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Résumé      

Se fondant sur la formule d’Horace, ut pictura poesis, une longue inféodation de l’image au texte, cet article présente une version contemporaine du rapport entre peinture et récit dans La bulle de Tiepolo de Philippe Delerm. Construit sur la base d’une démarche ekphrasistique fournissant ainsi au texte son plus haut degré de picturalisation, ce rapport dépasse la simple question de la transposition intersémiotique et débouche sur une approche du sensible. En substance, il s’agit de montrer l’effet produit par le pictural sur la sensibilité des personnages à travers l’éveil des émotions et affects. L’analyse repose, en filigrane, sur une expérience minimaliste axée sur une philosophie épicurienne du bonheur. 

Mots-clés: Picturalisation, Ekphrasis, Théorie du sensible, Minimalisme, Bonheur

 

Abstract

Based on Horace’s formula, ut pictura poesis, a long subjugation of the image to the text, this article presents a contemporary version of the relationship between the painting and the narrative in La bulle de Tiepolo of Philippe Delerm. Built fundamentally on the ekphrasistic approach that thus provides to the text its highest degree of picturalisation, this report goes beyond the issue of intersemiotic transposition and leads to a sensible approach. In essence, it is to show the effect of the pictorial on the characters’ sensitivity through the awakening of emotions and affects. The analysis is implicitly based on a minimalist experience focused on Epicurean philosophy of the happiness.

Keywords: Picturalisation, Ekphrasis, Theory of sensitive, Minimalism, Happiness

 

 

Introduction

Depuis plus d’un siècle, la modernité littéraire a partie liée avec l’image, qu’elle soit photographique, picturale ou cinématographique. L’époque contemporaine poursuit dans cette voie, non plus pour s’ouvrir uniquement et librement à ces arts, comme l’ont fait Blaise Cendrars et Sonia Delauney à propos de la peinture, mais en les convoquant cette fois-ci pour en faire la matière même de la diégèse.

Dans un numéro spécial intitulé « Fiction et savoirs de l’art », Dominique Vaugeois et Johnnie Gratton reconnaissent la vogue des récits qui s’agencent avec le dehors (donc avec  d’autres arts) dans la perspective contemporaine. L’idée est que

Depuis le début des années 1990, la vogue des récits dont le personnage ou le narrateur sont des peintres (Michel Houellebecq, La carte et le territoire), des critiques d’art ou des historiens (Jean-Philippe Domecq, Le Désaccord, Dominique Fernandez, Signor Giovanni), les fictions où l’œuvre plastique, réelle ou imaginaire, est l’objet de la diégèse (Bernard Teyssedre, Le Roman de l’origine, Philippe Delerm, La Bulle de Tiepolo, Tonino Benacquista, Trois carrés rouge sur fond noir), où l’intrigue concerne les milieux de l’art à travers l’histoire (Olivier Bleys, Pastel, D. Fernandez, La course à l’abîme, Jean-Philippe Delhomme, La dilution de l’artiste), ne faiblit pas[1].

 

S’il revient à attribuer ce regain de vivacité aux développements technologiques récents, notamment à travers la reconnaissance de la photographie comme art majeur, « ce retour au réel » passe par plusieurs aménagements et dispositifs fictionnels ouvrant ainsi les romans à une hybridité référentielle qui s’enracine, certainement, dans l’approche deleuzienne du rhizome, de la déterritorialisation et des lignes de fuites.

          Se penchant particulièrement sur le rôle considérable de la peinture dans la réévaluation de la fiction contemporaine, la contribution voudrait étudier, à partir de La bulle de Tiepolo (2005) de Philippe Delerm, noué autour de la fresque de Tiepolo recelant une énigme à laquelle s'intéressent les protagonistes, un homme et une femme, le lien entre la forme narrative dominante et le savoir de l’art pictural.

Il s’agit de montrer que la fictionnalisation de l’art pictural, dans son déploiement narratif et stylistique, repose sur une théorie du sensible et de l’affect. La démarche retombe, dans le fond, sur une expérience minimaliste axée sur une philosophie épicurienne du bonheur attaché à l’instant présent.

                          

  1. Une narrativité picturale  

Dans La bulle de Tiepolo, Phillipe Delerm cherche les mots et les phrases propres à dire les tableaux, et à décrire les gestes des artistes peintres. À l’instar de Michel Leiris qui consacre son œuvre Au verso des images (1980) à cinq artistes peintres (Picasso, Bacon, Masson, Giacometti, Elie Lascaux), de Pascal Quignard qui se penche sur les œuvres de Georges de la Tour dans La Nuit et le Silence (1991), de Jean Rouaud qui s’intrigue des peintures rupestres de Lascaux dans Paléo-circus (1996), de Delerm qui sollicite les peintures ou les fresques murales de Giandomenico Tiepolo. Il le fait non pas pour un simple commentaire, ni pour une simple représentation, mais pour les interpréter car, comme l’indiquent Dominique Viart et Bruno Vercier, « peinture et écriture donnent à voir ou à lire non le réel tel qu’en lui-même mais une interprétation du réel: la façon dont […] l’écrivain se le figurent[2] » (2005).

Pourtant, dans le régime de la fiction, la saisie de cette figuration du réel est bien nécessaire puisque Delerm, dans sa volonté de faire œuvre d’artiste, donc de création, regarde la peinture avec un œil moderne et contemporain afin de produire une narration qui mesure le travail et le geste pictural et éclaire la manière dont se manifeste chez le lecteur l’image mise en texte ou suggérée par le récit.

