999, p.11.

[25] Bado Ndoye. op. cit., p.162.

[26] Sur cette notion, lire Gilles Lipovetsky. L’ère du vide : essai sur l’individualisme contemporain. Paris: Gallimard, 1983.

[27] Jean-Christophe Aeschliman (sous la direction de). Ethique et responsabilité. Boudry Neuchâtel : La Baconnière, 1994, p.26.

[28] René Dumont. L’Afrique noire est mal partie. Paris: Seuil, 1973, p.256.

[29] Sur cette notion, voir Paul Ricœur. « L’identité narrative ». Esprit, no7-8, juillet-août 1988, pp.295-314.

[30] Christiane Albert. op.cit., p.108.

[31] Paulin Hounsounon-Tolin. « Orphée noir et la négritude comme oubli de la loi du cannibalisme culturel et ignorance de l’identité culturelle comme rapport à l’autre ». http : // éthiopiques.refer.sn /spip.php ?article1653, p.3 (consulté le 21/02/2010, 19 :06).

[32] Rémi Brague. Europe, la voie romaine. Paris: Gallimard, 1999, p.177.

[33] Sur ce genre, voir Jacques Dubois. Le roman policier ou la modernité. Paris: Nathan, 1992 ; Thomas Narcejac. Une machine à lire : le roman policier, une littérature problème. Paris: Gonthier, 1975 ; Jean Bourdier. Histoire du roman policier. Paris: Editions de Fallois, 1996.

[34] Daniel Fondanèche. Paralittératures. Paris: Vuibert, 2005, p.35.

[35] Khalid Zekri. « Ecrivains issus de l’immigration maghrébine ou écrivains beurs ? ». Notre Librairie, no155-156, juillet 2004, p.65.

[36] Jacques Chevrier. « Les métamorphoses du roman africain ». Lettres et cultures de langue française, no17, 1ersemestre 1992, p.84.

[37] Odile Casenave. op. cit,. p.177.

[38] Michel Laronde. « Les littéraires des immigrations en France. Questions de nomenclature et directions de recherche ». Le Maghreb littéraire, vol 1, no2, 1997, p.26. 

[39] Léon Nadjo. « Langue française et identité culturelle en Afrique noire francophone. Le cas de quelques écrivains ». Ethiopiques, nos1-2, 1er trimestre 1985, p.95.

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Résumé

La coréférence et les relations coréférencielles exhibent dans le système de la représentation linguistique divers schémas et procédés qui finissent par convaincre de la richesse d’un tel phénomène. En fait, dépassant les seuls cadres de la répétition et de l’anaphore, la coréférence imprime aux énoncés textuels ou oraux une cohérence. Autant le dire si la diversité des modes ou modalités de coréférence induit une hiérarchisation sur le versant vertical en termes de degrés de coréférence, l’implication du phénomène de la coréférence dans la structuration ou la déstructuration de l’énoncé en fait un marqueur de cohérence ; d’où la nécessité de sa systémique.

Mots clés : Anaphore, coréférence, cohérence, degré, systémique.

 

Abstract

Coreference and coreferencial relations show multiple plans and conducts, in the system of linguistic representation, which at last convince how this phenomenon is rich. Indeed, being over the only frame of repetition and anaphor, coreference prints a coherence to textual  or oral statements. One should  say that if the diversity of modes or modalities of  coreference leads to an hierarchy on vertical verse on the ground of coreference, the implication of coreference phenomenon in statement structuration or destructuration, indeed on indicator of coherence; from which the necessity of its systemic.

Keys words:  anaphor, coreference, coherence, degree, systemic.

 

 

Introduction

Référence et coréférence ont été des problèmes auxquels se sont attelés les logiciens. C’est bien plus tard que la grammaire, dans son ensemble, va s’intéresser à ce domaine. La référence et la coréférence se sont vues traitées dans le cadre rigoureux de la grammaire générative avant que ne s’intéresse à elles la grammaire des textes. C’est souvent dans le cadre de la syntaxe qu’elles ont été abordées par les générativistes, quoique le volet sémantique n’est pas à exclure. Mais en fait, qu’est-ce que la coréférence ? Peut-on parler de degré de coréférence ? Comment appréhender la coréférence : du point de vue syntaxique ou du point de vue sémantique ?1

Ces questions témoignent éloquemment de la grande ambiguïté qui entoure le phénomène de la coréférence. Le corpus qui nous servira de support pour y répondre est de composition fondamentalement anarchique : il est composé  de productions linguistiques recueillies ici et là, pendant les cours, sur les copies après évaluation des étudiants, dans l’espace du campus universitaire ou ailleurs… cela pour capter les écueils et manières de pratiquer la langue, spécialement, la coréférence dans la langue française en situation réelle.

          La présente analyse apportera un éclaircissement terminologique sur la notion linguistique et grammaticale de «coréférence» et situera les degrés qui peuvent être les siennes dans l’énoncé.

 

I - ECLAIRCISSEMENT TERMINOLOGIQUE SUR LA NOTION DE COREFERENCE

 

Aborder la notion de coréférence invite à aborder aussi des notions apparentées ou connexes comme la référence en ses deux composantes, le référent et le référé, et l’anaphore.

 

1 – La Référence

 

On parle de référence quand dans l’énoncé, un segment renvoie à un autre. A ce propos, Gilles FAUCONNIER dira : « dans un discours, certains mots ou groupe de mots réfèrent à des objets ou individus de l’univers du discours. »2

 

Exemple 1 : Yao se parle à lui-même.

 

Dans cet énoncé, les pronoms «se» et «lui-même» désignent un même être, « Yao », dans la continuité de l’énoncé. Cette analyse est confirmée par Jean-Claude MILNER dans Ordres et raison de langue quand il affirme qu’«une séquence nominale a donc une référence, qui est le segment de la réalité qui lui est associée.»1

Toutefois, il convient de garder en tête que la notion de référence est beaucoup plus complexe et emporte de profondes analyses. En fait, la référence implique que la pleine intelligence d’un énoncé suppose la perception d’un rapport entre un élément et un autre auquel renvoie nécessairement telles ou telles de ses inflexions. Appliqué à l’énoncé, ce dispositif permet l’élucidation raisonnée d’un nombre considérable de phénomènes textuels tels les éléments de structuration ou de dé-structuration de l’énoncé, reprise, anaphore, cohérence… que la linguistique des textes aborde.

Dans l’exemple 1, « Yao » est un nom propre et dans le discours, il est cette partie du discours qui sert à désigner un individu, à l'interpeller, à faire référence à lui, à l'identifier, bref à le « nommer.» Il est considéré comme le corrélat singulier d'une entité individuelle.

Autrement dit, délocutivement, le nom est un terme de référence qu’on emploie pour parler de quelqu'un à quelqu'un, pour « assurer la référence entre deux interlocuteurs comme une coréférence.»2

Le nom propre est donc une forme d'identification qui opère dans le discours référentiel de la communication ordinaire, où deux interlocuteurs réussissent à coréférer sur un individu unique. L'ambiguïté se trouve réduite pragmatiquement. On peut, alors dire que le nom y est propre par contextualisation, par coréférence.

 

2 – La notion de coréférence

 

La notion de coréférence est inhérente à la notion de référence. On dit de deux mots ou de deux segments qu’ils sont coréférents s’ils renvoient à un même mot ou à une même réalité qui en est le référent. A ce niveau, Georges KLEIBER présente ce phénomène comme « un processus de coréférence qui relie une expression anaphorique B à un référent A déjà mentionné dans le texte. »1

Toutefois, prévient Dominique MAINGUENEAU, «on ne confondra pas « anaphore », « cataphore » et coréférence. »2

Cet avertissement atteste que ces notions se recoupent en quelques points ; ce qui introduit une idée de variabilité. Il y a donc, à l’évidence, une appréciation de ces variations en termes de degré : on parlera de degré de coréférence, dans cette étude.

 

II – LES DEGRES DE COREFERENCE

 

Le degré suppose des niveaux classificatoires résultant d’intensité plus ou moins forte. Dans le cas de la coréférence, on parle de degré de coréférence, dans ce sens que la coréférence est établie aussi bien dans la réalité du discours, c’est-à-dire dans le cotexte, que selon la réalité du monde, c’est-à-dire dans le contexte. C’est ce que dit Michel CHAROLLES en ces termes : « On pourrait alors supposer que la coréférence obéit à des marches ou niveaux qui placent chacune des occurrences. »1

 

A – Degré zéro de coréférence, coréférence virtuelle et coréférence actuelle

1 – Degré zéro de coréférence

 

On parlera de degré zéro de coréférence lorsque la coréférence ne s’exprime nulle part avec des segments substituts.

 

Exemple 2 : Je vais au marché. Le mouton est malade.

 

Dans cet énoncé composé de deux phrases, aucun segment ou mot ne renvoie à un autre. Tous les éléments de l’énoncé vivent dans une indépendance sémantique, même s’ils vont tous vers une convergence sémantique. En effet, si « les phrases sont des suites de mots ordonnés d’une certaine manière, qui entretiennent entre elles certaines relations. »2, les mots connaissent, en ce cas, des relations syntaxiques, des relations d’ordonnancements et non des relations de coréférencialité.

 

2 – La coréférence virtuelle

 

Avant d’en arriver à la coréférence virtuelle, il nous parait bon de voir ce qu’est la référence virtuelle.

 

2 – 1 – La référence virtuelle

 

Le mot virtuel exprime ce qui est à l’état de simple possibilité ou encore ce qui a en soi toutes les conditions essentielles à sa réalisation. C’est ce qui ressort de la définition que propose MILNER. Pour lui, « l’ensemble des conditions caractérisant une unité lexicale est sa référence virtuelle. »1

Exemple 3 : Yao a acheté deux livres et moi quatre.

Dans cet énoncé, «quatre» qui suppose «quatre livres» ne renvoient à «deux livres» que parce qu’il s’agit des mêmes segments de réalité. Les livres peuvent, d’ailleurs, être différents. Ces deux segments sont liés par l’identité des propriétés lexicales: ouvrage d’un nombre assez grand de pages.

 

2 – 2 – La coréférence virtuelle

 

Le virtuel est plus qu’un simple potentiel, plus qu’une simple éventualité. Son étymologie même l’indique, il est un système de forces dont les conditions d’actualisation sont disponibles. C’est la disponibilité de cette actualisation qui configure la coréférencialité virtuelle et justifie son existence.

Sur cette base nous pouvons dire que deux unités lexicales peuvent avoir la même référence virtuelle. En ce sens, « la coréférence virtuelle est la relation qui existerait entre deux unités différentes ayant en tout point les mêmes propriétés lexicales.»2

Ainsi dans l’exemple 3 ci-haut, la coréférence établie entre « quatre » et « deux livres », non seulement renvoie l’un à l’autre à partir de l’élément de référence « livre », mais aussi à un certain nombre de propriétés :

1°) le nombre pluriel des deux éléments coréférés « quatre » et « deux livres » ;

2°) la classe grammaticale de ces éléments. Les coréférés sont des groupes nominaux : « deux livres » et « quatre (livres) » ; ce deuxième élément ayant subi l’élision du nom « livre » par souci d’économie, opérant par l’absolu la substantivation de l’adjectif déterminatif numéral « quatre.»

3°) la fonction syntaxique de ces éléments : ils sont tous deux complément d’objet direct  de « a acheté.»

Il y a, en réalité, en cette occurrence, une coréférence par le signifié, comme l’introduit MAINGUENEAU dans l’analyse linguistique du texte littéraire1. Pour lui, il est impératif de distinguer le référent et le signifié : le signifié pose la coréférence virtuelle et le référent, la coréférence actuelle.