Dans ces conditions, le texte devient le lieu d’une expérimentation, le terrain d’une collaboration où l’image picturale entre en scène avec toutes ses propriétés spatiales et chromatiques. L’adage qui dit qu’une fois créée, l’œuvre d’art ne doit valoir que par elle-même et qu’il faut la juger pour ce qu’elle est, sans tenir compte de ce qui l’a amenée à être ce qu’elle est[3] (Kendall Walton, 1992), trouve ainsi toutes ses limites. Et pour cause, l’objet pictural perd une certaine autonomie car sa transposition se réalise par un système verbal, une stratégie descriptive se chargeant de le rendre docile à la perception. En substance, il s’agit d’une recodification qui s’applique à iconiser et à rendre totale une simple portion du monde visible "prélevée" par un artiste et tendant à abolir les frontières, longtemps maintenues, entre texte et image.

Il convient ici et maintenant d’ouvrir le texte afin de voir les modalités pratiques mises en œuvre par Philippe Delerm pour réussir la double épreuve de représentation discursive, voire la dualité consistant à mettre un temps dans un autre. Tout commence chez lui par la majoration des prédicats visuels qui se manifestent, pour l’essentiel, à travers des formes délimitantes telles que « tableau », « peinture », « sur le mur », « le fond », « cadre », « forme ». Il est bien question d’un processus de cadrage que le narrateur prend le soin de rétablir en insistant notamment sur les dimensions du cadre: une fresque atteignant deux mètres de hauteur sur cinq de large (p. 58). Ces prédicats n’ont pas uniquement pour fonction d’orienter la perception ou de diriger le cadre du tableau ; ils ont aussi pour mission de préparer et d’organiser la description de l’objet. Selon Jean-Marie Kouakou, « ils fonctionnent comme des motifs qui tiennent à la délimitation (à-venir) de l’objet. La visée organisatrice trouve un certain frein à son expansion[4] » (1989). En filigrane, la majoration des prédicats visuels dans le régime de la fiction élabore une stratégie descriptive obéissant aux lois de la spatialité. L’objectif étant de montrer que la narrativisation picturale est une affaire d’espace.

Une telle analyse renoue avec les réflexions de Liliane Louvel[5] (2001) qui a proposé une liste de marqueurs de la description picturale dont la plupart concerne l’espace. Dans le déploiement de sa réflexion, les marqueurs de cadrage peuvent apparaître lorsque la description se distingue par la jonction de deux schèmes structurels: voir et parler. Si pour la théoricienne, les conditions d’existence du pictural passe d’abord par l’action de voir, sa démarche consiste à faire valoir la présence d’un descripteur faisant office de spectateur qui, tout en bénéficiant d’une bonne vue à partir d’un point d’observation, enferme le regard et l’inscrit dans une forme d’encadrement.

Philippe Delerm se livre à de tels jeux de focalisation lors des visites qu’il fait faire à ses personnages. Avec Antoine Stalin, par exemple, la visite guidée à la Ca’Rezzonico, invite le focalisateur ou l’observateur à regarder « tout ce déferlement baroque d’un palais orgueilleusement dressé », où s’étalait au second étage, dans une salle isolée, « entre la reconstitution d’une boutique d’apothicaire et un théâtre de marionnettes, Le monde nouveau de Giandomenico Tiepolo » (p. 58). Il en est de même avec Ornella Malese qui ne pouvait s’empêcher de garder la toile de Sandro Rossini sous ses yeux, juste à portée de regard.

L’immobilisme des focalisateurs au niveau des fresques ou des tableaux est un fait indispensable à faire correspondre, sur le plan de la diégèse, à un arrêt sur image favorisant ainsi une expansion de la description, c’est-à-dire des lieux textuels où le non-dit, les nuances, les demi-teintes s’infiltrent pour dire et montrer la chose picturale. Louis Marin[6] (1977) perçoit la stratégie comme un acte de destruction de la peinture parce que la picturalisation du récit se monnaie grâce au regard d’un spectateur qui, face à la toile, opère la transformation d’un continu perceptif, lieu du regard, en un discontinu figuratif, lieu de lecture.

Cet art de faire n’est pas éloigné de l’écriture du détail dont parlait Ginette Michaux (1985-1986) à propos des récits postmodernes. Dans sa théorie, l’écriture du détail, loin d’être une digression, devient plutôt un indice susceptible de rendre manifeste le sous-texte latent tout en assurant en surface une narration très contrôlée[7]. Il faut saisir le « sous-texte » comme le discours descriptif qui veille à l’actualisation picturale du récit, à sa transformation en objet-texte iconique dans la mesure où il engage le lecteur à changer d’échelle, à regarder de près et lentement son objet de lecture.

Dans La bulle de Tiepolo, le changement de rythme de la lecture induite par la miniaturisation généralisée du regard s’opère, d’un point de vue stylistique et narratif, par un procédé fournissant un plus haut degré de picturalisation au texte, si on s’en tient, bien évidemment, aux nuances du pictural proposées par Liliane Louvel[8]. Il s’agit de l’ekphrasis, une figure de rhétorique ancienne très pratiquée dans les écoles du monde grec, depuis Homère et sa célèbre description du bouclier d’Achille au chant XVIII de l’Iliade.

Etymologiquement issu du verbe ekphrazein, formé du préfixe intensif ek et de phrasis « parole », le mot signifie « proclamer, affirmer, ou donner la parole à un objet inanimé ». Le procédé revient aujourd’hui dans la narration contemporaine pour décrire une œuvre d’art, pour effectuer le passage entre le visible et le lisible. Plus précisément, c’est une figure qui consiste à mettre sous les yeux du lecteur une description rappelant un autre art que la littérature: la peinture. Un cas très intéressant d’ekphrasis:

Toute une foule vue de dos ou de profil, assistant à un spectacle invisible. Au loin, la mer. Une facture surprenante. Des personnages saisis dans des attitudes familières au cours d’une scène publique. Mais on était bien loin de la fantaisie souriante de Longhi ou de Guardi, l’oncle de Giandomenico. Des bleus laiteux, des vestes crèmes, orange éteint, des robes beiges. Une espèce d’hiératisme souple dans les courbes d’épaule, les ports de tête. La sensation que toute cette foule saisie dans l’énergie de l’instant dérivait en même temps vers un ailleurs silencieux, un espace onirique[9]. (p. 49)

 

La démarche ekphrasistique développée par Delerm dans cet extrait est le fruit d’une longue contemplation. L’œil de l’observateur enregistre tous les détails du tableau concernant l’attitude des personnages, les couleurs des vêtements ainsi que l’horizon maritime. L’ekphrasis se poursuit en mettant surtout l’accent sur la spécificité de l’image, une image pleine de mystère, aux dimensions sacrées, conduisant vers un ailleurs fantastique. La toile est décrite de manière si vive que l’ekphrasis semble placer l’objet pictural sous les yeux. Une telle animation ouvre ainsi la voie à l’art fantastique et peut être…au baroque:

Inviter à regarder ce qu’on ne verra pas. Un spectacle de rue. Toutes les catégories sociales mêlées, du bourgeois ventripotent coiffé d’une longue perruque au pierrot tout droit sorti des planches de la commedia dell’arte, des femmes du peuple plantureuses penchées en avant à l’élégante chapeautée, une main sur la hanche. Mais le vrai secret, c’était le personnage grimpé sur un tabouret et qui tient à la main une longue badine, ou une espèce de perche, dont l’extrémité atteint le centre de la scène[10].

 

Cette scène se caractérise par son excentricité et sa bigarrure. Non seulement elle fait voir un mélange de toutes les couches de la société, donc un mélange du noble et du trivial. Mais ce qui attire l’attention dans ces descriptions picturales (les deux ekphrasis) réside surtout dans cette façon d’élaborer le spectacle dans le spectacle, c’est-à-dire des spectateurs au sein même de la représentation. Il s’agit précisément de personnages peints de dos qui ne sont là que pour regarder, comme s’ils signalaient la présence du spectateur concret ou réel. Guy Scarpetta rattache ce spectacle vu de dos à un artifice cinématographique: le hors-champ. Pour lui, « ces figures qui regardent ailleurs, hors du cadre, – celles qu’on voit de dos, qui se penchent, – comme si le véritable spectacle était « de l’autre côté », inaccessible » participe à la mise en place « d’un art de l’évacuation, d’une véritable perversion de la représentation (le « sens » toujours fuyant, dérobé)[11] » (1988).

L’ekphrasis a donc ses manières. Elle se renouvelle en côtoyant les confins des autres arts ; elle est un art du détour. C’est pourquoi Murray Krieger l’appréhende comme un art au second degré: « Représentation d’une représentation, elle montre la distance, celle de l’acte théorique, autoréflexif, signe non naturel d’un signe non naturel imitant un objet naturel[12] » (2013).

À ces manières, il faut associer un genre particulier d’ekphrasis se déployant dans le régime de la fiction. Louvel la nomme ekphrasis baladeuse ou excursionniste. Les deux exemples qui suivent sont assez révélateurs:

Ils traversèrent un jardin sombre et frais, et tout de suite, ce coup au cœur en découvrant sur les murs de la Foresteria les scènes bucoliques de Giandomenico: les paysans, les paysages saisis comme en abyme après leur promenade du matin, avec ces tons un peu pâles qui donnaient une aura poétique aux gestes les plus simples – le panier tenu sur ses genoux par une vieille assise, deux paysans s’éloignent sur la route, leur fichu dans le dos, une montagne bleue à l’horizon[13].

Sur le mur en face de lui, c’était bien Il Mondo nuovo. Un autre Monde nouveau. La même plage, les mêmes oriflammes plantées dans le sable, le même bâtiment à coupole, sensiblement plus détaillé. Les mêmes femmes de dos penchées en avant, mais dans des robes blanches. Moins de figurants, mais une espèce de géant vêtu de noir et de blanc, comme une pie monstrueuse. Et puis l’homme à la baguette. Les basques de sa veste pendaient pareillement, mais il n’avait pas de bicorne. Et tout au bout de son bâton…Une bulle, une énorme bulle de savon, légèrement cabossée, allongée par le vent, sans doute. Au travers, on voyait un bout de mur diffracté, un bout de plage, et le haut d’une robe[14].

 

La particularité de ces ekphrasis réside en ce qu’elles fonctionnent comme de véritables excursions littéraires, c’est-à-dire un dispositif par lequel le personnage erre dans le ou les tableaux. En effet, sur la base d’une traversée ou d’une promenade, Delerm saisit l’occasion pour démultiplier des scènes dont l’essence réside dans la « mêmeté », la similarité. Autrement dit, les spectateurs/lecteurs sont face à une succession d’images ou de tableaux où s’établit une sorte de trajectoires des mêmes objets, aux figurations démultipliées.