 Il est à peine nécessaire de souligner que le virtuel est fondamentalement dépendant d’un actuel, d’une présence.

  

3 – La coréférence actuelle

 

Comme dans le point précédent, nous passerons, dans le point-ci, par la référence actuelle pour arriver à la coréférence actuelle.

 

3 – 1 – La référence actuelle

 

A ce niveau, il est opérant de se référer à la définition de MILNER pour qui le segment de réalité associé à une séquence est sa référence actuelle2.

 

Exemple 4 :

J’ai acheté cinq oranges. Konan en a mangé deux.

 

Dans cet énoncé, la reprise du substantif « orange » est assurée par le pronom adverbial «en.» On parle ici, de coréférence actuelle.

 

3 – 2 – La coréférence actuelle

 

La coréférence actuelle suppose «une relation symétrique entre deux éléments ayant une référence actuelles. »3

Pour MAINGUENEAU, la coréférence ne peut se concevoir en dehors de l’anaphore. Il pose ainsi que le coréférent  d’un  terme est celui «ayant le même référent que lui. »4 

Ainsi dans l’exemple qui suit :

 

Exemple 6 : Sanzan est content. Il a gagné au loto.

 

le nom propre « Sanzan » et le pronom « il »  coréfèrent car ils renvoient à la même personne.

 

III – COREFERENCE ET ANAPHORE

 

Les différends sur la coréférence prouvent que la concernant, il y a différents niveaux de réalisation. Et comme la notion de coréférence est consubstantielle à celle d’anaphore, il importe de voir comment les degrés de coréférences ont une incidence sur l’anaphorisation.

 

A – L’anaphore dans ses terminologies

1 – Le versant rhétorique de l’anaphore

 

Historiquement, l’anaphore s’inscrit dans les figures de rhétorique à côté d’un certain nombre de figures qui expriment la répétition, l’insistance et l’accumulation.  Elle obéit de ce fait, à une construction syntaxique dans le discours, dans le but de convaincre.

 

Exemple 7 :

Vienne l’heure qu’on espère

Vienne l’heure qu’on rêve le bonheur qui est juste là

 

On retrouve ici, le même segment (vienne l’heure) répété en début de chacun de ces deux vers comme c’est le cas, dans le modèle désormais célèbre, de ces vers extraits de Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé CESAIRE :

vienne le colibri

vienne l’épervier

vienne le bris de l’horizon

vienne le cynocéphale

vienne de dauphins une insurrection perlière brisant

la coquille de la mer

vienne un plongeon d’îles

vienne la disparition des jours de chair morte dans la

chaux vive des rapaces

viennent les ovaires de l’eau où le futur agite ses

petites têtes

viennent les loups qui pâturent dans les orifices

sauvages du corps à l’heure où à l’auberge écliptique

se rencontrent ma lune et ton soleil 1

 

2 – Le versant grammatical de l’anaphore

 

Sur la base de l’étymologie grecque «ana» qui signifie retour en arrière, l’anaphore grammaticale a été le plus souvent vue comme la reprise d’un segment dans la chaîne parlée. Georges KLEIBER la définit comme « un pur processus de coréférence qui relie une expression anaphorique B à un référent A déjà mentionné dans le texte. »2 Cette perception restreinte ne doit pas faire perdre de vue le sens large de l’anaphore.

 Au sens large, l’anaphore couvrirait la cataphore et l’anaphore et est appréhendé sous le terme plus globalisant de diaphore proposé par Michel MAILLARD3.

Aussi, « un segment est dit anaphorique s’il suppose l’énoncé antérieur, et cataphorique s’il se rapporte à l’énoncé subséquent.»4

 

3 – Les variétés terminologiques

 

L’anaphore, au sens restreint, et au sens large (diaphore) permettent de réaliser dans l’énoncé le phénomène de répétition. En ce sens, on parle aussi d’endophore qui est une  reprise lexicale qui permet d’éviter les redondances ou répétitions fâcheuses dans le texte.

Une autre notion connexe ou apparentée est celle de «substitution»5 qui renvoie à remplacement ou à représentation. C’est ce florilège de vocables qui traduisent une même réalité que KLEIBER choisit de rendre sous le terme d’anaphore6.

 

B – Des degrés d’anaphorisation

 

Si la coréférence obéit à des degrés, l’anaphorisation est aussi sujette à des degrés.

 

1 – L’endophore

 

L’endophore est une anaphore de type textuel. Elle suppose donc une coréférence actuelle. D’aucun parle de représentation textuelle.

 

Exemple 8 : J’ai acheté un poulet. Celui-ci est de couleur noir.

 

2 – L’exophore

 

L’exophore est une anaphore du hors-texte. Ce type d’anaphore repose selon l’approche de MILNER sur la coréférence virtuelle.

 

Exemple 9 : Ma voiture est bleue. La tienne est noire.

 

A proprement parler, il n’y a pas d’anaphore au sens réel d’endophore ou de diaphore. Ici, les deux segments de signification ne sont liés que par l’élément dénoté voiture (véhicule mû par un moteur).

  

C -  Quelques réalisations d’anaphore

 

On partira du fait que la coréférence actuelle est bâtie dans ces analyses. Dans ce cas, il y a réellement anaphore. MAINGUENEAU a,  d’ailleurs, à ce sujet, averti : « Deux unités peuvent fort bien être coréférentielles sans qu’il y ait anaphore ou cataphore .»1

 

1 – L’anaphore nominale

 

          Le nom est cette partie du discours qui sert à désigner une entité, à faire référence à elle, à l’identifier, bref à la «nommer»: c’est le corrélat singulier d’une entité.

L’anaphore nominale est donc une anaphore qui fait coréférer deux segments nominaux.

 

Exemple 10 : Mariam est une jeune veuve. Cette jeune femme est très courageuse.

 

En ce cas de figure, on use du nom délocutivement, c’est-à-dire comme terme de référence, pour parler d’une personne (ici, de Mariam) à une autre mais surtout, pour assurer la référence entre deux interlocuteurs (celui qui émet cet énoncé et celui à qui il est destiné) comme une coréférence par une sorte de contextualisation que fixe l’anaphore pronominale.

 

2 – L’anaphore pronominale

 

Dans le cadre de l’anaphore pronominale, nous discernons les relations de coréférence possibles entre pronoms et expressions référentielles.

 

Exemple 11: Yao adore Akissi → Yao l’adore.

Exemple 12: La femme de Yao le trouve amoureux.

         

Dans l’exemple 11,  « Yao » et « le » ne peuvent désigner  la même personne: en réalité, « le » est la représentation anaphorique pronominale de « Akissi .» Au contraire, dans l’exemple 12, « Yao » et « le » désignent la même entité : on dit qu’ils ont une relation anaphorique ; relation d’une intimité telle, ici, que dans la ligne syntaxique ils sont étroitement liés, c’est-à-dire qu’ils ne sont séparés par aucun élément linguistique.

 De cette observation, on peut dégager que du point de vue syntaxique et même sémantique, les propriétés de la coréférence pronominale sont plus ou moins subtiles et qu’un énoncé est donc associé à plusieurs niveaux de représentation distincts reliés entre eux par des opérations de pronominalisation.

Par ailleurs, l’anaphore pronominale concerne aussi bien les pronoms personnels que les pronoms et adjectifs possessifs, les pronoms et adjectifs indéfinis et les adjectifs numéraux. A ceux-là, on peut ajouter les pronoms relatifs. Les exemples qui suivent en témoignent :

 

Exemple 13 : Lucien Kouadio était un attaquant. Il était bon buteur.

Exemple 14 : Il y a deux stylos sur la table. Le mien est de marque schneider.

Exemple 15 : Il y a trois stylos sur la table ; deux sont de marque bic.

Exemple 16 : Les tisserins ont envahi le palmier. Quelques-uns retournent à leur nid.

Exemple 17 : La femme qui parle peu est vertueuse.

  

3 – L’anaphore adjective

 

L’anaphore adjective concerne les adjectifs déterminatifs qui déterminent un nom.

 

Exemple 18 : Le chat que nous avons vu est noir. Ce chat rodait autour du foyer.

 

L’adjectif démonstratif assure, ici, le phénomène de l’anaphorisation en faisant varier le segment initial sur la base de la référenciation.

 

IV – COREFERENCE ET COHERENCE DU DISCOURS

 

La coréférence établit certes,  des connexités entre des éléments, mais elle fonde également la cohérence des énoncés en présence. Et, ici, il faut comprendre que l’énoncé peut être une simple phrase, unité minimale d’analyse, ou un texte, unité maximale d’analyse.

 

A – La coréférence dans la syntaxe phrastique

 

Dans le cadre de la syntaxe phrastique, nous choisissons de travailler arbitrairement sur la phrase avec subordination et sur celle comportant un pronom réfléchi dans la syntaxe du verbe.

                   

1 – La phrase comportant un pronom réfléchi dans la syntaxe du verbe

 

          Dans le cadre de la théorie standard étendue de la grammaire transformationnelle, la théorie des traces constitue une redéfinition des transformations de mouvement. Cette redéfinition permet également de faire apparaître des généralisations intéressantes, à la fois, en sémantique et en phonologie. Considérons la phrase suivante :

 

Exemple 19 :   Yao se parle

 

 Dans ce type de phrase, la coréférence est réalisée par le pronom réfléchi qui assure dès lors la cohérence de l’action du verbe sur son destinataire.

Cette phrase peut être retranscrite de la façon suivante :

Exemple19’ : Yao parle à Yao (se).

          A l’analyse,  on considère que « se » est, à la fois,  le sujet « logique » et l’objet du verbe conjugué «parle .» On dira, alors, que l’exemple (19) est dérivé par coréférence à partir de la structure sous-jacente à (19’) : Yao parle à Yao.

            Si on considère maintenant l'ensemble des transformations de coréférence, on constate une véritable cohérence : alors qu'il existe un grand nombre de cas où un item est remplacé par un  autre comme un nom par un pronom, il existe, en même temps,  dans le cas de ces transformations, une recherche de cohérence du discours. Un des buts de la théorie des degrés et de la systémique du phénomène de la coréférence est de rendre, justement, compte de cette cohérence. Supposons, en effet, que la pronominalisation de Yao dans (19) laisse une trace invisible (notée t), comme dans la théorie linguistique des traces,  à l'endroit d'où ce nom a été pris avant d’être déplacés (d’abord, après le verbe (19’) ; ensuite, avant le verbe (19)) et que cette trace fonctionne comme une forme de pronom : on obtient alors pour (19’) la représentation (19’’) : (19’’) Yao se porte (t).

Autrement dit la transformation de «à Yao» en «se.» impose un « déplacement enclitique », c’est-à-dire place le pronom réfléchi «se» avant le verbe1.

On retient, en définitive, que la cohérence est avérée en ce sens que le pronom réfléchi « représente la même personne ou le même objet que le sujet du verbe dont il est complément. »2 Cette définition produit, en réalité, l’idée de coréférence. La phrase y trouve sa cohérence.

 

2 – La phrase comportant une subordonnée relative

 

Dans une phrase comportant une subordonnée relative, la cohérence repose sur la reprise de l’antécédent par le pronom relatif.

 

Exemple 17 : La femme qui parle peu est vertueuse.

 

Cette phrase résulte, par le phénomène de la coréférence, de la fusion des deux énoncés suivants :

 

Exemple 17’ : La femme parle peu.

Exemple 17’’ : La femme est vertueuse.

    

Supposons maintenant que la relation entre une trace t quelconque et la catégorie déplacée (dans nos exemples, « la femme ») soit analogue à la relation qui existe entre un pronom « qui » et son antécédent « la femme » ; on peut alors mettre en relation d'asymétrie notée entre déplacements vers la droite et vers la gauche avec les possibilités de coréférence dans des phrases comme : (17) La femme qui parle peu est vertueuse.