Jacqueline Testanière note à propos de ces  eskphrasis « [qu’elles] modifient le temps de la fabula, imposent un temps de lecture, proposent au lecteur des promenades inférentielles[15] » (2012). 

 Toutefois, dans cette suite ou juxtaposition, l’ekphrasis laisse apparaître un inachèvement, un mystère,  mieux une relation entre le visible et l’invisible, celle conduisant peut-être au seuil de la création. Comme des suites de stimuli ou des déclencheurs d’imaginaire, ces ekphrasis impliquent le spectateur jusqu’à l’exercice de sa liberté interprétatrice, qui a besoin de se glisser dans cet écart entre l’image picturale et cette énigme offerte aux regards. Et dans un tel processus, François Lecercle a raison de postuler dans un article intitulé ″Donner à ne pas voir″ que l’art pictural est « fondamentalement de l’ordre du leurre, parce qu’il présente à l’œil quelque chose de visible, et même de mimétique, alors qu’il vise un autre objet qui reste inaccessible, non vu..., un objet conçu mais radicalement invisible[16] » (1994).

Entre le texte et l’image picturale, l’ekphrasis sert ainsi de lien et de levier pour une hétérogénéité constitutive touchant à la fois à l’esthétique et à la psychologie.

En somme, la mise en texte de l’objet pictural relève d’une transaction ou d’une négociation qui, en s’évertuant à maintenir les deux ensembles (Texte/Image), ouvre un espace intermédiaire, un entre-deux où l’expérience se partage autour des émotions, des sensations et des affects.

 

  1. Une expérience ressentie et libératrice d’affects

Si la logique picturale organise le récit en scènes de perceptions, l’impression de mystère, de tension, de couleurs, de composition, de formes ; en somme, la vivacité et l’énergie, découlant des images mises en texte, suscitent chez le spectateur ou le sujet observant tant de sensations et d’affects qu’elles peuvent ouvrir la réflexion à une théorie ou une approche du sensible. Liliane Louvel explique le phénomène à partir du corps, source impalpable des sensations:

[…] la lecture du texte/image produit un événement, un avènement. Comment le lecteur est-il affecté par le texte/image ? Il y a du ressenti là-dedans puisque le corps est en jeu. Que se passe-t-il: une ouverture ? Une rêverie aussi ? Un tressaillement, une émotion ? Le lecteur, stimulé, alerté, délogé, devient actif: il opère superpositions, surimpressions, collages, voire un montage qui rend l’image dialectique. Le texte/image implique forcément une co-production. Une « mise en mouvement du livre »[17].

 

Pour elle, la puissance des images  libère des affects. Il en ressort que le corps devient un terrain de jeu favori de l’affect puisqu’il est saisi par l’image, dans sa rencontre avec elle. Visiblement, Louvel s’adosse à la phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty, marquée notamment par ses travaux sur la peinture et les rapports que cet art entretient avec le corps. Suivant la perspective de Ponty, « le schéma corporel » constitue l’étalon de mesure des choses perçues car, « avoir un corps, c’est posséder un montage universel, une typique de tous les développements perceptifs et de toutes les correspondances intersensorielles par-delà le segment du monde que nous percevons effectivement[18] ». Le corps devient dès lors cet espace expressif conduisant vers ce que Helmholtz appelle « la compréhensibilité sensible la plus aisée, la plus fine et la plus exacte de la représentation artistique[19] » ; le corps est donc à l’origine de toute signification car il fait système et indique un ordre.

Philippe Delerm s’active à opérer cette inclusion du « schéma corporel » dans La bulle de Tiepolo par le biais d’un spectateur ou d’un sujet observant dont le regard et le point de vue autorisent la description à s’abîmer dans les interstices d’un parcours à la fois physique et psychique en profondeur des tableaux. Dans ces conditions, la description picturale travaille de manière à dépasser sa surface pour atteindre un niveau de profondeur et d’intelligibilité. Elle s’ouvre alors à cet « espace-phénomène » dont parle Noël Mouloud, c’est-à-dire:

l’existence des significations liées à l’organisation même du tableau nous renvoie à un pouvoir de l’espace pictural qui est, dans le sens fort du terme, un espace-phénomène”. Nous voulons dire qu’il n’est pas seulement le milieu où existent pour nous les objets figurés, ni seulement le cadre dans lequel s’installe décorativement les figures du tableau ; mais cet espace rend "manifeste״, amène à l’intuition certaines propriétés du cosmos naturel ou spirituel, et c’est par ce pouvoir de manifester “qu’il est au sens littéral du terme, phénomène”[20].

 

Ainsi qu’il apparaît dans La bulle de Tiepolo, la description picturale fixe dans l’esprit de l’observant l’idée d’un schème formel qui le rend sensible et qui satisfait son imagination. Et la stratégie narrative et psychologique prenant en charge un tel processus dans le roman est ce qu’il convient d’appeler avec Dorrit Cohn « le psycho-récit », un néologisme qu’elle propose pour mettre « en évidence aussi bien ce qu’il s’agit de décrire que le processus auquel cet objet est soumis, comme le suggère l’analogie avec les termes comme « psychologie » ou « psychanalyse » [21]». Mode de représentation de la vie psychique, le procédé rend compte de la vie intérieure, des sentiments et sensations des personnages à travers le discours du narrateur.

La technique permet ainsi d’explorer et de sonder l’état mental et les sensations d’Antoine Stalin et d’Ornella Malese face aux tableaux et fresques murales de Giandomenico Tiepolo et Sandro Rossini. En contribuant à montrer l’effet que produit le pictural sur la sensibilité des personnages à travers  l’éveil des émotions et affects sur leur pensée, l’analyse du psycho-récit débouche sur une double lecture.

La première lecture prend pour centre d’orientation Antoine Stalin. Elle rend compte de ce que la perception, chez lui, correspond à ses sensibilités esthétiques, passions et émotions telles qu’elles font leur apparition initiale dans l’âme. Le narrateur livre un pan de cette sensibilité:

Il aimait ce tableau. La facture lui paraissait évidente, entre Matisse, Bonnard, Vuillard. Le sujet l’intriguait, tableau dans le tableau. Une interrogation silencieuse sur des formes, des attitudes, la justesse d’une représentation du monde – l’objet même de sa propre quête[22].

 

Les tableaux faisant l’objet de perception sont d’une qualité si distinctive qu’ils procurent des valeurs de connaissance. Il faut attribuer cette qualité au choix d’un style de représentation, au choix d’une sensibilité esthétique déterminé par la référence à des peintres dont la renommée s’est faite à partir du Nabi[23], un mouvement artistique postimpressionniste d'avant-garde, né à la fin du XIXe siècle en réaction contre la peinture académique et qui perdurera jusqu'au début du XXe siècle.

À côté de ce mouvement exaltant la couleur, la simplification de la forme et la sublimation du quotidien se développe, avec Henri Matisse, un autre courant de peinture du XXe siècle – le Fauvisme – caractérisé par l’audace et la nouveauté de ses recherches chromatiques. Le courant recourt à de larges aplats de couleurs violentes, pures et vives, et revendiquent un art fondé sur l’instinct.

Le regard du sujet percevant oscille entre trois grands peintres non seulement pour révéler ses sensibilités esthétiques mais aussi pour plonger le lecteur dans l’histoire de l’art. Cette plongée invite à lire un spectateur dont le goût a été développé par l’étude des œuvres d’art et qui a une connaissance affinée de la chose picturale. Antoine Stalin développe par conséquent l’attitude du connaisseur, celle qui le laisse guider dans son jugement par des règles intelligibles parce que, justement, technicien qualifié, il sait à quels signes distinguer l’original de la contrefaçon. C’est pourquoi il peut se rendre à l’évidence qu’il existe, mis à part Le Mondo nuovo de la Ca’Rezzonico, si peu de reproductions de Giandomenico Tiepolo[24]. Le dessein de ce type de spectateur réside bien évidemment dans sa volonté de faire découvrir la main du maître, un devoir de reconnaissance de Giandomenico Tiepolo, injustement lié de manière systématique à l’œuvre de son père, Giambattista Tiepolo.

Si Antoine Stalin nous invite à identifier de grands artistes d’après la force de leurs talents (donc par sa sensibilité esthétique), Ornella Malese le fait, au contraire, par la force de l’émotion qu’ils suscitent en nous. Son regard sur la peinture constitue la seconde lecture induite par le psycho-récit. Relevant d’un spectateur ordinaire, la perception qu’elle a de la peinture n’est fondamentalement liée ni à un choix, ni à un ordre artistique mais plutôt à une sensation instantanée qui frappe l’œil et déclenche, chez elle, un imaginaire tendant à la mettre sur les traces de ce grand-père abstrait, étouffé par une lourde chape de non-dits et à révéler son goût pour la création. Car, au bout du compte,

elle ne pouvait s’empêcher de penser que la signature orientait un jugement qu’elle essayait de ne pas trop porter, juste se laisser aller à cette atmosphère, la belle nonchalance de la jeune femme nue, le mystère de sa compagne, leur implication commune dans une réflexion sur la peinture. Vivre dans la création. Vivre pour la création. Quelque chose en elle venait de là[25]

 

Il y a incontestablement dans cette manière de penser ou ce psycho-récit une forme de pressentiment qui fait d’Ornella un être fortement intuitif ; et cette disposition fondamentale se révèle dans son regard puisqu’elle enrobe et englobe tellement les choses de sa perception rayonnante et luisante qu’au fond, elle ne voit pas les choses ; elle n’en perçoit que « l’atmosphère » ; elle regarde par-delà l’objet pictural, ne tient pas à l’observer.  Ce qui l’importe ou l’intéresse, c’est le climat des choses, leur origine et leur destination. C’est pourquoi elle s’attache à son ensemble, attendant des éclaircissements sur sa nature particulière et sur sa vie spécifique. Aucun doute ne pouvait alors l’ébranler à la vue du nom inscrit en bas à gauche du tableau. Au contraire, en découvrant la toile, elle ressentit distinctement la perfection de cet instant, cette proximité tranquille traduisant la filiation insoupçonnée entre elle et le nom du peintre, Sandro Rossini.

En cela, Ornella s’oppose à Antoine, surtout dans la manière d’examiner les choses. Elle s’éloigne ainsi du « type sensoriel » dont parle Carl Gustav Jung, c’est-à-dire « celui qui voit les choses comme elles sont, les appréhende, les agrippe en quelque sorte entre ses axes optiques[26] », celui dont le regard ne se concentre pas sur les à-côtés et qui « évince, autant que faire se peut, tout ce qui relève de leur enchevêtrement réciproque[27] ».