          Dans (17) « La femme » et « qui » peuvent être interprétés comme renvoyant à la même personne. En d'autres termes, la coréférence exhibe la même cohérence dans la structuration linguistique du discours : le phénomène de coréférence, par le principe d’économie, conduit à la fusion de 17’ et de 17’’ en une seule phrase cohérente.

 

B – La coréférence dans la syntaxe textuelle

 

          Même si on a longtemps ignoré la syntaxe textuelle, elle a toute son importance. Et le phénomène de la coréférence conforte cette idée. Dominique MAINGUENEAU, à ce sujet,  souligne, en effet, que les phénomènes anaphoriques, phénomènes de coréférence actuelle, assure la dynamique textuelle1.

Dans l’énoncé qui suit :

 

Exemple 20 :

Dramane était venu le matin au magasin. Il avait acheté une machine neuve. Il a laissé au comptoir un paquet de billets de dix mille francs CFA. Heureux, l’homme était parti en fredonnant. Il pensait à la somme d’argent qu’il récolterait au village avec sa machine à coudre.

 

Les segments soulignés (il, l’homme, dramane) sont coréférents : ils renvoient à la même personne : Dramane l’achéteur qui est ravi de l’achat d’une machine à coudre neuve.

De cela, nous pouvons affirmer que la coréférence bâtit une véritable syntaxe textuelle en mettant les phrases en relation les unes avec les autres. Chacune d’elles ne vit pas en cet énoncé réellement isolées les unes des autres.

 

 

Conclusion

 

Cette réflexion sur les degrés de coréférence pour en comprendre les ancrages systémiques révèle que, en certaines de ses positions, la coréférence ne connait pas toujours de confort : elle n’est pas une notion aisée ni bâtie de facto. Elle peut témoigner d’une disjonction, d’une virtualité ou d’une actualisation dans le discours. Dans ce contexte, l’anaphore, qui à la coréférence est inhéremment liée connaît, elle aussi, des degrés de réalisation. On parle, de fait, de représentation référentielle ou de représentation textuelle ou encore d’endophore ou d’exophore.

           Pour l'ensemble de la programmation qu’elle opère dans ses variations, la coréférence s’établit sur trois plans d’action :

    1) Un plan de référence, c'est-à-dire que la coréférence impose dans sa réalisation des éléments qui ont une référence plus particulièrement actuelle.  Ainsi des segments isoréférentiels contribueront à donner à l’énoncé sa cohérence.

    2) Un plan de connaissance. Par là, nous entendons des éléments syntaxiques et/ sémantiques, des fois explicites, d’autres fois implicites, et qui peuvent être considérées comme jouant un rôle primordial dans la structuration, la dynamique et la cohérence de l’énoncé.

    3) Un plan de recherche. Dans une perspective systémique, il conviendra de dégager les criteria et mécanismes de coréférence en ses divers degrés afin d’aboutir à un système formel de ce phénomène de structuration ou de dé-structuration énonciatique.

En outre, remarquons que la coréférence repose sur des interprétations logiques qui rendent toute la démarche grammaticale quelque peu difficile comme le souligne Gilles FAUCONNIER quand il dit : « ces recherches ont fortement contribué à secouer les bases de la grammaire générative transformationnelle et à mettre en question la tradition structuraliste. »1

 

Bibliographie

  • CESAIRE, Aimé. Cahier d’un retour au pays natal. Paris : Présence Africaine, 1983.
  • CHAROLLES, Michel. « Introduction aux problèmes de la cohérence verbale » in Langue Française n°38, 7-42.
  • --------------------------. La Référence et les expressions référentielles en français. Paris : Orphys, 2002.
  • DUBOIS, Jean. Grammaire structurale du français. Paris : Larousse, 1973.
  • DUBOIS, Jean et René LAGANE. La Nouvelle Grammaire du français. Paris : Larousse-Bordas, 1997.
  • FAUCONNIER, Gilles. La Coréférence : Syntaxe ou sémantique ? Paris : Seuil, 1974.
  • GREVISSE, Maurice. Le Bon Usage. Louvain- la-neuve : De Boeck-Duculot, 1993.
  • KLEIBER, Georges. « Aux confins de la grammaire » in Langage n° 96, Paris : Larousse,
  • MAILLARD, Michel. « Essai de typologies des substituts diaphoriques » in Langue française n°21, Paris : Larousse, pp. 55-71.
  • MAINGUENEAU, Dominique. Linguistique pour le texte littéraire. Paris : Nathan, 2003.
  • MILNER, Jean-Claude. Ordres et raisons de langue. Paris : Seuil, 1992.
  • WAGNER, Robert et Jacqueline PINCHON. Grammaire du français classique et moderne. Paris : Hachette, 1962.

[1] Département de Lettres Modernes, Université de Bouaké

1 Gilles FOUCONNIER. La Coréférence : syntaxe ou sémantique ?. Paris: Seuil, 1974, p.17.

2 Idem., p.7.

1 Jean-Claude MILNER. Ordres et raisons de langue. Paris: Editions du Saint, 1982, p.176.

2 Francis JACQUES. Dialogiques I : Recherches logiques sur le dialogue. Paris: PUF, 1979, p. 37.

1 Georges KLEIBER.  « Aux confins de la grammaire » in Langages.  n°96, Paris: Larousse, p.36.

2 Dominique MAINGUENEAU. Linguistique pour le texte littéraire. Paris: Nathan, 2003, p.198.

1 Michel CHAROLLES. « Introduction aux problèmes de la cohérence verbale" in Langue Française n° 38, 7-42., p.27.

2 Jean DUBOIS et René LAGANE. La Nouvelle Grammaire du français. Paris: Larousse, 1997, p.14.

1 Jean-Claude MILNER. op. cit., p.12.

2 Idem

1 Dominique MAINGUENEAU. op. cit., p.198.

2 Jean-Claude MILNER. op. cit., p.12.

3 Idem, p.11.

4 Dominique MAINGUENEAU. op. cit., p.198.

1 Aimé CESAIRE. Cahier d’un retour au pays natal. Paris: Présence Africaine, 1983, p.45.

2 Georges KLEIBER. « Aux confins de la grammaire » in Langages  n°96, Paris: Larousse, 19…., p.25.

3 Michel MAILLARD. « Essai de typologies des substituts diaphosiques » in Langue  française n°21, pp.55 - 71.

4 Idem., p. 57

5 Jean DUBOIS. Grammaire structurale du français : nom et pronoms, Paris, Larousse, 1973, p.81.

6 Georges KLEIBER. op. cit., p.60.

1 Dominique MAINGUENEAU. op. cit., p.197

1 Gilles FAUCONNIER. op. cit., p.9.

2 Robert-Léon WAGNER. et Jacqueline PINCHON. Grammaire du français classique et moderne. Paris: Hachette, 1962, p. 28.

1 Dominique MAINGUENEAU. op. cit., p. 197.

1 Gilles FAUCONNIER. op., cit., p.17.

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Abstract

This article scrutinizes the feminist, postcolonial and multicultural discourses circulating in Michelle Cliff’s Abeng, a bildungsroman in which Clare Savage, a light-skinned young Jamaican girl who can be considered as Cliff’s alter ego, casts a very critical glance on the contradictions of Jamaican postcolonial society. The child narrator reveals the patriarchal structure and intolerance of the Jamaican society and deplores the divisiveness inherited from colonialist impositions. The narrative, like its title suggests, calls Jamaicans to transcend their differences and celebrate their rich hybrid heritage. Abeng is an African conch shell blown to call the slaves to the canefiels, and it was also used by the maroon armies to pass messages

         

 

 

History and culture occupy important places in black diasporic literary imagination. These concerns with history and culture probably results from the common experience of oppression and displacement and the need for these people to liberate themselves from the past and reclaim their heritage. After centuries of life under enslavement, colonialism, displacement, indentured servitude and other forms of oppressive systems, the people of the black diaspora needed to redefine their relationship with the past so as to better understand their present and project a future. Paul Sharrad relevantly notes that engagement with history constitutes at the same time “a pre-condition and a problem for the Caribbean writer,” whose  history seems to have been “erased by the imperialist extermination of the indigenous  population,  the uprooting  of slaves  and indentured  labourers from their languages  and cultures, and the control of all written records” (94). Nana-Wilson Tagoe, a great expert in West Indian literature similarly notes particular concern with history and identity in the West Indian literary imagination in his landmark book entitled Historical Thought and Literary Representation in West Indian Literature. He states that the works of West Indian writers reveal a great preoccupation with history and identity. For him, this preoccupation with history and identity is not simply characteristic of West Indian male writers because women writers also have entered this debate. However, he considers that the latter’s texts depart in some ways from male tradition as they focus more on specific preoccupations related to gender and denunciation of patriarchal oppression. Wilson-Tagoe corroborates this view by explaining that women writers understand better the significance of the creolizing process and the labor and economics of the region because of their sexual exploitation during slavery. In addition, he explains that West Indian women writers confer new meanings to “custom, tradition, myth, ritual and belief” in their works (224-225). We share Tagoe’s views on West Indian writers in general and women writers in particular. History is so much present in the works of West Indian writers that it is even compared to a “disease.” Several works of West Indian writers – George Lamming (In the Castle of My Skin), Wilson Harris (The Palace of the Peacock), V S Naipaul (The Loss of the Eldorado), Simone Schwartz (The Bridge of Beyond), Merle Hodge (Crick, Crack, Monkey), Jamaica Kincaid (Lucy) and Michelle Cliff (Abeng) — instantiate this preoccupation with issues of history and identity. They all attempt in one way or another to come to terms with a still tyrannical and sometimes traumatizing past.

          Though they share similar concerns, these West Indian narratives express relationships with history and identity. For example, white Creole Jamaican writers such as Jean Rhys and Michelle Cliff also “explore their relationship to the region and its history in their writing,” but they are more concerned with the process of creolization of their society (Tagoe 225). Their representations of creolization and issues related to it probably reflect their lived experiences as their positions greatly differ. For instance, Jean Rhys’ Wide Saragasso Sea has been criticized, on the one hand, for reflecting “the white creoles’ terrified consciousness of the emergence of black power,” and on the other, it has been dismissed for being irrelevant in the West Indian context because it does not use an Afrocentrist approach (Edmondson 181). The narrative of our focus, Cliff’s Abeng, has been lauded on the contrary for its focus and efforts to critically present the creolization and the ordering of society resulting from historical factors such as colonialism in Jamaica. Being a light-skinned mulatta who grew up in Jamaican postcolonial society, Michelle Cliff is much preoccupied with issues of identity and color because they are integral parts of her own experience. The title of her previous book, Claiming an Identity They Taught Me to Despise (1980) expresses with eloquence her predicament as a young girl growing up in Jamaica and her ideological positioning against colonial assimilation. All her works form part of a continuum as Meryl F. Schwartz and Michelle note: 

…her career as a writer began as a process of trying to reclaim the self through memory, dreams, and history. This project informs Cliff's first book, Claiming an Identity They Taught Me to Despise (1981), a characteristically fragmented and lyrical text that Cliff describes as "halfway between poetry and prose (595).

 

Abeng is very Afrocentrist and multicultural at the same time. The text celebrates the Jamaican folk culture and history as it relates to its hybrid sources, with a focus on Africa. It interweaves within the fabric of the story celebratory motifs such as country Jamaican culture, obeah, and remnants of Dahomeyan culture, folk language and songs. Abeng is also very feminist as the text denounces Jamaican patriarchal and homophobic society and unearths the glorious buried history of resistant female figures such as Mama Ali. The novel’s accentuation of cultural markers probably explains why most critical studies of the narrative scrutinize the work’s cultural representation to such an extent that that the postcolonial dimension of the text has been ignored. Though an Afrocentric hymn, the text also celebrates the diversity of Jamaica: a space where the Caribs, the Indians, the whites, and the Africans mixed like a salad in a bowl. The rich and hybrid nature of Jamaican society is beautifully conveyed by the motif of the grafting of the mango trees and the colorful varieties of the fruit in the opening pages of the narrative.  This article illustrates how Michelle Cliff fuses the postcolonial and multicultural discourses in Abeng (1984). It first analyzes the novel’s postcolonial discourse and shows how Abeng reveals how the colonial ideological discourses operated, reconstructs aspects of the colonized’s experience ignored in recorded history, and celebrates at the same time the legacy of history. Then, it scrutinizes the novel’s multicultural discourse to argue that the narrative invites Jamaican to transcend the contradictions inherent to the colonial legacy and to celebrate their diversity. 

          If we borrow Young’s definition in Postcolonialism: An Historical Introduction. Postcolonialism can be defined as an attempt to come to term with the history of colonialism. This history includes of slavery, deaths from oppression, forced migrations, destruction and superimposition of other cultures. It reconsiders history from the perspective of the dominated and defines the contemporary its social and cultural impacts. For Young, postcolonialism is concerned with colonial history only to the extent that it has determined the configurations and power structures of the present and its main objective is to liberate the present from the clutches of the past. Robert Young also notes in Colonial Desire that feminist discourse has appropriated postcolonial discourse in their denunciation of patriarchal hegemony (162). In Michelle Cliff’s Abeng, the appropriation of the postcolonial discourse for feminist ends is clearly perceivable. Abeng is very critical of the construction of gender in Jamaican society. Through Clare’s experience at her grandmother’s home, the narrator reveals how she is constructed to be a woman. For example, Clare was not supposed to witness the slaughtering of the hog, but the boys who are the same age watched and even took part in it. Clare also shows the clear line that separates her from the boys. This feminist discourse echoes Simone de Beauvoir’s and John Stuart’s Mill’s denunciations of gender roles perpetuating the subjection of women on the pretense of their sensibility and weakness. Clare is also very critical towards her mother’s silencing. The young girl deplores Kitty’s submissive stance towards Boy Savage. She always complies with Boy’s decisions and lacks voice. Finally, the text also represents the homophobia and intolerance of the Jamaican society through the disguised murders of homosexuals such as Clare’s uncle and Clifton.

          However, beyond the timid representation of sexism and intolerance, one perceives a more articulate concern about the “burdens of history,” or the effects of the colonial legacy on independent Jamaican society. Fanonian theory argues that “colonialism is not satisfied merely with holding a people in its grip and emptying the native’s brain of all form and content. By a kind of perverted logic, it turns to the past of the oppressed people, and distorts, disfigures and destroys it. This work of devaluing pre-colonial history takes on dialectic significance today” (The Wretched of the Earth 170). Fanon’s theory serves as a useful basis for understanding postcolonial works, particularly the ones written after the sixties. Indeed, Fanonian theory seems to constitute a motif that postcolonial writers self-consciously textualize in their creative works and thus represents a key index in the reading of their works. West Indian postcolonial texts have been preoccupied with denouncing this process of erasure of the native people’s past and showing its manifestations. In most of them, the natives seem to be unaware of the colonial impact because it has been subtly diffused. For example, the narrator describes Jamaica as an island ignorant of its own history because it had been erased by the colonial power. The narrative emphasizes the Jamaicans’ ignorance of their true history through the repletion of the phrase “did not know” on pages 20 and 21 in the narrative segment referring to the workers in the Tabernacle. Indeed, the narrative explains that these people did not know about the glorious kingdoms — Kingdom of the Ashanti and of the Dahomey — their ancestors had come from. Neither did they know about the great armies their ancestors commanded, the universities they had, the systems of laws they devised, the history they had written, the poetry they had written, the trade they conducted or the art they had created. They ignored the Maroons’ history of resistance against domination.  All the valorizing and glorious aspects of Jamaican history as it relates to Indians and Africans had been carefully erased by colonialism from the slate. Cliff’s historical reconstruction battles against the theory of the historylessness of the colonized people developed by the colonizer.

          From the narrative’s perspective, the erasure of the Jamaican past results mostly from the colonial education. School is in Abeng the locus of this distortion and destruction of the oppressed people’s past. Following the steps of George Lamming’s In the Castle of My Skin and Merle Hodge’s Crick Crack Monkey, Michelle Cliff denounces, through the reflections of the child protagonist coming of age, how colonial discursive practices were circulated through ISAs such as the family and the school. As Clare Savage notes, she heard about England through her father and the teachers’ lessons, and they taught her that England was a place of high civilization—the mother country. She had also read in her history book “that Jamaica was the “prizest” possession of the Crown, and she had been told that there was a special bond between this still wild island and that perfect place across the sea” (36). These lines echo Lamming’s In the Castle of My Skin; the only difference is that Lamming’s text is set in Trinidad or Little England and Michelle Cliff’s novel is set in Jamaica- “the prizest possession.” The colonizer not only created the myth of England, but he also convinced the colonized of his inculture, thus creating in his mind an inferiority complex. Boy Savage, among other characters in Abeng, represents a perfect example of the alienated Jamaican whose mind has been totally affected by the disease of colonialism. Even his name connotes imitation of British ways. His name, Boy, was “a common enough nickname among a certain class of Jamaicans, an imitation of England, like so many aspects of their lives” (Abeng 22). Though of mixed race and married to a woman of Indian and black origins, Boy Savage does not want to acknowledge his African heritage he was taught to despise. Like the members of the Savage family, he loves to think that he rather has Indian and Spanish blood. They said their ancestor’s mistress, from whom they descended was a dark Guatemalan because they “wanted to forget about Africa” (Abeng 30). As Jewelle Gomez relevantly notes then: “'Boy' Savage, nurtures the white roots of his family, taking pride in his near-white color and dismissing the influence of Africa on his blood-line” (5-6). Even though Clare’s mother is aware of Boy’s negative perception of race and intolerance, she hardly challenges them. With the exception of one instance, she is very submissive and leaves Clare to Boy’s brainwashing. Clare develops her own critical consciousness towards the contradictions in her father’s position on racial belonging.

          The narrative further enhances the alienation and assimilation of Jamaicans through the portrait of the community living in Harlem as seen by Americans. Americans did not like the ways of Jamaicans because they seemed to think they were British. Indeed, the Americans thought that Black people from Jamaica, Grenada, Tobago, and so on, imitated “the things the English brought to the islands.” The West Indians played cricket on weekends and “flew the Union Jack over their ships and real estate offices” (86).

          The erasure of Jamaican history and the dissemination of the myth of the mother country and brainwashing of the natives was perpetuated through a British- oriented educational system. As Cliff explains in an interview, most of the teachers in her school were either “white women or light-skinned women who believed in white supremacy and English supremacy- the Empire. The Jamaicans were somehow to feel ashamed of Jamaica, and the English were horrendously superior” (Adisa 277). Cliff does not fail to represent these realities in Abeng. The narrative shows that the school books used in the Jamaican educational system were directly imported from the metropolis. Jamaican history was cleaned of all its diverse content and only focused on its relation to Britain. It focalized “the history of course as it pertained to England—the names of the admirals who secured the island from the Spanish, the treaties which had made the island officially British, the hurricanes and earthquakes which had stirred its terrain and caused failure of cash crops, the introduction of rubber planting after sugar failed, the importation of “coolie” labor after the slaves were freed—all these things were dated and briefly described” (Abeng 84). In addition, the narrative illustrates the western orientation of syllabuses and their lack of adequacy with Jamaican realities. “Probably” the narrator says “there were a million children who could recite “Daffodils” and a million who had never seen the flower, only the drawing and she did not know why the poet had been so stunned” (85).

          Mr. Powell—the nationalist teacher and former member of Garvey’s UNIA who had lived in the US during the Harlem Renaissance—attempts to counter the machine of colonialism and cultural assimilation and tries to shape the national consciousness of his students by exposing them to the poetry of prominent figures of the Harlem Renaissance movement. He made his students read the poems of Langston Hughes, Countee Cullen, Jean Toomer, and Claude Mckay, along with the works of British poets such as Tennyson, Keats, Coleridge and Wordsworth (89). His aim is mainly to valorize black culture and place it on the same footing as the western one. Abeng, therefore, represents colonial discursive practices and portrays the strategies devised by the rising intelligentsia to counter the process of cultural assimilation in Jamaican colonial schools.

          In Postcolonialism: an Historical Introduction, Robert J. C. Young explains that postcolonialism was not only “designed to undo the ideological heritage of colonialism,” but it also “pays tribute to the great historical achievements of resistance to the colonial power” (65). As a historian, Cliff has “always been struck by the misrepresentation of history and [has] tried to correct received versions of history, especially the history of resistance” (Adisa 280). In her creative work, Cliff returns to the pre-colonial heritage to unearth that buried past. The text retrieves traces of the Caribs’s and Arawaks’s presence in Jamaican society, situates the British arrival, and challenges chronicles on the introduction and abolition of enslavement. In the process, it adopts an Afrocentrist approach to revalorize art forms emanating from Africa. It shows that the island women’s talents in embroidery and appliqué ornamenting derive from art forms invented far back “by the Fon of Dahomey, who had been among their ancestors” (59). Furthermore, the text revisits the experience of slavery to pay homage to the resistance of the Maroons, a valorous troop of African warriors led by Nanny and Cudjoe. Through the portrait of Nanny—the obeah woman—and the rebellious maroons, the text fuses two discourses: the feminist and counter-hegemonic ones. The historical representation of the movement of resistance serves the dual purpose of eulogizing native heroes who fought the colonial power and rewriting aspects of history not recorded in books. However, the text strives to offer a credible version both showing the heroism of the maroons and the treatise of some of them. Abeng is a representative postcolonial text because it constitutes a site of “historical resistance to colonial occupation and imperial control” and radically challenges “the political and conceptual structures of the systems on which domination had been based” (Young 60).

          Central to the denunciation of British imperialism and the exploitation of labor during slavery is the metaphor of the salt taste of the white ancestor’s plantation walls. As the young narrator imagines the walls of the plantations constitutes the records on which the history of exploitation of the slaves’ labor is inscribed (32). The text also denounces the sexual exploitation of the West Indian women during the times of slavery. Besides serving as labor in the plantation, the slave women were often subjects to sexual exploitation. For example, the slavewomen in Justice Puisne’s plantation were often sexually exploited by the master and the creole or quashee slavedrivers, and they consulted Mma Ali who taught them how ‘to keep their bodies as their own” (35). This sexual exploitation of female bodies during slavery is also present in the works of African American women writers such as Toni Morrison and Sherley Anne Williams. Cliff’s text follows the methodology of historical analysis to deconstruct official versions of history and offer alternative ones correcting misrepresentations. For example, the text negates the historical justification of the abolition of slavery by arguing that slavery was abolished as a result of the Jamaicans’ resistance and the attraction of the new palm oil markets in West Africa. It argues that the abolition of slavery was motivated by the shifting economic interests of the British imperial power during the Victorian age. As the sarcastic voice of the narrator notes, “the end of slavery was a decision on the part of Her Majesty’s government, after decades of consideration and decades of guerilla warfare. And of course the growing desire for West African palm oil […] Clear and to the point- the perfect Victorian marriage of economy and altruism” (27). Quoting Bhabha, Young explains that postcolonial critique is not trapped in the past, its theoretical practices seek to challenge “the legacies of the past” as well (66). Cliff’s postcolonial text deals with the aftermaths of the colonial presence through the Savage family. The choice of the name is not gratuitous too, for it ironically deconstructs the colonizer’s claim of possessing a superior civilization. Boy Savage carries in his genes “the arrogance,” and “logical distrust” the savages felt for anyone different from them (29). He is a remnant of the colonizer’s mentality. Although Boy Savage is a mulatto, his ideology is similar to the colonizer’s. Like the colonizer, Boy considers his western origins as a sign of superiority and affirms the preeminence of western civilization.  For example, he considers that the country women’s practice of breastfeeding their babies in public exemplifies their primitivism. The text uses the precocious narrator’s inquisitive mind as a means to deconstruct the validity of Boy’ theories of whiteness. Not only does Clare ask Boy questions reveal the limitations of his ideology, but also Clare associates her father’s ideology to the white supremacist theories that led to the extermination of the Jews during the Holocaust. Clare is more drawn to her Afrocentric mother who stands as a binary opposite of her husband in the text. These words reveal Clare’s preference: “Those mornings and afternoons with her mother in the bush make Clare think- wish- that they were on a desert island together- away from her father and his theories and whiteness and her sister and her needs. That they would survive on this island with just the fallen fruit her mother gathered and she wanted this” (80).