Curieuse de connaître l’origine des choses, Ornella Malese se laisse étreindre par la mélancolie et l’angoisse. Elle semble affectée par le fait de savoir qu’elle est plus proche de la vérité,  plus proche de ce grand-père qu’elle n’a jamais connu. Mais ce malaise est très vite évacué au profit de la satisfaction d’une vraie reconnaissance littéraire. Le tableau de Sandro Rossini, pour elle, tenait une place dans cette plénitude. De la sorte, elle active la fibre héréditaire, celle qui se résume à son goût pour l’esthétique, son envie de créer, sa curiosité pour le monde qui l’entoure: elle doit bien à ce grand-père inconnu cette énergie créatrice.

Dans cette dynamique, les situations de la vie quotidienne évoquées par les scènes représentées ou narrativisées (scènes bucoliques ou pastorales, scènes domestiques, des scènes de plage, des spectacles de rue), suggèrent une certaine intimité, au sens où elles touchent la vie des êtres représentés (femmes, hommes, paysans), mais aussi celle des spectateurs. Il s’agit d’une intimité de la vie quotidienne foncièrement marquée par une sociabilité apaisante, surtout et paradoxalement, dans une époque anxieuse et trouble. Philippe Delerm nous convie sans doute à partager son art de vivre essentiellement basé sur l’instant, le bonheur.

 

  1. Une saisie épicurienne de l’instant: vers un minimalisme positif

Il est presque un truisme de dire que, du point de vue du contenu, du style et de la forme, le roman de Philippe Delerm, La bulle de Tiepolo, puise son inspiration principalement dans la peinture. En s’y adossant, le récit se conforme à la définition deleuzienne selon laquelle le livre est « un agencement avec le dehors[28] ». Une telle combinatoire est exemplaire de la façon dont Delerm manipule l’héritage culturel et pictural pour véhiculer sa vision du monde. En procédant à l’évaluation de la performance de la peinture dans le régime de la fiction, La bulle de Tiepolo s’inscrit dans le sillage des romans minimalistes, non seulement par rapport à ses caractéristiques formelles (sa minceur et sa brièveté, sa langue policée, ses mentions fréquentes de représentations visuelles, sa tendance à la réduction, à la sobriété stylistique et à l'impassibilité ainsi qu’à son incrédulité à l'égard des métarécits devenue un des lieux communs les plus courants de l'esthétique, de la pensée, et de la philosophie contemporaine[29]), mais aussi et surtout par rapport à sa composante axiale du contenu et de la thématique.

Rémi Bertrand a fortement mis l’accent sur cette deuxième dimension à travers son concept exploratoire de « minimalisme positif[30] », ayant pour effet de passer sous silence les aspects formels de l’écriture minimaliste. Dans sa démarche, la tendance est à l’authentique dans la mesure où l’écriture delermienne ne dissimule pas sa propension à dévoiler une intimité de la vie quotidienne axée ou articulée sur le bonheur. Orientant ainsi le minimalisme positif delermien vers cette « littérature articulée sur le bonheur au quotidien[31] », José Domingues de Almeida note qu’il s’agit pour Bertrand de « préciser les conditions de possibilité d’une écriture du quotidien, de débarrasser le quotidien et le bonheur des oripeaux de l’espérance tout en fondant spontanément une éthique holistique du banal ; et ce, dans une forme brève[32] ».

En s’employant à commenter les fresques murales et les toiles de Giandomenico Tiepolo et de Sandro Rossini, Delerm fixe ainsi les conditions d’existence de l’écriture quotidienne à partir de plusieurs scènes domestiques, de plage, de vie pastorale, de spectacles, etc., où il apprend aux lecteurs et spectateurs à savourer le quotidien, à ressusciter l’émotion provoquée par les plaisirs simples de la vie, comme cette fameuse promenade à la Ca’ Rezzonico où « chacun avait sa bulle, sa propre manière d’enfermer le présent, (…) où chacun surtout pensait qu’au-delà de sa bulle il partageait l’action, l’ivresse d’un moment où il se passe quelque chose[33] ».

Si l’image de la bulle ou la logique circulaire envahit le récit, c’est justement pour mettre l’accent sur l’ivresse, l’amour, la satisfaction et le bonheur, bref pour savourer cet instant présent et éprouver du plaisir sans rien montrer car n’était-ce pas, pour les personnages, la meilleure manière de vivre la ville[34] ?  Avec la bulle, le temps se réduit à un instant dont il s’agit d’extraire toute la saveur en autant de brèves épiphanies.

Peindre l’instant présent apporte une philosophie de la vie, une philosophie épicurienne qui oriente la lecture de ce roman pour ce qui est de sa structure, de sa poétique ainsi que de sa vision du monde. Ce que recherche le récit minimaliste delermien  est de faire passer en douce à la douane, sans avoir rien à déclarer, la sagesse épicurienne qui propose de délivrer les personnages de l’angoisse, de les mettre à l’abri du danger et de la souffrance, comme elle a su le faire avec Ornella Malese en lui procurant paix, équilibre et harmonie.

Pour bien vivre son présent, en effet, Ornella a su faire la paix avec son passé, non seulement par l’écriture d’un roman – Granité café – qui était à sa manière une défense et illustration du plaisir de l’instant à Venise, mais aussi, et surtout, par sa disponibilité à découvrir le mystère et le silence entourant le nom Sandro Rossini, son grand-père incarné dans cette toile qui lui procurait une entière satisfaction, un sentiment de plénitude. Il s’agissait résolument pour elle de se défaire de cette angoisse existentielle, de ce secret de famille qui avait pour vocation d’hypothéquer sa capacité à être disponible pour savourer les plaisirs ou délices de la vie.