          The character of Clare is clearly not a tragic mulatta, but rather serves an important function in the text’s postcolonial perspective. Far from revealing a double consciousness, a split between her African origins and her western ties, the main protagonist clearly bends towards her local culture and is very aware of the colonial legacy. Through Clare’s consciousness, the text illustrates how colonialism established a hierarchy based on color and class in Jamaica. According to the text the elite was mainly comprised of light-skinned natives who “worked in colonial offices, taught in private schools, supervised Bauxite excavations, bought retirement homes on the North Coast, or were regular guests at Round Hill Hotel- and who made the island look whiter than it actually was” (54). This social stratification is a direct result of colonialism which associates whiteness with purity and power to such an extent that the colonized internalized it and continued to perpetuate in the post-colonial period. As Lamming observes in reference to colonial experience, it is “a live experience in the consciousness of these people. And just because the so-called colonial experience is over and its institutions may have been transferred into something else, it is a fallacy to think that the human lived situations are automatically transferred into something else, too. The experience is a continuing psychic experience that has to be dealt with long after the actual colonial situation ends” (Kent 92). 

          As a matter of fact, the colonial experience has so much branded the white race’s superiority into the Jamaicans’ minds that long after the end of enslavement and domination, they still submit to the dichotomies established by this experience. This social stratification, according to color and shade as the coming of age narrator observes, is pervasive in the Jamaican society of the 1950s. It continues to be perpetuated by the people. Clare was aware that the worst thing that could happen to someone in her society was being dark. She knew that she should guard from family her feelings about the friendship of her dark-skinned friend Zoe because “she had been carefully instructed by her father primarily and others also about race and lightening” (127). The irreconcilable differences between Clare and Zoe resulting from the legacy of colonialism illustrate the persistence of the colonial structural heritage in independent Jamaican society. Gomez sums up these differences when she states:

The two ten-year-olds meet each other on uncertain ground. One is dark, the other light. One is poor, the other middle-class. British colonialism has given them a place in society at opposite ends of the spectrum. Although they develop a deep love for each other they can never totally escape the differences wedged between them (5).

 

Clare knew that even if her father did not openly say so, he expected her to have a white husband. He indeed “expected her to preserve his green eyes and light skin—those things she had been born with. And she had the duty to turn the green eyes blue, once and for all—and make the skin now gold, become pale and subject to visible sun burn” (127). This division according to race and shading is subtly perpetuated in school where privileges were accorded to light-skinned students like Clare. The incident of Doreen’s epileptic fit gave Clare a clue to the difference between herself and the dark-skinned scholarship students: they neither belonged to the same class nor had the same color. Teachers maintain this ordering in school and taught the light-skinned students to look down on the darker and poorer ones. As the text reads, Ladies, Clare had been taught, did not speak in a familiar manner to people beneath their station. Those with congenial defects of poverty- or color” (98).  

Abeng battles this colonial legacy through the complex characterization of Clare’s family. This characterization serves two functions in the text: achieve a postcolonial critique and advocate multiculturalism. Multiculturalism and hybridity, as Said notes in Culture and Imperialism, are often considered as relatively liberal philosophies because they convey lessons of tolerance (xiv). This lesson of tolerance is indeed central in Abeng. In this respect, Cliff joins the voice of Wilson Harris and Derek Walcott who attempt to resolve the cultural contradictions of the region through literary representation. Lionnet Francoise partly perceives this dimension of the text when she notes that “the story she tells is meant to inform and educate Jamaicans and non- Jamaicans alike, and she does to great lengths demystify the past in order to imagine, invent and rewrite a different collective and personal history for the protagonist” (25). Lionnet also explains that Cliff digs “underneath the colonial process of subject formation” (the diverse components of the hybrid Jamaican culture) to show “that the multicultural subject is always a site of contradictions” (33).  The contradictions of the hybrid Caribbean society are reproduced in the family of Clare the genealogy of which reflects the mixture of cultures and races resulting from the colonial experience. Lionnet considers that the mango is “a heterogeneous signifier, which can readily be opposed on the symbolic level of rigid classificatory practices of the colonial system” (46).

          Lionnet read Abeng with perspicacity. Indeed, through the central metaphor of the mango season, Cliff’s celebrates the diversity and richness of Jamaican society. The large variety of mango fruits flooding the landscape are reminiscent of the different color shades resulting from the hybrid nature of Jamaican people resulting from the different races that came into contact throughout history. The tone of the narrative is quite celebratory as the following lines reveal:

There was a splendid profusion of fruit. The slender cylinders of St-Juliennes hung from a grafted branch of mango tree in a backyard in town. Round and pink Bombays seemed to be everywhere-- brimming calabashes in the middle of dining tables, pouring out of crates and tumbling into sidewalks. Small and orange number elevens filled with the market baskets at Crossroad, the baskets carried on the heads of women traveling the country. Green and spotted Black mangoes dotted the ground at bus stops, schoolyards, country stores-- these were only gathered, not sold. The fruit was all over and each variety was unto itself--with its own taste, its own distinction of shade and highlight, its own occasion and use (3).

 

Cliff’s narrative even seems to suggest that Jamaicans are not aware of this richness, this historical gift. The very same Bombays that are “only gathered and not sold” are seen by Jamaicans by Jamaicans walking through Harlem or Notting Hill Gate, Brooklyn or Landbroke Grove “nesting in a bed of green excelsior showing through a display window, priced out of reach” (Abeng 4). The narrative seems thus to suggest through this image that this natural richness of Jamaican society is not valued at its right price in the country.

           Cliff clearly establishes a parallel between the historical process of creolization or hybridity of Jamaican society and the grafting of the mango tree. The grafting process mixes many varieties within a single body. It epitomizes the mixed genealogy of the Savages, the Freemans of most Jamaican families, a genealogy made of European, Indian and African elements. The tree is thus the Jamaican nation and its variety of races. Through the hybrid Savage/ Freeman families or the grafted mango trees, the text posits the erroneousness of holding on to the colonial ordering based on skin tone. Furthermore, the binary opposition between Boy Savage and Kitty Freeman serves as a means of denouncing all forms of cultural extremism; both Boy Savage and Kitty Freeman remain trapped in the past, and the text condemns both postures (128). Consequently, Abeng calls for compromise, and advocates diversity and tolerance. Clare Savage who has gained consciousness of this hybrid nature of her society at a young age represents hopes of changes.

          Abeng combines a two-layered postcolonial discourse with a multicultural one in its representation of mid-century Jamaican society. Like in most West Indian narratives written by women, the postcolonial text includes a feminist one. Indeed, through the tale of Clare Savage’s coming of age, Michelle Cliff denounces the constructive roles assigned to women and the marginal role of Jamaican women. She also textualizes the homophobia of the Jamaicans through the mysterious deaths of transgressive persons such as Clare’s uncle and Clifton.  However, the overarching and dominant motif of the narrative is no doubt the critique of the colonial machine of Great Britain. Abeng deplores the historical amnesia of the Jamaicans who don’t know their history because colonialism has erased it through ISAs such as the school and taught them to venerate Great Britain, its culture and its history. Cliff’s narrative partly unearths that history through its celebration of the African past and reminding the hybrid nature of Jamaican society that witnessed the contact of several races and groups: Africans, British, Indians, etc… Cliff’s work deplores the divisiveness characteristic of the hybrid Jamaican society which continues to be structured around race and color long even after the end of colonialism. The hybridity of Jamaica and the common lineage of all Jamaicans regardless of race is suggested through the metaphor of the grafted mango tree which parallels the nature of the families in the text. The Savages and the Freemans are products of cross fertilization, the families are sites of mixtures of white, black, Indian, etc... Cliff builds a network of images around the mango. The variety of mangoes produced by the grafted trees illustrates the diversity of races that mix in Jamaica. The opening celebratory description of the mango season, a hallmark of Jamaica, constitutes a call to Jamaicans. Cliff invites them to go beyond the contradictions inherent to colonial legacy and embrace each other. In that respect, the multicultural discourse of the novel informs the form of the text. 

 

 

Works Cited

 

  • Adisa, Opal Palmer. “Journey into Speech- A Writer Between Two Worlds: An Interview With Michelle Cliff.” African American Review 28. 2 (1994): 273- 281.
  • Cliff, Michelle. Abeng. New York: Penguin, 1995.
  • Edmondson, Belinda. “Race, Priviledge, and the Politics of (Re) Writing History: An Analysis of the Novels of Michelle Cliff”. Callaloo 16. 1 (1993): 180-191.
  • Fanon, Frantz. The Wretched of the Earth. New York: Grove Press, 1965. 
  • Gomez, Jewelle.  Review: Coming of Age in Jamaica. The Women's Review of Books, Vol. 1, No. 8 (May, 1984), pp. 5-6.
  • Kent, George E. “A Conversation with George Lamming.” Black World 22. 5 (March 1973): 92.
  • Lionnet, Francoise. “Of Mangoes and Maroons: language, History, and the Multiculatural Subject of Michelle Cliff’s Abeng.” Postcolonial Representations: Women, Literature, Identity. Ithaca: Cornell University Press, 1995. 
  • Sharrad, Paul. “The Art of Memory and the Liberation of History: Wilson Harris’s Witnessing of Time.” Callaloo 18. 1. Wilson Harris: A Special Issue (Winter, 1995): 93-108.
  • Said, Edward W. Culture and Imperialism. New York: Vintage Books, 1994.
  • Wilson-Tagoe, Nana. Historical Thought and Literary Representation in   West Indian Literature. Tallahassee: University Press of Florida, 1998.
  • Young, Robert J. C. Postcolonialism: An Historical Introduction. Malden: Blackwell Publishers, 2001.
  • ----------------------. Colonial Desire: Hybridity in Theory, Culture, and Race.London: New York: Routledge, 1995.

[1]Enseignant / Chercheur, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

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Résumé

Inconnue avant l’avènement de l’Islam au Sénégal, la mendicité est une pratique sociale qui remonte à la naissance des écoles coraniques dans notre pays, découlant d’une mauvaise interprétation de l’Islam. Sujet d’une brûlante actualité, nuisible à la société et fortement condamnée par l’Islam, La mendicité a été toujours au centre des préoccupations des autorités politiques de notre pays de la période coloniale à nos jours. Pour l’éradication de ce fléau social, les autorités qui se sont succédées à la tête de notre pays ont préconisé différentes solutions qui vont de l’interdiction à la pénalisation en passant par la suppression pure et simple des écoles coraniques. Aujourd’hui, l’ancien système éducatif de l’Ecole coranique en milieu rural reste non seulement le meilleur moyen pour l’éradication de la mendicité à l’école coranique mais aussi pour la lutte contre la pauvreté.   