Ornella Malese profite carrément de la vie en passant des moments sympathiques et amoureux avec son nouveau compagnon Antoine Stalin. Comme de véritables sages épicuriens, ces personnages accomplissent tous les actes de la vie quotidienne, tous les plaisirs du quotidien, et réfléchissent constamment sur des questions tels que la création, l’enfance, le temps, l’amour, la vie…, et cela en vue d’atteindre un seul objectif: le bonheur.

Ainsi libérés de l’angoisse, ils s’appliquent à vivre l’instant présent le plus intensément possible, en capturant le moment pur, notamment en trouvant les mots pour dire leur rapport au passé, au chagrin imprimé dans la chair de chaque jour, et en philosophant surtout, puisque penser pour eux est la seule activité qui les rassure et leur permet d’atteindre cette tranquillité, cette paix qui est la condition du bonheur.

Les nombreuses références à Marcel Proust sont de nature à renforcer l’attitude philosophique des personnages. Par exemple, Ornella s’approprie cette pensée proustienne, « sentir le monde selon soi », pour valoriser sa capacité à créer et à porter un regard sur le monde. Si cette disposition individualiste n’a rien à avoir avec la culture et l’intelligence, elle a néanmoins le mérite de faire sortir le créateur de sa léthargie et de le porter au pinacle. Pourtant, Ornella ne voit nullement en son succès un quelconque bonheur car « au fur et à mesure que le succès s’amplifiait, [elle] ressent[ait] jusqu’au vertige la certitude que tout serait infiniment plus difficile désormais (…)[35] ». Le bonheur pour elle ne se mesure ni dans le confort matériel, ni dans la gloire, ni dans l’honneur puisque ces désirs assaillent et perturbent la tranquillité de son âme. En refusant de vivre sous la coupole de tels désirs ou plaisirs, Ornella Malese fait preuve d’une sagesse épicurienne frisant plutôt l’ascétisme, celle qui s’éloigne d’un certain hédonisme libertin de la trempe de Philippe Sollers qui écrit dans Femmes[36] qu’il n’arrive pas à sentir la faute qu’il y aurait à satisfaire ses passions. Cet ascétisme est d’ailleurs renforcé par sa relation au sexe: « Tu sais… [dit-elle] c’est drôle, mais chaque fois que je fais l’amour, je sais que cela disparaît à l’avance de ma mémoire[37] ». On le voit, sa conception du bonheur repose soigneusement sur la distinction entre désirs naturels nécessaires devant être satisfaits et ceux qui ne sont pas nécessaires à l’exemple des désirs sexuels illimités. Cette restriction lui permet d’adopter une hygiène de vie reposant sur l’équilibre du corps.

Une autre référence à Proust permet de souligner l’épicurisme ou le bonheur au présent d’Antoine Stalin. Cette référence fait suite à la question posée par Ornella: « comment vit-on après ? ». La réponse qu’il en donne, à partir d’un passage extrait de Du côté de chez Swann, peut se résumer de la façon suivante: « Jouissons pleinement de l’instant, car le présent seul est le temps du pur bonheur d’exister ». Cette réponse repose sur un paradoxe fondamental. Malgré le deuil de sa femme, Monsieur Swann savoure pleinement le bonheur que lui procure sa sortie dans le jardin. L’exclamation qui suit en est une parfaite illustration: « Ah ! Quel bonheur de se promener ensemble par ce beau temps… On a beau dire, la vie a quand même du bon ! ». Il développe ainsi l’idée épicurienne selon laquelle la mort n’est rien pour nous ; elle ne doit pas nous affecter car elle n’est rien d’autre que la fin des activités vitales. Il n’est point nécessaire pour M. Swann de désespérer mais plutôt de vivre l’instant présent en humant le parfum des fleurs et l’atmosphère générale du jardin.

La modération des plaisirs dans La bulle de Tiepolo permet ainsi à Philippe Delerm d’adopter une posture de modestie à travers un hédonisme simple, celui qui célèbre de petits bonheurs, de brèves épiphanies, du bonheur sans passion.

C’est menu de ces considérations philosophiques et ces arts de faire que Rémi Bertrand   inscrit Delerm dans un courant d'écrivains qui prônent un nouvel art de vivre, une écriture articulée du quotidien: le minimalisme positif.

 

 

Conclusion

          Partant du postulat qu’on peut apporter beaucoup avec moins que rien, Philippe Delerm a pu, dans sa volonté de proposer une nouvelle saisie du réel dans la fiction contemporaine, produire une narration picturale qui libère des sensations et des affects. Mais derrière cette picturalisation à l’œuvre dans le régime de la fiction, le romancier fait passer en douce à la douane deux ou trois choses et … peut-être plus sur le bonheur au présent, une philosophie épicurienne qui inscrit son écriture dans le sillage du minimalisme positif, un courant qui, grâce au plus petit détail, a la possibilité d’ouvrir à l’universel ou à une espèce de vérité. José Domingues de Almeida n’a donc pas tort de noter, à propos de la réflexion menée par Rémi Bertrand sur le minimalisme positif chez Philippe Delerm que

 l’oscillation définitoire du minimalisme entre thématique et forme […] fait apparaître le ton programmatique et manifestaire comme une adhésion ou un rapprochement démesurés de ce dernier vis-à-vis de l’écriture des petits riens et de son approche holistique du monde heureux dans ses moindres instants[38].