 

 

Abstract

Unknown before the advent of Islam in Senegal, begging is a social practice which dates back to the establishment of Arabic schools in our country and based on an erroneous interpretation of the teaching of Islam. This practice strongly blamed in Islam and harmful to the society has become a hot issue. It has always been at the centre of the preoccupations of the public authorities of our country from colonial times to present days. For the eradication of this social plague, the authorities who succeeded at the head of the State have advocated several ways out ranging from its ban to punishment through the complete suppression of Arabic schools. Today, the old school system of the koranic school rural area remains not only the most efficient means to get rid of this practice but also to fight against poverty.

 

 

 

Aujourd’hui accentuée par la pauvreté, la mendicité est une pratique sociale qui remonte à la naissance des écoles coraniques au Sénégal. En conséquence, elle est étroitement liée à la foi et à l’éducation islamique. Pour découvrir ce lien historique, il est important de lire attentivement L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Dans la page 24, Samba Diallo exhorte :

Hommes et femmes qui donnez, songez à peupler par vos bien faits la solitude qui habitera vos tombeaux. Nourrissez ces pauvres disciples. Ces gens de Dieu, vous êtes avertis, reprit Samba Diallo. On meurt lucidement car la mort est violente qui triomphe, négation qui s’impose. Que la mort dès à présent soit familière  à votre esprit. Sous le vent Samba Diallo improvisait des litanies édifiantes, reprise par ses compagnons, à la porte close de son cousin, le chef des Diallobés. Les disciples circuleront ainsi, de porte en porte, jusqu’à ce qu’ils aient rassemblé suffisamment de victuailles pour leur nourriture du jour. Demain, la même quête recommencera, car le disciple tant qu’il cherche Dieu, ne saurait vivre que de mendicité, qu’elle qu’il la richesse de ses parents[2]

 

L’analyse de ce texte révèle que la mendicité des talibés est un phénomène qui découle essentiellement de deux facteurs: La conception sénégalaise de la mort et une mauvaise compréhension de la quête de la ritualité. C’est ce phénomène qui explique pour certains, la critique ou la réglementation de la mendicité est une agression contre l’Islam. C’est pourquoi:

Suite à la décision gouvernementale d’interdire la mendicité sous toutes ses formes dans les rues de la capitale sénégalaise, le collectif  nationale des associations d’écoles coraniques du Séné&gale a fait face à la presse hier à Thiès  pour crier son indignation face à cette mesure injuste une mesure qui ses membres vise exclusivement les écoles maîtres coraniques qui son, selon eux, la cible d’organismes internationaux et d’ONG qui sont prêt à tout pour mettre à genou l’enseignement coranique[3]    

 

Devenue aujourd’hui, un phénomène urbain, la mendicité est apparu très tôt dans les foyers d’enseignements islamique au Sénégal où : « Les Maîtres d’écoles coraniques donnent le soir leurs leçons aux petits enfants des villages, leur apprenant à lire et à  réciter par cœur des versets du Coran tracés sur des planchettes de bois arrondies. Dans la journée, ils les envoient mendier et ramasser du bois pour leur compte »[4] En 1844, Abbé David Boilat remarqua à Saint-Louis, que : 

Les enfants  élevés  par les Marabouts passent le plus précieux temps de leur jeunesse à n’apprendre qu’à lire le Coran et à mendier le matin, de porte en porte, la nourriture dont ils ont besoin (C’est un précepte de la religion de Mahomet). Devenus grands ils ne savent aucun métier, habitués à la mendicité et ne recevant plus d’aumône  ils deviennent voleurs et s’adonnent à toutes sortes de vice[5] 

 

Abbé David Boilat a sans doute une mauvaise compréhension de Zakat (Sadaqa), un précepte de l’Islam qui, en aucun cas ne peut justifier la mendicité telle qu’elle est pratiquée au Sénégal, le rare pays pour ne pas dire le seul pays musulman où la mendicité est pratiquée de cette façon. « Les grands foyers islamiques de l’Orient comme de l’Occident Musulman, n’ont pas connu l’existence de la mendicité, »[6] y compris  Tombouctou, le berceau de la culture islamique  au Soudan. A cette époque les maîtres étaient rétribués soit par les parents, soit par des waqf (fondations pieuses). « A partir du 5e s. H./ 11e s. le traitement devient mensuel, surtout dans les établissements importants. »[7] Pour remplacer ces institutions humanitaires, Oumar Fall fondateur de l’Ecole Pir, demanda dès son arrivée une terre à cultiver pour assurer le fonctionnement et l’indépendance de son établissement. 

Pour justifier la mendicité, certains font la confusion entre cette pratique nuisible à la société et la  sadaqa, un précepte de l’Islam prescrit dans la sourate IX : « Les Sadqât  (Zakat ou aumônes) ne sont destinés qu’aux  les pauvres, aux indigents, ceux qui y  travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (l’Islam), l’affranchissement de ceux lourdement endettés, dans le chemin d’Allah, et pour les voyageurs. C’est un décret D’Allah.[8]  Prélève de leurs biens une Sadaqa par laquelle tu les purifies et leur bénis[9]. Dans la sourate II, Allah exhorte les musulmans de «  Donner de son bien, quel qu’amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs[10].  Dans ces versets, le Coran fait l’obligation aux musulmans d’assister les pauvres : 

Il est toujours bon de faire un sacrifice. C’est une façon de remercier Le Créateur qui t’a confié ce que tu offres aux pauvres pour les aider à supporter leur misère. C’est bien, Chaque fois que tu le peux, il faut donner. La fortune n’a pas de domicile fixe, dieu ne te l’a pas attribuée d’une manière définitive. Il ne fait que la prêter. Cela, il faut toujours y penser[11]         

 

C’est  cette solidarité mal comprise qui fait qu’au Sénégal la mendicité est devenue un droit pour les pauvres et les maîtres d’écoles coraniques. Ces derniers  s’arrogent le droit d’envoyer  leurs talibés dans la rue de nos grandes villes pour mendier.   « En mendiant nous ne faisons que réclamer ce qui nous est dû »[12]. C’est donc cette conception de la charité   qui explique en partie la difficulté, voire l’impossibilité d’éradiquer la mendicité au Sénégal. Dans certaines écoles coraniques, l’obligation faite aux talibés mendiants d’apporter à leur marabout une certaine somme d’argent les pousse à voler :  

En cas d’arrestation, ils sont conduits à la prison civile avant d’être internés dans une maison de correction : 25% des talibés avouent d’avoir été conduit à la police. Du fait de sa professionnalisation en mendiant et du fait de la culture urbaine de déviance, les talibés en rupture totale s’adonnent à l’usage des drogues, cannabis, absorption par inhalation de diluants, violence vol déterminent au quotidien la vie de ces enfants. Au cours de différents séminaires centrés sur les problèmes des enfants en situation difficile et établis dans la rue, il a été noté sur la base de témoignage de beaucoup que ces jeunes sont d’ex-talibés[13].

 

Diverses sources indiquent aussi que de nombreux enfants en prison sont de cette catégorie. Cette situation  confirme les propos D’Abbé David Boila cités plus haut.  Dans les centres urbains, l’oisiveté des maîtres d’écoles coraniques et des talibés a pour conséquence profonde le recours à la mendicité : matin, midi et soir, dans les rues, dans les marchés et dans les lieux publics. Par ailleurs, il est important de faire la différence entre la charité, (sadaqa)   et le sacrifice, une pratique ancestrale et une autre  principale source de la mendicité. A ce sujet, Aminata Sow Fall d’écrire :  

Ce n’est ni pour nos guenilles, ni pour nos infirmités, ni pour  le plaisir d’accomplir un geste désintéressé que l’on daigne nous jeter ce que l’on nous donne  Ils ont d’abord soufflé leurs voeux les plus chers et les plus inimaginables sur tous ce qu’ils nous offrent : « Je donne cette charité pour que dieu m’accorde longue vie, prospérité et bonheur. J’offre ceci pour que le créateur anéantisse toutes les difficultés que je pourrais rencontrer sur mon chemin. En échange de cette aumône, que le Maître des cieux et de la terre me fasse gravir des échelons, m’élève au sommet de la hiérarchie dans le service où je travaille. Grâce à cette charité, le Tout-Puissant chasse mes maux ainsi que ceux de ma famille, qu’il me protège de Satan des sorciers anthropophages et de tous les mauvais sorts que l’on pourrait me jeter » Voila ce qu’ils disent lorsque, dans le creux de votre main tendue, ils laissent tomber une pièce ou un paquet. Et quand ils nous invitent gentiment devant des calebasses fumantes et parfumées de Laax[14], pensez-vous que c’est parce qu’ils ont songé que nous avons faim ? Non mes amis, ils s’en foutent. Notre faim ne les dérange pas Ils ont besoin de donner pour survivre, et si nous n’existions pas, à qui donneraient-ils ? Comment assureraient-ils leur tranquillité d’esprit ? Ce n’est pas pour nous qu’ils donnent, c’est pour eux ! Ils ont besoin de nous  pour vivre en paix[15]                              

 

L’objectif de ces différents sacrifices et offrandes destinés aux mendiants, témoigne de la survivance des croyances ancestrales qui constitue un obstacle majeur à l’éradication de la mendicité, une pratique indispensable à notre société. « Je dois te dire que ces mendiants, il me les faut aujourd’hui. J’ai besoin d’eux j’ai un sacrifice à leur distribuer »[16]  Tout sénégalais, quelque soit son appartenance confessionnelle, son rang social ou son niveau intellectuel n’échappe pas à ce phénomène social.

Quel est le patron qui ne donne pas la charité pour rester éternellement patron? Quel est le malade, réel ou imaginaire, qui ne croit pas que ses troubles disparaîtront en même temps que l’aumône sortira de ses mains? Quel est l’ambitieux qui ne pense pas ouvrir toutes les portes par l’action magique de la charité ? Chacun donne pour une raison ou pour une autre. Même les parents de futurs condamnés se servent de la charité pour fausser le raisonnement du juge[17]       

 

L’analyse de ce texte, montre la confusion entre   les préceptes religieux et pratiques ancestrales. IL s’agit de nos sacrifices ou offrandes qui rythment notre vie quotidienne que nous appelons abusivement  charité ou aumône:  

Nos croyances que nous ne pouvons pas balancer du jour au lendemain. Nous sommes des hommes Keba ; un homme qui se trouverait aujourd’hui dans une situation critique, devant un drame insoluble, à qui l’on aurait prescrit  une offrande comme seule voie de salut, cet homme, s’il y croit, que penses-tu qu’il ferait ? Imagine-toi un peu ce que serait l’angoisse de cet homme à qui l’on a appris depuis la plus tendre enfance à décharger ses peurs, ses appréhensions, ses cauchemars, ses craintes dans trois morceaux de sucre, une bougie, une pièce de tissu, toutes sortes de choses enfin, qu’il donne aux mendiants ! Peut-on du jour au lendemain balancer ses croyances?[18]                     

 

L’examen de ce texte révèle la dimension socioculturelle de la mendicité au Sénégal. En effet, malgré les instructions précises du Coran, l’aumône ou la charité a été vidée de son sens initial pour des raisons socio cultuelles ou des intérêts personnels pour se faire valoir :