 

 

Adhésion ou rapprochement démesurés justement parce que, Rémi Bertrand ne semble pas avoir certainement compris que le bonheur chez Delerm n’est pas si parfait comme il a pu le faire croire. Même si l’auteur avoue qu’il est arrivé dans ce monde comme un devoir de bonheur, qu’il porte le bonheur et qu’il n’en a pas honte[39], des nuances importantes sont à faire ne serait-ce qu’en prenant en considération la modération et l’ascétisme avec lesquels les personnages pratiquent leurs désirs et plaisirs dans La bulle de Tiepolo.

 

 

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* Université Alassane Ouattara de Bouaké, Côte d'Ivoire

[1]Dominique Vaugeois, Johnnie Gratton.  « Fictions d’art: des espaces pensifs ». Fiction et savoirs de l’art, n°8, 2014. http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc.

[2] Dominique Viart et Bruno Vercier. « La littérature et l’image », La littérature française au présent. Paris: Bordas, 2005, p. 280.

[3] Kendall Walton. « Catégories de l’art ». In  Gérard Genette (dir.). Esthétique et Poétique. Paris: Seuil, 1992, p. 84.             

[4] Jean-Marie Kouakou. Problèmes du descriptif contemporain: L’exemple de Claude Simon et de quelques autres néo-romanciers. Thèse de Doctorat unique, Université de Limoges, 1989, p.264.

[5] Référence est faite à son article « Nuances du pictural ». in Poétique n°126, 2001, pp. 175-189.

[6] Louis Marin. Détruire la peinture. Paris: Galilée, 1977, p.56.

[7] Ginette Michaux. « Récits postmodernes ? ». in Etudes françaises, 21, 3, 1985-1986, p. 74.

[8] Liliane Louvel propose six nuances du pictural, une forme de gradation susceptible d’être lue comme les modes de picturalisation du texte. Ce sont: l’effet-tableau, la vue pittoresque, les tableaux vivants, l’arrangement esthétique ou artistique, la description picturale et l’ekphrasis. Textes/ images. Images à lire textes à voir. Rennes: PUR, 2002.

[9] Philippe Delerm. La bulle de Tiepolo. Paris: Gallimard, p. 49.     

[10] Philippe Delerm. La bulle de Tiepolo. Paris: Gallimard, pp. 58-59.

[11] Guy Scarpetta. L’artifice. Paris: Grasset, 1988, p. 40.

[12] Murray Krieger cité par Liliane Louvel dans « Nouvelles approches de l’ekphrasis », Textimage, publication en ligne, http//www.revue-textimage.com, mai 2013.

[13] Philippe Delerm. La bulle de Tiepolo. Paris: Gallimard, p. 73.

[14] Idem, p. 74

[15] Jacqueline Testanière. « L’ekphrasis dans l’œuvre narrative d’Umberto Eco ». In Cahiers d’études romanes [En ligne], 24 | 2011, mis en ligne le 06 juin 2012, consulté le 05 octobre 2014. URL: http://etudesromanes.revues.org/1056.

[16]François Lecercle. « Donner à ne pas voir ».in Dans la Pensée et l’image: signification et figuration dans le texte et la peinture. Vincennes: P.U.V., Coll. « l’imaginaire du texte », 1994, p.123.

[17] Liliane Louvel. « Pour une critique intermédiale ». In Interfaces 32 (2011-2012), p. 76.

[18] Maurice Merleau-Ponty. Phénoménologie de la perception. Paris: Gallimard, 1945, p. 377.

[19] Helmholtz cité par Jacques Bouveresse in Langage, perception et réalité. Nîmes: Jacqueline Chambon, 2004, p. 230.

[20] Noël Mouloud. La peinture et l’espace. Paris: PUF, 1964, p. 256.

[21] Dorrit Cohn. La transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman. Paris: Seuil, 1981, p. 25.

[22]Philippe Delerm, Op.cit., p. 13. 

[23] Pierre Bonnard et Edouard Vuillard sont deux piliers du mouvement Nabi.

[24] Philippe Delerm, Op.cit., p. 73 

[25] Idem, p. 33

[26] Carl Gustav Jung. L’Homme à la découverte de son âme. Paris: Albin Michel, 1987, p. 115.

[27] Idem, p. 116.    

[28] Gilles Deleuze. Mille plateaux, Capitalisme et schizophrénie 2. Paris: Minuit, 1980, p. 34.        

[29] Lire à propos Esfandiar Esfandi, « L'instrumentalisation des procédés énonciatifs chez les "minimalistes" français des années 1980: Les cas de Patrick Deville et de Jean-Philippe Toussaint », Plume, première année, numéro 1, printemps-été 2005, publiée en été 2006, pp. 39-58.

[30] Pour Rémi Bertrand, « une des assises fondamentales de l’œuvre de Delerm (…) réside dans son éthique de l’immanence, du présent, et de la satisfaction: en un mot, du quotidien ». In Philippe Delerm et le minimalisme positif. Monaco: Rocher, 2005, p. 49.

[31] Idem, p.17       

[32] José Domingues de Almeida. « L’authenticité selon Philippe Delerm. Entre littérature de confort et minimalisme: l’expérience partagée ». In Carnets III, L’(In)vraisemblable, Janvier 2011, p. 165.

[33]Philippe Delerm, Op.cit., p. 75. 

[34] Idem, p. 62.

[35] Philippe Delerm. Op.cit., p. 67.

[36] Philippe Sollers. Femmes. Paris: Gallimard, 1983.

[37] Philippe Delerm. Op.cit., p. 81

[38] José Domingues de Almeida. Op. cit., p. 162.

[39] Philippe Delerm. Le bonheur, tableaux et bavardages. Monaco: Rocher, 1998, pp. 49-50.