 Il n’a pas parlé non plus de ce fameux jour où son père, était apparu  à la télévision, vêtu d’un caftan impeccablement amidonné et repassé. Gora recevait, parmi une foule de pères et mères de famille, un don de sucre et de lait à l’occasion d’une de ces cérémonies solennelles orchestrées pendant le mois béni du Ramadan par des âmes charitables et ô combien discret. Ya kham ne dira pas qu’il s’était senti humilié au plus profond de sa chair. Quand les hôtes étaient partis, emportant leur joviale gaîté, il avait dit, loin de ses parents, comme s’il parlait à lui-même : Y avait-il besoin de filmer des dons que l’on offre à des nécessiteux ? Est-ce humain ? Et Gora s’était penché à la fenêtre : Maintenant, tout est comme ça .Que veux tu, s’il veut toujours paraître. Pourtant ils reconnaissent la sainte recommandation : donner et faire en sorte que la main gauche ne soit pas au courant de ce que fait la main droite[19]. C’est triste comme nous sommes devenus une société de spectacle C’est pas décent de se servir de la misère des autres pour se faire valoir[20]                      

 

L’auteur a juste raison d’insister sur cette pratique immorale et antinomique avec les valeurs religieuses. Pendant le mois  béni du ramadan, il n’est pas rare de voir à la Télévision des politiciens, des associations islamiques ou des dignitaires musulmans distribuer des miettes de tous genres, sucre, lait riz, habits ou des carcasses de moutons à l’approche de la Tabaski. En réalité cette soit disant charité n’est qu’une justification des dépenses  aux près des institutions caritatives islamiques des pays arabes pour s’enrichir sur le dos de ces pauvres citoyens. C’est pourquoi :

la pénurie de mendiants gêne  considérablement une partie de la population ; elle a vu des malades au teint pâle et aux yeux hagards traîner leur misère jusqu’ici pour s’acquitter du sacrifice qui, peut-être, les aidera à retrouver la paix du corps et de l’âme. Elle a vu des voitures luxueuses, toutes vitrées fermées, affronter à vive allure le chemin sablonneux qui mène à la « maison des mendiants » Elle a entendu les lamentations de gens modestes qui condamnent la surenchère : « Ils exagèrent ! Ils se moquent  des gens et des recommandations divines. Vous vous rendez compte ! Pour donner la charité prescrite, sept morceaux de sucre, ou une bougie, il faut gratifier ces messieurs et ces dames à la couverture bien chaude et non rapiécée. Et ce sont eux qui choisissent ! Ils ont leurs exigences ; il leur faut du gras… Mais que faire ?[21]

 

La réponse à cette question est bien sûr d’abandonner ces pratiques sacrificielles, qui encouragent la mendicité et de donner la charité « Pour le visage d’Allah (‘amour d’Allah que[22] nous nourrissons pour Allah : nous ne voulons de vous ni récompense ni gratitude » Le contenu de ce verset montre clairement la différence  entre sacrifice et la sadaqa dont l’objectif principal est d’assister les pauvres et les nécessiteux dans  ce monde pour bien mériter la récompense divine promise aux croyants après la mort.                               

 

La position de l’Islam

 

Certes, l’Islam recommande fortement la charité mais condamne la mendicité. Dans la sourate II, il est écrit :

Aux nécessiteux qui se sont confinés dans le sentier d’Allah, et ne parcourent pas le monde (à la recherche de biens) et que l’ignorant croit riches parce qu’ils ont honte de mendier-tu les reconnaîtras à leur aspect- ils n’importunent personne en mendiant.[23]

 

Dans ce verset, l’Islam  condamne  la mendicité qu’il considère comme une honte, même si l’on essaye aujourd’hui de la justifier pour des raisons humanitaires  ou éducatives. Al-Magdad Ibn mâdî Karib rapporte ces propos du Prophète : « Nul n’a mangé de meilleur nourriture que celle provenant du travail de ses mains[24]Et dans l’une de ses recommandations, le Prophète dit : « Travailles comme si tu ne devais jamais mourir et adores Allah comme si tu devais mourir demain[25] 

Zoubayre Ibn Al-Awwâm rapporte de l’Envoyé de Dieu : « Il faut mieux faire des fagots de bois en montagne et le ramener sur son dos pour les vendre que de mendier auprès de gens qu’ils vous donnent ou qu’ils refusent de vous donner[26]» Dans un autre hadith, Abû Hurayra rapporte de l’Envoyé de Dieu : « Que le Prophète David que de produit du travail de sa main »[27] A la lumière de ces textes fondamentaux de l’Islam, il s’avère qu’il n’y a  aucune justification de la mendicité en Islam. La Grande Royale qui a très tôt compris la position de l’Islam sur cette question de la mendicité s’adressa ainsi à Samba Diallo : 

J’ai prévenu ton grand fou de père que ta place n’est pas au foyer du maître, dit-elle. Quand tu ne te  bats pas comme un manant, tu terrorises tous le pays par tes imprécations contre la vie. Le maître cherche à tuer la vie en toi. Mais je vais mettre un terme à tout cela.[28]       

 

Comme la Grande Royale, aucun imam, intellectuel,  guide religieux sénégalais, les partisans ou même les défenseurs les plus farouches de la mendicité n’acceptent aujourd’hui d’envoyer son enfant au foyer du maître d’école coranique pour se livrer à la mendicité. C’est ce qui justifie la nécessité pour ne pas dire l’obligation de trouver une solution à la mendicité une pratique contraire aux valeurs islamiques.   

 

Les Solutions

 

Fortement condamnée par l’Islam, la mendicité a été toujours au centre des préoccupations de toutes autorités de notre pays depuis l’époque coloniale. En    1844, Abbé David Boilat proposait comme solution à la mendicité: « D’interdire les écoles coraniques et de forcer les parents d’envoyer leurs enfants  aux écoles françaises, en y établissant un professeur d’arabe [29]».   Le 9 mai 1896,  le gouvernement colonial publia un arrêté pour mettre fin à ces abus qui stipulent :

Article 8 Les maîtres d’écoles s’entendront avec les intéressés pour la rétribution scolaire. Il est formellement interdit d’envoyer leurs élèves quêter dans les rues ou à domicile.

Article 10- Les écoles musulmanes ne pourront recevoir d’enfants de six à quatorze ans pendant les heures de classe de l’école publique. Ces heures seront fixées par le directeur de l’Intérieur et publiées au journal officiel de l’Afrique Occidentale[30]

 

En effet, après l’échec  de toutes ces solutions, le gouverneur du Sénégal, dans sa lettre N° 468 du 29/07/ 1904 adressée au gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française écrit :

En effet, après l’échec de toutes ces solutions, le gouverneur du Sénégal, dans sa lettre N° 468 du 29/07/ 1904 adressée au gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française écrit:

Monsieur le gouverneur, désiré de mettre fin à des habitudes de mendicité gênante pour le publique et qui ne peuvent avoir que les effets les plus regrettables pour la moralité des indigènes. J’ai pris à la date du 15 juillet 1903, un arrêté que je vous adresse ci-joint: N° 357- Arrêté portant réorganisation des écoles musulmanes au Sénégal.   

Vu l’article 24 de l’ordonnance organique du 7 septembre 1840

Vu l’arrêté du 20 novembre 1869

Vu l’arrêté du 9 mai 1896;

Arrêté

Article premier. - Nul ne pourra tenir une école musulmane sans être muni d’une autorisation du Lieutenant Gouverneur. 

Art. 2- Cette autorisation sera accordée sur la proposition du Secrétaire général du Gouvernement du Sénégal après avis du Maire de la commune ou de l’Administration de l’escale dans laquelle l’école doit s’ouvrir. Les postulants devront adresser leurs demandes au Secrétariat Général, ils y joindront:

1 un extrait de leur casier judiciaire,

2 un certificat de bonne vie et moeurs du Maire ou de l’Administrateur de la localité où il réside.  

3 Leur acte de naissance et à défaut une attestation délivrée par l’autorité municipale de la commune ou par l’Administrateur du cercle constatant qu’ils sont français ou sujet français  

Art. 3- Avant d’obtenir l’autorisation demandée les candidats doivent subir un examen devant une commission composée ainsi qu’il suit:

A Saint-Louis

Du chef de service de l’Enseignement, président du cadi de Saint-Louis; d’un interprète arabe et d’un instituteur.

Dans les autres communes:

Maire de la ville, président; de 2 habitants notables connaissant la langue arabe; et d’un instituteur.

Dans les cercles:

De l’Administrateur, président; de 2 habitants notables connaissant la langue arabe  et d’un instituteur

Art 4. Il est constituée une commission de surveillance des écoles musulmanes composée: Du Secrétaire général, président, Chef de service de l’Enseignement, vice-président; du Cadi de Saint-Louis, d’un Directeur d’école et d’un habitant notable désigné par le comité de l’Instruction publique

Art.5.- Les écoles musulmanes sont soumises à l’inspection du Chef de Service de l’Enseignement, de Administrateur, du Maire de la ville et de la Commission de surveillance. Cette inspection porte sur la morale l’hygiène la salubrité et l’enseignement donné.

Art 6- La fermeture de ces écoles par mesure de police générale et de salubrité est prononcée par le lieutenant- gouverneur sur la proposition du Chef de Service de l’enseignement.

Art.7- Dans chaque école, il sera tenu en français un registre sur le quel seront inscrits les noms des élèves, la date tout au moins approximative de leur naissance, l’époque de leur rentrée à l’école, le nom et le domicile de leurs parents. Une copie de ce registre devra être adressée dans la première quinzaine de chaque trimestre au Secrétaire général.       

 Art8 – Les maîtres d’écoles s’entendront avec les intéressés pour la rétribution scolaire. Il leur est formellement interdit, sous peine de fermeture immédiate de l’école, d’envoyer leurs élèves quêter dans les rues ou à domicile.

Art 9- Les écoles privées musulmanes ne pourront recevoir d’élèves de 6 à 16 ans pendant les heures régulières de classe des écoles publiques. Les maîtres devront exiger des élèves de cet âge, avant leur admission, certificat constatant qu’ils suivent régulièrement les cous d’une école française.

Art 10- Toute école dont l’effectif tombera au-dessous de 20 élèves sera fermée par les soins du Chef de Service de l’Enseignement.

Art 11- Le présent arrêté est appliqué aux maîtres qui sont actuellement à la tête d’une école musulmane, ils devront se mettre en règle avant le 1e novembre 1903.

Art 12- Quiconque aura ouvert une école privée sans autorisation régulière ou continuera à tenir une école après le retrait de cette autorisation sera puni d’une amande de 1 à 15 francs et en cas de récidive d’un emprisonnement de 1 à 3 jours

Art 13- Le présent règlement sera affiché en français et en arabe dans toutes les écoles musulmanes.

Art -14 Sont abrogées toutes les dispositions contraires au présent arrêté.

Art 15- Le Secrétaire général, le Procureur général, le Chef de Services de l’Enseignement sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera enregistré et publié partout où besoin sera.

Saint-Louis, le 15 juillet 1903[31].

 

L’analyse de cet arrêté révèle que sa publication avait pour objectif: la pénalisation de la mendicité  l’interdiction et la fermeture des écoles musulmanes au profit de l’enseignement de la langue française alors difficilement acceptable au Sénégal

          Malgré l’accession de notre pays à l’indépendance, la situation de l’école coranique n’avait pas connu une amélioration notable. En 1978, un séminaire fut tenu les 17 et 18 mai 1978, à l’Institut islamique de Dakar sur l’enseignement coranique. A cet effet, les recommandations suivantes furent proposées:

-Des sanctions à l’encontre des maîtres exploitants

-Une plus grande responsabilité attribuée aux parents et aux marabouts

-Association de l’enseignement coranique avec une formation professionnelle afin d’assurer l’avenir des talibés.

-Lutter contre la mendicité avec la police et la justice

-Ouvrir de centres d’accueils pour les  talibés mendiants

-Faire contrôler les daaras par des assistants sociaux afin de déceler les insuffisances

-Exiger de bonnes conditions matérielles et sanitaires des écoles coraniques

-Faire des dons alimentaires et assurer la couverture sanitaire des enfants.

Après le séminaire, ces recommandations ont été classées sans suite.

 

Aujourd’hui toutes les solutions proposées se rejoignent : Il s’agit de la création des écoles coraniques modernes, La création des centres d’apprentissage et d’emploi pour les talibés et leur réinsertion dans la vie sociale. L’introduction de l’enseignement coranique dans l’enseignement primaire, subventions aux marabouts honnêtes, de sanctionner à l’encontre des autres. L’interdiction pour les talibés de mendier, des sanctions contre les talibés eux-mêmes.

En général l’Etat est en accord avec l’opinion publique pour l’éradication de la mendicité.  Le 24 août 2010 le gouvernement du Sénégal décida d’interdire la mendicité dans les rues de Dakar et dans d’autres localités du pays. Cette décision a été prise au terme d’un Conseil interministériel présidé par le premier ministre.  « Cette fois-ci, les autorités semblent, en effet, en finir avec la mendicité qui demeurait une honte nationale pour le Sénégal »[32]. Une semaine après la prise de cette décision salutaire aux yeux de la majorité de la population sénégalaise, le gouvernement recula pour parler de l’organisation de la mendicité et de la structuration et de modernisation de l’école coranique: 

 Dans des pays comme les Emirat Arabes Unis la mendicité est totalement interdite. Dans les pays musulmans il y a des structures qui s’organisent pour collecter d’abord les dons et les distribuer à des nécessiteux. Le passant qui sort d’un super marché, d’un hôpital donne mais il ne sait pas à qui il donne. Il faut structurer cela. Etat devra mettre sur place des structures modernes qui perdront en charge l’éducation de ces enfants.  Aussi, il faut des structures plus modernes que les daara traditionnelles qui ne les envoient pas mendier[33]      

 

Il sera très difficile voire impossible d’appliquer ces différentes mesures et proposions. Contrairement à d’autres pays musulmans qui font des dons et donnent l’aumône pour le respect de l’Islam au Sénégal, comme l’a fait remarquer Aminata Sow Fall plus haut : « Ce n’est ni pour nos infirmités, ni pour le plaisir d’accomplir un geste désintéressé que l’on daigne nous jeter ce que l’on nous donne. Ils ont d’abord soufflé leurs vœux les plus chers et les plus imaginables sur se qu’ils nous offrent ». L’attachement de la population sénégalaise à ces sacrifices ancestraux en lieu et place de l’aumône révèle la difficulté d’éradiquer la mendicité une pratique étroitement liée à l’Islam sénégalais.    

Pour atteindre ce noble objectif, les acteurs des écoles coraniques et les décideurs de notre pays ont l’obligation de s’approprier le système éducatif des écoles coraniques en milieu rural fondé essentiellement sur la transmission du savoir et le travail de la terre où les activités se résument à la prière, aux travaux champêtres et à l’apprentissage du Coran et des sciences islamiques. L’Ecole de Pir en est une parfaite illustration.

Pour faire l’historique de cette institution, il semble qu’il faille convoquer le verset coranique qui se signale par son caractère didactique: «Pourquoi dans chaque groupe humain quelques hommes ne viendraient-ils pas s’instruire dans la religion pour à leur retour enseigner leur peuple? »[34]. En effet, ce verset résume l’histoire de l’Université de Pir et la fécondité de la pensée de son fondateur Câdî Oumar Fall qui, après sa formation au Fouta et en Mauritanie, décida de rentrer au bercail, du reste, à ce propos il s’explique:

Si je suis de retour dans le pays de mes ancêtres, c’est pour connaître ma famille d’origine et vivre parmi les miens. J’aimerai une terre à cultiver et une demeure où vivre pour enseigner les sciences religieuses Ulûm Al-Dîn[35] 

 

C’est donc en s’inspirant de ce verset que Câdî Oumar Fall a fondé l’Université de Pir qui, selon le Docteur Thierno Ka, rayonna sur toute la Sénégambie. D’ailleurs c’est en son sein que furent formés de grands érudits, au rang desquels on peut citer : Malick Sy de Boundou mort en 1669, Almamy Abdul kadr Kane 1728-1807 et bien d’autres. Ce pendant, « toute la communauté vivait du produit de la terre que possédait le maître.  De même,

A cette époque, l’école comptait à peut près 300 étudiants regroupés en deux catégories. Les plus jeunes des élèves de l’école étaient pris en charge par Umar Fall. Il leur assurait la nourriture, le logement et les habits (blanchis, nourris et logés). En échange, ils devaient travailler aux champs[36] 

 

Ce système éducatif était fondé essentiellement sur deux principes: l’enseignement des sciences islamiques et le travail de la terre. De là, le rayonnement de Pir qui est une école de référence: une école sans mendicité. L’Ecole de Pir n’est pas seulement le premier établissement d’enseignement supérieur islamique en Sénégambie mais aussi et surtout une université modèle dont le père fondateur Omar Fall est l’un des précurseurs du culte du travail au service de l’éducation islamique en général et de l’école coranique en particulier, une institution aujourd’hui dévalorisée par la mendicité et menacée de disparition

  

                                        

Conclusion

         

En effet, pour l’éradication de la mendicité, il faut nécessairement:

La délocalisation de toutes les écoles coraniques implantées dans les grands centres urbains qui pratiquent la mendicité, vers les terres arables en milieu rural, ou l’introduction de l’enseignement religieux à l’Ecole Publique, ou alors encourager les écoles coraniques de proximité;

Les écoles d’enseignement coraniques qui dispensent des enseignements islamiques aux enfants scolarisés à l’école publique, moyennant une somme d’argent fixée en accord avec les parents d’élèves. Ce système éducatif pratiqué à Saint-Louis depuis le XIXe siècle a donné à beaucoup d’intellectuels de la ville une double formation occidentale et islamique.      

 

Bibliographie

  • Anawawî, Al Imâm. Riyad As-Sâlihîn (Les Jardins de la piété). Lyon : Alif, 1989.
  • An-Nahwî, Khalîl. Bilâd Sinqît Al-Manâr Wa Ar-Ribât. Tunisie : L’organisation arabe pour l’Education, la Culture et la Science, 1987.
  • Boilat, Abbé David. Esquisse Sénégalaise. Paris : Karthalla, 1848.
  • Bouamarane, Cheikh et Louis Gardé. Panorama de la pensé islamique. Paris Sidbad : 1984.
  • Bulletin administratif du Sénégal, mai 1896
  • Bulltein administratif du Sénégal, juillet 1903 
  • Coran traduit par Mouhamed Hamîdullah
  • Coulon, Christia. Les marabouts et les Princes (islam et pouvoir au Sénégal). Paris : A Pedone, 1981.
  • ……………….Les musulmans et le pouvoir en Afrique Noire, Paris Kathalla, 1983
  • Fall, Aminata Sow. La grève des Battu. Dakar-Abidjan-Lomé : N.E.A., 1979.
  • ……………….. La Douceur du bercail. Abidjan : Nouvelles Editions Ivoirienne, 1998.
  • Froeliche, J.C. Les musulmans d’Afrique Noire. Paris : Lorant, 1962.
  • Ka, Thierno. Ecole de Pir Sanakhor : Histoire, Enseignement et Culture arabo-islamique au Sénégal du XVIIIe au XX siècle. Publié par le concours de la Fondation Cadi Amar Fall, Pir.
  • Kane, Cheikh Hamidou. L’aventure ambiguë. Paris : Edition 10/18, 1998.
  • Ndiaye, Mamadou. L’enseignement arab-islamique au Sénégal. Istambul : Centre de recherche sur l’histoire, l’art et la culture, 1985.
  • Party, Paul. Etude sur l’Islam au Sénégal. Paris : Leroux, 1916.
  • Sagna, Sékou. Contribution à l’Etude de la notion du Fî Sabîlillah, support fer de lance de la civilisation arab-islamique: Le cas du Sénégal. Thèse pour le doctorat d’Etat Université de Dakar, 1996.
  • Samb, Amar. Essai de la contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe, Mémoire de l’IFAN Dakar, 1972.  


[1] Enseignant/Chercheur, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

[2] Cheikh Hmidou Kane. L’aventure ambiguë.  Paris: 1998, p.24.

[3] Thiey :Quotidien indépendant d’information N° ii93. Jeudi 02 septembre 2010, p.4

[4] Thierno Ka. Ecole de Pir Sanakhor : Histoire, Enseignement et Culture arabo-islamique au Sénégal du XVIIIe au XX siècle. Publié par le concours de la Fondation Cadi Amar Fall de Pir, p.70.

[5] Abbé David Boilat. Esquisse Sénégalaise. Paris: Karthalla, 1884, pp. 207-208.

[6] Mamadou Ndiaye. L’Enseignement  arabo-islamique au Sénégal. Istambul : Centre de recherche sur l’histoire l’art et la culture, 1985, p 32.

[7] Cheikh Bouamarane et Louis Garder.  Panorama de la pensée islamique. Paris: Sindbad, 1984, p.1220.

[8] Coran, sourate IX, verset 60. Selon Muhamed Hamidullah :

1-Pauvres : ceux qui ne possèdent rien

2- Indigents : ceux qui dont les besoins dépassent les biens dont ils disposent 

3-Ceux qui y travaillent : ceux qui collectent et distribuent Les Sadaqât ‘Zakat) 

4- les cœurs à gagner : les nouveaux musulmans

5- Jougs : esclaves Voyageur ( Endétresse)

[9] Coran op. cit., verset 103

[10] Coran sourate II,verset, 177

[11] Aminata Sow Fall. La grève des Battu. Dakar- Abidjan-Lomé : N.E.A., 1979, p, 88.

[12] Aminata Spw Fall. op. cit., p, 82

[13] htt://membres.Lycos.fr/talibes/Tendances_Problèmes_et_Sulution.htm,p 1sur4

[14] Mot wolof qui signifie pâte de mil qui se mange avec du lait caillé

[15] Aminata Sow Fall. op. cit., pp, 52-53.

[16] Aminata Sow Fall. op. cit.,p 95.

[17] Aminata Sow Fall. op. cit.,p 54.

[18] Aminata Sow Fall. op. cit., p 98.

[19] C’est un hadith du Prophète de l’Islam. 

[20] Aminata Sow Fall. Douceur du bercail. Abidjan : Nouvelles Editions Ivoiriennes, 1998, p.118.

[21] Aminata Sow Fall. op. cit.,p, 72

[22] Coran, Sourate LXXVI,verset 9

[23] Coran, sourate II verset 273

[24] Cf. Al- Imâm An-Nawawî, Riyad As-Sâlihîn (Les Jardins de la piété) p.413, Alif, Lyon 1989

[25] Idem

[26] Idem

[27] Idem

[28] Cheikh Hamidou Kane, op. cit., p. 32.

[29] Abbé David Boilat. Idem

[30] Bulletin Administratif du Sénégal, mai 1896 pp 474-475

[31] Bulletin  administratif  du Séné gal le 15 juillet 1903

[32]   Quotidien n° 5190, mercredi 25 août 2010-10, p 3

[33] Le matin n° 4058- jeudi 8 septembre 2010, p 5

[34] Coran, sourate IX, verset, 122

[35] Thierno Ka.  Ecole de Pir Saniakhor, Histoire, Enseignement et Culture arabo-slamique au Sénégal, du XVIII au XXe siècle. p38, publié par le Concours de la fondation de Cadi Amar Fall de Pir.

[36] Thierno Ka. op. cit., p.69.

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